Media training : zoom sur l’un des nouveaux métiers de l’ombre du football

Etre un bon footballeur ne suffit plus pour être remarqué. L'impact toujours plus grand des médias oblige les joueurs à maîtriser leur communication. Pour les aider dans cet aspect de leur métier, le media training est devenu un élément important. Que ce soit à travers une formation ou un suivi quotidien, les joueurs ont des outils à disposition.

Par Aurélien Léger-Moëc
8 min.
Apprendre à s'exprimer clairement devant les médias, un vrai travail pour les joueurs Maxppp

Il a seulement 17 ans mais il s'impose cette année comme un élément incontournable dans l'entrejeu du Stade Rennais. On parle bien sûr d'Eduardo Camavinga, dont le talent semble lui promettre une grande carrière. Sur le terrain, il affiche une sérénité et une force de caractère remarquables pour son âge. Sauf que le métier de footballeur professionnel ne se limite plus au terrain depuis de nombreuses années désormais. De la préparation invisible au service après-vente, les jeunes joueurs doivent comprendre et travailler un large éventail d'éléments. La communication est ainsi devenue un enjeu majeur au fil des années, ce qui a généré la création d'un nouvel axe d'apprentissage, le media training.

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« J'ai eu le petit Camavinga. On a travaillé ensemble, quand il était en équipe réserve de Rennes », nous raconte ainsi Sébastien Pietri, ancien journaliste passé par l'OM TV, qui a monté le projet de media training en relation avec l'UNFP, le syndicat des joueurs professionnels. « Le but était de donner aux jeunes joueurs professionnels, âgés entre 16 et 25 ans, les bases. Pour arriver à répondre aux interviews, arriver à s'exprimer correctement, gérer les questions compliquées, tendancieuses, trouver les techniques pour savoir répondre à tout ça. On s'est rendu compte que les joueurs sont confrontés aux journalistes sans connaître ce métier. Il faut leur expliquer pourquoi, leur amener un éclairage. Car parfois, ils ne comprennent pas ».

Comprendre le mécanisme de la presse

Pour aider les jeunes joueurs confrontés à une médiatisation bien supérieure à celle d'il y a 10 ans, l'UNFP a pris le taureau par les cornes et a donc créé la possibilité pour les clubs de faire appel à elle pour une formation médias. « Les clubs prennent contact avec l'UNFP, et je me déplace dans les clubs, avec des cours de 2 fois 3 heures ou 3 fois 2 heures », nous explique Sébastien Pietri. Les clubs choisissent les joueurs et peuvent en envoyer jusqu'à 12 pour une session. Il s'agit bien sûr de jeunes éléments prometteurs, destinés à devenir des éléments de l'équipe première. Comme Camavinga donc, avec Rennes. « Quand on avait travaillé avec Camavinga, je l'avais trouvé très posé, il était déjà très juste dans ses propos. Je comprends que Rennes veuille le protéger. C'est un très bon jeune, et en termes de communication, ça sera un très bon client », assure Sébastien Pietri, qui a aussi travaillé avec les Strasbourgeois Zohi, Simakan, ou encore Fofana, et qui est également sollicité par le foot féminin.

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Mais alors, comment se déroule cette formation ? « Il y a une partie théorie, où je montre des vidéos, et une mise en situation. Quand j'interviens, je me présente en tant qu'ancien journaliste. Pour le début de mon intervention, je leur explique le métier de journaliste, comment on travaille. J'ai une banque de données, je récupère des interviews, j'ai à peu près 350 éléments. Je prends les infos sur les clubs et les joueurs. Et je les fais réagir. Est-ce que ça les a marqués, etc, etc. C'est un échange. Et ensuite, la 2e partie est consacrée aux interviews, je prends des infos sur chaque joueur. S'ils ont fait une déclaration maladroite, par exemple. Puis je leur conseille comment se tenir devant une caméra, je signale les tics de gestuelle, de langage ».

Plus qu'un cours, l'objectif est donc de créer un échange avec les jeunes joueurs, qui sont conscients de l'impact de l'image sur leur carrière. Ce qui n'était pourtant pas une évidence au moment où l'UNFP a créé ce module. « En toute sincérité, je me suis dit : est-ce que ça va intéresser les joueurs ? Eh bien la première fois que vous arrivez, que vous voyez les premiers éléments et que vous voyez que ça rebondit, vous vous dîtes : ok, on est dans le vrai. Pour l'instant, je n'ai vu aucun joueur qui soit réfractaire ».

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Des joueurs en difficulté

Ce n'est pourtant pas le cas lorsqu'on aborde la question du rapport aux médias par l'intermédiaire des agents de joueurs. Car faire appel à un professionnel du métier pour aider les joueurs n'est pas uniquement l'apanage des clubs. Les agents peuvent aussi conseiller à certains de leurs poulains de s'entraîner sur le domaine précis de la communication. « On est obligé d'aider les joueurs. Pour 80 % d'entre eux, les joueurs n'ont pas toutes les clés. Avec les mêmes réponses : " je pense que... "», nous explique ainsi un agent français. « Quand tu es un top player, oui ça vaut le coup. Mais pour un joueur lambda de L1, ça ne vaut pas le coup. Limite, ils gardent un peu de folklore et ça fait plaisir aux journalistes. Pour moi, le media training c'est important. Mais si je sens que cela n'intéresse pas le joueur, je ne lui force pas la main. »

Là où les joueurs trentenaires ont appris sur le tas au fil de leur carrière, les jeunes joueurs ont aujourd'hui les moyens de travailler en amont. « C'est important pour les jeunes joueurs, qui n'ont pas l'habitude de faire face aux caméras. Ils ne doivent pas être déstabilisés par les questions des journalistes, qui peuvent être subtiles. C'est un exercice de style », expose Djibril Mandefu, agent de joueurs. « Les jeunes ont de moins en moins de difficulté par rapport à cela, ils ont bien appréhendé leur environnement. » Un constat que partage Sébastien Pietri. « La génération qui arrive, je suis surpris par le niveau, la facilité pour s'exprimer. Avant il n'y avait pas ce niveau-là. Les joueurs sont conscients de l'importance de la communication. Certes, ils ont un peu peur, sont méfiants mais savent que c'est important. »

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La nécessité de coller à son époque, d'en connaitre les codes et de répondre aux attentes a poussé d'anciens professionnels de la presse à proposer, à travers une gestion globale de l'image du joueur, une nouvelle forme de media training. Cela ne prend pas la forme d'un cours comme proposé par l'UNFP, mais d'un suivi quotidien. « L'idée, c'est de les aider à formuler leur discours, que ce soit en conférence de presse, en interview ou en zone mixte. Leur donner des éléments de langage, pour que les propos ne soient pas déformés par la suite, avec des phrases claires et structurées, pour que cela ne nuise pas à la communication », nous explique ainsi un conseiller en communication. « Certains joueurs ressentent le besoin d'aide. Par exemple bien reprendre les termes de la question, enlever certains tics de langage, comme ceux qui disent "voilà" à tout bout de champ. »

Un media training au quotidien

Au-delà de l'aide purement technique, il s'agit aussi de briefer le joueur avant une intervention face aux médias, peu importe la forme (zone mixte, conférence de presse, interview), et de le débriefer. Le côté pervers est redouté : n'aseptise-t-on pas encore plus un discours qui est, de base, souvent raillé pour sa redondance ? « Quand je dis élément de langage, ça ne signifie pas discours aseptisé. C'est surtout pour éviter les malentendus et de s'exposer à de mauvaises interprétations », nuance le conseiller en communication. Les difficultés de certains joueurs dans l'expression orale face à une nuée de caméras peuvent provoquer un dérapage qui pourra nuire au joueur. « Il faut surtout s'adapter à la personnalité de chacun. Pour le contenu, loin de nous l'idée d'empêcher le joueur de dire ce qu'il pense. Nous, on fait un travail quotidien. On ne fait pas de cours par-ci par-là avec les joueurs. C'est un accompagnement. D'autant que pour certains, je dirais même la majorité, les cours de média training ne les intéressent absolument pas. Pour les joueurs, le plus important aujourd'hui, ce sont les réseaux sociaux. Le reste est secondaire. Et puis il faut aussi dire que la plupart des joueurs sont pingres. Ils se disent "je préfère continuer à parler comme ça plutôt que de payer quelqu'un qui va m'apprendre à mieux parler". »

Du coup, le media training est englobé dans un service qui propose la gestion des réseaux sociaux et parfois le sponsoring. Le joueur bénéficie d'une aide quotidienne et a la sensation de mieux appréhender ses rencontres face à la presse. « L’objectif ce n'est vraiment pas d’aseptiser le discours, il faut que le joueur reste intéressant, que le discours reste bien interprété. L’objectif, c'est de communiquer des éléments valorisants. Et de ne pas braquer le club, des coéquipiers, l'entourage, les supporters », appuie le conseiller en communication. Qui n'est pas d'accord sur le fait qu'une telle aide n'est vraiment importante que pour les meilleurs joueurs, destinés à une sollicitation médiatique supérieure. « Le contre-exemple, c'est Geoffrey Jourdren. Il ne serait peut-être pas passé pour le benêt de la Ligue 1 s’il avait fait du media training. Et cela l’a desservi pour sa carrière. » Effectivement, à l'heure où les clubs se renseignent tout autant sur les caractéristiques humaines, et donc sociales, que sur les qualités sportives d'un joueur, une communication régulièrement mal maîtrisée peut nuire au parcours d'un joueur. Ce qui présage une longue vie au media training.

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