Bafétimbi Gomis : «le grand attaquant doit être égoïste dans son jeu»

Par Hanif Ben Berkane
10 min.
Bafétimbi Gomis @Maxppp

À bientôt 37 ans, Bafétimbi Gomis est de retour en Europe. Après 4 ans en Arabie Saoudite, l'ancien international français est revenu en Turquie à Galatasaray où il affrontera le FC Barcelone en Ligue Europa ce jeudi. Pour Foot Mercato, il est revenu en détail sur le rôle d'attaquant dans le football moderne et comment il a largement évolué depuis ses débuts en pro.

Foot Mercato : comment voyez-vous le rôle de numéro 9 aujourd’hui ?

Bafétimbi Gomis : ce poste a évolué. Quand j’étais petit je voyais des attaquants qui jouaient ce rôle de pur finisseur. Il ne se préoccupait que du but. Aujourd’hui, on s’aperçoit qu’on est bien plus. On est les premiers défenseurs de l’équipe, il y a le pressing à faire, un replacement défensif. Mais c’est juste l’évolution du football car au final, les défenseurs aussi ont évolué. Eux, ce sont les premiers relanceurs. C'est une suite logique finalement.

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FM : le football de 2022 est-il plus favorable à l’attaquant ?

BG : clairement, oui. Quand les défenseurs ressortent bien le ballon, on va en profiter forcément. Avec plus de maîtrise technique, on a plus de chance de finir. C’est comme ça que tu progresses. Même si tu regardes les gardiens, ça a changé. Il y a de moins en moins de dégagements long, il y a plus de relance courte. L’attaquant est moins envoyé au casse-pipe dans les petites équipes, c’est plus agréable.

FM : vous avez un style assez différent…

BG : c’est vrai que j’ai un style un peu atypique, un style qui se perd de jour en jour. Pourquoi ? Parce qu’on demande de plus en plus aux attaquants de prendre la profondeur, pas d’être des pivots. Moi, j’avais tendance, à mes débuts, à garder les ballons pour faire monter le bloc, à jouer sur mes ailiers qui étaient assez rapides et qui allaient pouvoir centrer. Maintenant, il faut une large palette et ça te donne des attaquants modernes et complets comme Kylian Mbappé.

FM : pourquoi l’attaquant qui marque sans faire jouer l’équipe est décrié ?

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BG : il est décrié en France. En France, pour être honnête, ils n’aiment pas le style d’attaquant que je suis. À l’étranger, j’ai souvent été plus reconnu qu’en France. Prenez l’exemple de Giroud, dans ce style, il est fréquemment critiqué alors qu’il fait une carrière extraordinaire. Finalement, on est plus reconnu par les joueurs qui jouent avec nous parce qu’on est des joueurs d’équipe, on défend, on ne rechigne pas au duel.

FM : un joueur comme Icardi au PSG, on lui a souvent collé l’étiquette du joueur qui marque puis c’est tout…

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BG : c’est vrai, mais le plus important pour l’attaquant, c'est d’être un bon coéquipier. Si tu peux ne pas participer au jeu avec ballon de l’équipe, tu peux être quelqu’un d’essentiel dans le replacement défensif. À l’inverse, il y avait aussi le problème avec Edinson Cavani. Il défendait beaucoup et il avait tendance à rater des occasions peut être facile pour un joueur de son niveau.

«Tu ne peux pas prendre un attaquant qui ne va pas avec ton équipe.»

FM : l’attaquant qui n’a pas forcément de statistique, mais qui fait jouer, c’est ça l’attaquant de 2022 ?

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BG : Benzema, c’est un exemple parfait parce que c’est l’attaquant le plus complet. C’est un joueur très important et cela colle aux caractéristiques de l’équipe. C’est ça qu’il faut prendre en compte et on ne le fait pas assez. Les attaquants aujourd’hui, c’est l’entraîneur, la philosophie d’un club et tout ça. Tu ne peux pas prendre un attaquant qui ne va pas avec ton équipe.

FM : c’est-à-dire ?

BG : parfois, on se trompe. Quand tu as une équipe qui a l’habitude de jouer long, qui ne repart pas de derrière et qui envoie des ballons devant, si tu as un joueur comme Benzema en neuf et que tu lui dis « bah cours, bats-toi devant » il n’y arriverait pas. Ce n’est pas évident.

FM : aujourd’hui, on fait attention à quel attaquant on recrute ?

BG : bien sûr, c’est le rôle du directeur sportif. Il doit communiquer avec son entraîneur là-dessus. Je pense que ça fait partie du jeu. Les clubs doivent faire attention à l’organigramme. L’entraîneur doit être sur la même longueur d’onde que le directeur sportif, et il doit aussi savoir exactement ce qu’il veut pour l’équipe parce que c’est un poste très important. Souvent, quand ça ne fonctionne pas, il y a une raison.

FM : est-ce que c’est dur d’être un numéro 9 dans le football aujourd'hui ?

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BG : tu sais, ce n’est pas évident. Déjà, mentalement, c’est celui qui doit être le plus fort dans la tête. C’est lui qui va devoir faire face à toutes les critiques à chaque fois. Avec le gardien, c’est le poste le plus exposé. Quand l’attaquant ne marque pas, tous les regards sont braqués sur lui. Et quand ça va, heureusement ou malheureusement, tu as un tas d’éloges. Dans les deux cas, tu ne dois pas t’enflammer. Tous les jours, tu dois venir en oubliant ce que tu as fait hier et toujours en vouloir plus. J’ai eu la chance de travailler avec Bernard Lacombe et Laurent Roussey. Ils m’ont beaucoup aidé. Si j’ai marqué autant de buts, c’est que j’ai pu bénéficier de nombreux conseils de leur part. J’ai essayé de les appliquer toute ma carrière.

FM : c’était quoi ces conseils ?

BG : Bernard (Lacombe) me répétait sans cesse « n’est pas attaquant qui veut » et c’est vrai. Laurent Roussey me disait souvent « premier poteau, premier servi ». Aujourd'hui, je m’aperçois qu’après chaque entraînement je répète mes gammes comme si je débutais malgré les nombreux matchs et buts que j’ai mis.

«Avec l’âge et l’expérience, je sens mieux les coups»

FM : les effectifs de Ligue 1 sont de plus en plus jeunes surtout en attaque, vous pensez qu’on manque parfois d’expérience ?

BG : quand on voit notre Ligue 1 qui rajeunit, parce que c’est la conjecture du football qui veut ça, il n’y a plus ces attaquants d’expériences. Par exemple moi quand j’étais à Saint-Etienne, j’étais avec Piquionne ou Feindouno. À Marseille, tu avais Pagis, Maoulida ou Niang. Ces joueurs qui n’ont pas fait des grandes carrières internationales, mais ils étaient des grands attaquants de Ligue 1 qui sentaient les coups. Notre Ligue 1 perd de ce genre de joueur parce que soit ils sont retraités ou ils partent vite à l’étranger.

FM :entre le Gomis des débuts et aujourd’hui, est-ce que vous avez évolué dans votre jeu ?

BG : bien sûr, on m’a souvent demandé de plus participer au jeu de l’équipe. Quand j’étais à Lyon, dans une équipe qui joue les premiers rôles, on me disait d’être un relai de combiner plus. Parfois, je jouais à deux attaquants donc on se répartissait les tâches. Mais oui, j’ai toujours fait ce qu’on me demandait. J’ai quand même eu une bonne petite carrière, j’ai un bagage technique même si je ne suis pas le plus grand technicien. Je pouvais te faire des contrôles orientés, faire un jeu en une touche ou en triangle. C’est sûr que je ne suis pas Benzema qui peut avoir l’aisance technique d’un milieu de terrain. Mais la spécificité d’un attaquant, c’est d’abord de sentir les coups, de jouer des deux pieds, de savoir quand être et/ou dans la surface.

FM : dans quel domaine avez-vous le plus progressé ?

BG : (Il réfléchit) d’abord, je dirais la constance, c’est ma plus grosse progression. Avant, j’étais plutôt un joueur qui mettait 10 à 15 buts en Ligue 1. Avec l’âge et l’expérience, en apprenant à gérer temps fort et temps faible, je sens mieux les coups.

FM : du coup, l’attaquant de Ligue 1 était plus complet avant ou maintenant ?

BG : je pense qu’on les sort de plus en plus jeune parce qu’on doit les vendre. C’est sûr qu’ils n’ont pas autant d’expérience, mais ils sont très talentueux. Avant, on mettait un peu plus de temps pour jouer aussi, on se développait avant de jouer en Ligue 1. Ça a été difficile pour moi, il a fallu me prêter en deuxième division avant de débuter en L1. Je pense aussi à Gignac qui est toujours en forme aujourd'hui qui est passé par la Ligue 2, je pense à Giroud aussi ou même Pagis et Niang. Si on était de cette génération, on aurait débuté en Ligue 1 sans passer par la Ligue 2. Ça ne nous a pas empêché de faire des grandes carrières.

FM : il y aussi des exceptions dans vos générations, des attaquants qui ont vite débuté…

BG : bien sûr, il y a toujours des exceptions. Des joueurs comme Karim Benzema à l’époque ou Mbappé maintenant, ils sont pétris de qualités. Ils arrivent, ils sont matures, ils savent tout faire. Ce n’est pas évident d’être aussi bon rapidement. Mais c’est aussi important l’expérience.

FM : votre expérience, vous avez essayé de la transmettre ?

BG : à Lyon, j’ai pu faire des entraînements spécifiques avec Anthony Martial, Nabil Fékir ou Lacazette. Le fait, pour ces jeunes joueurs qui sortaient de la CFA, de faire des spécifiques avec Lisandro Lopez, Jimmy Briand et moi, ça leur fait gagner du temps. Ils n’hésitaient pas à demander des conseils et après, ils savent très tôt utiliser la bonne surface pour tirer. Avoir la bonne position du corps et des épaules. Ils savent quand aller au premier poteau, quand rester en retrait etc. Aujourd’hui, je suis content de les voir réussir dans leurs clubs respectifs. Moi, je n’ai pas eu un joueur de niveau international avec qui je puisse m’entraîner et qui me donne des conseils parce que la façon de penser d’un attaquant n’a rien à voir avec celle d’un milieu ou un autre joueur.

FM : c’est quoi la façon de penser justement ?

BG : on a des responsabilités et ce côté égoïste. On doit l’avoir. Si tu ne l’as pas, tu ne peux pas être un grand attaquant. Il faut accepter d'être égoïste dans son jeu. J’ai mis du temps à passer ce pallier, moi. Aujourd’hui, je me lève, je pense au but, je dors, je pense à ça. Toute ma vie est calée sur la performance : il faut marquer. Tu regardes des vidéos de tes adversaires. Même quand je jouais en Arabie Saoudite. Ce n’est pas un niveau comme celui de la Ligue des champions, c’est clair. Je ne jouais pas contre Sergio Ramos, mais je le faisais toujours. Même à mon retour en Ligue 1, je connaissais chaque défense que j’allais affronter, j’avais vu les 15-20 derniers buts qu’ils avaient encaissés. C’est un détail, mais c’est ce qui fait ton travail. C’est ce qui va dicter ta semaine, tu parles avec les ailiers et les milieux pour parler des faiblesses de ton futur adversaire, tu travailles sur des zones ou l’adversaire est en difficulté, tu fais du spécifique sur le jeu de tête parce que tu sais qu’ils ont du mal sur les duels aériens etc…

FM : les jeunes attaquants comme Mbappé ou Haaland sont déjà focalisés sur le but…

BG : oui et il faut l’être. Prenons l’exemple de Mbappé dont je suis admiratif, il est obnubilé par le but, par sa performance pour battre des records. Il a de l’ambition, il l’assume. Ça le force et l’oblige à avoir un certain professionnalisme et de l’exigence vis-à-vis de lui et de ses coéquipiers. Si je dois sortir un exemple pour les jeunes, c’est lui. Mais encore une fois, il a débuté à Monaco et il a appris aux côtés d’un grand : Falcao. Je pense qu’apprendre aux côtés d’une référence comme Falcao en terme de numéro 9, c’est très important même s’il avait évidemment les qualités.

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