Que devient le football japonais et son "projet Blue Lock" un an après sa Coupe du Monde extraordinaire ?

Par Aurélien Macedo
11 min.
Ritsu Doan célèbre le but de l'égalisation contre l'Allemagne @Maxppp

Monstre du continent asiatique, le Japon entend écrire ses lettres de noblesse dans le football à l’échelle mondiale. Sans arrêt rattrapé par le plafond de verre des huitièmes de finale de la Coupe du Monde, le pays du soleil levant est pourtant en progrès constant au niveau du ballon rond et son avenir est prometteur. Alors que le phénomène manga Blue Lock se conjugue aux bons résultats de la sélection et lui a attiré une sacrée cote de sympathie lors de la dernière Coupe du Monde, la sélection japonaise opte pour une approche certes moins radicale et dramatiquement différente que celle de l’œuvre littéraire (qui s’en manque d’ailleurs ndlr). Pour autant une chose est clairement palpable, la montée en puissance des Samurai Blue.

Nouveau sentiment lourd, nouvelle déception, le 5 décembre 2022, le Japon pourtant dominateur contre la Croatie n’arrive pas à inscrire un deuxième but contre des Vatreni plus expérimentés et qui emmènent aux tirs au but les Nippons après un match nul 1-1. Et à ce petit jeu-là, ce sont bien Dominik Livakovic et ses coéquipiers qui seront les meilleurs avec une victoire 3-1. Comme face à la Belgique quatre ans plus tôt (3-2), face au Paraguay en 2010 (0-0, 5-3 aux tirs au but) ou à la Turquie en 2002 (1-0), le Japon s’est de nouveau heurté à son plafond de verre des huitièmes de finale. Une sacrée déception pour un pays qui a énormément progressé sur les dernières années et semblait arriver encore plus fort qu’en 2018. Néanmoins, c’est annonciateur de quelque chose de très prometteur et pour se faire, les Samurai Blue ont misé sur la continuité. En vue notamment de la prochaine Coupe d’Asie des Nations qui se déroulera du 12 janvier au 10 février 2024, le maître mot a été stabilité.

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Déjà au niveau du sélectionneur puisque Hajime Moriyasu présent à la tête de l’équipe depuis 2018 a été reconduit et même prolongé jusqu’en 2026, soit en prévision de la prochaine Coupe du Monde. Ancien joueur ayant remporté en 1992, la première Coupe d’Asie de la part de la sélection, il avait atteint la finale en 2019 avec un groupe remanié où il a misé sur la nouvelle génération symbolisée par Takumi Minamino, Ritsu Doan ou encore Takehiro Tomiyasu pour lancer un nouveau cycle. Celui-ci perdure depuis et semble prendre en maturité avec un style de jeu affirmé et très vertical. Une philosophie de jeu assez proche de celle qu’on retrouve en Bundesliga. Ce n’est d’ailleurs pas surprenant de voir de nombreux éléments évoluant ou passés par le championnat allemand dans l’effectif japonais (Ritsu Doan, Wataru Endo, Ko Itakura, Hiroki Ito, Takuma Asano…). Néanmoins, une ombre plane au-dessus de lui à l’instar de Zinedine Zidane avec Didier Deschamps, celle de Keisuke Honda. L’ancien joueur du CSKA Moscou et de l’AC Milan, véritable légende locale a été sélectionneur du Cambodge pendant 5 ans et nombreux l’imaginent prendre en main la sélection un jour. En attendant, malgré la pression qui l’entoure, Hajime Moriyasu a son bilan qui parle pour lui et entend mener le processus le plus longtemps possible.

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Un vivier qui ne cesse de grandir

Comme un arbre fruitier, le pays des cerisiers est en train de fournir une belle récolte de talents puisque nombreux sont en train de mûrir. Actuellement demi-finaliste de la Coupe d’Asie U15, finaliste malheureux du prestigieux tournoi de Montaigu U16 (défaite 5-4 aux tirs au but contre l’Angleterre), vainqueur de la Coupe d’Asie U17 2023 (3-0 contre la Corée du Sud), le Japon qui disputera à l’automne la Coupe du Monde U17 est devenu une référence continentale en termes de formation. Les Nippons ne cessent de progresser dans ce domaine. Le Japon a été demi-finaliste de la dernière Coupe d’Asie U20 (défaite 5-3 aux tirs au but contre l’Irak), mais les résultats restent perfectibles à ce niveau malgré une présence récurrente lors des trois derniers mondiaux de cette classe d’âge. Si la J-League reste une ligue de référence sur la scène asiatique, la mentalité évolue au niveau national avec une volonté de s’exporter davantage vers les meilleurs championnats en Europe.

On est bien loin de l’époque où la légende Hidetoshi Nakata (Pérouse, AS Rome et Parme) faisait figure d’OVNI sur la scène européenne. Et si cela n’étonne pas de voir des cadres de la sélection se produire dans de grandes équipes européennes, cela touche également les jeunes joueurs. On peut notamment penser à Leo Christopher (15 ans, Southampton), Toki Yukutomo (18 ans, Famalicão), Leo Kokubo (22 ans, Benfica), Zion Suzuki (21 ans, Saint-Trond), Takashi Uchino (22 ans, Fortuna Düsseldorf), Koki Saito (22 ans, Sparta Rotterdam), Yutaro Oda (22 ans, Heart of Midlothian), Joel Chima Fujita (21 ans, Saint-Trond), Rihito Yamamoto (21 ans, Saint-Trond), Yuito Suzuki (21 ans, Brondby), Shio Fukuda (19 ans, Borussia Mönchengladbach), Anrie Chase (19 ans, Stuttgart), Niko Takahashi (18 ans, FC Barcelone), Hayate Matsuda (19 ans, Hanovre), Kodai Sano (19 ans, NEC Nimègue), Taichi Fukui (19 ans, Bayern Munich) ou encore Kein Sato (22 ans, Werder Brême). Un phénomène assez nouveau et qui ne cesse de prendre de l’ampleur. La mentalité est à l’ouverture pour le football japonais et cela lui sied bien.

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Une passerelle vers l’Europe qui se facilite

Si l’on retrouve de plus en plus de joueurs en Europe, cela se fait grâce à de belles passerelles. La Bundesliga a toujours été un championnat qui a attiré beaucoup de joueurs japonais à l’image de Ko Itakura (Borussia Mönchengladbach), Hiroki Ito (Stuttgart), Ritsu Doan (Fribourg) ou encore Takuma Asano (Bochum). L’Autriche et les Pays-Bas ont également attiré plusieurs éléments japonais sur les dernières années. Depuis peu, le Portugal a aussi pris le pas depuis notamment le passage de Shōya Nakajima (ex Portimonense et Porto) il y a quelques années. Depuis, la tête d’affiche c’est Hidemasa Morita. Après une saison prometteuse à Santa Clara, il a débarqué au Sporting CP où il est vite devenu incontournable aux yeux de Ruben Amorim.

Outre le milieu défensif, Kanya Fujimoto (Gil Vicente), Yuki Soma (Casa Pia), Kosuke Nakamura (Portimonense), Masaki Watai (Boavista) ou encore Leo Kokubo (Benfica) ont rejoint le championnat portugais. À noter que la légende Kazuyoshi Miura évolue en deuxième division à Oliveirense à 56 ans. Alors qu’on retrouve aussi de plus en plus de cadres de la sélection dans de grosses écuries à l’instar de Takehiro Tomiyasu (Arsenal), Wataru Endo (Liverpool), Daichi Kamada (Lazio), Takefusa Kubo (Real Sociedad), Takumi Minamino (AS Monaco) ou encore Kaoru Mitoma à Brighton, il existe deux équipes qui ont nettement participé à l’expansion européenne du football japonais : Saint Trond et le Celtic Glasgow.

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Les colonies japonaises du Celtic et de Saint-Trond

Les Écossais comptent actuellement dans leurs rangs cinq éléments avec Yuki Kobayashi, Tomoki Iwata, Reo Hatate, Daizen Maeda et Kyogo Furuhashi. Les trois derniers sont d’ailleurs des éléments précieux des Bhoys et de la sélection japonaise. Reo Hatate étant un milieu créatif, Daizen Maeda un attaquant polyvalent et Kyogo Furuhashi, le serial-buteur (57 buts et 11 offrandes en 88 matches) du champion d’Écosse. Une stratégie de se tourner vers le marché japonais qui a été amené par l’ancien coach Ange Postecoglou (désormais à Tottenham) et qui se poursuit. Pour ce qui est de Saint-Trond, il s’agit tout simplement d’un club passé sous pavillon japonais en 2017 après le rachat par DMM.com. Équipe stable de première division, les Canaris font tourner à plein régime l’axe Belgique - Japon. Actuellement, ils sont huit dans l’équipe première à être de nationalité japonaise.

On compte ainsi Daniel Schmidt, Zion Suzuki, Ryoya Ogawa, Daiki Hashioka, Joel Chima Fujita, Rihito Yamamoto, Ryotaro Ito et le vétéran Shinji Okazaki. Ce club a été idéal dans l’éclosion de Takehiro Tomiyasu, Daichi Kamada et Wataru Endo qui sont passés par Saint Trond avant d’exploser définitivement ailleurs pour ensuite viser les meilleurs clubs européens. Un tremplin de plus en plus utilisé qui a inspiré d’autres clubs belges. On peut penser à Genk avec Junya Ito désormais à Reims ou encore le Cercle Bruges avec Ayase Ueda désormais au Feyenoord. Un bilan global assez positif qui permet à ce cercle vertueux de se reproduire et de plus en plus souvent.

Le projet Blue Lock

Alors que le progrès du football japonais est un phénomène qui dure depuis quelques années même si l’évolution récente est très positive, cela a donné des idées à un certain Kaneshiro Muneyuki. Juste après la défaite japonaise à la Coupe du Monde 2018 contre la Belgique (3-2), le mangaka de 36 ans a lancé (le 1er août de la même année) avec le dessinateur Nomura Yusuke, une nouvelle œuvre dont le thème est le football. Le point de départ de l’intrigue ? Justement, la défaite face aux Diable Rouges. L’Union japonaise de Football (la fédération ndlr) décide alors de trouver un moyen de gagner la Coupe du Monde et lance le projet Blue Lock. Pour dénicher le futur meilleur attaquant du Monde, 300 lycéens japonais vont être sélectionnés pour participer à ce programme poussant à l’individualisme exacerbé. Un véritable phénomène qui va trouver un écho encore plus grand lors de la Coupe du Monde 2022. Une série d’animation est lancée à partir d’octobre dernier, soit un mois avant la compétition. En outre, le maillot de la sélection japonaise au mondial 2022 est une collaboration entre l’équipementier Adidas et le manga.

La réussite du manga et de l’animé sera conjuguée aux excellents résultats du Japon à la Coupe du Monde avec les victoires face à l’Allemagne (2-1) et l’Espagne (2-1). Cela participera à faire naître un engouement autour de l’équipe japonaise qui outre la fraîcheur qu’elle dégageait par son jeu, s’offrait encore plus facilement une cote de sympathie. Économiquement, cela a aussi été un vrai boost pour le manga qui est passé de 10 millions de ventes en août 2022 à 20 millions de ventes en février 2023. Ce qui en a fait l’une des plus grandes croissances de ventes de l’histoire du manga. Une belle histoire conjointe qui ne semble pas partie pour se conclure, le manga continuant à bien se vendre et l’animé étant prévu pour une saison 2. Blue Lock a pour mérite de livrer un constat assez froid, mais réaliste sur le football japonais.

Désormais place aux artistes

Tout du moins c’était surtout le cas en 2018 à son lancement. Les Japonais s’exportent peu à l’étranger, ces derniers ont une vision très scolaire du football et il n’y a pas de profils individualistes. Le premier point est clairement en train de changer pour le plus grand bien du football nippon. Pour ce qui est de la façon de percevoir le football, c’est plus compliqué. Progressant tactiquement, le football japonais a bien progressé dans ce domaine, mais cela se paye en partie par le manque de prise d’initiatives individuelles. Cela s’est d’ailleurs vu contre la Croatie lors de l’élimination à la Coupe du Monde 2022. Seul un joueur sortait du lot dans ce registre : Kaoru Mitoma. Justement, l’ailier gauche de Brighton semble être l’un des fers de lance de ces nouveaux profils qui débarquent tout doucement chez les Samurai Blue. Et c’est là qu’on rejoint tout doucement le troisième point, le football japonais sort enfin davantage de joueurs capables de faire basculer des matches à eux tout seul.

Révélation de Premier League la saison dernière avec Brighton, Kaoru Mitoma (1 but et 3 offrandes en 4 matches cette saison, 10 réalisations et 8 offrandes en 41 matches lors du précédent exercice). Celui qui a notamment fait une thèse sur le dribble sur lequel il était revenu pour The Athletic : «c’était le sujet le plus facile pour moi parce que j’aime le football, et dribbler est une chose que j’adore faire. J’ai appris que les bons joueurs ne regardaient pas le ballon en dribblant. Ils regardent devant eux, et éliminent leur adversaire sans regarder leurs pieds. C’était la grosse différence.» Si l’on regarde les profils qui peuplent doucement l’attaque japonaise, on remarque qu’avec Junya Ito, Ritsu Doan, Takefusa Kubo ou encore Keita Nakamura, on sort des profils traditionnels du football japonais avec de plus en plus d’ailiers virevoltants.

La Coupe d’Asie 2023 et la Coupe du Monde 2026 en ligne de mire

Toute une émulation que le Japon devra rassembler pour ses objectifs. Depuis cette triste élimination contre la Croatie, la digestion se fait tout doucement. Disputant 4 amicaux depuis, le Japon a accroché l’Uruguay (1-1) et s’est incliné contre la Colombie. On note aussi deux belles victoires contre le Salvador (6-0) et le Pérou (4-1). En prévision de la Coupe d’Asie, la sélection devra disputer 4 autres rencontres amicales. Ce samedi contre l’Allemagne et mardi face à la Turquie. Puis en octobre avec les réceptions du Canada et de la Tunisie. Des rencontres intéressantes pour se tester et viser un trophée qui lui fait défaut depuis 2011.

Pour cela, il faudra assumer un costume de favori alors que les concurrents arrivent bien armés. Outre le Japon, les favoris pour la victoire se nomment également Qatar, Iran, Corée du Sud, Australie et Arabie saoudite. Sans oublier des outsiders comme l’Irak et l’Ouzbékistan. Placés dans un groupe D largement à leur portée avec l’Indonésie, le Viêt Nam et l’Irak, les Samurai Blue n’auront pas d’autre choix que de se rattraper de la finale perdue contre le Qatar (1-0) en 2019 et retrouver la victoire. S’en suivront ensuite les éliminatoires de la Coupe du Monde 2026 où le Japon tentera enfin de briser son plafond de verre.

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