Bordeaux : le récit d'une saison chaotique

Par Hanif Ben Berkane
11 min.
Bordeaux en plein naufrage @Maxppp

Club historique du Championnat de France, Bordeaux jouera en Ligue 2 la saison prochaine. Au terme d'une année cauchemardesque sur et en dehors des terrains, ce monument du football français a sombré dans le fond du tableau.

C'est désormais officiel, les Girondins de Bordeaux évolueront en Ligue 2 la saison prochaine. Le deuxième club ayant disputé le plus grand nombre de saisons en Ligue 1 dans l'histoire du football français jouera donc en deuxième division. Un drame pour les supporters girondins qui ont connu un exercice cauchemardesque, chaotique même, dans laquelle le dénouement semblait inévitable. Si, pour Bordeaux, tout a vraiment basculé après le rachat par les fonds d'investissement américains GACP et King Street en 2018, le club n'a jamais semblé aussi bas que cette saison malgré le rachat en juillet dernier par l'ancien propriétaire du LOSC Gérard Lopez. Car dans cet exercice 2021-2022, rien ne s'est jamais passé comme prévu pour le club aux 6 titres de Champion de France.

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Au sortir d'une fin de saison 2020/2021 décevante avec un maintien arraché in extremis à la dernière journée, le club au scapulaire espérait enfin repartir sur de bonnes bases avec un nouvel investisseur et ainsi tourner la page King Street et Frédéric Longuépée, qui avaient créé de nombreux soucis au sein du club. Après un été passé dans le flou total en attendant une fin heureuse devant la DNCG et une préparation gâchée par l'incertitude du maintien ou nom de Jean-Louis Gasset en tant qu'entraîneur, Bordeaux était finalement officiellement racheté par Gérard Lopez le 23 juillet 2021, à quelques jours seulement du début du Championnat.

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Des premières erreurs de casting

L'ancien président de Lille arrivait avec dans ses valises, Admar Lopes scout de Luis Campos pendant plusieurs années et qui découvrait pour la première fois le rôle de directeur sportif. Un rôle pas de tout repos car avec un effectif déjà très faible en fin de saison dernière, l'homme de 38 ans avait pour objectif de renouveler totalement le groupe, se séparer des indésirables et renforcer le collectif, pour tenter de partir sur un nouveau cycle et tout ça en moins d'un mois. Avec son président, le premier choix fort a été celui de l'entraîneur. Et l'heureux élu a été Vladimir Petkovic. L'ancien sélectionneur de la Suisse, bourreau des Bleus à l'Euro quelques semaines avant, débarquait en Gironde pour soigner un effectif malade. Décrit comme un entraîneur pragmatique, mais avec des compétences dans le domaine de la préparation mentale, le technicien bosnien a vite compris que la tâche n'allait pas être simple.

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Quelques jours après son arrivée sur le banc bordelais, Petkovic et Bordeaux s'inclinaient face au promu Clermont (2-0) lors de la 1ere journée de Ligue 1. Un résultat presque logique puisque l'ancien entraîneur de la Lazio s'était appuyé sur la même équipe et les mêmes joueurs qui avaient livré des prestations décevantes lors du dernier exercice. «Je n'imaginais pas qu'on soit aussi fragile au niveau mental, deux ou trois erreurs nous ont fait sortir du match. Il faut travailler sur cela, être positif même après une erreur, savoir rebondir. Il y a trop de peur de faire des erreurs. Clermont a été fort pour utiliser leur vitesse et notre naïveté, mais je ne pense pas que ce soit eux qui ont dominé. Nous avons subi nos propres erreurs. Je ne sais pas s'il faut des renforts, mais je sais que tout l'effectif doit faire plus pour faire honneur au maillot» expliquait Petkovic après la rencontre. Des renforts, justement, Admar Lopes allait essayer d'en offrir à son coach...

Un groupe fracturé

Après le rachat du club par Gérard Lopez, la politique sportive était claire : miser sur des jeunes joueurs à fort potentiel pour faire une plus-value à la revente par la suite. Alors le club, qui n'avait pas non plus une grande marge de manœuvre financièrement et qui s'était engagé auprès de la DNCG à vendre d'abord avant d'acheter, a donc fait le pari de miser sur des prêts de jeunes joueurs. Ricardo Mangas (23 ans), Gideon Mensah (23 ans), Timothée Pembélé (18 ans), Javairo Dilrosun (22 ans) et Jean Onana (21 ans) débarquaient notamment en Gironde, mais quasiment tous en fin de mercato. L'attaquant Alberth Elis, le milieu Fransergio et le défenseur Gregersen venaient compléter la liste des recrues. Mais comme un symbole, avec un manque criant d'expérience pour les premiers cités, et de connaissance du Championnat de France et de ces exigences pour les autres, les recrues ne donnaient absolument pas satisfaction et Bordeaux connaissait encore des désillusions sur le terrain. Les nouveaux arrivants étaient très loin du niveau espéré et notamment Fransergio, fantomatique à chaque apparition.

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Après plusieurs semaines d'acclimatations pour l'entraîneur et les recrues, le niveau affiché par les Girondins ne laissait présager rien de bon du tout. Résultat, des prestations toujours décevantes et une seule petite victoire miraculeuse face à Saint-Etienne en 11 journées de Ligue 1. Mais pas suffisant pour inquiéter la direction qui confortait un Vladimir Petkovic, passif sur son banc, et qui semblait être de plus en plus impuissant comme en conférence de presse où il continuait d'assurer voir des progrès dans son équipe. Sur le terrain, les choix de Petkovic étaient aussi questionnés alors qu'il ne parvenait toujours pas à créer une ossature et une solidité défensive. Les recrues dans ce secteur ne donnaient pas du tout satisfaction. Les blessures à répétition de Laurent Koscielny, les prestations décevantes d'un Benoît Costil, irréprochable jusqu'à sa convocation pour le dernier carré de la Ligue des nations avec la France et un Otavio peu concerné, n'arrangeaient rien et des premières crispations naissaient même en interne et dans le vestiaire.

Le chaos du mois de janvier et la défaite face à l'OM

Sur le terrain, l'espoir renaît le temps d'un instant après une remontada dans les derniers instants face à Reims. Mené 2-0, Bordeaux égalise puis remporte trois précieux points en toute fin de rencontre. Et si les dirigeants, les joueurs, les supporters et le coach espéraient que ce scénario serait un déclic pour le reste de la saison, cela n'a pas été le cas. Quelques jours après, les Girondins chutaient de nouveau face au PSG et étaient aussi touchés de plein fouet par le Covid. Plus d'une vingtaine de cas dans l'effectif, des blessures et un match nul 3-3 face au FC Metz après avoir mené 2-0 en supériorité numérique finissaient par plonger véritablement le club dans une crise profonde.

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A ce moment là, dans le vestiaire, Vladimir Petkovic semble perdre quasi totalement son groupe et n'a aucun cadre pour faire passer son discours. Sur le terrain, rien ne rassure et les défaites s'enchaînent avec des scores toujours plus larges et la gifle reçue face à Strasbourg (5-2) est la première d'une longue série. Car à la trêve hivernale, malgré les résultats catastrophiques en Championnat, le président Gérard Lopez réitère son intention de viser le top 10 en fin de saison et maintien sa confiance en Vladimir Petkovic alors que les supporters commencent à réclamer son départ. Et le mois de janvier apparaît comme le tournant sportif de la saison bordelaise. Encore plombé par le covid, Bordeaux entame sa deuxième partie de Championnat sans préparation et reçoit l'OM dans un match particulier. Invaincus depuis 44 ans à domicile face aux Marseillais, les Girondins ont la pression du résultat alors que l'OM sait que l'occasion d'enfin briser cette série n'a jamais été aussi belle. D'autant plus que le match se joue à huis-clos. En raison du Covid, une limite de 8000 supporters était fixée pour cette rencontre, mais en signe de protestation contre cette jauge, les ultras du club avaient décidé de ne pas se rendre au stade. Et ce qui devait arriva. Au terme d'un triste match, Bordeaux s'incline face à l'OM (0-1). Une défaite historique. Et la descente aux enfers va se poursuivre.

Costil et les accusations de racisme

Cette défaite va faire beaucoup de mal au club puisque dans la foulée, Bordeaux s'effondrait littéralement face à Rennes (6-0). Une correction dans un match cataclysmique collectivement qui devait logiquement sonner la fin de l'aventure de Vladimir Petkovic. Mais il en est rien. La direction bordelaise continue de maintenir l'entraineur et lui laisse une dernière chance. Le match suivant, les Girondins s'imposent miraculeusement face à Strasbourg (4-3) mais ne passe pas loin de la déconvenue en ayant pourtant mené 3-0 dans ce match. Preuve encore que malgré les trois points, l'équipe reste trop fragile et le match suivant en était le parfait exemple. Sans Koscielny écarté du groupe par Gerard Lopez parce qu'il n'a pas rempli son rôle de cadre, les Girondins se déplacent à Reims avec des recrues que réclamait Petkovic. L'ancien de l'OL Marcelo débarque tout comme Josuha Guilavogui ou encore le gros espoir du football bosnien Anel Ahmedhodžić. Mais cela ne va rien changer et Bordeaux est une nouvelle fois corrigé (0-5).

La gifle de trop pour Gérard Lopez et Admar Lopes qui décident d'écarter Vladimir Petkovic qui sera remplacé par David Guion quelques semaines plus tard, Jaroslav Plasil s'occupant de l'intérim entre temps. Problème, l'ancien coach de Reims arrive seul, sans adjoint et se repose sur le même staff que depuis les dernières saisons. Pas l'idéal donc pour oxygéner son groupe et avoir ce déclic pour la suite. Pour sa première sur le banc, Guion obtient un nul face à Monaco qui n'a rien d'encourageant. En supériorité numérique et en menant au score, les Girondins se font balader à domicile et concèdent l'égalisation très logiquement. Un signe qui montre que la saison va être très longue pour les supporters. Car même face à Troyes, relégable à ce moment là, Bordeaux est battu à domicile, impuissant. Une défaite qui fait mal et qui enterre doucement, mais sûrement les espoirs de maintien. Dans le même temps, un conflit éclate entre les supporters et Benoit Costil, juste après son retour de blessure. Ce dernier est accusé de racisme par le groupe des Ultramarines. Après enquête en interne, aucune preuve n'est trouvé et le portier français reçoit même le soutien de ses coéquipiers. La fracture avec le public est profonde et David Guion décide de laisser sur le banc son portier pour faire confiance au jeune Gaetan Poussin, peu expérimenté.

Le cauchemar de Gaëtan Poussin

Le gardien numéro des Girondins devient donc titulaire par défaut même si son coach continue d'expliquer que sa titularisation est un choix purement sportif et n'a rien à voir avec le conflit entre Costil et les ultras. Mais problème, le jeune portier de 23 ans ne semble pas prêt du tout pour la Ligue 1 et il faut dire que ses défenseurs n'aident pas. Même s'il obtient le premier clean-sheet de la saison lors d'un match miraculeux face à Lille (0-0), sa nervosité et son manque de sang-froid vont jouer des tours à son équipe. Après son but gag encaissé sur un penalty face Troyes, il est auteur d'une prestation chaotique face à l'OL (1-6). Les Girondins s'inclinent lourdement dans un match où le gardien bordelais est coupable sur 4 buts dont une énorme boulette après avoir totalement raté sa relance.

Après la rencontre, même s'il explique vouloir vite passer à autre chose, Gaëtan Poussin est marqué par sa prestation et dans la foulée face à Saint-Etienne, il est une nouvelle fois coupable sur le but égalisateur (2-2) alors que son équipe menait au score face à un concurrent direct pour le maintien. Dans cette rencontre, le gardien formé au club ne réalise d'ailleurs aucun arrêt et encaisse donc deux buts en... deux frappes. Une nouvelle performance décevante qui va contraindre David Guion à l' envoyer sur le banc et donc a faire appel à Benoit Costil pour le reste de la saison.

Une fin inévitable

Face à Nantes (3-5) lors de la 35eme journée, les Girondins ont encore une fois montré leurs faiblesses mentales et défensives. Alors qu'ils menaient 2-0, ils se sont une nouvelle fois effondrés. Le match face à Angers (4-1) n'a rien arrangé et c'est donc tout logiquement que Bordeaux est officiellement relégué en Ligue 2 après cette 38eme journée. Cela aurait pu être le cas beaucoup plus tôt cette saison mais les résultats des concurrents ont toujours maintenu un petit espoir.

Cette saison 2021/2022 est donc définitivement à oublier pour ce monument du football français qui comme un symbole, avec l'un des effectifs ayant la masse salariale la plus élevée de Ligue 1, a fini la saison à la dernière place du Championnat. Il faudra reconstruire tout un club aussi bien sportivement qu'administrativement pour réussir à performer en Ligue 2 dès la saison prochaine car la survie économique du club en dépendant. Quatrième club le plus endetté de France actuellement (-67 millions), Bordeaux pourrait difficilement survivre s'il restait plus d'un an en deuxième division... Une mauvaise nouvelle, surtout que cette descente intervient juste avant le passage à 18 clubs de Ligue 1 où seulement 2 clubs monteront en fin de saison...

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