Au football, peut-on être prophète en son pays ? @Maxppp

Au football, peut-on être prophète en son pays ?

Par Frederic Yang - 01/04/2021 - 18:04

Plébiscités, voire adulés dans le monde entier, Kylian Mbappé et Erling Haaland sont sujets à des critiques parfois acerbes dans leur pays, comme on a pu le constater pendant la trêve internationale. Cela nous invite donc à nous poser cette question: dans le football, peut-on être prophète en son pays ?

« On a tellement loué son comportement pendant les matches où Dortmund est en difficulté, mais avec la Norvège, on ne voit rien de ça ! » « Avec Dortmund, il se tape le visage à chaque fois qu’il rate une passe. Mais là, il n’a fait qu'abandonner. Je ne dis pas qu’il n’a pas envie d’être ici, mais en tout cas, il donne cette impression ! » John Arne Riise et Bernt Hulsker n’ont pas épargné Erling Haaland pendant la trêve internationale.

Erling Haaland

En France, Kylian Mbappé est aussi régulièrement la cible des critiques, parfois constructives et justifiées, mais parfois acerbes et gratuites, ce qui commence à l’agacer comme il l’a témoigné au micro de RTL: « bien sûr que ça fatigue, surtout quand tu joues pour un club de ton pays, que tu donnes tout pour ton équipe nationale… À un moment, ça fatigue, oui. C’est différent pour les joueurs qui jouent à l’étranger, qui ne reviennent en France que pour l’équipe nationale. Moi, je suis là tout le temps, alors ça parle beaucoup plus. Mais je connaissais ce contexte en signant à Paris. »

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Comment expliquer que les deux joueurs les plus convoités du marché, qui représentent l’avenir du football, soient quasiment unanimement adulés loin de leur pays et aussi durement critiqués chez eux ? Peut-être en se référant à la célèbre expression « nul n’est prophète en son pays », datant du XVII siècle et qui est issue des Évangiles de Luc et Matthieu, qui racontent comment Jésus, de retour dans sa ville d’origine Nazareth, fut moqué et même haï par ceux qui l’ont vu grandir et qui le considéraient comme un simple fils de charpentier et non pas comme le fils de Dieu.

Des critiques sur fond de jalousie ?

Même si la référence biblique peut surprendre, la médiatisation et la starification des joueurs de football ont fait d’eux des sortes de mythes, des prophètes modernes voire des dieux pour certains. « Une fois que vous êtes pris pour un super-héros, il y a des attentes immenses et un poids sur vos épaules qui est impossible à porter sur la durée. D’autant plus lorsque l’on est très jeune. (...) Ces champions vivent une certaine forme de solitude finalement. D’ailleurs, ils sont souvent incompris et à part. Cela me fait penser aux héros grecs, car ces joueurs sont devenus de véritables mythes vivants qui entretiennent d’ailleurs la difficulté pour les autres de suivre leurs pas ou tout simplement de les comprendre », nous expliquait Delphine Herblin, psychologue du sport.

Les critiques visant Kylian Mbappé se résument souvent à sa nonchalance (notamment au moment de défendre), sa grande confiance en soi (qui peut être interprétée comme de l’arrogance), son manque de progression depuis la Coupe du monde 2018, son attitude parfois désinvolte (exemple: sa contestation lors de son remplacement contre Montpellier en février 2020), sa starification mais aussi son style de jeu. Le « tout droit », le « sprinteur de Bondy » sont des sobriquets régulièrement utilisés par les détracteurs de l’attaquant du PSG, dont le talent reposerait principalement (voire uniquement pour certains) sur sa vitesse. « Finalement, la vitesse c’est un peu inné, c’est influencé par la génétique. Donc certains peuvent se demander où est le mérite de Kylian Mbappé ? Ce côté athlète pur et non pas esthète ou artiste dans le football peut déranger certains. Il y a sans doute aussi un peu de la jalousie, car les amateurs de football n'ont, pour la majorité, jamais pu jouer à un très haut niveau donc ils peuvent jalouser quelqu’un qui a des prédispositions naturelles qu’ils n’ont pas et qui a réussi en partie grâce à elles. Il peut y avoir un sentiment d’injustice vis-à-vis des joueurs qui misent beaucoup sur leur vitesse », indique Delphine Herblin.

Kylian Mbappé

Mais peut-on vraiment réduire Kylian Mbappé à sa vitesse ? À 22 ans, l’attaquant a déjà inscrit plus de 100 buts en 142 matches de Ligue 1, soit 0,7 but par match, 25 buts en 35 matches de Ligue des champions, ou encore 4 buts en Coupe du monde, compétition qu’il a remportée avec l’équipe de France à 19 ans en marquant en finale. Kylian Mbappé va même sans doute enchaîner une cinquième saison de suite avec au moins 10 buts et 10 passes décisives toutes compétitions confondues (il lui manque actuellement une passe décisive pour valider ça), ce qui est rarissime, voire unique. Mais ne vous détrompez pas, Kylian Mbappé a évidemment du déchet dans son jeu, dans sa finition. Il en fait parfois un peu trop, mais peut-être aussi pour prouver qu’il n’est pas qu’un joueur rapide. En réalité, Kylian Mbappé a tout simplement les défauts d’un joueur de 22 ans et comme la majorité des joueurs en début de carrière, sa progression n’est pas linéaire. Mais sa sur médiatisation, sa communication hyper maîtrisée, voire trop calculée, son statut particulier chez Nike et l’admiration qu’il suscite à l’étranger peuvent créer de l’aversion chez le public français.

Delphine Herblin: « même si c’est un peu réducteur, on peut constater que les Français ont du mal à mettre en valeur ceux qui réussissent chez eux. C’est culturel ! On a ce besoin en France de casser les pattes à ceux qui réussissent. Aux États-Unis, un athlète comme Mbappé serait adulé par tous, mais le rapport chez nous est ambivalent. En France, tout le monde l’aimait à ses débuts, mais on pouvait s’attendre à ce que la tendance s’inverse. Peut-être qu’il y a des jalousies, des rivalités inconscientes qui émergent quand quelqu’un qui est trop proche de nous réussit, car ça peut nous renvoyer à nos propres échecs. C’est différent quand il s’agit de quelqu’un auquel on ne s’identifie pas. On est souvent plus dur et plus critique avec les personnes qui sont proches de nous. De toute façon, la critique ne dit pas tant de choses sur la personne qu’elle vise, mais plus sur la personne qui l’émet. En vérité, la critique parle de celui ou celle qui l’énonce. Donc, il faut se poser la question de ce que cela touche chez eux ? Quand quelqu’un critique Mbappé, qu’est-ce que ça dit sur lui-même ? »

L’art de la contradiction

Contrairement à Mbappé, les critiques qui visent Haaland font plus référence à son manque de rentabilité avec l’équipe nationale norvégienne comparé à son impressionnante efficacité avec Dortmund. Le joueur paye plus les attentes immenses de son pays, qui n’a plus disputé de compétition internationale depuis l’Euro 2000, que son style de jeu ou ses qualités athlétiques, qui sont aussi immenses. Comparé à Kylian Mbappé, Erling Haaland n’est pas surexposé et n’est pas encore vraiment mis en avant par son équipementier Nike ou d’autres sponsors. « Erling Haaland ne donne pas l’impression de se starifier contrairement à Kylian Mbappé. C’est peut-être pour cette raison que les Français l’apprécient. Il fait du yoga, de la méditation, il donne une image d’anti-star, de besogneux que préfèrent les Français », analyse Delphine Herblin.

Une opinion que l’on peut nuancer quand on observe à quel point des joueurs discrets, humbles et travailleurs comme Blaise Matuidi, Moussa Sissoko, Benjamin Pavard ou Olivier Giroud sont régulièrement cibles des critiques ou des moqueries. « C’est très français ça. On se dit que l’équipe de France doit avoir des représentants très nobles. Très élégants. C’est un peu notre héritage culturel, où l’on se croit encore un peu supérieur aux autres. On veut avoir une touche différente. Le paradoxe, c’est quand même un truc très français. On lorgne sur les étrangers et leur culture de la gagne, mais d’un autre côté, on n’aime pas gagner sans la manière. Quand Deschamps gagne le Mondial, on va critiquer la manière de jouer de l’équipe. On n’est jamais content de ce que l’on a », résume Laurent-David Samama, écrivain et journaliste avec qui nous avions longuement échangé sur le thème de la défaite dans le football.

Prophètes en son pays, mode d’emploi

En réalité, il est très difficile, voire même impossible, de convaincre et de satisfaire tout le monde. Personne ne fait l’unanimité chez lui ni même à l’étranger. Cependant, certains joueurs ont réussi cet exploit. Zinédine Zidane est quasiment unanimement aimé en France. Peut-être parce qu’il répond à tous les critères qu’aiment les Français: humble, discret, travailleur, élégant, technique, imparfait (son coup de tête en finale de la Coupe du monde 2006) tout en détenant cette image de gagnant qui lui colle à la peau, mais sans trop en faire. Marquer deux buts pour donner une première Coupe du monde à son pays, ça aide aussi à se faire unanimement apprécier.

Dans un autre style Diego Maradona est idolâtré en Argentine pour des qualités qui collent bien au peuple argentin comme la combativité, la créativité, l’engagement, la générosité, le génie, l'authenticité. À l'inverse et malgré son talent divin, Lionel Messi n’a toujours pas complètement conquis le cœur des Argentins. Sans doute parce qu’il n’a jamais remporté de titres majeurs avec l’Argentine et parce qu’il s’est exilé très tôt en se développant et se révélant à Barcelone. Pelé et Cristiano Ronaldo sont d’autres exemples de prophètes en leur pays, qui ont réussi cet exploit en remportant des titres avec leur sélection, mais aussi en incarnant des valeurs chères dans leur culture respective: créativité, talent, plaisir pour Pelé; travail, détermination, rigueur pour Cristiano Ronaldo.

Pour conquérir son propre public, il est donc important de gagner des titres pour son pays et d’incarner des valeurs qui collent bien avec la culture locale. Vous l’aurez compris, la tâche s’annonce plus compliquée pour Kylian Mbappé que pour Erling Haaland. Mais l’exil est-il forcément une solution pour être plus tranquille et heureux ? Il y a de nombreux exemples qui semblent le prouver quand on observe les cas de Franck Ribéry en Allemagne, André-Pierre Gignac au Mexique, Thierry Henry et Éric Cantona en Angleterre pour ne citer qu’eux. Malheureusement pour Kylian Mbappé, même s’il quitte la France à l’intersaison, le public français voudra toujours qu’il rende des comptes lors de chaque apparition avec l’équipe de France. Pour inverser le sens des critiques, Kylian Mbappé n’a pas d'autre choix que de gagner des titres avec les Bleus et avec le PSG (tant qu’il y sera) tout en étant performant. Ça tombe bien, il semble aimer ça...

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