Les nouveaux stades européens, entre folie des grandeurs et polémiques

Par Justin Schroeder
6 min.
Santiago Bernabeu  @Maxppp

Piscine, hôtel, restaurant, boîte de nuit ou encore galerie d’art, les nouveaux stades de football européens se dotent de plus en plus de prestations luxueuses. À l’image du nouveau stade Santiago-Bernabéu à Madrid ou du Craven Cottage à Fulham, les clubs investissent désormais dans des stades haut de gamme.

Il y a quelques semaines, Fulham dévoilait les plans de reconstruction de sa tribune Riverside. Les images ont fait le tour des réseaux sociaux, avec des projections alléchantes de ce que deviendra le Craven Cottage. Les supporters les plus chanceux, et les plus fortunés, pourront profiter d’une piscine et d’une grande terrasse durant les matchs des Cottagers. Un restaurant étoilé au guide Michelin et des salons privés très luxueux seront proposés dans l’offre hospitalité du club dès la saison prochaine. Avec des vues panoramiques sur la Tamise et la skyline de Londres, les dirigeants de Fulham veulent offrir une nouvelle expérience à leurs fans et capitaliser financièrement sur de nouvelles recettes. Toutefois, les Cottagers sont loin d’être les seuls à vouloir offrir ce genre de prestation dans leur stade.

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Les stades, nouvelle priorité des cadors européens !

En Angleterre, et toujours à Londres, l’Emirates Stadium est à l’avant-garde dans ce domaine. Le stade, tant voulu par Arsène Wenger dans les années 2000, a vu le jour avec l’ouverture d’un salon haut de gamme, le Diamond Club. Encore plus au nord, dans le Grand Londres, le Tottenham Hotspur Stadium, inauguré en 2019, a également misé sur des prestations luxueuses. En plus de salons VIP, le stade comporte une galerie d’art contemporain. Les Anglais ne font pas exception, les nouvelles constructions de stades misent maintenant beaucoup sur des services d’exception en Europe.

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À Madrid, le Santiago-Bernabéu a fait peau neuve avec cette esprit. Le stade du Real Madrid, construit à la fin de la Seconde Guerre mondiale, a été totalement rénové ces dernières années pour devenir un nouvel écrin très moderne. Outre son toit et sa pelouse rétractable, ce sont ses nouvelles prestations luxueuses qui font également parler. Le club madrilène va ces prochains mois inaugurer son Sky Bar, une super loge VIP qui offrira aux visiteurs une expérience unique mêlant football, confort et haute gastronomie. L’espace se transformera en salle pour dîner, boire et danser après les matchs. Des prestations qui tendent à se généraliser dans les nouvelles enceintes de football pour créer de nouveaux revenus.

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Accroître les offres d’hospitalité pour diversifier les revenus

Dans le football moderne, il est devenu primordial d’être propriétaire de son stade. Avec les dépenses actuelles, liées aux coûts des transferts et aux salaires, le stade de football devient un instrument financier. Selon Jérémy Moulard, chercheur en management des infrastructures sportives pour l’Institut des sciences du sport de l’Université de Lausanne, « pour performer sportivement, il faut que le club performe financièrement. Depuis 2006 en Europe (construction des stades allemands pour la Coupe du Monde) et depuis les années 1990 aux États-Unis, le stade est devenu un outil économique de diversification pour les clubs. Cela permet de valoriser la ressource de la billetterie, des hospitalités, etc. C’est la raison qui pousse à la construction ou à la rénovation de nouveaux stades ».

« On se rend compte que les cash-flows (flux de trésorerie qui mesurent la différence entre les encaissements et les décaissements), qui sont générés par les hospitalités, sont les cash-flows les plus importants dans un stade avec des marges relativement significatives. Aujourd’hui, pour générer plus d’argent, il existe tout un marché d’augmentation des places à prestations, à hospitalité. Auparavant, elles étaient simplement à un niveau pour les entreprises. Maintenant, il existe peut-être 10, 15, 20 offres d’hospitalités différentes. Nous avons désormais de plus en plus d’hospitalités à des niveaux de luxe et d’ultra-luxe ». Les stades européens se transforment par cet accroissement des prestations d’hospitalité, au point de voir émerger une nouvelle génération de stades ?

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Vers une nouvelle génération de stade de football ?

Selon la classification de Magne en 2011, dans son ouvrage Évolution des stades, vers la 6ème génération, les stades de football européens sont entrés dans une nouvelle ère, celle des stades marchands. Chaque génération possède ses propres critères de classification : la 4e génération était celle des stades télévisuels, marquée par des avancées technologiques dans les matériaux ; la 5e génération était celle de la sécurisation des enceintes, suite aux drames d’Heysel, de Hillsborough et de Furiani dans les années 80 et 90. Cette 5e génération dans les années 80 et 90 a notamment donné le Stade de France. Depuis 2006, ce sont les stades marchands qui sont érigés, caractérisant ainsi une 6e génération de stades. Avec l’introduction de prestations ultra-luxueuses dans les nouvelles constructions, une nouvelle ère de stades de football est en marche.

Jérémy Moulard confirme cette tendance en affirmant : « nous pouvons imaginer être entrés dans une nouvelle génération de stades, à un niveau 6+ ou une génération 2.0. On pousse à l’économie du stade à extrême. Nous passons d’abord par des places abordables à 10€, jusqu’à des prestations d’ultra-luxe. Auparavant, il y avait soit le grand public, soit les entreprises. Aujourd’hui, nous observons une grande diversité d’hospitalités ». Cette marchandisation poussée à l’extrême des stades dérange les amoureux du football populaire.

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La critique d’un peuple des loges

Face à cette augmentation des offres d’hospitalité et des places VIP, les plus fervents supporters critiquent ce tournant dans les stades. Pierre Rondeau, économiste du sport, et Richard Bouigue, adjoint socialiste à la mairie du 12e arrondissement de Paris, se sont intéressés à ce sujet il y a quelques années dans leur ouvrage Le foot va-t-il exploser ?. Les deux hommes parlent de l’émergence d’une nouvelle catégorie de spectateurs, le « peuple des loges », soit les personnes influentes qui occupent des loges VIP ou des sièges spéciaux dans les stades. Ce phénomène se développe dans le sport, mais surtout dans le football européen. Ces personnes peuvent inclure des dirigeants d’entreprises, des politiciens, des célébrités et d’autres individus influents qui ont un accès privilégié aux matchs.

Habituellement, ces hommes contribuent à une forme de gentrification du football, évinçant progressivement les classes populaires des stades. L’enceinte sportive, de plus en plus luxueuse, n’est plus simplement réduite à son rôle premier d’offrir un spectacle. Le stade n’est plus qu’un simple lieu de divertissement, il est devenu un lieu de négociation. Les entreprises peuvent y inviter leurs employés, ainsi que leurs clients les plus fidèles et de futurs collaborateurs. Comme le rapportent des employés des loges du Parc des Princes, il n’est pas rare que ces espaces d’hospitalité soient le théâtre de pourparlers financiers. Tout comme à l’époque des Romains dans les amphithéâtres ou dans le Paris du XIXe siècle à l’intérieur de ses théâtres et opéras, le stade est également devenu un lieu de représentation pour les élites. Un endroit pour voir et être vu, dans des écrins désormais de plus en plus luxueux.

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