Premier League : pourquoi Chelsea a misé sur Graham Potter ?

Par Maxime Barbaud
8 min.
Graham Potter est l'ex-entraîneur de Chelsea @Maxppp

Nouvel entraîneur de Chelsea, Graham Potter est loin d'être une star du banc de touche. Passé par des équipes universitaires et par Östersunds, club suédois qu'il a réussi à faire passer de la 4e division à une qualification en Europa League, le technicien anglais est reconnu pour ses méthodes détonantes pour les milieu.

Il n'est pas le plus connu, notamment dans les autres grands championnats, mais il va pourtant falloir s'habituer à son visage. À 47 ans, Graham Potter a été désigné pour succéder à Thomas Tuchel et redresser la situation sportive à Chelsea. Le licenciement de l'Allemand a autant été une surprise que la nomination de celui qui était encore entraîneur de Brighton il y a quelques jours. Sans être un grand nom dans son domaine, ce grand blond longiligne a su se bâtir une solide réputation en Angleterre et au Pays de Galles, mais aussi en Suède, là où il a fait naître sa légende, au point d'être préféré à Mauricio Pochettino et même Zinedine Zidane. À y regarder de plus près, c'est une affaire de destin, de méthodes de travail peu classiques, le tout saupoudré d'un peu de magie, comme seul le sport est capable d'offrir.

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Disons-le tout de suite, ça ne s'est pas joué sur le CV. L'ancien défenseur central s'est contenté d'une carrière de seconde zone, dont l'apogée fut une poignée de matchs de Premier League avec Southampton et une sélection avec les Espoirs anglais en 1996. Moins brillant que certains de sa génération (Beckham, les frères Neville, Butt, Southgate), il stoppe rapidement à 30 ans pour embrasser le destin d'entraîneur. «J'étais un joueur assez nul, reconnaissait l'intéressé à Wales Online en 2018. Je savais que je n'allais pas avoir les opportunités comme un joueur avec une carrière de vedette. Ma mère m'a toujours poussé à poursuivre mes études et j'aimerais penser que cela m'a rendu plus complet.»

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Un entraîneur passé par la fac

Dès le départ, Potter dénote. Sa carrière de joueur pas encore terminée, il obtient un premier diplôme en sciences sociales à l'université de Hull, puis, plus tard, une maîtrise "en leadership et en intelligence émotionnelle" à la faculté de Leeds. «J'avais besoin d'essayer de gagner en confiance. Je ne voulais pas seulement être l'ex-footballeur. Je voulais être plus que ça et j'aimais apprendre», poursuit-il. «Sans ces expériences dans l'enseignement supérieur, je n'aurais pas pu faire ce travail, appuie celui dont le Guardian avait fait le portrait en 2016. J'y ai appris une approche plus holistique et m'a préparé à l'expérience du travail à l'étranger, où vos croyances culturelles sont remises en question et, parfois, bouleversées.»

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En parallèle, il troque les bancs de la fac pour les bancs de touche. Ses premières expériences ont d'ailleurs lieu avec des équipes universitaires. Il participe même à la Coupe du monde féminine 2007 en tant que directeur technique du Ghana. Puis arrive en décembre 2010 le coup de téléphone qui va changer sa vie. C'est Daniel Kindberg à l'autre bout du fil. Cet ancien officier militaire lui propose de prendre en main l'Östersunds Fotbollsklubb (ÖFK), très jeune club suédois né d'une fusion, sans le sous, et qui vient de redescendre en 4e division où tout est à reconstruire. «Nous n'avions presque rien : deux joueurs, un stade, un employé à mi-temps et un budget annuel de 300 000 €», retraçait le président à ESPN en 2017.

La folie Östersunds

Ce dernier s'est fixé une ambition complètement folle. Il vise ni plus ni moins que la Ligue des Champions. Autant dire que le chemin sera long. Pour éponger sa soif de succès, il cherche une méthode aussi improbable que son objectif de C1. C'est alors que surgit dans sa vie une certaine Karin Wahlén. Originaire d'Östersunds et fille d'un ancien enseignant devenu cadre du club, cette cheffe d'agence de communication à Stockholm a été élevée avec un certain attrait pour le ballon rond et les livres. Après un premier rendez-vous manqué, Kindberg ne s'étant pas présenté, elle finit par obtenir son entrevue et lui parle d'emblée de son idée plutôt originale pour faire progresser des joueurs de foot : les initier à la culture.

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Il s'agit pour elle d'« une clé qui ouvre des portes et permet de se sentir à sa place dans des endroits où, sans nom de famille ni portefeuille bien garni, on ne serait pas à l’aise. » Elle part la fleur au fusil, persuadée, qu'au meilleur des cas, on lui rira au nez. «Comme j’étais convaincue qu’il me dirait non, je n’étais pas stressée, raconte-t-elle au Monde. Je me suis mise à parler de Bourdieu, de l’importance du capital culturel et comment nous allions nous en servir pour gagner des matchs.» C'est là que l'irrationnel entre en scène. Le discours de Wahlén fait mouche auprès de celui qui entend mener son club différemment. « Cela correspondait parfaitement à ce que nous essayions de faire.» Et pour mener ce projet disruptif, il lui faut un entraîneur peu conventionnel : Graham Potter.

Développer les joueurs et les hommes

Malgré les -25° à son arrivée en Suède et les 5 heures de route qui l'éloignent de la capitale, le jeune Anglais n'est pas du genre à se laisser effrayer. Homme de challenge nourri de son parcours universitaire, il accepte de mettre en place ces méthodes de travail originales, tout en appliquant une doctrine de développement personnel. En plus de l'entraînement, les joueurs participent à des ateliers de lecture, assistent à des expositions, discutent avec des écrivains. «Nous avons fait du théâtre, nous avons fait de la peinture, nous avons fait de la danse, nous avons fait du chant. J'ai fait tout ça mais ça ne devient pas plus facile! Ça nous a sorti de notre zone de confort, mais ça nous a surtout aidé à nous unir, à être une équipe», déroule le milieu de terrain, Jamie Hopcutt.

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Eljest (divergent dans la langue régionale du Jämtland) devient le terme à la mode à l'ÖFK mais ça fonctionne. Les joueurs adhèrent et, plus important que tout, remportent les matchs. On peut même parler de miracle. Le club monte en 3e puis en 2e division, ce qui n'était encore jamais arrivé dans son histoire. Promue coach culturelle, Karin Wahlén passe alors à la vitesse supérieure. Elle rend l'atelier théâtre obligatoire pour l'équipe première, les équipes de jeunes et le staff dans le but de se produire en public. Tout ceci coûte aussi en énergie et le début de saison dans l'antichambre de l'élite suédoise est complètement raté. Pourtant, après le soir de la première, les joueurs font la fête, soulagés et fiers, et, comme par magie, se remettent à gagner...

L'Europa League comme tremplin

L'expérience est tellement poussée que l'ÖFK doit carément refuser deux invitations de grandes scènes de la capitale pour y danser Le Lac des Cygnes. Il s'agit tout de même de garder la tête au football, même si chaque saison, et la popularité du club grandissante, a droit à son lot d'initiatives culturelles et de plus en plus politiques (manifestation contre l'extrême-droite, message de soutien à la communauté LGBT-friendly, etc). Deux ans après la dernière montée, Potter obtient le ticket gagnant pour la première division, où il termine 7e pour sa première année. Un an plus tard, c'est la consécration avec un succès en Coupe de Suède. Ce n'est pas encore la Ligue des Champions rêvée par Kindberg mais cette qualification en Ligue Europa a des allures de victoire en Coupe du monde pour les Suédois.

Mieux que ça, le club va y briller sortant Galatasaray, Fola Esch et le PAOK lors des tours préliminaires, puis terminant 2e de son groupe à égalité de points avec l'Athletic, devant le Zorya Louhansk et le Hertha Berlin. La belle aventure s'arrêtera nette en 16e de finale. Östersunds est battu par Arsenal (0-3, 2-1), non sans avoir fait trembler les Gunners au retour puisqu'il menait d'un break après 25 minutes de jeu. Cette élimination marque également la fin de l'histoire entre Potter et l'ÖFK. Le technicien laisse le club à la 5e place de l'Allsvenskan, le meilleur classement de son histoire. Il a réussi l'exploit de propulser le club vers l'Europe, en plus de se donner un gros coup d'accélérateur pour sa carrière.

Un passage en demi-teinte à Swansea avant l'envole vers la PL

Étonnamment, ce n'est pas la Premier League qui vient le chercher. Il rejoint Swansea, relégué en Championship à l'été 2018 mais les résultats déçoivent, malgré un jeu alléchant. Les Swans terminent 10es, tout en offrant un contenu unanimement reconnu par les observateurs, notamment après un quart de finale de FA Cup renversant perdu face à Manchester City 3-2, après avoir mené 2-0. Cela suffira à convaincre Brighton de venir le chercher l'été suivant contre 3,5 M€. Potter incarne cette nouvelle génération d'entraîneurs anglais aux idées novatrices. Face aux mastodontes du championnat, il doit trouver des solutions, comme en Suède, pour permettre au club de la cité balnéaire de durer en Premier League.

Destinés à lutter pour le maintien, les Seagulls remplissent leur mission, tout en développant un jeu offensif. Saison après saison, l'équipe progresse même. Grâce à des joueurs comme Neal Maupay, Leandro Trossard, Marc Cucurella, Ben White, Yves Bissouma ou encore le gardien Robert Sanchez, Brighton termine à la 9e place en mai dernier avec la 6e défense du championnat. Des performances suffisantes pour convaincre Chelsea de lui offrir un contrat et un poste en or. «C'est bien de pouvoir passer à l'étape suivante et de pouvoir travailler avec un groupe de joueurs passionnant. Jouer le haut de tableau et essayer de créer une équipe gagnante, c'est une opportunité fantastique pour moi.» Les Blues sortent d'un mercato à 280 M€ et attendent des solutions, sûrement autre que faire monter Sterling and co sur les planches.

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