Bologne : la très belle histoire de Musa Juwara, ce réfugié qui a marqué en Serie A

Par Aurélien Macedo
11 min.
Musa Juwara qui égalise avec Bologne contre l'Inter Milan @Maxppp

Contre Bologne lors de la 30e journée de Serie A, l'Inter Milan a chuté devant les buts de deux Gambiens, Musa Juwara et Musa Barrow. Le premier a un parcours pour le moins singulier puisqu'il a fuit son pays afin de vivre son rêve : devenir footballeur professionnel. Focus.

Le sport et notamment le football est l'un des rares cas où l’ascenseur social fonctionne très bien. Nombreux sont les exemples de joueurs ayant quitté une pauvreté et une précarité immense. Carlos Tevez, Luis Suarez, Sadio Mané ou encore Luka Modric, les belles histoires sont nombreuses. En octobre 2018, nous vous avons fait part de la très belle histoire d'Awer Mabil, ce joueur d'origine soudanaise au passif de réfugié. Ailier naturalisé australien, il est devenu international et s'épanouit avec le club danois du FC Midtjylland. Preuve que même après un parcours semé d’embûches, il est possible de réussir dans le football. Le parcours est différent, mais tout aussi complexe pour Musa Juwara.

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Il y a 18 ans, il voit le jour en Gambie. Naître dans un pays dont le PIB est de 778 dollars (par habitant) n'offre pas forcément de grandes chances de réussite. Surtout que d'après les chiffres de la Banque mondiale, 48,6% de la population gambienne vit sous le seuil de pauvreté. C'est le cas de Musa Juwara qui connaît une enfance difficile. Élevé par ses grands-parents, il peut néanmoins compter sur une famille unie et aimante. Musa Juwara souhaite faire carrière. Chose peu aisée en Gambie puisque les joueurs ayant fait une grande carrière sont peu nombreux. Il y a l'exemple de Biri Biri, premier joueur africain à devenir professionnel lorsqu'il a rejoint le Danemark dans les années 1970'. Ce dernier a d'ailleurs porté le maillot de Séville entre 1973 et 1978. Dans la sélection des Scorpions, quelques joueurs se distinguent comme Oumar Colley (Sampdoria) ou Musa Barrow (coéquipier de Musa Juwara à Bologne), mais leur parcours a été compliqué. Le premier a d'ailleurs rejoint la MLS et Kansas City avant d'être contraint de repartir au pays. Il devra passer par la Finlande (KuPS) et la Suède (Djurgårdens IF) avant de rejoindre une ligue majeure. Un problème d'exposition qui touche clairement les joueurs gambiens. Pour espérer devenir professionnel, Musa Juwara va alors décider de quitter son pays afin de rallier l'Italie.

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Adopté par l'Italie

Pour cela, il va se lancer dans un long périple de 7 mois en 2016 à travers l'Afrique traversant le Sénégal, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et la Libye avant de prendre une embarcation de fortune afin de rejoindre l'Italie. Un long voyage où il traversera sept pays dans des conditions très compliquées. Seul et âgé de 14 ans, il a pu compter sur le soutien de son grand frère pour financer son trajet. Seulement doté du strict minimum et ne savant pas nager, il accoste finalement les côtes italiennes. Un salut qu'il doit en particulier à l'ONG allemande Sea Watch qui a secouru en pleine mer son bateau où près de 500 migrants se trouvaient à bord. Ensuite accueilli par la Croix Rouge en Sicile, il va rejoindre un centre accueil dans la province de Potenza, dans la région de Basilicate. Un couple italien va alors donner un toit au jeune gambien. Devenus très vite proches de lui, Vitantonio Summa et Loredana Bruno vont lui permettre de sortir de cette épreuve difficile. Choyé et aimé, Musa Juwara va s'épanouir avec ses parents d'adoption et poursuivre son rêve.

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Rejoignant le club local de Virtus Avigliano, il retrouvera ses sensations balle au pied. Doté de qualités supérieures à la moyenne, il fait vite sensation au niveau amateur dans des équipes jeunes et les clubs professionnels se rapprochent de lui. Cependant, une autre difficulté va se dresser devant lui. La juridiction est très particulière et protège ainsi les migrants d'une quelconque exploitation. La Fédération Italienne de Football (FIGC) empêche ainsi les joueurs mineurs d'être recrutés par un club professionnel. Une protection qui bloque Musa Juwara dans son parcours. Ne comprenant pas ce problème administratif, il pourra néanmoins être accompagné par ses tuteurs dans cette lutte afin de rejoindre un club. La Juventus et l'Inter ne souhaiteront pas le faire signer après l'avoir observé, mais le Chievo Vérone insiste et le recrute avant la saison 2017/2018. Jouant avec la Primavera, il inscrit 8 buts en 15 rencontres et confirme la saison suivante (8 buts en 33 matches). Si bien qu'il fait ses débuts en Serie A le 25 mai 2019 lors d'un match contre Frosinone (0-0). L'ailier, qui peut aussi jouer en pointe de l'attaque, convainc alors Bologne de le signer à l'été 2019. Les Rossoblù flairent la bonne affaire et déboursent 500 000 euros pour le jeune gambien. Un recrutement qui s'avère vite payant.

Un but pour l'histoire

Doté d'un gros potentiel, il a tout pour réussir avec Bologne comme nous explique Matteo Dalla Vite, journaliste pour la Gazetta dello Sport : «oui (je m'attendais à son éclosion ndlr), parce qu'ils en parlaient en bien et parce que je l'avais vu au travail au Chievo et avec la réserve. Et parce que c'est un garçon plein de courage et de culot. Je l'ai rencontré personnellement, il est très intelligent, fort. Il a vécu une histoire folle, il a traversé l'Afrique à l'âge de 14 ans pour poursuivre un rêve. Des situations de ce genre vous font grandir, et vous font devenir rapidement un adulte.» D'abord laissé au service de l'équipe réserve, il s'adapte très vite en inscrivant 13 buts en 18 matches. Utilisé en Coupe d'Italie le 4 décembre dernier, il rejoint définitivement le groupe professionnel au début de l'année 2020. Auteur de 4 rentrées contre l'AS Roma, le Genoa, l'Udinese et la Juventus, il montre de belles choses. Si bien que Sinisa Mihajlovic lui offre plus de temps de jeu contre l'Inter. Entré à la 65e minute alors que les Lombards mènent 1-0, Musa Juwara égalise d'une belle frappe (74e) avant que son coéquipier et compatriote Musa Barrow inverse la donne (79e). Un premier but en tant que professionnel et une belle victoire qui ravit le jeune attaquant. «Tout d'abord, je dois remercier l'entraîneur, car me laisser jouer contre l'Inter n'est pas une mince affaire. Je veux dédier mon premier but de Serie A à ma famille et à tous ceux qui m'ont aidé à arriver ici. Je ne pensais pas que j'entrerais. Je m'entraîne bien, mais je ne pensais pas jouer contre l'Inter. Mais Mihajlovic m'a fait confiance et pour cela, je dois le remercier. Je suis jeune pour jouer et marquer contre l'Inter. C'est un rêve dont je me souviendrai toute ma vie», a-t-il lâché après la rencontre au micro de DAZN.

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Joueur au profil technique et rapide, il possède une belle marge de progression. «Il a une jolie frappe, puissante. Gaucher, il peut jouer sur l'aile ou en tant que deuxième attaquant. Mihajlovic, avant de le faire jouer à San Siro, a déclaré au directeur sportif Riccardo Bigon : "vous verrez qu'avec le chaos qu'il fait, il va marquer un but." Il a de la qualité et n'a peur de rien», souligne Matteo Dalla Vite. Si son coach Sinisa Mihajlovic a vraiment confiance en lui, il ne lui fera pas de cadeau et le poussera à se dépasser afin de s'imposer dans l'équipe. «Mihajlovic est important car il ne donne rien à personne. S'il voit un talent, il le fait jouer, comme cela s'est produit par le passé avec Donnarumma (lorsqu'il était coach de l'AC Milan). Lors du dernier match contre Sassuolo, il ne l'a pas mis sur le terrain même une minute. Il le fait grandir progressivement, il ne doit pas lever la tête. Mihajlovic lui-même a également ajouté : "Musa est une bonne histoire de vie mais ce n'est pas encore une histoire de football." Il veut le faire grandir lentement», nous révèle Matteo Dalla Vite. Exigeant mais proche de ses joueurs, Sinisa Mihajlovic ne va pas le lâcher. Si Musa Juwara veut devenir titulaire et jouer plus, il ne doit pas se relâcher.

Très singulier et très humble, Musa Jawara ne touche pas un salaire démesuré pour le monde de football. Ainsi, il gagne 3000 euros par mois et a l'habitude de se rendre à l'entraînement en trottinette. Un quotidien loin de celui des grandes stars du football et qui n'est pas du tout déconnecté de la réalité. Assez singulier et toujours de bonne humeur, il est considéré comme la mascotte du groupe comme nous explique Matteo Dalla Vite :«il apporte de la joie, il est toujours avec Barrow, parfois il vient s’entraîner en trottinette car il n'a pas de permis. C'est un garçon qui, comme mentionné, a vécu une enfance difficile, un voyage houleux et c'est aussi pour ça que c'est un personnage fort aujourd'hui. Les fans le connaissaient peu mais avec ce but contre l'Inter, il est maintenant devenu l'une des idoles. Et son histoire a ému tout le monde car il est l'exemple de "ne jamais dire jamais."» Au tout début de sa carrière, le joueur de 18 ans a déjà réussi son rêve de devenir professionnel et tout ce qu'il vivra avec un ballon dans les pieds ne sera que bonus. Plein de volonté alors que le destin ne semblait pas lui faciliter les choses, Musa Juwara s'est toujours accroché et s'en retrouve aujourd'hui récompensé. Ce grand fan d'Eden Hazard devra désormais confirmer avec Bologne cette très belle histoire qui est encore très loin d'être finie.

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