Pourquoi Thomas Tuchel a pu appliquer à Chelsea, ce qu'il n'a jamais réussi à faire au PSG @Maxppp

Pourquoi Thomas Tuchel a pu appliquer à Chelsea, ce qu'il n'a jamais réussi à faire au PSG

Par Frederic Yang - 28/05/2021 - 15:00

En quelques mois seulement, Thomas Tuchel a métamorphosé Chelsea en appliquant ses idées de jeu alors qu’il n'y est pas vraiment parvenu, ou plutôt à des rares occasions, en deux saisons et demie au PSG. Comment expliquer cette différence ? On s’est entretenu avec Nicolas Raimbault, Docteur en psychologie et Mentor de nombreux dirigeants et entraîneurs, pour essayer de comprendre.

« Je vais vivre une seconde finale de Ligue des Champions. Mais ce n'est pas pour montrer quoi que ce soit au PSG ou quelque chose d'autre. C'est un cadeau de travailler dans le foot au quotidien. Et d'avoir des grands joueurs qui poussent et ont confiance en moi. On m'a donné la chance d'entraîner Paris ou Chelsea. Car il faut un club très fort pour arriver en finale. » Quelques instants après la qualification de Chelsea en finale de la Ligue des champions 2020/2021, Thomas Tuchel a joué la carte de la sobriété et de la modestie.

Limogé du poste d’entraîneur du PSG pendant les fêtes de fin d’année 2020, l’entraîneur allemand avait rebondi du côté de Chelsea dès le 26 janvier 2021. Alors que le club londonien errait à la 9e place de Premier League au moment de sa prise de fonction, Thomas Tuchel a réussi à métamorphoser en un clignement d'œil l’équipe, qui est parvenue à décrocher une place dans le Top 4 de Premier League, synonyme de qualification pour la prochaine Ligue des champions, à disputer une finale de Coupe d’Angleterre (qu’elle a perdue) et à se qualifier pour la finale de la Ligue des champions pour y défier Manchester City.

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Des performances remarquables rendues possibles par un nouveau style de jeu avec des principes chers aux yeux de Thomas Tuchel comme le jeu de position, ainsi que le contre-pressing et un pressing haut. En à peine un mois, l’entraîneur allemand a donc réussi à transformer le jeu de son équipe et certains joueurs comme N’Golo Kanté, impressionnant lors de la double confrontation contre le Real Madrid en demi-finales de C1 sans et surtout avec ballon. L’impression collective dégagée par cette équipe contraste nettement avec celle laissée par son PSG de 2018 à 2020. Comment donc expliquer cette différence de rendement entre ces deux équipes dirigées par le même entraîneur ?

L’importance du contexte et de l’environnement au sein d’un club

Pour tenter de résoudre cette énigme, il faut tout d’abord remettre les choses dans leur contexte. À Chelsea, Thomas Tuchel arrive dans un club en situation d’échec qui dispose tout de même de très bons joueurs comme Thiago Silva, N’Golo Kanté, Mason Mount, Hakim Ziyech, Christian Pulisic, Timo Werner. Aucun d’entre eux n’est cependant une superstar du football comme peuvent l’être Neymar ou Kylian Mbappé. Cette différence de statuts entre les joueurs de l’effectif est déjà un élément important à prendre en compte.

« Dans le sport de haut niveau, il y a les joueurs de haut niveau et les joueurs de très haut niveau qui représentent l’élite mondiale. La complexité dans les sports collectifs, et plus particulièrement dans le football, c’est justement d’arriver à faire comprendre aux joueurs de très haut niveau que l’intérêt collectif va pouvoir se joindre à l’intérêt individuel. Toute la subtilité est là. Peut-être qu’au PSG, Thomas Tuchel n’a pas réussi à montrer aux stars à quel point ce qui faisait leur talent unique et leur réussite personnelle était aussi important que certains efforts pour l’équipe et d’autres types de collaboration au bénéfice d’un succès collectif. Mais je n’y étais pas donc je ne peux faire que des suppositions », analyse Nicolas Raimbault, qui a longtemps exercé au sein de la DTN de la fédération française de basket-ball et qui est aujourd’hui Mentor de nombreux entraîneurs professionnels et de dirigeants de grandes entreprises.

Neymar et Kylian Mbappé

Pour expliquer les différences entre le Chelsea et le PSG de Thomas Tuchel, il est aussi crucial de prendre en compte l’environnement des deux clubs et leur contexte politique. Nicolas Raimbault précise: « un club de très haut niveau, c’est nécessairement un environnement politique dans le sens où il y aura une lutte de pouvoir, une lutte d’influence pour des enjeux d’image et pour des enjeux d’économie. C’est vrai que l’on sous-estime souvent la question de l’environnement quand on parle de performance mais dès lors que l’on admet que tous les clubs de haut niveau sont des environnements politiques, il est intéressant de voir comment les acteurs principaux que sont le président, le directeur sportif et l’entraîneur vont collaborer et rechercher une cohésion ainsi qu’une connivence entre eux pour atteindre l’objectif général au-delà de toutes les tensions politiques qui puissent exister. »

Et d’y ajouter: « selon moi, c’est vraiment la relation de confiance entre ces trois acteurs qui déterminera les résultats d’une équipe. Et c’est ce qui peut expliquer comment des clubs avec des moyens inférieurs peuvent être plus compétitifs que des équipes avec de plus gros budgets. Cette prise de conscience des enjeux politiques et des luttes de pouvoir est selon moi cruciale dans le succès d’une équipe. Il n’est pas interdit que ces trois acteurs fassent des "deals" entre eux du type "ok, on collabore pour l’objectif collectif mais moi, à titre personnel, j’aspire à…" Ce type de collaboration est aussi un enjeu majeur pour l’entraîneur avec ses joueurs. Il s’agit de savoir comment on peut nourrir les enjeux individuels des uns et des autres tout en nourrissant les enjeux collectifs. Souvent, on oppose ces deux approches collectives et individualistes mais en réalité, elles cohabitent tout le temps. Il s’agit de mettre des "et" à la place des "ou". »

Individualités vs institution ?

Depuis dix ans et l’arrivée de QSI aux manettes, le PSG s’efforce de booster son image à l’international, si bien que le direction sportive du club a aussi été orienté dans ce sens avec l’arrivée de superstars du football comme Zlatan Ibrahimovic en 2012 et le duo Neymar-Mbappé en 2017. Baser son projet sportif sur des joueurs dont l’impact médiatique est plus puissant que le club et que l’entraîneur peut présenter des risques à cause de l'inversion des rapports de force. Ce qui peut évidemment mettre à mal le travail d’un entraîneur.

« Communiquer autour des joueurs pour vendre des maillots et faire connaître le club dans le monde entier, c’est selon moi une bonne stratégie économique. D’ailleurs, je pense que l’on peut à la fois promouvoir les stars de son effectif tout en faisant la promotion de l’institution et de l’histoire du club. Le vrai souci, c’est quand les joueurs ne font pas ce qu’ils ont à faire et se mêlent aux luttes d’influence et aux mises en place stratégiques du club voire aux tactiques de l’entraîneur. Je ne dis pas qu’ils n’en ont pas la capacité, je dis juste que ce n’est pas le moment de le faire. Ils pourront le faire s’ils deviennent entraîneurs comme Zinédine Zidane ou directeurs sportifs comme Leonardo. La clé n°1 dans toute cohésion sociale, c’est la clarté des rôles et des tâches de chacun. C’est ça qui peut permettre à une équipe de parvenir à ses objectifs ou d’échouer. On peut donc sacraliser un joueur sans que cela pose de problème mais si le joueur devient décisionnaire de sujets sur lequel il n’est normalement pas concerné, c’est là que ça peut poser un problème », observe Nicolas Raimbault.

Leonardo Tuchel

Toujours est-il qu’il était très difficile pour un jeune entraîneur comme Thomas Tuchel, qui n’avait gagné qu’une Coupe d’Allemagne au moment de sa prise fonction au PSG, d’imposer ses idées à des joueurs qui ont gagné une Ligue des champions comme Neymar ou une Coupe du monde comme Kylian Mbappé. Nicolas Raimbault tempère: « l’enjeu pour l’entraîneur n’est pas de soumettre les joueurs à ses idées mais de les faire adhérer à sa vision stratégique. C’est vrai que souvent, les stars ont du mal avec cette question d’autorité parce qu'en raison de leur palmarès mais aussi de leur pouvoir médiatique, ils pensent qu’ils ne doivent se soumettre à personne. Au basket-ball, l’ancien entraîneur du CSP Limoges Bozidar Malkovic avait négocié le fait qu’aucun de ses joueurs ne puisse avoir un salaire supérieur au sien. J’ai conscience que c’est quasiment impossible à faire dans le football mais ce genre de pratique impose une certaine forme d’autorité. Pour moi, c’est important que l’entraîneur soit soutenu, renforcé, appuyé en permanence par ses dirigeants. Mais ce n’est pas normal qu’un joueur décide de faire ce qu’il veut parce qu’il pense que son entraîneur n’a pas un palmarès assez riche pour qu’il joue pour lui. Si on faisait le parallèle dans le monde de l’entreprise, il faudrait que le PDG sache tout mieux faire que toutes les autres personnes de son entreprise. Mais ça n’est jamais le cas. »

Faire adhérer non pas à un projet de jeu mais à une vision

On comprend bien à quel point gérer un effectif avec des superstars comme le PSG demeure plus difficile que de composer avec les joueurs de Chelsea. Mais dans les deux cas, il s’agit bien d’une gestion d’hommes qui demande des qualités qui dépasse le cadre technico-tactique comme nous vous l’avions indiqué dans notre article sur le rôle d’un entraîneur. En réalité, l’objectif d’un entraîneur n’est pas d’imposer ses idées mais plutôt de faire adhérer à sa vision, qui peut être renforcée par d’autres éléments sous-jacents.

« La première chose pour faire adhérer à sa vision, c’est d’avoir ce que j’appelle une vision inspirée. C’est-à-dire savoir exactement où l'on veut aller. On parle parfois de projet de jeu mais la vision c’est encore au-dessus. Pour moi, il y a 4 éléments fondamentaux clés pour un entraîneur: 1) la vision inspirée 2) la mission 3) les principes 4) les valeurs. Il est important de se poser certaines questions avant de prendre en charge une équipe: "quelle est ma vision en tant qu'entraineur ? Où est-ce que je veux emmener cette équipe, ce club au regard d’où il a été avant, d’où il peut aller demain et de ses ressources actuelles ?" Ensuite, il faut définir: "quelle est ma mission à moi, en tant qu'entraineur ? Comment investir mes joueurs d’une mission individuelle ?" Car quand on est entraîneur, on ne dit jamais assez à nos joueurs à quel point ce que nous attendons d’eux est spécifique, précis et que ça peut même être impliqué dans une mission personnelle. Ensuite, il faut se poser la question de nos principes: "quels sont les principes qui m’habitent et qui me permettent de partager des façons de vivre, des façons d’être, des façons de s’engager, des façons de se remettre en cause, de se critiquer quand il le faut ?" Et tout ça nous amène à définir quelles sont nos valeurs », décortique le Docteur en psychologie.

Thomas Tuchel

Il enrichit la réflexion: « en général, on prône bien volontiers les valeurs collectives dans les sports collectifs mais les valeurs individualistes, comme les prises d’initiative pour sortir du cadre du jeu dans certains moments clés, sont aussi des valeurs qui sont intéressantes à poser et qu’il ne faut pas opposer. L’entraîneur doit aussi se questionner et déterminer si ses propres valeurs ne sont pas trop agressives ? Si elles sont bien collaboratives ? Pour moi, il s’agit là de quatre éléments clés à mettre en place pour un entraîneur et c’est d’ailleurs ce sur quoi je travaille avec les dirigeants et les entraîneurs que j’accompagne. Ils permettent d’avoir de la clarté sur laquelle on peut se baser pour fédérer. »

Comprendre l’ego pour mieux le manager

Au PSG, Thomas Tuchel a rarement su impliquer ses stars dans le travail sans ballon alors qu’il s’agit d’un élément fondamental du contre-pressing qu’affectionne l’entraîneur allemand. C’est d'ailleurs loin d’être le seul entraîneur à avoir eu des difficultés à impliquer les stars d’une équipe dans le travail défensif, qui craignent souvent de se fatiguer et de réduire leur efficacité devant le but en s’investissant à fond sur phase défensive. Est-il donc impossible de faire adhérer une certaine vision du football total quand on dirige une équipe composée de superstars ?

« Le problème qui se pose parfois, c’est quand les entraîneurs arrivent avec leur vision et qu’ils veulent la plaquer coûte que coûte sur un groupe. Or, pour moi, il devrait y avoir une double adaptation. D’une part, il devrait y avoir une adaptation de la vision inspirée de l’entraîneur par rapport à ses joueurs, en écrémant par exemple 5 voire 10% de sa vision compte tenu de l’effectif et des caractéristiques des joueurs. D’autre part, chacun faisant son pas vers l’autre, il devrait y avoir une adaptation de la part des joueurs à la vision collective de l’entraîneur. Si un joueur comme Mbappé ne souhaite pas défendre car il a peur de se cramer physiquement et que ça nuise à son efficacité devant le but, ça va être difficile de le convaincre de défendre. L’idée est donc de voir comment il peut faire des efforts défensifs sans que ça nuise à son efficacité offensive, parce qu’il ne faut pas oublier que ses statistiques individuelles vont aussi servir à l’équipe et c’est aussi dans l’intérêt collectif qu’il ne se crame pas physiquement en défendant. Pour moi, on ne peut pas demander à un joueur quelque chose qui serait contre-productif avec son talent premier, à savoir celui sur lequel il s’est construit et grâce auquel il a réussi, mais on doit lui demander des choses périphériques ou complémentaires sans qu’elles soient forcément antagonistes », répond Nicolas Raimbault.

Tuchel Mbappé

Cette difficulté n’est-elle pas due également à un problème d’ego de la part de ses stars ? « Pour les gens, l’ego c’est juste ne pas donner un penalty à un copain, avoir un meilleur salaire que le joueur de l’équipe rivale. Ce n’est pas que ça, c’est aussi dans la préparation. C’est quelque chose de personnel, se surpasser, c’est bien au-delà de ce truc superficiel de dire "moi je, moi je". Mais je pense qu’il y a pas mal de choses à dire sur ça », avait récemment déclaré Kylian Mbappé au micro de RMC Sport. Spécialiste de la question, Nicolas Raimbault approuve les dires de l’attaquant de l’équipe de France et du PSG, tout en précisant: « l’ego, ce n’est pas avoir la grosse tête contrairement à ce que l’on croit donc je suis complètement en phase avec ce que dit Kylian Mbappé sur le sujet. L’ego c’est une structure interne qui se trouve à l’intérieur de chaque être humain et qui a un seul objectif: faire végéter l’être humain en question. Le faire rester où il est, le faire juste survivre dans la situation dans laquelle il est. Donc l’ego, ça n’a rien à voir avec la grosse tête ou l’arrogance ou le fait de se croire plus fort que les autres. C’est juste cette structure interne qui agit puissamment sur nous, souvent sans que l’on s’en rende compte, et elle veut juste nous faire rester tel que l’on est. Autrement dit, elle nous empêche de nous élever, de progresser, d’évoluer, d’aller chercher des couches d’épaisseur supplémentaires à notre performance parce qu’on n’en voit pas l’intérêt dans le court et le moyen terme. »

Le Mentor conclut: « finalement, l’ego est juste une structure psychologique interne qui est liée à notre cerveau reptilien, qui nous vient des hommes et des femmes préhistoriques et dont l’enjeu était à l'époque la survie. Ce qui n’est plus le cas pour nous mais face à une situation de danger ou de forte pression, on réactive le cerveau reptilien et l’ego nous repilote assez facilement pour nous empêcher d’évoluer. C’est ce qui peut expliquer pourquoi les joueurs perdent leur nerf dans des matches à enjeu. Il s’agit juste d’une manifestation de leur ego. » À Chelsea, Thomas Tuchel n’en est encore qu’au début de son aventure. S’il a parfaitement soigné son démarrage et réussit ses débuts, l’entraîneur allemand a encore tout à prouver et devra continuer de fédérer son effectif autour de sa vision car un environnement est toujours fluctuant. La bonne nouvelle pour lui, c’est qu’il a appris et qu’il continue à apprendre dans des contextes différents. De quoi lui permettre d’aspirer à devenir un bien meilleur entraîneur et manager. Le cocktail parfait pour gérer des superstars.

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