Coupe de France : à la découverte de Maël Crifar, l’attaquant martiniquais de 16 ans en quête d’exploit avec l’Aiglon du Lamentin

Par Mathieu Rault
11 min.
L'Aiglon du Lamentin Maël Crifar @Maxppp

L'Aiglon du Lamentin (R1), club de la Martinique, se déplace à Orléans (L2) à l'occasion des 32es de finale de la Coupe de France. À trois jours du match, Foot Mercato s'est rendu à Clairefontaine, camp de base du dernier club d'Outre-Mer encore en lice dans la compétition, à la rencontre de Maël Crifar, jeune espoir du football antillais. L'attaquant nous a raconté son parcours, avant d'évoquer ses ambitions futures. Avec prudence.

L'endroit est intimidant. Et la nuit glaciale environnante n'a pas vocation à rassurer le visiteur de passage. À la seule lumière des phares, on se fraye un chemin à travers la forêt de Rambouillet, vaste étendue boisée du sud-ouest de Paris. Une fois passé le check-point, particulièrement bien gardé, on s’enfonce avec prudence dans ce qui est devenu, ces vingt dernières années, le laboratoire à champions du monde français. En pleine période de vacances scolaires et de trêve hivernale, Clairefontaine est déserte. De l’obscurité jaillit pourtant un halo de lumière. Juste de quoi éclairer un terrain synthétique situé à deux pas du parking réservé aux visiteurs. On s’approche à pas de velours, soucieux de ne pas perturber l’équipe qui répète ses gammes.

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Presque méconnaissable sous ses couches de vêtements, Hugues Parsemain, le Président de l’Aiglon du Lamentin, termine un footing en bordure de terrain. Essoufflé, il s’en excuse, ôte son gant pour nous échanger une franche poignée de main, avant de détourner le regard et de parcourir l’horizon pour tenter de détecter la raison de notre venue. Sur le terrain, les frères Civault, coach et coach adjoint, encadrent avec poigne une vingtaine de joueurs. La couleur rouge prédomine. Les quelques 6 800 km qui séparent la Martinique de la Métropole ont été avalés en un peu plus de huit heures d'avion. Arrivées à Orly à 7h45 du matin, les troupes du dernier club d’Outre-Mer encore en lice en Coupe de France tentent par l’effort de contrer le décalage horaire.

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Troisième visite chez les Bleus pour Maël Crifar

Assis sur le banc de touche, Maël Crifar, 16 ans, plus jeune joueur de l’effectif de l’Aiglon. La raison de notre venue. Un membre du staff est aux petits soins avec le jeune homme. Une cheville douloureuse. Son président assure que ce n’est rien. Taquin, il rappelle au joueur qu’il va devoir laisser quelques instants le créole pour répondre à nos questions. « Tu as besoin d’un traducteur ? », se moque-t-il. Le joueur sourit. Le natif de Schœlcher, quatrième commune la plus peuplée de Martinique, séparée du Lamentin par le chef-lieu de l’île, Fort-de-France, délaisse le banc et fait quelques pas avec nous. Le froid le fait grelotter et accentue la fatigue, qui transparait dans sa voix. « On est arrivés ce matin, c’était un peu dur. On a eu un stage très intensif de vendredi à dimanche, pour préparer le match. Dans l’avion, tu peux regarder un film, mais le temps ne passe pas. »

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L'Aiglon du Lamentin Maël Crifar

À l'arrivée, ce matin, l'excitation était palpable dans le bus. «Venir là où ils s’entraînent, quand on voit les installations, c’est le top. Il y a plusieurs gazons, deux synthétiques, c’est vraiment pas mal. » Maël, comme ses coéquipiers, a pris la pose devant l'immense statue du trophée mondial, entouré des deux étoiles. Malgré son jeune âge, le joueur ne découvre pas le Centre technique national Fernand-Sastre. C’est même la troisième fois qu’il met les pieds dans l’antre des Bleus. « Mes deux premières venues remontent à 2017, lors de pré-sélections en équipe de France U16. La première fois, c’était en mars, la deuxième fois en août. Cela s’est très bien passé à chaque fois, mais la concurrence est rude. J’en garde de bons souvenirs. » Il croit aujourd'hui en la possibilité de troquer la Résidence Avenir, où réside l’Aiglon cette semaine, pour le « Château » des champions du monde, situé quelques mètres plus loin.

Des U16 à l'équipe première, en passant par le lycée

Le joueur compte sur ses doigts. C'est la dixième fois qu'il se rend en métropole. Ce qu'il appelle sobrement «la France». « J’ai déjà un peu voyagé pour le foot. Avec la famille c’est un peu compliqué, mais je sais qu’ils sont là pour moi. » Maël habite le Lamentin, avec sa mère, et son grand frère, Teddy, qui lui a transmis la passion du football. « Il jouait à l’Aiglon, comme moi. C’est lui qui m’a donné envie de jouer au foot, quand j’étais petit ». Son frère et son cousin, qui lui jouait au Club Colonial, à Fort-de-France. « Les deux me disaient à chaque fois : "viens, viens, on va jouer". C’est ça qui m’a donné envie de jouer. À chaque fois que j’allais chez mon cousin, je jouais, je jonglais, je faisais n’importe quoi avec le ballon ». C'est à 8 ans qu'il débute en club, passant par les catégories jeunes de l'Aiglon du Lamentin, jusqu'à l’année dernière, en U16, lorsqu'il est convié aux séances des séniors. Aux entraînements tout d’abord.

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« Je ne pouvais pas venir tout le temps, car j’étais en section sportive au lycée, mais je faisais de mon mieux. Cette année, ils m’ont intégré dans le groupe. » Maël continue l’école malgré cette prise de galon. « J’y vais tous les jours, bien sûr. Si je ne suis pas footballeur, on ne sait jamais, il faudra bien que je fasse quelque chose. » Interviewer les gens, être sur les plateaux de télé, le joueur se verrait bien devenir journaliste sportif. Mais il s'agit d'un second choix. « Mon rêve est, et sera toujours, d’être footballeur. J’ai toujours cette envie, de jouer au football en France où à l’étranger, quand je regarde les matchs à la télévision. Je ne me pose pas de question. Si on m’appelle, je ne refuserai pas. » Si Maël suit le fil de l’eau et n’a pas de plan de carrière, il se verrait bien intégrer un centre de formation. Ligue 1, Ligue 2, c’est l'objectif qu’il s’est fixé.

Le choix difficile (mais nécessaire ?) de quitter la Martinique

Quitter la Martinique, oui mais. « Moi, je ne me focalise pas sur la France. Si ça vient, ça vient, sinon c’est que cela devait se passer de cette façon. Moi, je les aime tous eux (il désigne ses coéquipiers de l’Aiglon Lamentin qui s'entrainent à côté). Parfois, quand je pense à partir pour la métropole, je me dis « mais comment je vais faire sans eux ? », car c’est eux qui m’aident à évoluer. Ils me mettent dans de bonnes conditions, toujours. » Le jeune attaquant est aujourd’hui partagé entre un rêve de footballeur, qui devra sans doute s’écrire loin de la Martinique, et sa vie sur l’île, entouré de ses proches et de ses coéquipiers. Un crève-cœur qui est le lot de nombreux talents ultra-marins. «Quitter l’île, les amis, qui depuis tout petit t’ont aidé à gravir les échelons jusqu’en seniors, c'est dur (il coupe) mais cela ne me dérange pas. S’il y a une opportunité, je ne vais pas la rater. Je me préparerai pour ça. »

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Cet éloignement familial, le latéral expérimenté Jacky Berdix, 39 ans, l’évoque au sortir de l’entraînement. «J'aime bien prendre exemple sur moi, parce que j'ai fait quelques essais lorsque j'étais jeune, loin de la Martinique et j'aurais bien aimé pouvoir me servir de l'expérience des anciens, à ce moment-là. Ce n'est pas facile de sortir de la Martinique pour jouer en métropole. Il y a un éloignement familial, surtout pour un joueur de 16 ans, ce n'est pas évident. Mais s'il est dans une bonne structure, il n'y a aucune raison que cela ne le fasse pas. C'est tout ce qu'on lui souhaite pour la suite. Mais nous serons là, malgré la distance. On continuera de le soutenir.» Un discours rempli de bienveillance entoure celui qui a prêté son image à une enseigne française de distribution d’articles de sport, en Martinique. Lui, le gamin du Lamentin.

«Petit protégé» des tauliers de l'Aiglon du Lamentin

L'Aiglon prodige est couvé par les siens. Les anciens, José Goron (41 ans) et Jacky Berdix (39 ans), l'entourent et tentent de le guider, sans le brider. La présence du champion de France avec Montpellier Garry Bocaly (30 ans), pas épargné par les blessures et qui a doucement basculé vers une pré-retraite ensoleillée en Régionale 1 avec le Lamentin, est également un plus dans la progression du joueur. « Peu importe l'âge, du plus jeune au plus vieux, ils ont tous déjà un gros vécu, ils ont tous déjà joué en séniors. Ils ont toujours été là pour moi, depuis que je suis arrivé. Je suis comme leur petit protégé en fait. C'est une deuxième famille. » À 39 ans, le latéral Jacky Berdix est l'un des tauliers du club. À l'écouter, on comprend que l'équipe a un objectif commun : porter l'espoir du club le plus haut possible.

En haut, cinquième en partant de la gauche : Jacky Berdix, septième : Garry Bocaly. En bas, deuxième en partant de la droite : Maël Crifar.

«C'est un petit jeune en devenir. Il est très à l'écoute. Il a eu de la chance d'avoir, pour sa première année, une équipe de copains qui essaie de jouer pour lui. Par rapport à son âge, on ne souhaite qu'une chose : qu'il perce au niveau professionnel. J'espère que samedi il aura l'occasion de réaliser un bon match, de se montrer. Peut-être qu'un club professionnel pourrait le remarquer. On fait tout pour le mettre en lumière, en tout cas. C'est ce que moi et les plus anciens recherchons.» Unique buteur de la victoire de l'Aiglon au 6e tour, Maël garde un souvenir indélébile de ce moment. «C'était magique. En plus, il y avait tous mes potes, il y avait ma mère, mon père. On a gagné 1-0 seulement. C'était fou. Je ne vais jamais oublier ce moment. Commencer à l'Aiglon, marquer, atteindre les 32es de finale, c'est un début de carrière rêvé.»

«Si on doit marquer de la main à la 90e minute, comme Thierry Henry...»

Ailier depuis ses débuts, parfois repositionné en numéro 9, Maël est droitier mais utilise souvent son pied gauche. Le jeune homme apprécie Kylian Mbappé, auquel il ose fébrilement se comparer. «Il est comme moi, si je peux dire. Il est percutant, il dribble, il court vite, c'est un joueur que j’aime beaucoup. Il est vif, rapide, dribbleur. La percussion est l'une des qualités que j’apprécie chez lui. » La vitesse est l'un des atouts de Maël, qui est à bonne école. L’Aiglon du Lamentin est réputé pour sa section athlétisme. D’où est notamment issu le hurdler Dimitri Bascou, champion de France, d’Europe et médaillé de bronze olympique, lui aussi originaire de Schœlcher. Le joueur ne s’estime pas plus doué que les autres et place le travail comme ingrédient principal pour réussir. « Il faut beaucoup travailler. J’ai déjà vu des gars plus physiques que moi, mais je peux compenser par ma vitesse, mes appuis. Je sais que j’ai encore du travail pour m’étoffer, mais ce n’est pas fini, j’ai seize ans seulement. »

Maël a aussi conscience que la Coupe de France est un moyen de se montrer, de briller devant un parterre d'observateurs. «Pour tout le monde, c'est l'occasion de se montrer. Il y a beaucoup de recruteurs qui viennent voir les matchs, des agents...» Le joueur apprécie d'évoluer dans un grand stade. «Un 32e de finale, ce n'est jamais arrivé ici à l'Aiglon. C'est une grande satisfaction, on est tous contents, même si on sait qu'on peut perdre le match. Quoiqu'il arrive, on sera contents d'être là, d'avoir réalisé ce parcours. J'ai vraiment envie de jouer ce match ! On prépare toujours les matchs pour les gagner, nous on se dit "on va gagner". Peu importe le match, peu importe le niveau de l'équipe en face.» Maël signerait pour une victoire 1-0 de l'Aiglon au stade de la Source. Après prolongations, au terme d'une séance de tirs au but, peu importe la manière, seule la qualification compte. «Si on doit marquer de la main à la 90e minute, comme Thierry Henry, peu importe (rires).»(Le but de William Gallas, consécutif à un contrôle de la main de Thierry Henry, a qualifié les Bleus pour le Mondial 2010, ndlr)

L'Aiglon va prendre son envol

« On me soutient beaucoup, on m’envoie beaucoup de messages. Quand je rentre de voyage, quand je pars, on m’appelle. Cela m’aide pour être à fond, c’est une question de mental. Je suis déjà parti tout seul pour faire des essais, quand je n’ai pas de messages cela fait quelque chose. Heureusement, ça n’arrive jamais. Je sais qu’ils sont là pour moi. » Le joueur attise les convoitises et sa maman, qui l'élève seule et se charge de l'aiguiller dans ses décisions, également conseillée par la société Rock N Goal, tente de le protéger.« Je crois qu'elle est fière de moi. Elle me soutient, toujours. Elle ne veut pas que je parte, c'est normal, c'est ma mère. » Si elle le garderait bien près d’elle, sa maman le pousse à faire ce qu’il aime. Et l'aiglon finira par quitter le nid. Reste à savoir quand et pour quelle destination. Lundi, Maël a rendez-vous dans un club de première partie de tableau de Ligue 1. Cela ne l'inquiète pas trop. Il a d'abord un match à jouer et à gagner, samedi, à 15h, au stade de la Source d'Orléans.

Crédits photos : Aiglon du Lamentin Football, tous droits réservés.

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