Le FK Bodø/Glimt, l'aurore boréale de l'année 2020

Par Aurélien Macedo - Constant Wicherek
13 min.
Les joueurs de Bodø/Glimt contre l'AC Milan @Maxppp

Pays magnifique du Grand Nord, la Norvège se distingue par ses fjords, sa faune ou bien ses aurores boréales. Mais depuis 2020, une nouvelle lumière est apparue. De jaune et de noir vêtu Bodø/Glimt impulse un nouveau souffle au football local grâce à un jeu séduisant et porté vers l'offensive. Devenu champion suite à une saison historique et maîtrisée de bout en bout, le club dirigé par Kjetil Knutsen est une véritable sensation sur laquelle nous nous sommes penchés.

En toute fin de mercato, un jeune homme est arrivé, de manière assez confidentielle du côté de l'AC Milan. Il s'agit de Jens Petter Hauge. Ce nom ne vous disait peut-être pas grand-chose, pourtant les amoureux du championnat norvégien n'avaient quasiment que ce nom-là à la bouche. En 2016, il débute sa carrière professionnelle alors qu'il n'a que 16 ans. En Eliteserien, il a inscrit cette saison 14 réalisations en 18 rencontres avant de prendre la tangente pour Milan.

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« Maintenant, je pense que, peu importe quand je pars, que ce soit maintenant ou après la saison, j'ai contribué pour que Glimt remporte le titre en championnat pour la première fois », avait-il déclaré. Car c'est bien cette histoire incroyable que nous allons vous conter aujourd'hui. Le club du FK Bodø/Glimt a remporté cette saison son premier titre de son histoire. Un véritable exploit pour un club fondé en 1916 et qui n'a jamais fait vraiment partie des cadors du football norvégien.

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De la réussite en Coupe...

Club relativement méconnu du grand public, au contraire de Rosenborg ou de Molde, il se situe dans la ville de Bodø. Particularité géographique, la ville se situe au nord du Cercle polaire. Entre le 2 juin au 10 juillet, c'est le jour polaire, si vous souhaitez voir le soleil de minuit, c'est par là qu'il faut aller. Pendant cette période, le soleil ne se couche pas.

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C'est peut-être pour ça que le club a décidé de briller. Parce que c'est dans ses gênes et son histoire. Pendant longtemps, les clubs du nord de la Norvège n'ont pas été autorisés à prendre part aux compétitions comme la Coupe de Norvège. C'est seulement après 1963 que cette possibilité a existé. Douze ans plus tard, le club de Bodø l'a remportée. Il la remportera aussi en 1993 tout en étant finaliste trois fois de plus (1977, 1996, 2003).

Pour le championnat pareil, les clubs du Nord n'ont pas été autorisés à être promus en première division avant 1972. Cela est dû à une vieille croyance locale qui veut que les clubs de Nordland, Troms et Finnmark ne pouvaient pas rivaliser avec les clubs du sud. Mjølner sera la première équipe à rejoindre l'élite norvégienne et depuis, Bodø/Glimt et Tromsø (vice-champion en 1990 et 2011) ont permis de casser les préjugés même si cela n'a pas été facile.

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... Pas vraiment en championnat jusqu'à 2020

Au niveau du championnat, les choses sont compliquées. Même s'ils seront deuxièmes à plusieurs reprises (1977, 1993, 2003, 2019), ils connaîtront l'ascenseur quasiment tout au long des années 2000. Après 13 années dans l'élite, le club termine dernier du championnat en 2005. Il remonte en 2007, mais redescend deux ans plus tard. Malgré une quatrième position en 2008. En 2013, il remonte enfin avant de toucher le fond une nouvelle fois lors de l'année 2016. Dès lors, voir Bodø/Glimt remporter le titre quatre ans après sa dernière relégation a de quoi surprendre et témoigne d'un véritable travail de fond réalisé par le club.

«Oui, c'est irréel. Ayant grandi dans le nord de la Norvège, je n'avais jamais rêvé ni espéré que cela se produise. Ils ont été très proches de le faire en 1993 derrière Rosenborg, mais depuis, ils n'ont jamais été vraiment proches de gagner le championnat malgré deux deuxièmes places. Après 2016, beaucoup de choses se sont passées. Je suppose que beaucoup de gens les ont oubliés. Mais le club a été professionnel et a fait beaucoup de nouvelles choses. Et cela a payé», nous explique Per Angell Berntsen journaliste pour la chaîne de télévision norvégienne TV2. Un changement s'opère alors avec cette descente en deuxième division et le club va prendre de très gros risques

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Une relégation qui a permis de bien rebondir

Voulant à tout prix retrouver l'élite, Bodø/Glimt va se donner les moyens de ses ambitions et même un peu plus : «les deux premières années, ils ont décidé de dépenser plus d'argent qu'ils n'en avaient. Le budget a été délibérément présenté avec des chiffres rouges. Parce que l'objectif était de revenir tout de suite dans la première division. Ils ont également décidé qu'ils voulaient faire confiance aux jeunes joueurs locaux. Ils ont conclu un accord avec des investisseurs locaux qui dépensent de l'argent pour acheter de jeunes joueurs susceptibles de ramener de l'argent au club», note Per Angell Berntsen. Si les performances n'avaient pas suivi, les conséquences auraient pu être assez terribles pour Bodø, mais finalement le risque a été payant.

Utilisant un modèle loin d'être novateur et qui s'est beaucoup démocratisé : l'achat/revente d'éléments jeunes, Bodø/Glimt a ainsi pu rapidement retrouver l'élite et avec plus de 11 millions d'euros glanés lors des 4 dernières saisons, les comptes ont ainsi pu retrouver une couleur moins criarde. Sportivement, cela a suivi avec une remontée immédiate, le club va d'abord se stabiliser (11e en 2018) avant donc de finir deuxième en 2019, soit deux ans après leur remontée. Et, cette année, le club a été tout bonnement exceptionnel. Une seule petite défaite en 30 rencontres, 3 nuls et 26 victoires. Ils terminent champions, sans contestation possible, avec 81 points et une avance de 19 points sur son plus proche poursuivant, Molde. Si l'équipe a été brillante, elle le doit aussi à son chef d'orchestre Kjetil Knutsen.

La révolution menée par Kjetil Knutsen

Tout d'abord adjoint d'Aasmund Bjørkan lorsque le club évoluait en deuxième division, Kjetil Knutsen occupe le rôle de coach principal depuis désormais trois ans. Et le club a bien évolué sous ses ordres. «Tout a changé avec Kjetil Knutsen. Tout d'abord, ils ont commencé à s'entraîner plus dur, mieux et plus efficacement. Ils ont également commencé avec un entraînement mental avancé, et l'équipe d'entraîneurs a fait un excellent travail ensemble pour amener l'équipe à un niveau supérieur. L'une des choses les plus importantes s'est produite avant la saison 2019. Les joueurs et les entraîneurs ont décidé ensemble qu'ils n'auraient pas d'objectif officiel de réussite. Ils se concentreraient uniquement sur ce qui pourrait les améliorer», observe Per Angell Berntsen.

Une vision collective qui permet à tout le monde d'avoir des responsabilités et de se sentir concerné. Nombreux étaient remplaçants ou sans expérience et sont devenus de vrais cadors du championnat norvégien. C'est ça la grande réussite de Kjetil Knutsen et Bodø/Glimt comme le rappelle Per Angell Berntsen : «des joueurs inconnus ont fait d'énormes progrès depuis le banc de Glimt et d'autres clubs pour devenir des stars. Jens Petter Hauge n'est que l'un d'entre eux. Mais je pense que le défenseur Marius Lode, Ulrik Saltnes et Patrick Berg ont été tout aussi importants pour l'équipe que les buteurs. Avant cette saison, ils ont perdu Haakon Evjen, qui était le joueur de l'année en 2019. Glimt l'a remplacé par Sondre Brunstad Fet, qui était sur le banc à Aalesund. Et il a été formidable toute la saison. Glimt fait de bons joueurs à partir de noms inconnus. »

Voulant avant tout progresser individuellement et collectivement, les joueurs de Bodø/Glimt ont créé une dynamique brillante qui permet de pousser tout le monde dans la même direction. Le coach mental de l'équipe Bjørn Mannsverk apporte lui aussi sa pierre à l'édifice. Le club dispose d'une habitude assez surprenante et qui joue bien entendu dans sa préparation : la méditation. Une méthode utilisée surtout pour la récupération et qui n'est pas encore totalement démocratisée.. «La méditation n'est pas habituelle dans les autres clubs que je connais. Et cela a été un élément très important du succès», confirme Per Angell Berntsen. Mais bien entendu, c'est le style de jeu qui fait de Bodø/Glimt l'une des équipes marquantes de l'année 2020.

Un style de jeu léché

Ce qui était frappant dans la saison de Bodø, c'est surtout la manière de jouer. Un jeu léché, toujours repartir de l'arrière. Un football festif, tactique et attrayant que n'aurait probablement pas renié Marcelo Bielsa. La comparaison peut aussi se faire avec l'Atalanta qui est aussi un club qui a longtemps fait l'ascenseur avant de tutoyer les sommets grâce à un jeu très offensif. Cela se ressent avec une cascade de buts marqués (103) mais les portiers Nikita Haikin (devenu titulaire en cours de saison) et Joshua Smits n'en ont pas encaissé beaucoup pour autant (32). Cela fait du club la meilleure attaque et la meilleure défense du championnat.

Supporters, observateurs, adversaires, tout le monde est unanime sur Bodø/Glimt. «Les gens sont surpris et abasourdis. Ils sont impressionnés par la qualité du football qu'ils jouent. Ils ont charmé beaucoup de fans de football, même des gens qui sont pour d'autres clubs ont applaudi», souligne Per Angell Berntsen. À l'instar de Liverpool la saison dernière en Premier League, cette équipe de Bodø/Glimt a tout écrasé sur son passage et vient d'écrire une très belle page du football norvégien. «Cette équipe est la plus forte de l'histoire du football norvégien. Je pense qu'ils ressemblent à Liverpool. Et l'équipe favorite de Kjetil Knutsen est… Oui, Liverpool. Et il m'a dit une fois qu'il avait l'impression qu'ils leur ressemblaient quand ils jouaient à leur meilleur niveau», s'amuse le journaliste norvégien, qui confirme un peu plus le caractère exceptionnel de ce qu'ont produit les jaunes et noirs.

Ville suédoise en Norvège, amoureuse des Danois

Comme susmentionné, Bodø/Glimt est un club plus que particulier. Pas intégrée à la Coupe de Norvège tôt, elle a surtout un lien fort avec la Suède. Détruite pendant la Seconde Guerre mondiale - où elle a été le théâtre d'une bataille aérienne remportée par les alliés en octobre 1943 : l'opération leader - la ville a été totalement reconstruite avec l'aide des Suédois notamment. Raison pour laquelle elle est surnommée « Svenskebyen », littéralement la ville suédoise. On s'était dit alors qu'avec ses liens, on retrouverait beaucoup de suédois dans cet effectif. Que nenni ! Pas de traces de compatriotes de Zlatan Ibrahimovic dans l'équipe. Si le marché suédois est quand même scruté en temps normal par Bodø/Glimt, ils sont absents de l'effectif actuel. Travaillant afin de rendre leur 4-3-3 de plus en plus performant, Superlaget (qui veut dire la super équipe) mise beaucoup sur le marché local et les jeunes afin de renforcer son académie.

L'équipe est jeune (23,3 années en moyenne) et compte 19 Norvégiens (76% de l'effectif) dont 7 qui ont été formés au club. On retrouve aussi deux Danois (8% de l'effectif) qui ont fait ses beaux jours, bien plus longs que le soleil de minuit, cette saison. Il s'agit de Philip Zinckernagel (26 ans) et de Kasper Junker (26 ans). 24 matches et 27 buts pour le premier. 28 matches et 19 réalisations pour le second. Pour le premier dont le représentant est un certain Pini Zahavi, la possibilité d'un départ est entière puisque Istanbul Basaksehir, Fenerbahçe, Trabzonspor, Heerenveen ou encore Rosenborg ont été évoqués. Mais, finalement, c'est bien vers Watford qu'il devrait se diriger afin de signer librement. Il faut dire qu'il a livré une saison XXL et a été le meilleur joueur du championnat comme le note Per Angell Berntsen : «génial. Sa saison est la plus forte de l'histoire du championnat norvégien. Aucun mot ne peut le décrire, alors je lui tire simplement mon chapeau.»

Pour son compatriote, des intérêts sont aussi venus de Turquie et de Galatasaray, mais la tendance d'un départ est moins forte. Avec Jens Petter Hauge, qui a donc rejoint l'AC Milan, mais qui a participé à l'Eliteserien (première division norvégienne), ils formaient ainsi le trio - jeune - et très offensif qui a probablement régalé ceux qui ont eu l'audace et la curiosité de se pencher sur ce club hors du commun cette année. Pour autant, il ne faut pas oublier Patrick Berg (milieu défensif) et Ulrik Saltnes (milieu relayeur), les deux leaders de l'équipe, dont l'importance est souvent occultée par l'insolente réussite des attaquants. Si ces derniers peuvent autant s'exprimer, c'est aussi grâce à eux et à leur acolyte Sondre Fet.

Un match de folie contre l'AC Milan

Grâce à sa deuxième place en championnat acquise en 2019, le FK Bodø/Glimt a pu disputer la coupe d'Europe. Débutant ainsi au premier tour préliminaire, le club norvégien a brillé en écartant tout d'abord les Lituaniens du FK Kauno Žalgiris avec une grande facilité (6-1). C'est ensuite un nouveau club lituanien qu'ils ont affronté, le FK Žalgiris Vilnius qu'ils vont battre sur le score de 3-1. C'est donc un match de prestige que disputera Bodø/Glimt le 24 septembre 2020 face à l'AC Milan. Bien que nettement inférieur sur le papier aux Lombards, les Norvégiens vont faire trembler les Rossoneri.

C'est d'ailleurs Kasper Junker qui ouvrira le score très tôt dans le match (15e). Milan va réagir grâce à un doublé de Hakan Çalhanoglu (16e et 50e) et un but de Lorenzo Colombo. Pour autant, Bodø/Glimt ne déposera pas les armes et Jens Petter Hauge ira de son but (55e). Si cela ne suffit pas et que les jaunes-et-noirs s'inclinent 3-2, ce match offrira à Jens Petter Hauge un transfert vers le club italien. Évoluant pour le moment en tant que joker de luxe, l'ailier a montré de belles choses en Europa League avec 3 buts en 5 matches et devrait prendre en importance au fil de la saison.

Cette réussite ne surprend pas du tout Per Angell Berntsen : «Jens Petter est un grand talent. Après s'être amélioré au cours des deux dernières années, il est passé mentalement d'un talent à un homme adulte. Sa tête et sa mentalité sont fortes. Et ses compétences sont excellentes. Il sera donc un succès à coup sûr.» Celui qui est désormais international norvégien est l'un des principaux ambassadeurs de la réussite de Bodø/Glimt. Quoiqu'il arrive, il a marqué avec ses compagnons l'histoire d'un club, d'une ville, d'une région et du football norvégien.

À jamais dans la postérité

Plus beau champion du football norvégien, Bodø/Glimt n'aura pas le temps de souffler puisqu'il faut déjà penser à la saison 2021. Si des départs sont à prévoir, le club devrait néanmoins être l'un des candidats au titre avec Rosenborg et Molde. Comptant sur un bon centre de formation, ils devraient quand même garder plusieurs cadres et ne devraient pas s'écrouler tout de suite. C'est le fruit du travail entrepris depuis la dernière relégation du club et qui a permis de galvaniser tout un peuple, toute une région.

Car oui, Bodø/Glimt est le club le plus au nord de la D1 Norvégienne et se dresse en digne représentant d'une partie du monde assez anonyme. «Il faut comprendre l'appartenance culturelle et l'importance de Bodø/Glimt en tant que club pour tous les habitants du nord du cercle polaire. Nous sommes une sorte d'esprits «séparés» dans le Nord. Et ce titre pour Glimt nous a rendus pleins de fierté et de joie», explique Per Angell Berntsen.

«Il est difficile de trouver les mots pour le décrire, mais c'est la chose la plus importante qui s'est produite dans le nord de la Norvège depuis que nous avons expulsé les Allemands de nos terres en 1945», poursuit-il. Les émotions et le bonheur qu'a procuré Bodø/Glimt à ses supporters et à ceux qui auront regardé les jaunes-et-noirs confirment par ailleurs le renouveau du football norvégien. Entre l'explosion d'Erling Braut Håland, la confirmation de Martin Ødegaard et l'épopée des hommes de Kjetil Knutsen, l'année 2020 a été faste pour la Norvège.

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