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D’Harare au Havre, en passant par Stockholm, la trajectoire singulière de Tino Kadewere

Par Mathieu Rault
12 min.
Djurgården Tinotenda Kadewere @Maxppp

Derrière chaque talent se cache bien souvent un dénicheur. Depuis le Zimbabwe, Tinotenda Kadewere a rejoint l’Europe à l’été 2015, par le biais de Bosse Magnus Andersson, le directeur sportif de Djurgårdens. Après trois saisons de belle facture en Suède, l’attaquant a tapé dans l’œil du HAC et de son entraîneur d’alors, Oswald Tanchot, l’été dernier. Pour Foot Mercato, les deux hommes ont retracé le chemin qu’ils ont parcouru aux côtés de l’actuel meilleur buteur de Ligue 2 et raconté le personnage.

Neuf buts et deux passes décisives en sept journées, la performance est exceptionnelle. Elle lui vaut le titre honorifique de joueur du mois d’août. Tino Kadewere (23 ans) affole les compteurs en ce début de saison de Ligue 2. Le buteur zimbabwéen est impliqué dans 78% des buts du Havre, deuxième du championnat et meilleure attaque de la division. La saison passée, déjà, le natif d’Harare avait laissé entrevoir des qualités au-dessus de la moyenne en Normandie, avec 5 réalisations et 4 passes décisives en 18 apparitions, alors qu’il revenait tout juste d’une blessure. À l’origine de sa venue, Oswald Tanchot, son entraîneur de l'époque, est revenu pour Foot Mercato sur l'arrivée et les débuts du n°11 au sein du club doyen. «Je me rappelle très bien ses premiers pas au club. C’était un garçon très souriant, très solaire, avec beaucoup d’enthousiasme. Sa priorité était de trouver une maison pour faire venir sa femme et son fils, et d’apprendre le français. Tino est habité par l’idée de réussir. Il se donne les moyens. On sent que c’est quelqu’un qui a fait des efforts très tôt dans la vie,» nous a-t-il confié, séduit par le profil du joueur.

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«C’est un profil rare, un joueur capable de faire jouer les autres, qui est bon dans le jeu combiné, associatif, qui peut s’intégrer dans un jeu léché, un collectif, et qui en plus est doté d’une adresse incroyable devant le but. Il a une créativité qui en fait un joueur rare. Parfois, tu regardes des joueurs et tu vois des choses qui te plaisent et d’autres qui te plaisent un peu moins. Tu tentes d’affiner. Lui, c’est le genre de joueur qui entre dans la catégorie « coups de cœur »», a-t-il détaillé, certain que le joueur s’exprime beaucoup mieux quand il évolue en 4-4-2 et persuadé que la présence de Jamal Thiaré à ses côtés cette saison contribue aussi à sa réussite ; avant d’expliquer comment le HAC avait su mettre la main sur cette perle rare, à l'été 2018. «À l’issue des barrages d’accession en Ligue 1, nous cherchions à remplacer Jean-Philippe Mateta, qui nous était prêté par l’OL et avait fait une très bonne saison mais repartait dans son club avant d’être transféré à Mayence,» a-t-il raconté avant de poursuivre.

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Une blessure qui permet au Havre de remporter la mise

«On avait ciblé beaucoup de joueurs sur le marché français, que nous n’avions pu concrétiser. On avait décidé d’ouvrir nos recherches à l’étranger. Nous étions en quête d’un joueur capable de s’adapter à la Ligue 2. On a regardé dans pas mal de pays. Le nom de Tino est ressorti à travers les observations de plusieurs championnats, dont la première division suédoise.» Le coach et son staff démarrent alors un travail d’observation en vidéo au début du mois de juin. Le Directeur Général Arnaud Tanguy parti à Caen, c’est le Président du Havre en personne, Vincent Volpe, qui noue les premiers contacts avec Djurgårdens. Une démarche que nous a dit avoir apprécié le Directeur sportif du club suédois, Bosse Andersson. Onéreux, le dossier n’est au départ pas une priorité du club doyen. D’autant que le joueur éveille l’intérêt d’écuries de première division belge, engagées en coupes d’Europe. Curieux, le HAC se rend tout de même superviser l’attaquant lors d’une rencontre qu’il dispute avec Djurgårdens face aux Danois de l’AGF Arhus.

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«On s’est déplacés pour le voir jouer, malheureusement il s’est blessé ce jour-là (rupture du ligament latéral interne du genou gauche, ndlr). Il est sorti très tôt. Ce qui a forcément refroidi un peu la piste. On attendait de connaître sa durée d’indisponibilité,» se souvient Oswald Tanchot. Quatre mois. Telle allait être la durée d’indisponibilité de l’attaquant. Un mal pour un bien ? «Au tout début, je pensais que Tino était un joueur qui, comme de nombreux autres, me plaisait mais que nous ne réussirions pas à finaliser. Et c’est sa blessure qui pour moi a rendu le dossier possible. Les autres prétendants ont fini par se retirer. Et on s’est retrouvé quasiment sans concurrence. On a alors travaillé un peu plus en profondeur. On est allé aux renseignements pour savoir s’il était sérieux, s’il était assidu aux soins et susceptible de se remettre rapidement. Et puis nous voulions en savoir plus sur sa façon d’aborder le métier». Le HAC part à la pêche aux informations auprès des deux anciens Rennais Kim Kallström (qui a terminé sa carrière à Djurgårdens en 2017) et Andreas Isaksson (qui a raccroché les crampons à Djurgårdens, à 37 ans, en janvier dernier) pour tenter d’en savoir plus et connaître sa capacité d’intégration.

La recrue la plus chère du Havre est un pari risqué

Bien renseigné, le club ne met pas longtemps avant de convaincre le joueur. «Tino avait une bonne image de la France. Dans son plan de carrière, pour être exposé et pouvoir être visible dans des gros championnats la France était idéale. Cela a contribué à le faire venir. Mais il nous a aussi beaucoup parlé de l’histoire du HAC. Il connaissait avant de quitter le Zimbabwe. Le fait que beaucoup de joueurs soient passés par le club avant de voir leur carrière décoller l’a aussi aidé à se décider,» explique Oswald Tanchot. Le 27 juillet 2018, Tino Kadewere devient officiellement joueur du Havre pour quatre saisons, et dans le même temps la recrue la plus chère de l’histoire du club (2,5 millions d’euros bonus inclus). Prudent, le club prévient ses supporters qu’ils devront patienter avant de voir évoluer leur nouveau protégé au stade Océane. «Devant la qualité du joueur et sa volonté de rejoindre la France, le Président Vincent Volpe a tout mis en œuvre pour s’assurer les services de ce grand espoir qui (..) en phase de rééducation, sera pleinement opérationnel dès la mi-octobre,» peut-on lire sur le site du club, le jour de l’adoubement.

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Un gros coup en perspective à en juger la communication du club. Un gros pari surtout. De son côté, le coach sait qu’il joue gros. «J’ai pris un gros risque sportif. On était deux dans le club à vouloir avancer sur ce dossier très tôt. Jérôme Fougeron, recruteur, et moi. Beaucoup étaient frileux. C’était un dossier cher pour un club de Ligue 2. Il a fallu convaincre beaucoup de gens. Il y a toujours une part d’inconnu dans le recrutement d’un joueur étranger, blessé, qui évolue en Suède, qui plus est au poste d’avant-centre, avec tout ce que cela peut comporter comme prise de risque. Un joueur peut réussir dans un club et pas dans un autre. Pour moi, ce joueur avait des qualités rares pour son âge,» se souvient Oswald Tanchot, qui sait à ce moment-là qu’il devra patienter plusieurs mois avant de pouvoir exploiter le potentiel de son attaquant. «Je pensais que pour le club c’était une bonne acquisition, par rapport à son âge et son potentiel. C’était sans doute un coup dur pour les mois qui venaient, mais sur la durée c’était une très belle affaire à faire pour le HAC.» L’avenir lui donnera raison.

Djurgårdens IF plutôt que FC Sochaux Montbéliard

La belle affaire, « Bo » Magnus Andersson l’a flairée en 2015, lors d’un voyage en Afrique-du-Sud. Directeur sportif du Djurgårdens IF de 1997 à 2008, de retour aux affaires en 2013, l’ancien meilleur buteur du championnat suédois éditions 1994 et 1995 avait été conquis par les performances d’un autre attaquant zimbabwéen passé par Djurgårdens, Nyasha Mushekwi, auteur de 14 buts en 23 matches lors de la première partie du championnat suédois cette année-là, et cherchait à combler son départ à la trêve. C’est lors d’une réunion avec des recruteurs locaux organisée à Johannesburg que lui a été présenté le joueur et ses exploits filmés. «Je vois un joueur venu du Zimbabwe, Tino Kadewere. Ils m’ont montré des vidéos. J’ai aimé ce que j’ai vu. J’ai un contact à Harare, alors je l’ai appelé le jour suivant. Le joueur était sur le point d’aller faire un essai à Sochaux. Je l’ai eu au téléphone et je lui ai dit « je t’emmène avec moi en Suède, tu t’entraînes avec nous à Djurgårdens pendant dix jours et ensuite tu vas à Sochaux,» s’est-il souvenu pour Foot Mercato.

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Sauf qu’au moment de quitter la Suède pour la France, le joueur est pris de panique. «Il est venu me voir, en pleurs, et m’a dit qu’il ne voulait pas partir. On avait commencé à le prendre sous notre aile. Il était heureux à Stockholm et il aimait notre manière de travailler». Et puis il y avait la langue. L’anglais de Suède et l’anglais de France diffèrent quelque peu. Bo Andersson conseille à Tino d’effectuer son essai dans le Doubs tout en lui assurant que la porte reste ouverte. «Notre situation financière était désastreuse à l’époque, se souvient le Suédois. Tino m’a appelé, il voulait revenir en Suède à tout prix. Nous avons fait en sorte de lui offrir un contrat pour la fin de la saison, pour se laisser le temps de voir comment il allait progresser chez nous. Il est dans un premier temps venu en prêt. Mais dès le début je me suis dit qu’il allait devenir le plus grand joueur de l’histoire du club». Arrivé en août, «Tina», comme l'appellent ses coéquipiers, voit son option d’achat levée dès novembre, synonyme de fin de saison en Suède. Il signe un contrat de trois ans, qui prend effet en janvier 2016, et Djurgårdens verse 150 000 euros au Harare City FC.

Malgré cet emballement précoce, Bosse Andersson nuance. «Nous avions conscience qu’il s’agissait d’un projet à long terme. Mais c’était vraiment une belle personne. Nous avons tout de suite accroché. Il était jeune et talentueux mais il avait aussi beaucoup à apprendre. Nous étions prêts à lui donner du temps pour travailler. Nous avons été patients. C’était un garçon très sensible», se souvient le directeur sportif, avant d’évoquer un match à la fin duquel Tino Kadewere, coupable d’une erreur qui avait entraîné un but adverse, n’avait pu contenir ses larmes devant ses coéquipiers. «Ce qu’on a fait, c’est qu’on lui a donné des chances. Plusieurs. Nous étions derrière lui quand ça n’allait pas. Lors de ses trois années chez nous, il a été marqué par plusieurs événements difficiles (son père et mentor est décédé en 2015, l’année où il a rejoint Djurgårdens, ndlr) et nous les avons traversés avec lui. Et nous étions également présents dans les bons moments. Je crois que son histoire est singulière. Une histoire qui m’a personnellement marqué pour toujours».

Couvé, Tino Kadewere affiche pourtant des qualités d’adaptation rares. Lors de sa seule saison au Harare City FC, qui l’avait vu se révéler en quelques matches après s’être langui sur le banc une partie de la saison, ses 7 buts en une poignée de matches à seulement 18 ans n’avaient pas échappé aux recruteurs locaux et observateurs avisés de la Zimbabwe Premier Soccer League. Même constat lors de ses débuts à Djurgårdens, où il inscrit 7 buts en autant de rencontres avec les U21 du club et achève de convaincre Bosse Andersson de lui proposer un contrat à long terme. À chaque fois, et qu’importe le contexte, l’ancien numéro 14 de l’équipe de la Prince Edward School parvient à s’intégrer. «L’important est qu’il se sente soutenu par le club, par les supporters. Il doit se sentir en confiance,» nous explique Bo Andersson. En Suède, après deux saisons au cours desquelles il alterne entre U21 et équipe première, inscrivant 13 buts en une cinquantaine de matches, malgré quelques pépins physiques, il émerge du froid scandinave pour devenir artilleur en chef de l’équipe première lors de sa troisième saison pleine.

« Le ciel est sa seule limite »

Huit buts et deux passes décisives en douze matches de championnat, avec un quadruplé historique, et le voilà au sommet du classement des buteurs d’Allsvenskan en 2018. Tino Kadewere répète ces belles performances en Coupe de Suède, avec quatre buts et deux passes décisives en sept matches… et Djurgårdens remporte un premier titre depuis treize ans. Alors forcément sur cette petite île de l’est de Stockholm, Tino Kadewere laisse un souvenir impérissable. «Quand je l’ai vu évoluer en Suède pour la première fois, j’ai prédit qu’il deviendrait le meilleur joueur de l’histoire de Djurgårdens. Quand il faisait de petites erreurs, les gens disaient "ouais, c’est ça". Et maintenant, je crois qu’il restera le joueur le plus talentueux que l’on ait vu et que l’on ait formé au club. Si j’ai pensé ça dès le départ, cela voulait dire qu’il pouvait espérer jouer dans des championnats plus relevés. J’en suis d’autant plus convaincu aujourd’hui que je travaille dans ce milieu depuis des dizaines d’années. Le ciel est la seule limite pour Tino,» martèle aujourd’hui celui qui l’a propulsé sur le devant la scène nord-européenne.

Même constat en Mayenne, où pour Oswald Tanchot les choses semblent assez claires. «C’est un garçon qui va jouer en première division. En France ou dans un autre championnat, ça je l’ignore. Mais c’est un garçon qui est programmé pour jouer au-dessus. Il a tout ce qu’il faut pour. L’intelligence de jeu, la qualité technique, la vision, le sérieux… Je ne lui trouve aucune limite. Il va encore progresser physiquement. Il a beaucoup travaillé en Suède mais n’a pas fait de centre de formation à proprement dit dans son pays. Il a encore une marge de progression dans ce domaine-là, mais il va s’étoffer. C’est un joueur qui est très félin, très coordonné, qui se met très vite en route et qui a de très bonnes premières touches de balle. Ce sont des qualités pour aller au-dessus pour un attaquant.» Où évoluera l’attaquant international zimbabwéen aux 5 sélections dans le futur ? Chez les Gunners d’Arsenal, club qu’il chérit ? Nul ne le sait. Une seule chose est sûre, Le Havre a mis la main sur une pépite qui n’a qu’un objectif en tête : faire monter le club doyen en Ligue 1.

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