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Nîmes : le récit de la lente et douloureuse agonie d’un historique français

Par Jordan Pardon - Chemssdine Belgacem
13 min.
Nîmes @Maxppp

Encore en Ligue 1 il y a deux ans et demi, le Nîmes Olympique est aujourd’hui cisaillé par une crise institutionnelle, qui conduit inévitablement à une crise de résultats sans précédent. Et la défaite cinglante 6-0 face à Versailles, vendredi dernier, en National 1, ne risque pas d’arranger les choses.

De la grande aventure au grand vide, il n’y a parfois qu’un pas. Encore en Ligue 1 il y a deux ans et demi, le Nîmes Olympique poursuit aujourd’hui sa dégringolade dans la pyramide du football français. Car si le temps nous a montré que l’ascenseur social existait bien dans ce sport, il a également confirmé qu’il pouvait parfois tomber en panne. Deuxième de Ligue 2 en 2018, neuvième dans l’élite l’année suivante avec un maintien décroché dès la 31e journée, le club gardois s’attelle aujourd’hui à jouer sa survie dans le championnat de National 1. Une conjoncture en total décalage avec le passif d’un emblématique comme Nîmes, l’un des plus grands clubs français à ne jamais avoir été champion de première division (ndlr : le club a terminé quatre fois à la 2e place). Selon Modrek, supporter influent du NO, qui a aujourd’hui décidé de couper tout lien avec son club de coeur, cette situation n’est que le résultat d’une gestion chaotique et itinérante depuis plusieurs saisons.

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«Aujourd’hui, je fais comme si le Nîmes Olympique n’existait plus. Je me suis détaché de tout ça, je suis juste écœuré de la gestion du club depuis des années. Oui, nous étions encore en Ligue 1 il y a deux ans, mais les résultats, c’était juste l’arbre qui cachait la forêt. La situation d’aujourd’hui, c’est juste la résultante de choix catastrophiques et d’une mauvaise gestion.» La mauvaise gestion en question, c’est celle de Rani Assaf, actionnaire majoritaire du club depuis 2016. Car depuis des mois à Nîmes, les situations surréalistes s’enchaînent, et on arrive toujours à faire plus délirant que la veille. Après l’épisode de septembre dont s’était fait l’écho Objectif Gard, quand plusieurs joueurs du groupe avaient dû dormir dans leur propre voiture lors d’un déplacement à Avranches, tandis qu’un membre du staff avait lui été hébergé par un local, faute d’avoir un hôtel, le nouveau cri du coeur de l’entraîneur Frédéric Bompard a fait réagir sur les réseaux sociaux. En conférence de presse il y a dix jours, l’ancien adjoint de Rudi Garcia avait expliqué être privé d’eau chaude et de chauffage depuis deux semaines dans ses vestiaires.

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Un avion sans pilote

Arrivé au club en 2014 pour succéder à Jean-Louis Gazeau, parti suite à l’affaire des matches présumés qui aura entraîné la condamnation de Jean-Marc Conrad et Serge Kasparian, et occasionné un retrait de 8 points au NO l’année suivante, Rani Assaf est aujourd’hui en pénurie d’idées alors qu’il était considéré comme le sauveur. Et dire que son nom ne coïncide plus avec les honneurs régionaux serait un euphémisme pour dire qu’il est devenu paria auprès de ses propres supporters, lesquels dénoncent un absentéisme permanent de sa part. «Assaf n’est jamais là, ni aux entraînements, ni aux bureaux. Les joueurs le voient deux ou trois fois par an. Cette saison, il n’est pas venu une seule fois au stade, peut-être trois fois l’année dernière. Il préfère faire des Netflix et suivre les matches sur son téléphone», déplore Modrek.

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Ce que nous confirme dans une certaine mesure Féthi Harek, joueur emblématique du club et ancien capitaine en L1. «Il n’est jamais là, il n’y aucune présence de sa part mais il veut tout décider et ça rend les choses difficiles. Quand j’étais au club (2014-2019), on savait déjà que ce serait compliqué. On tenait le vestiaire mais on a dû faire des grèves contre le président sans que cela se sache. Parfois il fallait attendre huit mois pour un simple accord ou signer un papier car il n’était pas disponible.» Un ancien entraîneur du club, lui, se veut plus prudent mais confirme toutefois une façon de communiquer propre à lui : «Mon expérience à Nîmes s’est relativement bien passée, j’avais des rapports cordiaux avec Assaf mais il a une manière de communiquer qui lui appartient et qui n’est parfois pas évidente à gérer. Il campe sur ses positions et ne changera jamais. Ce que je regrette, c’est surtout la forme de mon départ. Sa présence ? Il n’était pas là au quotidien mais cela ne me dérangeait pas car il était représenté par le directeur sportif Reda Hammache. Un président n’a pas besoin d’être là tous les jours. »

Des décisions unilatérales à l’encontre du club

Faire acte de présence au quotidien n’est pas une nécessité en qualité de président. Mais travailler de concert avec sa direction au moment de prendre des décisions l’est probablement. C’est d’ailleurs ce qui est souvent reproché à Rani Assaf en interne. Son ancien capitaine Fethi Harek se remémore notamment son choix de supprimer l’agrément du centre de formation en 2021. Une décision non sans conséquences puisqu’elle permet encore à ce jour aux jeunes de quitter le club librement en cas de sollicitation. D’ailleurs, la réserve nîmoise végète aujourd’hui en Régional 1. «Le fait qu’un club professionnel comme Nîmes, où ont éclot des des (Renaud) Ripart, (Mathieu) Michel, (Gauthier) Gallon, (Théo) Valls, (Sofiane) Alakouch, retire son centre de formation, je ne l’ai pas compris. Et je n’ai pas compris comment les instances comme l’UNFP ne sont pas montées au créneau. Il a pris des décisions qui ne permettent pas au club d’avancer et estimait que le centre ne lui apportait rien. » D’après un rapport de la FFF publié en 2021, année de la perte de l’agrément, Nîmes était pourtant le troisième club français à faire le plus confiance à ses joueurs formés au club, devant Saint-Étienne et Rennes. Aujourd’hui, les exemples de jeunes Crocos s’envolant vers d’autres horizons abondent. Dernier exemple en date : la signature du premier contrat professionnel d’Islamdine Halifa à l’OL en août dernier.

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Dans d’autres proportions, la nécessité de passer par Rani Assaf, pour tout et n’importe quoi, fait également grincer des dents en interne. «Tout est chapeauté par Assaf. Le kiné par exemple, doit toujours avoir sa validation pour une dépense, que ce soit pour des pommades ou même du strap. Un jour, il avait validé d’urgence une commande à 3000 euros parce qu’Assaf, comme d’habitude, ne répondait pas. Lorsqu’il a vu le débit, il a refusé de payer et a obligé le kiné de régler. Les joueurs ont été mis au fait et se sont cotisés pour payer à sa place», nous indique une source proche du club. Même son de cloche dans le recrutement où plusieurs transferts sont tombés à l’eau par ses choix, à commencer par celui de Zinedine Ferhat à Strasbourg en 2020 : «On sortait de période Covid. Il fallait vendre Ferhat sinon il partait libre l’année suivante. Bien avant le mercato, Assaf en voulait 2,5 millions d’euros. Strasbourg débarque avec une offre de 3 millions. Gourmand, il en demande alors 3,5. Strasbourg souhaite couper la poire en deux, mais convaincu que le Racing va céder, il reste fixé sur son prix. Ils ne sont jamais revenus et Ferhat est parti libre.» Dans une moindre mesure, son choix unilatéral de changer de logo en 2017 (il a depuis été modifié avec la consultation des supporters) peine à se faire digérer. «C’était un logo de merde. Une catastrophe», se remémore un ancien joueur important du club.

Mais ce n’est pas à cause d’une poignée de mauvaises herbes que le jardin est défraîchi. Une source proche du club nous dépeint une incompétence itinérante et encombrante au cœur du club : «Si Assaf est forcément le responsable numéro 1, il y a eu de l’incompétence à tous les étages. Il a nommé Jérôme Arpinon entraîneur en 2020 alors qu’il était à la base préparateur physique. Il l’a viré une fois que la prime Médiapro est arrivée pour faire des économies. Pareil pour deux des trois recruteurs et aussi un médecin du club. Il a viré le Community Manager pour mettre un alternant. En fait, il se fait conseiller, fait confiance, puis change subitement de fusil d’épaule. Il réduit tout, même les bouteilles d’eau des joueurs. Aujourd’hui, à l’entraînement, ils doivent remplir leur gourde au robinet. » Même une dépense en essence de 15€ pour une remise en forme à Marseille en 2020 fera grincer des dents l’intéressé. «Ça fait cher la remise en forme», glissera-t-il au moment de consulter ses dépenses. Contacté par nos soins, le président du NO nous a laissés sans réponse.

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Le divorce entre les supporters et les joueurs est consommé

Forcément, il est difficile de s’identifier à cette équipe dans un tel capharnaüm. En déliquescence sportive, les Crocos ne peuvent d’ailleurs plus compter sur leur public. Alors qu’ils avaient brillé sur le terrain lors de leur première saison en Ligue 1, le NO avait également conquis grâce à son public incandescent. Toujours présents aux Costières, les supporters jouaient souvent un vrai rôle dans le succès des leurs. Cette époque semble tragiquement loin. La relation entre supporters et joueurs est désormais inexistante comme le confie Modrek : «Je ne connais même pas la totalité de l’effectif. Personne ne les connaît. La relation est coupée. À l’époque, les joueurs étaient proches des supporters. Assaf a tout commandité. On a toujours été à plus de 6000 voire 7000 supporters au stade. La saison passée, on était à 800 supporters.»

Un désaveu pour l’un des publics les plus fervents de France il y a encore quelques saisons. Au-delà de l’aspect sportif, la descente en Ligue 2 a fait énormément de mal aux supporters gardois. Et la gestion de Rani Assaf n’a, encore, pas amélioré les choses. Celui qui est considéré comme l’un des créateurs de la Livebox, a débranché toute connexion entre son public et ses joueurs. «Depuis 2021, il n’acceptait plus les supporters au stade, raconte Modrek. Il a fermé la tribune populaire en entier car il ne voulait plus des ultras. Il a voulu leur faire signer une charte pour qu’ils arrêtent d’utiliser les fumigènes en 2021. Une fois, dans le nouveau stade des Antonins, les supporters avaient craqué des fumigènes. Match suivant, il a interdit tous les outils et tous les groupes de supporters. Il a mis des interdictions de stade au hasard la saison passée. Il a tout enlevé. Il a même augmenté le prix des places suite à notre descente en Ligue 2 ! Il considère sérieusement, comme lui-même le dit, que les supporters n’ont aucune influence sur l’issue d’un match.»

Et alors que le fossé est chaque jour encore plus grand et gênant, la situation ne devrait pas s’améliorer sous la houlette du businessman libanais, qui ne semble que très peu enclin à la discussion. Un comportement qui provoque forcément l’ire des supporters nîmois et qui cristallise les tensions entre ces derniers et leurs joueurs. «les Ultras essayent de faire des actions mais il ne comprend rien, nous indique-t-on. Il aime la guerre, il aime montrer qu’il est le meilleur. Il dit que les supporters sont des cancers. Je ne peux plus mettre un euro dans un déplacement pour le NO. Je ne me reconnais plus. Je suis écœuré. Kelyan Guessoum a fait un bras d’honneur au public. La situation entre les supporters et les joueurs est perdue. Assaf a viré tous les cadres qui pouvaient parler et qui faisaient front. » Sans supporters, il est alors compliqué d’imaginer un redressement sportif dans les prochains mois.

Un avenir qui ne laisse rien présager de bon

Pour le moment, la situation sportive nîmoise est critique. Onzièmes de National, les joueurs de Frédéric Bompard ne comptent que trois petites unités d’avance sur la zone de relégation. Embourbés dans une série de quatre matches sans victoire en championnat, les Nîmois devront se battre pour le maintien avec un groupe relativement inexpérimenté. Sèchement battus sur la pelouse de Versailles vendredi dernier (0-6), les Crocos n’ont plus de mordant, et la période de digestion de la descente au troisième échelon semble bien plus longue que prévue. Il n’y a pas non plus besoin d’être égyptologue pour déchiffrer les conséquences que cela pourrait entraîner. À ce rythme là, Nîmes pourrait en effet évoluer en National 2 la saison prochaine. Une descente aux enfers qui pourrait ainsi sonner le glas de l’avenir du club tel que nous le connaissons. Pour rappel, le NO évoluait encore en Ligue 1 il y a deux ans et demi.

En s’enfonçant dans les méandres du football français, ce club emblématique préoccupe forcément beaucoup d’anciens joueurs. Fethi Harek invite d’ailleurs les joueurs actuels à se réveiller pour tenter de sauver l’institution et appelle à multiplier les doléances auprès de la direction nîmoise : «c’est triste de voir le club devenir ce qu’il est. On suit toujours. Je pense qu’à un moment, il faut que les joueurs menacent d’arrêter de s’entraîner. Les terrains d’entraînement, ce n’est plus possible d’évoluer dans ces conditions (ndlr : le terrain d’entraînement de la Bastide est propice aux inondations et donc impraticable durant la saison). Si on veut faire avancer les choses, il faut dire les problèmes ouvertement. Il faut se rebeller. Attention, je n’appelle aucunement à la violence. Lors de mon passage, nous avions déjà fait plusieurs grèves. On faisait ça pour le club. Pendant 5 ans, on s’est battus et nous avions pu évoluer dans de très bonnes conditions. Sur ce point, le club n’a pas réussi à nous remplacer.»

Et alors que le Nîmes Olympique est englué dans un cercle vicieux, les problèmes institutionnels puis sportifs phagocytent quelconque espoir d’avenir. Il s’agit d’un doux euphémisme que de dire que l’avenir nîmois est loin d’être radieux. Selon les informations qui nous sont parvenues, le président Assaf ambitionnerait de vendre le club d’ici deux ans. Pour faciliter cette vente, il souhaiterait remonter en Ligue 2 d’ici ce délai. Un dessein assez présomptueux compte tenu de la situation sportive délétère du club. En cas d’échec dans la vente, un dépôt de bilan pourrait être à l’étude selon une source proche du dossier. «Son nouveau projet de stade patine et a été annulé. À l’heure actuelle, il ne peut pas vendre le club pour 10 millions, c’est une hérésie», affirme-t-on en privé. Une chose est certaine, tout le monde est unanime pour dire qu’il est difficile d’entrevoir un avenir positif pour le Nîmes Olympique, dans ces conditions-là.

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