Les « tout droit », délit de sale gueule ? @Maxppp

Les « tout droit », délit de sale gueule ?

Par Frederic Yang - 05/05/2021 - 19:03

Décriés pour leur déchet technique, pour le manque de variations dans leur choix mais surtout parce qu’ils misent trop voire exclusivement sur leur vitesse, les surnommés « tout droit » sont devenus des cibles faciles des critiques et des moqueries en tout genre. Mais ces moqueries et ce sobriquet sont-ils vraiment justifiés ?

Timo Werner, Kylian Mbappé, Kingsley Coman, Leroy Sané, Gareth Bale, Alphonso Davies... Voici une liste non exhaustive des joueurs considérés comme des « tout droit » par certains amateurs de football. Cette expression qui s’est faite une place dans le lexique des fans de foot dans les années 2010 désigne un joueur dont la particularité principale, voire unique, est d’être rapide. Ils sont d’ailleurs aussi souvent comparés à des poulets sans tête qui courent vite mais qui ne réfléchissent pas.

Si cette expression s’est popularisée chez les amateurs de foot, c’est en grande partie en raison du jeu vidéo Fifa d’EA Sports, qui a toujours fait la part belle au jeu direct et rapide plutôt qu’à la construction. Si bien que d’avoir des joueurs rapides dans son effectif déséquilibre grandement le rapport de force entre deux joueurs, ce qui a engendré de la frustration chez de nombreux gamers qui ont fait le parallèle entre la fiction et la réalité.

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C’est aussi pourquoi les attaquants pivots ou les renards de surface à l’ancienne sont de plus en plus incompris. Sauf que la complexité et les subtilités des petits détails technico-tactiques qui ont lieu sur un vrai terrain n’ont rien à voir avec les jeux vidéo et que la pertinence de certaines critiques est donc complètement erronée par ce manque de distinction.

Des profils indispensables

Les joueurs catalogués en tant que « tout droit » sont presque exclusivement des joueurs de côté, soit des ailiers soit des latéraux. En réalité, ces joueurs sont essentiels pour permettre à l’équipe qui est en possession du ballon d’exploiter au maximum tout l’espace de jeu d’un terrain de football, tant dans la largeur que dans la longueur, afin d'étirer les défenses adverses. Bien souvent, ces joueurs collent les lignes de touche et font des courses très rectilignes car c’est justement ce qui leur est demandé par leur entraîneur.

« Quand Eric Abidal ou Yaya Touré avaient la balle, je partais en profondeur. Et que faisaient l’arrière droit et le défenseur adverse ? Ils reculaient. Et grâce à ça, Iniesta avait plus d’espace pour avoir le ballon. Avant, je faisais des courses pour moi mais au Barça, je savais que si je ne faisais pas cette course, je ne pouvais pas libérer Andrés. Si je ne faisais pas cette course, il avait moins de temps avec la balle. Il y a des courses que je devais faire pour libérer d’autres espaces », expliquait Thierry Henry lors d’une interview avec Olivier Dacourt sur Canal Plus.

Des joueurs incompris et inconsciemment jalousés ?

Généralement, les joueurs dotés de prédispositions naturelles de vitesse vont logiquement miser sur cette qualité pour se distinguer en catégories de jeunes mais le problème, c’est qu’ils vont aussi être utilisés de cette manière au niveau professionnel si aucun entraîneur ne décide de les développer, par manque de temps ou par manque de conviction. Les joueurs aux qualités disproportionnées ne doivent donc pas être les seuls pointés du doigt lorsque l’on évoque leur manque.

« Quand j’étais petit. J’allais juste vite. Il me fallait 75 occasions pour mettre un but mais j’allais vite, je prenais les gens de vitesse. Et Monsieur Francisco Filho à Clairefontaine me disait: "toi, aujourd’hui, je t’interdis de prendre les joueurs de vitesse. Trouve d’autres solutions. Déplace-toi un peu mieux, dans le bon timing". On avait aussi un défenseur assez costaud pour son âge. Il lui disait : "toi, tu ne rentres pas dans les duels. Si tu récupères la balle, tu dois l’intercepter". D’un seul coup, ce joueur a commencé à lire le jeu. Il était déjà physique naturellement et il a commencé à lire le jeu. Il me disait aussi: "arrête de pousser le ballon. Fixe le défenseur. Donne-lui quelque chose avant de partir, tu gagneras encore plus de temps après" », témoignait toujours Thierry Henry lors de son entretien avec Olivier Dacourt.

Sous Pep Guardiola, Raheem Sterling est passé d’un joueur au profil « tout droit » à un attaquant bien plus complet et moins dépendant de sa vitesse. On peut aussi souligner que la qualité de centre d’un Benjamin Mendy est plus évidente sous Pep Guardiola car il se retrouve moins souvent dans la position d’un arrière latéral classique qui doit centrer en bout de chaîne parce qu’il n’a pas d’autres solutions. Le jeu élaboré et les principes de Manchester City contribuent à lui faire réaliser des centres dans de meilleures dispositions et donc de meilleure qualité.

Les « tout droit » ont aussi beaucoup de déchets techniques car ils sont souvent des joueurs de percussion dont la mission est justement de provoquer balle aux pieds et de jouer de nombreux duels, quitte à en perdre beaucoup, d’autant plus qu’ils se retrouvent souvent dans les zones de vérité où les espaces sont de plus en plus réduits et où les erreurs sont plus visibles et flagrantes. Le face-à-face manqué de Timo Werner contre Thibaut Courtois lors de la demi-finale aller de Ligue des champions entre Chelsea et le Real Madrid est plus facilement mémorisable que le ballon perdu par Rodri au milieu de terrain dès le début du match aller entre le PSG et Manchester City. Pourtant, la plus grosse erreur technique a été commise par le milieu de terrain espagnol.

Interrogé par le magazine Onze Mondial en début d’année 2021, Kingsley Coman témoignait un certain agacement face aux raccourcis de certains observateurs et amateurs de football à son sujet: « quand on me dit que ma vitesse est ma plus grosse qualité footballistique, je ne suis pas d’accord. Ma qualité première, c’est le 1-contre-1. S’il y a un 1-contre-1 à faire et que je dois ramener un joueur au monde, ce sera moi. Alors que s’il y a une course à faire et que je dois ramener un joueur au monde, ce ne sera pas moi. »

Les « tout-droit » payent aussi sans doute le fait que leur qualité de vitesse soit disproportionnée par rapport à leur qualité technique. « Finalement, la vitesse c’est un peu inné, c’est influencé par la génétique. Donc certains peuvent se demander où est le mérite de Kylian Mbappé ? Ce côté athlète pur et non pas esthète ou artiste dans le football peut déranger certains. Il y a sans doute aussi un peu de la jalousie, car les amateurs de football n'ont, pour la majorité, jamais pu jouer à un très haut niveau donc ils peuvent jalouser quelqu’un qui a des prédispositions naturelles qu’ils n’ont pas et qui a réussi en partie grâce à elles. Il peut y avoir un sentiment d’injustice vis-à-vis des joueurs qui misent beaucoup sur leur vitesse », nous racontait Delphine Herblin, psychologue du sport.

Est-ce qu’un « tout droit », ça existe vraiment ?

Si l’expression « tout droit » peut en amuser certains, dans les faits, c’est plutôt rare de voir des joueurs effectuer uniquement des courses rectilignes tel un sprinteur. Dans le football, les courses à vitesse maximale sont très rares et ce qui prime, ce sont les changements de direction et les démarrages ou les accélérations sur quelques mètres.

« L’expression "tout droit" me fait rire mais en réalité, ça n’existe pas vraiment. Ce qui se cache derrière ce terme, c’est l’opposition qui est faite entre des joueurs très orientés physique, soit les joueurs qui tirent leur qualité autour du physique comme les joueurs qui vont vite, et d’autres très orientés technique. Dans le football, les joueurs qui combinent les deux à proportion égale sont très rares. Pour moi, un joueur comme Mbappé est aujourd’hui plutôt physique-dépendant et c’est pourquoi il est la cible des critiques », synthétise Jean-Benoit Morin, Docteur en sciences du sport.

Kingsley Coman 1920

Le chercheur français ajoute: « Je pense que le point positif de cette expression un peu grossière de "tout droit", c’est d'alerter sur la dépendance à la vitesse parce que d’un point de vue du développement du joueur, cela le limite car cela ne durera pas toute une carrière, mis à part quelques exceptions, et ça le rend aussi très dépendant de sa santé physique. Il faut aussi ajouter que cette dépendance peut stéréotyper ces joueurs, qui auront du mal à jouer dans différents systèmes de jeu voire différentes équipes contrairement à d’autres joueurs qui auront dû développer d’autres qualités durant leur formation. »

Pour conclure, les joueurs catalogués comme des « tout droit » souffrent aussi d’un biais psychologique très répandu chez les amateurs de football: le biais de confirmation. Un biais cognitif qui consiste à nous faire privilégier les informations confirmant nos idées préconçues plutôt que celles les infirmant, ce qui contribue à nous enfermer dans des opinions et nous empêche de changer d'avis. Les personnes qui considèrent Gareth Bale comme un « tout droit », par exemple, ne retiennent que les actions qui confirment leur opinion initiale et omettent ses autres qualités comme sa frappe de balle, qui est un attribut technique. « La critique ne dit pas tant de choses sur la personne qu’elle vise, mais plus sur la personne qui l’émet. En vérité, la critique parle de celui ou celle qui l’énonce. Donc, il faut se poser la question de ce que cela touche chez eux ? », avançait Delphine Herblin. Tout droit dans le mille ?

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