Temps Additionn'Elles : pourquoi les Bleues ne jouent qu'en D1 ?

Par Dahbia Hattabi
6 min.
Les Françaises privilégient la D1 @Maxppp

Comme à chaque rassemblement de l'Équipe de France Féminine, le sélectionneur Philippe Bergeroo a fait appel à des joueuses évoluant presque toutes dans le championnat de France. Comment expliquer cela ? Avec l'éclairage de personnalités du football féminin, Foot Mercato a mené l'enquête.

Lundi 12 octobre. Le sélectionneur national Philippe Bergeroo a annoncé la liste des 23 Bleues retenues pour affronter les Pays-Bas et l'Ukraine les 23 et 27 octobre prochain. Cette dernière rencontre est d'ailleurs qualificative pour l'Euro 2017. Une liste où l'absence de l'emblématique Gaëtane Thiney a créé la surprise. L'autre surprise, c'est la présence d'Elise Bussaglia, seule joueuse de cette liste à évoluer hors de l'Hexagone (à Wolfsbourg, Ndlr). Une chose qui n'était pas arrivée depuis un petit moment. Sur les 23 internationales sélectionnées, on retrouve huit Lyonnaises, quatre Parisiennes (Houara et Boulleau forfaits), six Montpelliéraines, trois joueuses de Juvisy et une Guingampaise. Lors du Mondial 2015, toutes les joueuses évoluaient dans des clubs français. Mais pourquoi les Bleues jouent-elles quasiment toutes dans l'Hexagone ? Pour commencer, peu de joueuses ont tenté ce pari comme nous l'explique Sandrine Brétigny (22 capes, OM) : «Chez les filles, ce n'est pas trop dans la culture française d'aller jouer à l'étranger. On n'est pas beaucoup à l'avoir fait. Il y a eu Marinette Pichon qui l'a fait en premier en partant aux États-Unis. Ensuite, il y a eu Camille Abily et Sonia Bompastor (États-Unis). Puis, il y a eu moi (en Allemagne). Maintenant, on a vu qu'Elise a rejoint Wolfsbourg. Je pense que le championnat français a évolué. Il y a aussi peut-être plus de moyens, ça attire les étrangères et le niveau monte».

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Pour l'ancienne capitaine des Bleues Sonia Bompastor, plusieurs points peuvent expliquer cette volonté de rester en D1: «Le premier constat c'est qu'elles se sentent bien en France au niveau des conditions d'accueil dans les clubs et au niveau des conditions financières. Avant de partir à l'étranger, je pense que certaines joueuses veulent faire leurs preuves dans le championnat national. Pour le moment, sur toutes les joueuses qui ont tenté une expérience à l'étranger, elles l'ont plutôt fait en fin de carrière». Mais certaines osent partir à l'aventure dès leur plus jeune âge comme Marina Makanza qui a rejoint Fribourg à 19 ans (2010-2012). À 24 ans, celle qui était réserviste lors du Mondial 2015 a signé à Potsdam cet été. Pour elle, c'est avant tout un choix personnel. «C'est une question de mentalité et de volonté de tenter une expérience à l'étranger. Cela dépend de la personne. Si on aime bien avoir son cocon familial, ses repères, etc... Elles préfèrent sûrement partir en fin de carrière». Le temps d'adaptation peut aussi expliquer cette frilosité des Françaises. «Il y a certaines qui sont bien installées ici, indique Brétigny. Peut-être qu'elles ne veulent pas tenter une autre aventure ou que le temps d'adaptation est plus long à l'étranger. Après c'est vrai qu'il y a un moment d'adaptation que moi-même j'ai connu pendant un mois et demi, deux mois. Ce n'était pas facile mais au final c'était une bonne expérience. C'est un choix de carrière, un choix de vie personnel et sportif».

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Un choix dicté par la sélection ?

Un choix qui peut être dicté par la sélection ? En effet, la quasi intégralité des Bleues jouent dans l'Hexagone, en particulier à Lyon et à Paris, les deux mastodontes du football féminin en France. Pour Sonia Bompastor, c'est avant tout un choix sportif. «Quand on est joueuse, le facteur numéro un au niveau des choix du sélectionneur c'est la performance. Ça aide quand on est dans un bon club. Par rapport au championnat français, on a plus de chances d'être appelée quand on évolue ici. Quand on est au PSG ou à Lyon, ce sont deux grosses équipes». Mais l'ancienne Lyonnaise avait pourtant payé son choix de carrière lorsqu'elle avait rejoint Washington en 2009. «À l'époque, on avait eu une discussion avec le sélectionneur à l'époque, Bruno Bini. Il n'était pas forcément favorable au fait que je puisse évoluer dans un championnat étranger. Au départ, il y avait eu un ou deux rassemblements où je n'avais pas été appelée, parce que lui voyait les choses différemment. J'avais continué à être performante et j'avais la chance d'évoluer à un poste où il y avait très peu de concurrence. Bruno avait dû réviser son jugement. Encore une fois, on en revient à la performance».

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Idem pour Sandrine Brétigny : «Mon expérience en Allemagne a été bénéfique. Ça n'a pas eu d'impact sur la sélection. Je suis partie en début de saison. Il y avait l'Euro au mois de juin et j'y étais. Le sélectionneur suivait mes performances à l'étranger. Je l'avais souvent au téléphone tous les quinze jours, trois semaines. Ça n'a pas eu d'incidences». Si pour toutes, la performance prime sur le reste, le fait d'évoluer en France est malgré tout un avantage. «Je pense que c'est toujours bien d'être dans le championnat de France, confie Makanza. On peut un peu plus se faire voir. Le foot féminin est moins médiatisé. C'est un petit plus d'évoluer ici. Mais ce n'est pas un frein non plus d'évoluer à l'étranger. L'Allemagne ou l'Angleterre, ça reste l'Europe». Agent licencié, Patrick Esteves a déjà eu l'occasion de travailler avec des féminines. Pour le collaborateur de Sonia Souid, la sélection n'est pas un critère dans le choix de carrière des joueuses : «On n'est jamais rentré dans ce genre de détails. Je n'ai pas de filles qui m'a dit je n'y vais pas parce que je ne vais pas me faire sélectionner».

Un marché peu ouvert

Pour Patrick Esteves, l'explication est à chercher ailleurs. «Tout d'abord, il n'y a pas beaucoup de clubs en Europe du niveau de Lyon ou Paris. Le championnat de France est bon. Economiquement, on est sur quelque chose d'assez costaud concernant ces deux clubs. Ensuite, il n'y a pas autant de prospections chez les femmes que chez les hommes. Le marché des tops joueuses ne correspond pas à 25 ou 30 clubs. Donc forcément, il y a moins de sollicitations de clubs étrangers. Est-ce que les sollicitations financières sont à la hauteur des filles qui jouent à Lyon ou Paris ? (...) On a reçu des propositions venant de Russie. Financièrement, c'est intéressant. Mais sportivement, elles le sont moins. Mais même en faisant des efforts, certains clubs arrivent à peine à donner ce que donne Paris et Lyon. C'est plus dur de les convaincre. Pour avoir une offre intéressante, il faut vraiment parler d'une top joueuse. En Equipe de France, les tops joueuses ça représente 5-6 joueuses». Mais l'évolution et les moyens mis en place dans certains grands clubs européens pourraient changer la donne dans le futur :« Les gros clubs italiens, espagnols, portugais, n'ont pas la même attractivité pour le foot féminin. Mais il y a des clubs anglais qui commencent à s'intéresser et à développer leurs sections féminines. C'est le cas de Manchester City, Chelsea. Le timing est malgré tout en décalage par rapport au football masculin». Le chemin est encore long pour le football féminin. Mais ce n'est pas Philippe Bergeroo qui s'en plaindra.

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