La terrible descente aux enfers de l'Anzhi Makhachkala

Par Aurélien Macedo
9 min.
Anzhi @Maxppp

A l'été 2011, l'Anzhi Makhachkala se faisait un nom sur la scène européenne en s'offrant Samuel Eto'o. Pour l'attirer, le club russe n'avait pas hésité à lui offrir un salaire de 20 millions d'euros par saison. Très ambitieux, le club du Daguestan a fait venir de nombreuses stars pendant trois années. Toutefois, la folie des grandeurs a dépassé le club. Perturbé par l'arrivée du Fair-Play Financier et par la mise en retrait de son propriétaire Suleyman Kerimov, le club est aujourd'hui en grande difficulté sur le plan sportif, mais aussi au niveau financier.

Suite à la fin du régime communisme et à la chute de l'URSS, le football russe connaît une large refonte. Si les clubs historiques tels que le Spartak Moscou, le Torpedo Moscou, le Lokomotiv Moscou ou encore le Dinamo Moscou continuent de côtoyer les hautes sphères, d'autres formations se créent au fil des années. Récemment, le FK Krasnodar (né en 2008) s'est imposé comme l'une des meilleures formations russes grâce à un excellent centre de formation et une habile stratégie sur le marché des transferts. Il y a quelques années, une autre équipe a rapidement émergé au niveau national et a même pointé le bout de son nez au niveau continental. Fondé en 1991, le FK Anzhi Makhachkala grandit patiemment. Promu pour la première fois en D1 russe lors de la saison 2000, l'équipe du Daguestan crée la surprise et termine quatrième. Un exploit qui ne sera pas répété puisque le club joue le maintien la saison suivante et redescend en deuxième division en 2002. Tombé dans l'antichambre du football russe, le FK Anzhi Makhachkala remonte dans l'élite en 2009 après une saison menée d'une main de maître. Le début d'un projet ambitieux.

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Pour son retour en Russian Premier League, les coéquipiers de Rasim Tagirbekov connaissent un exercice compliqué avec deux changements d'entraîneurs ainsi qu'une lutte effrénée pour le maintien. Celui-ci acquis de justesse, le club s'offre alors un mercato ambitieux en vue de la saison 2011-2012 avec l'arrivée de la légende brésilienne Roberto Carlos. L'ancien joueur du Real Madrid arrive avec un gros salaire (5 millions d'euros annuels et il recevra en cadeau une Bugatti Veyron pour ses 38 ans) et son transfert déclenche alors la surprise. Dans le même temps, ses compatriotes Jucilei, Joao Carlos et Diego Tardelli arrivent en Russie tout comme le grand espoir ouzbek Odil Ahmedov et le Marocain Moubarak Boussoufa. Disposant désormais d'un effectif de bonne qualité au niveau national, le club réalise un début de saison intéressant et se retrouve même deuxième après 12 journées de championnat. Pourtant, l'équipe du Daguestan n'arrive pas à conserver une régularité dans les résultats. Un premier échec surtout que l'été 2011 laissait prévoir une fin de saison canon.

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L'ère Suleyman Kerimov

Si la chute de l'URSS a permis la création de l'Anzhi Makhachkala, elle a aussi permis l’avènement d'un certain Suleyman Kerimov. Comme de nombreux jeunes entrepreneurs de sa génération, il a profité du marasme dans lequel se trouvait le pays suite à la fin du communisme pour faire fortune. À l'instar de Roman Abramovich (Chelsea) ou encore Dmitri Rybolovlev (AS Monaco), le natif de Derbent parvient donc à devenir milliardaire grâce à ses investissements (Gazprom ou encore Uralikali). Comme ses deux compatriotes, Suleyman Kerimov est un fervent amoureux du ballon rond et il est fier de ses racines daguestanes. Dans une région marquée par le terrorisme (l'attentat de l'aéroport de Domodedovo qui a fait 35 victimes et plus de 180 blessés a été commis par des ressortissants daguestanais) et la corruption, il décide de mettre en avant sa fortune au bénéfice de la région. Après avoir permis l'arrivée de Roberto Carlos et des premières stars de l'Anzhi Makhachkala, il devient définitivement propriétaire du club le 17 juin 2011.

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S'en suit alors une accélération de son projet avec l'arrivée d'une star internationale qui est à l'apogée de sa carrière : Samuel Eto'o. Un an après avoir gagné la Ligue des Champions avec l'Inter Milan, l'attaquant camerounais est charmé par le projet monté par Suleyman Kerimov, mais aussi par les billets daguestanais. À la clef, un transfert de plus de 25 millions d'euros et un salaire de 60 millions d'euros étalé sur trois années. L'international russe de Chelsea, Yuri Zhirkov, rejoint également dans ce laps de temps l'Anzhi Makhachkala tout comme Vladimir Gabulov (Dinamo Moscou) et le Hongrois Balàzs Dzsudzak. Le Marocain Mehdi Carcela-Gonzalez arrivera lui au mois d'octobre. Fort de ses recrutements, l'Anzhi Makhachkala termine néanmoins la saison 2011/2012 à une triste huitième place. L'entraîneur Gadzhi Gadzhiev en fait d'ailleurs les frais et après un intérim d'Andrei Gordeyev (où Roberto Carlos sera coach assistant), le coach néerlandais Guus Hiddink est nommé. Une décision loin d'être surprenante puisqu'il connaît bien la Russie pour en avoir été sélectionneur entre 2006 et 2010.

La saison suivante est bien plus aboutie. Profitant d'un mercato estival de qualité avec les arrivées de Lacina Traoré (Kuban Krasnodar), Fyodor Smolov (Dinamo Moscou) ou encore Lassana Diarra (Real Madrid), le club joue les premiers rôles avec 9 succès, 2 matches nuls et 1 défaite après 12 journées. Leader, l'équipe russe va encore s’essouffler pour terminer à la troisième place du championnat derrière le CSKA Moscou et le Zenit. Un nouvel échec pour la formation daguestanaise qui visait le titre ou à minima une qualification en Ligue des Champions. Néanmoins, le club s'illustre en Ligue Europa. Sorti deuxième d'une poule qui comptait Liverpool, l'Udinese et les Young Boys de Berne, l'Anzhi Makhachkala élimine ensuite Hanovre 96 lors des seizièmes de finale (3-1/1-1). Néanmoins, Newcastle lui bloque la route au tour suivant (0-0/1-0). Profitant de sa force financière, le club continue ses emplettes avec Andrey Eschenko (Lokomotiv Moscou), Willian (Shakhtar Donetsk) et Emir Spahic (Séville FC). Igor Denisov (Zenit), Aleksandr Ionov (Kuban Krasnodar), Christopher Samba (Queen Park Rangers) et Aleksandr Kokorin (Dinamo Moscou) suivront à l’orée de la saison 2013/2014.

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Une extinction lente et douloureuse

Ce troisième exercice de l'ère Suleyman Kerimov est décidément le plus pénible. Candidat au titre dès l'été, l'Anzhi Makhachkala s'avance plus fort que jamais. Pourtant, le début de championnat est compliqué avec deux matches nuls et deux défaites en quatre matches. Un léger retard à l'allumage pense-t-on alors. Il n'en sera rien. Avec l'arrivée du Fair-Play Financier en Europe qui demande aux clubs d'avoir de garanties solides sur le plan financier, le club est frappé de plein fouet. Après avoir balancé plus de 450 millions en trois ans, le coffre fort des Daguestanais sonne creux. Face aux échecs sportifs rencontrés par son équipe, le président Suleyman Kerimov décide de mettre fin à son projet et les stars sont priées de faire leurs bagages. Arrivé pour 19 millions d'euros, Aleksandr Kokorin n'a même pas pu enfiler ses crampons avec son nouveau club qu'il devait rentrer au Dinamo Moscou.

Le club moscovite n'a pas hésité à accueillir de nombreux éléments de l'Anzhi Makhachkala tels que Igor Denisov, Fyodor Smolov, Yuri Zhirkov, Christopher Samba, Vladimir Gabulov et Aleksei Ionov. Le Dinamo Moscou connaîtra d'ailleurs un destin similaire (moins catastrophique certes, mais amenant à une relégation) que les Caucasiens. Samuel Eto'o optera pour Chelsea tout comme Willian. Moubarak Boussoufa et Lassana Diarra rejoindront le Lokomotiv Moscou tandis qu'Oleg Shatov rejoindra le Zenit. Un exode dont le club ne se relèvera pas. Avec des finances saines pour la saison 2013/2014, mais avec un effectif totalement affaibli, l'Anzhi Makhachkala ne remporte pas le moindre match avant la 20e journée de Russian Premier League (succès 1-0 contre le Rubin Kazan). Le club termine alors dernier et se retrouve relégué en Football National League (D2 Russe). Si la saison suivante, le club obtient sa promotion, il se retrouve à jouer le maintien les trois saisons qui suivent.

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Vers une disparition ?

Relégué la saison dernière après une défaite en barrage face à Yenisey (3-0/3-4), l'Anzhi ne doit son salut qu'aux banqueroutes de deux autres formations. Le FK Tosno qui en quelques semaines a gagné la Coupe de Russie, s'est vu refusé une licence européenne et a été relégué sportivement s'est vu dissout. Même issue pour l'Amkar Perm qui avait pourtant gagné son barrage contre Tambov (2-0/1-0), mais dont les comptes ne répondaient pas aux attentes de la Ligue. Si l'Anzhi Makhachkala s'est offert un sursis, son maintien dans l'élite a posé question. En début de cette saison, le club a pu se présenter et a même débuté le championnat par un succès (1-0 contre le FK Ural), toutefois, les voix se sont levés contre la formation daguestanaise. Endetté à hauteur de 3, 42 millions d'euros, le club a demandé le soutien du gouvernement local et a dû réduire les budgets de ses équipes jeunes. Cet hiver, les gros salaires sont partis (Ihor Chaykovskyi vers le Zorya Luhansk, Mohamed Rabiu vers Samara, Ivan Novoseltsev prêt rompu ...) et le club s'est appuyé sur son centre de formation. Malgré une volonté à toute épreuve, l'Anzhi Makhachkala est quinzième à deux points du premier barragiste et à neuf points du premier non relégable. Sa survie dans l'élite est mal engagée.

Sa survie sur un plan général est également compromise. Depuis 2016 et le retrait de Suleyman Kerimov - ce dernier est mis en cause dans une affaire de fraude fiscale - c'est Osman Kadiev qui a racheté le club. Lors des trois dernières années, le gouffre financier n'a pas cessé de se creuser. Les déplacements en bus ont été priorisés pour payer moins cher et les retards de payement se sont étalés. Au point de faire sortir l'entraîneur Magomed Adiev de ses gonds après une défaite face au Dinamo Moscou (1-0) : «lors de la signature des contrats, nous devrions rester calmes. Nous ne nous soucions pas du classement et du score. Nous voulions nous améliorer, devant les fans. Si nous réussissons, ils seront heureux.» Relancé sur la réussite de son équipe lors de certaines rencontres, il a dégoupillé : «chanceux ? Allez au vestiaire et dites aux personnes qui n'ont pas été payées depuis huit mois, qu'elles ont de la chance.» Vivant un exercice compliqué, il a décidé de prendre sa démission avant de finalement revenir sur son choix.

Après une nouvelle défaite face à l'Akhmat Grozny (1-0), le technicien de 41 ans a fait part de son désarroi en demandant l'appui des instances locales : «en principe, je n'aime pas parler de ces sujets, mais si vous posez une telle question... Je ne porte pas atteinte aux mérites de notre président et du gouvernement de la République du Daguestan. Ce sont des gens honorables, brillants et ambitieux. Ils ont beaucoup accompli dans leur domaine. Mais le résultat de tout cela c'est que le club souffre. Le club souffre, le mot est faible. Il est même mourant.» Pour Magomed Adiev difficile de savoir ce qu'il adviendra de son équipe la saison prochaine : «il est trop tôt pour dire si le club pourra jouer au niveau professionnel la saison prochaine. Cela ne donne pas une bonne image du Daguestan quand on dépose le bilan sans raison sérieuse. Un club avec une telle tradition, qui a eu tant de joueurs célèbres.» Au bord de la relégation et de l'implosion, l'Anzhi Makhachkala vit une crise sans précédent et pourrait même ne plus exister. Du paradis à l'enfer, il n'y a qu'un pas, bien malheureusement pour lui, le club russe a mis neuf ans pour le faire.

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