Comment Gérard Lopez et Marc Ingla ont aidé Manchester City à contourner le Fair-play financier

Par Maxime Barbaud
7 min.
Manchester City FC Bruno Zuculini @Maxppp

Avant de devenir respectivement propriétaire et directeur général du LOSC, Gérard Lopez et Marc Ingla se sont retrouvés au cœur d'un système opaque et très bien monté permettant à Manchester City de passer à travers les mailles du Fair-play financier. C'est ce que montrent les derniers documents liés au Football Leaks. L'UEFA mène déjà l'enquête et le club anglais est menacé.

Gérard Lopez et Marc Ingla n'ont pas attendu de prendre le LOSC en main pour baigner dans l'univers du foot. Les deux hommes se connaissent depuis un moment et le second nommé a même été durant un temps un dirigeant du Barça, se présentant même à la présidence du club en 2010. Il ne sera pas élu mais gardera des contacts précieux comme celui de Ferran Soriano, ancien vice-président du club, devenu en 2012 directeur exécutif de Manchester City. De cette amitié naîtra un véritable système opaque destiné à aider le club anglais à contourner les règles du Fair-play financer via la création d'un fonds de tierce propriété (TPO). C'est ce que dévoile le réseau de média EIC, dont France 3 Hauts-de-France fait partie, lors de nouvelles révélations des Football Leaks.

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À l'époque, Soriano veut faire de Manchester City une multinationale du ballon rond en créant un réseau au sein duquel graviteraient plusieurs clubs disséminés un peu partout sur la planète (les bases du City Football Group sont jetées). Il évoque aussi l’idée de monter de toutes pièces un fonds d’investissement qui détiendrait une partie des droits de joueurs, Sud-Américains en particulier, afin de les vendre, les acheter ou les prêter comme bon leur semble. Cette société serait complètement indépendante en apparence mais dirigée en sous main par City Football Group, via un montage financier très complexe et difficilement détectable. Aucune partie liée ne doit exister sous peine d’intégrer les comptes de ce fonds d’investissement à ceux du club anglais, ce qui compromettrait son respect aux règles du Fair-play financier.

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Manchester City contacte Ingla, qui travaille pour Lopez

L’objectif avec cette TPO est d’investir 30M€ sur environ 70 jeunes joueurs, dont 40% sont alors mineurs, et espérer un fort taux de rentabilité. Manchester City dispose alors d’un réseau de recrutement et de joueurs leur appartenant indirectement. Le fonds d’investissement envisage également de devenir propriétaire d’un club fantoche en Amérique du Sud qui fera office de passerelle. L’Uruguay est choisi pour héberger ce club à la coquille vide mais où il est possible d’enregistrer jusqu’à 40 joueurs. Lorsque Soriano a le feu vert de sa direction pour procéder à cette opération, et alors même que l’Angleterre a interdit le recours au TPO en 2008, il contacte Marc Ingla. Ce dernier travaille alors pour une société luxembourgeoise Mangrove Capital Partners, détenue par Gérard Lopez et deux autres hommes d’affaires, l’Américain Mark Tluszcz et l’Allemand Hans-Jürgen Schmitz.

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Mangrove va créer ce fonds d’investissement : MPI II (II car un premier fonds a déjà été créé un an plus tôt avec pour spécialité, l’achat de droits de joueurs). Ce dernier est destiné à « l’acquisition de droits économiques de joueurs de football par l’intermédiaire d’une plateforme d’investissement au Luxembourg ». Mangrove sert donc de prête-nom à Manchester City mais n’a aucun lien juridique avec lui et se présente comme un « facilitateur clé pour éviter les règles » du Fair-play financier. La machine est enclenchée et tout est fait pour la rendre invisible ou presque. En plus de signer un acte de coopération avec l’écurie anglaise, MPI II va également s’engager auprès d’une seconde boîte luxembourgeoise du nom de MPI II & Partners, qui doit acheter les droits des joueurs. Cette dernière est détenue par la société hollandaise Stichting MPI II mais c’est bien MPI II & Partners qui aura recours à un emprunt obligatoire. La complexité du montage est telle qu’il est particulièrement difficile de remonter jusqu’à Manchester City.

L'état d'Abou Dhabi injecte directement l'argent dans un paradis fiscal

L’ensemble de la pyramide est mis en place à l’automne 2013. Il reste à déterminer qui injectera l’argent et faire en sorte que cela reste intraçable. Il est décidé de créer la société offshore Roscalitar immatriculée aux Îles Caïman, un paradis fiscal bien connu, où aucun nom n’apparaît dans les registres. Et c’est l’état d’Abou Dhabi, via son agence gouvernementale Executive Affairs Authority, et son président Khaldoon al-Mubarak, aussi patron de Manchester City, qui mettra les fonds dans cette société-écran. C’est grâce aux documents de Football Leaks qu’on déterminera qui se cache derrière Roscalitar. L’adresse étant la même que l’Executive Affairs Authority… C’est d’ici que partiront les fameux 30 millions à investir. Avec cet argent, le système tient son bras armé et peut enfin passer à l’action sur le terrain.

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Le premier joueur acheté est le milieu de terrain Bruno Zuculini, alors âgé de 21 ans et évoluant au Racing Club Avellaneda. Encore une fois, tout est fait pour que seuls les donneurs d’ordre y voient clair. MPI II & Partners n'achètent pas les droits du joueur. Il va passer un accord avec Pub Soccer BV, une boîte domiciliée aux Pays-Bas, et appartenant à l’agent de joueur Noberto Dario Decoud. Cette dernière reçoit 1,9 M€ de la part du fonds d’investissement et s’engage « à inciter le joueur à conclure avec le club de football désigné » par le créancier. Ce club désigné est bien entendu Manchester City. Il s’assure la signature du jeune espoir, qui ne peut être recruté par d’autres clubs rivaux. Le Racing Club perçoit 2,5 M€ d’indemnités de transfert et City doit verser également 2,5 M€ de commission à MPI II & Parners pour couvrir les frais de celle-ci. Football Leaks révèle même que des dirigeants de Manchester City se demandent à l'époque pourquoi dépenser cet argent et comment le justifier dans ses comptes. Cela ira jusqu'à des négociations avec la FA et la Premier League qui s'interrogent face à ce stratagème. Zuculini jouera un match de Community Shield avec les Citizens avant d’être envoyé du côté de Valence, Cordoba, Middlesbrough, l’AEK Athènes, le Rayo Vallecano et le Hellas Vérone où il est prêté à chaque fois. Il connaîtra pas moins de 9 clubs en seulement 4 ans...

Le City Football Group au cœur du système

Pour les joueurs suivants, MPI II & Partners va s’associer avec le club de 2e division uruguayenne du Deportivo Maldonado afin qu'il lui serve de passerelle. Ce dernier est déjà bien connu de la FIFA pour ses pratiques douteuses. Il devient officiellement propriétaire des droits des joueurs mais accorde au fonds d’investissement « un intérêt de propriété réfléchie », lui permettant d’obtenir une part de la vente des futurs transferts de joueurs en échange d'honoraires annuels. Cela donne aussi lieu à un statut particulier aux clubs du City Football Group (Manchester City, New York City FC aux Etats-Unis, Yokohama Marinos au Japon, Melbourne FC Heart en Australie à l’époque - depuis Gérone FC en Espagne, Club Atlético Torque en Uruguay et Sichuan Jiuniu FC en Chine ont rejoint le giron) de « Premier Club » et qui a pour conséquence de se jouer de l’article 18 bis du règlement de la FIFA, garantissant l’indépendance des équipes et de ne pas influencer sur les résultats sportifs. Ainsi, si l’un des joueurs de Maldonado est recruté par l’un de ces clubs, l’entité uruguayenne ne recevra aucune part de la plus-value.

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Dans le cadre de cet accord, trois joueurs ont été identifiés. En 2014, il y a Geronimo Rulli, gardien passé de l’Estudiantes de la Plata, puis le Deportivo Maldonado (où il ne jouera jamais), avant d’être prêté au bout d’une semaine à la Real Sociedad. Manchester City le recrute en 2016 auprès du club uruguayen contre 5,16 M€. Il sera à nouveau prêté avec une obligation d’achat de 7 M€ au club basque. Le transfert sera effectif en janvier 2017. Encore aujourd’hui, le club anglais dispose d’un pourcentage à la revente sur un possible transfert du portier argentin. C’est le seul véritable investissement qui rapportera car pour les deux autres joueurs il y aura moins de réussite. Toujours en association avec le Deportivo Maldonado, l'Equatorien Andres Mendoza Uza et le Colombien Javier Calle seront achetés par MPI II & Partners lors de la saison 2014/2015. Ils seront prêtés à une autre équipe du City Football Group, New York City FC, en début d’année 2015.

L'UEFA mène l'enquête qui pourrait être fatale à Manchester City

L'expérience sera finalement de courte durée. La FIFA siffle la fin de la récréation. Le 22 décembre 2014, elle annonce la fin de la TPO pour le 1er mai 2015. MPI II & Partners est placé en liquidation judiciaire le 27 décembre 2017. Dans ses comptes, on retrouve des honoraires annuels de 375 000 € versés à MPI II, qui rappelons-le appartient à Gérard Lopez et ses deux associés, via Mangrove. Entre 2014 et 2016, c’est donc 1,125 M€ qui ont été payés. Face à ces révélations dont elle est au courant depuis plusieurs mois maintenant, l’UEFA a ouvert une enquête pour non-respect de son Fair-play financier. Le responsable de l’instance européenne en charge du FPF, le Belge Yves Leterme a déjà exprimé il y a quelques semaines que si jamais ces faits expliqués étaient confirmés, « cela peut conduire à la plus lourde des sanctions, l’exclusion des compétitions de l’UEFA ». On comprend pourquoi...

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