Liga : pourquoi les gros clubs galèrent autant cette saison

Par Max Franco Sanchez
9 min.
Varane et Diego Costa lors du derby disputé plus tôt dans la saison @Maxppp

FC Barcelone, Real Madrid et même Atlético de Madrid sont loin d'être à leur meilleur niveau, tant dans le jeu qu'au niveau des résultats. Et il y a bon nombre d'explications à ces difficultés.

Ce n'est pas passé inaperçu. Comme dans d'autres pays européens, à l'image de l'Allemagne, les locomotives du championnat espagnol ont du mal à démarrer. Le FC Barcelone réalise ainsi un début de saison très compliqué, avec des prestations désastreuses loin du Camp Nou notamment, en plus de tous ces problèmes dans le jeu qui étaient déjà pointés du doigt par les fans et les observateurs depuis quelque temps déjà. D'un point de vue statistique, il faut par exemple remonter à la saison 2007-2008 pour voir un Barça aussi faible à l'extérieur. Et pourtant, les Catalans, aussi décevants qu'ils soient, pointent en tête de cette édition de Liga partie sur des drôles de bases. Seulement cinq points séparent le leader barcelonais du treizième, Valence. Mieux, il n'y a que trois points entre la bande de Lionel Messi et le septième, Getafe. Du jamais vu en Espagne, où on voit habituellement les quelques équipes prendre le large assez rapidement. Beaucoup évoquent une baisse du niveau de ces cadors, qui est aujourd'hui incontestable, et les principaux responsables ne sont autres que les formations en question, mais d'autres éléments extérieurs expliquent également ces problèmes que connaissent les deux clubs de la capitale et celui de la Ciudad Condal.

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Forcément, quand ça va mal, c'est du côté des entraîneurs que les yeux se tournent. Même s'ils ont obtenu des résultats différents ces dernières années, et que Zinedine Zidane a fait un petit break entre temps, Ernesto Valverde et le Français essuient plus ou moins les mêmes reproches. À savoir, entre autres, une animation offensive qui repose surtout sur les coups de génie des joueurs offensifs, un manque de rotation et des cadres peu mis en concurrence et confortés dans leur statut. Clairement, le football produit par les deux équipes est loin de ce qu'on peut voir chez les grosses écuries du Vieux Continent. Lorsqu'on regarde ce qui se passe en Angleterre, c'est même flagrant, et la comparaison Liverpool-Manchester City vs Barça-Real Madrid fait très mal au championnat ibérique. Le cas Atlético est un peu différent, tant à cause du style développé par Diego Simeone depuis son arrivée qu'en raison des attentes qui sont tout de même un peu inférieures à celles des deux autres clubs, mais par moments l'Argentin donne l'impression de ne pas maîtriser la situation. Bien qu'il soit toujours considéré comme une légende par les supporters, ces derniers ont également critiqué son approche assez frileuse plusieurs fois cette saison.

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Des équipes en fin de cycle

Autre donnée significative : le niveau des individualités des grosses formations. Aujourd'hui, si on met de côté l'extra-terrestre Lionel Messi, les meilleurs joueurs du championnat espagnol sur ce début de saison que peuvent être Martin Odegaard ou Santi Cazorla n'évoluent ni au Barça, ni au Real Madrid, ni à l'Atlético. Certains peuvent tout de même recevoir une mention bien, à l'image de Thomas Partey, Frenkie de Jong ou Karim Benzema, mais force est de constater que le squelette des trois gros est malade. Au Barça, des joueurs comme Gerard Piqué, Sergio Busquets ou Luis Suarez sont en dedans, et c'est aussi le cas à Madrid avec Sergio Ramos, Luka Modric et compagnie. À l'Atlético, Koke, Saúl ou Diego Costa peinent aussi à montrer leur meilleur visage. L'apport des recrues stars de l'été s'avère aussi assez limité, puisqu'Antoine Griezmann, Eden Hazard ou João Félix sont très loin de leur rythme de croisière.

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Il serait cependant bien simpliste de résumer les maux des cadors espagnols à des entraîneurs en manque d'idées ou à des joueurs pas au niveau. Les dirigeants ont largement leur part de responsabilité. Et pour cause, on est clairement sur des équipes en bout de course pour les Merengues et les Blaugranas. Mais cette fin de cycle était déjà prévisible - les Madrilènes l'étaient déjà l'an dernier - et le constat est sans appel : les dirigeants n'ont pas forcément anticipé ou pris les bonnes décisions au moment opportun. À Madrid, la révolution tant annoncée l'été dernier n'a pas eu lieu, et certains joueurs, dont ceux cités ci-dessus, se traînent un peu sur le terrain. Seulement, quelles solutions fiables a réellement Zidane pour remplacer Modric par exemple ? Même constat à Barcelone où la place de titulaire indiscutable de Luis Suarez a du mal à se justifier, mais où la seule option que pourrait avoir Ernesto Valverde serait de passer Griezmann dans l'axe. Le côté gauche serait occupé par un Dembélé toujours aussi peu convaincant ou un Ansu Fati certes talentueux mais qui ne peut pas être propulsé à une place de titulaire régulier. Là aussi, la situation de l'Atlético est un peu différente, dans la mesure où l'équipe est en reconstruction après le départ de nombreux cadres, mais on peut signaler certaines limites dans l'effectif, aux avant-postes notamment où Morata est aujourd'hui le seul joueur capable de garantir un certain nombre de buts, en plus de ce manque de joueur(s) créatif(s) qui est pesant.

Les autres équipes ont progressé sur tous les plans

Le FC Barcelone, le Real Madrid ou l'Atlético ne jouent pas tout seuls en Espagne. Le problème dans le foot, c'est qu'il y a des rivaux, bien déterminés à venir à bout de leur adversaire. Les années précédentes, il n'était pas rare de voir le Barça et le Real coller des 5-0 à leurs adversaires tous les week-ends. Il y a quelques années, les Ligas se gagnaient aux alentours des 95 points et même au-dessus parfois, à l'image de ce Real Madrid de José Mourinho qui avait atteint les 100 points en 2012. La donne a changé, et on peut affirmer sans sourciller que le vainqueur de cette édition ne dépassera probablement pas les 85 points. La maxime « tout le monde peut battre tout le monde » qu'on appliquait à la Premier League est aussi valable pour la Liga maintenant, peut-être même plus que pour le championnat britannique même. En face, les équipes sont effectivement plus fortes. Sur le plan individuel déjà, notamment parce que grâce à la hausse des droits TV (1,9 milliard d'euros touchés la saison 2018/2019 contre 850 millions d'euros en 2014/2015, soit plus du double), elles ont tout simplement un pouvoir d'achat supérieur et peuvent se permettre de conserver leurs meilleurs éléments. Il y a encore 3 ou 4 ans, des joueurs comme Mikel Oyarzabal ou Willian José (Real Sociedad), José Luis Morales (Levante), Chimy Avila (Osasuna), Marc Roca (Espanyol), Djené Dakonam ou Jaime Mata (Getafe), pour n'en citer que quelques-uns, auraient probablement joué dans des clubs de standing supérieur, en Espagne ou à l'international. Une équipe comme Villarreal peut se permettre d'avoir deux gros espoirs comme Samuel Chukwueze et Javi Ontiveros en jokers de luxe, ou un attaquant de la trempe de Carlos Bacca sur le banc. L'exemple du Betis qui a réussi à recruter ces dernières années des joueurs de niveau international comme William Carvalho, Nabil Fekir ou Diego Lainez illustre aussi cette puissance financière revue à la hausse, bien que toujours loin de l'Angleterre. La classe moyenne et la classe supérieure ont donc plus de sous dans leurs poches pour faire leurs emplettes.

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Mais il y a un autre élément encore plus important. Il y a quelques années, en Espagne, la tendance était au Guardiolismo, c'est-à-dire que beaucoup d'entraîneurs s'inspiraient du style de jeu prôné par leur homologue catalan. Cela donnait des équipes pratiquant un jeu très offensif et pas toujours maîtrisé. Avec beaucoup d'espaces devant eux, Lionel Messi, Pedro, Neymar, Luis Suarez, David Villa, Cristiano Ronaldo, Angel Di Maria ou Karim Benzema, pour ne citer qu'eux, se régalaient. Aujourd'hui, c'est le Cholismo qui est à la mode. Vous l'aurez compris, de plus en plus d'équipes s'inspirent de l'Atlético de Simeone, et le 4-4-2 à plat, un temps disparu des radars, est ainsi revenu au premier plan. Le Getafe de Pepe Bordalas, ou Leganés, Alavés et même le Valence de Marcelino avant son licenciement en sont les plus fidèles disciples. Un système plus exigeant physiquement et a priori moins compliqué à appliquer, du moins sur le plan offensif. Résultat, des équipes très bien en place, ne laissant que peu d'opportunités et de brèches pour attaquer, avec l'équilibre et l'intensité comme mots d'ordre. Ce n'est donc plus une partie de plaisir pour les cadors, qui sont aujourd'hui bien plus faciles à appréhender pour les clubs dit "petits" ou "modestes".

Qu'en est-il de l'attractivité de la Liga ?

Certains déplorent cette perte de niveau des gros, alors que d'autres jubilent que cette domination écrasante et bipolaire catalano-madrilène semble toucher à sa fin. Une chose est sûre cependant, cette nouvelle tendance a clairement paupérisé le spectacle qu'on avait l'habitude de voir. Si quelques exceptions existent encore - comme ce qu'a pu faire Quique Setién avec Las Palmas et le Betis ou la Real Sociedad d'Imanol Alguacil cette saison - le mythe de la petite équipe de Liga qui joue bien n'est plus qu'un... mythe, justement. Ces dernières ont ainsi troqué un style de jeu offensif pour une approche plus défensive et les rencontres sont donc moins riches en buts, en occasions, et sont ainsi plus disputées et plus hachées par des contacts et des fautes à répétition. Les statistiques prouvent qu'il y a de moins en moins d'animation dans les derniers mètres en Espagne : il n'y a que quatre représentants espagnols dans les trente équipes des cinq grands championnats avec le plus de tirs cadrés par rencontre (Real Madrid, Villarreal, Barça, Séville). Chaque tir cadré n'est pas une occasion évidemment, mais cette statistique reste assez significative.

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« Une Liga sans propriétaire et sans football », titre ce lundi le quotidien généraliste El Pais, où on retrouve une nouvelle comparaison avec le championnat anglais, clairement en défaveur de la Liga. Au pays du toque, cette perte d'identité et de puissance des grosses écuries inquiète, et elle se ressent d'ailleurs sur la scène européenne, où le Barça et le Real Madrid sont loin d'inspirer la même terreur aux quatre coins du Vieux Continent qu'auparavant. Si les équipes du subtop et du milieu de tableau se portent mieux qu'avant, ce sont les grosses locomotives qui doivent tirer le championnat vers le haut. Beaucoup s'accordent à dire que la situation actuelle n'est pas tenable sur la longueur, pas uniquement pour le spectacle ou les résultats en Europe, mais aussi en vue des prochaines négociations des droits TV, puisqu'avec un trio de tête fort, l'institution qui régit le championnat espagnol pourra espérer toucher un plus gros pactole qu'avec des cadors moribonds. Peut-être que le regain de forme des ogres barcelonais et madrilènes devra passera par des décisions drastiques des dirigeants, vis-à-vis de leurs entraîneurs notamment, ou par de nouvelles folies lors des prochains mercatos.

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