La situation surréaliste du football camerounais

Par Hanif Ben Berkane
6 min.
Samuel Eto'o @Maxppp

Ce mardi soir, la FECAFOOT a annoncé la suspension de son sélectionneur Marc Brys qui n’a même pas participé à un seul match. Mais cette décision, qui illustre la guerre folle entre le gouvernement et l’instance du football camerounais, ne devrait pas avoir de suite…

C’est une histoire surréaliste qui se déroule actuellement dans le football camerounais. Et les derniers rebondissements jettent un flou encore plus total sur l’avenir de ce géant du continent africain. Pour comprendre la situation actuelle, il faut remonter à l’après-CAN 2023. Après une nouvelle prestation décevante des Lions Indomptables, Samuel Eto’o, président de la FECAFOOT (fédération camerounaise de football) décide de limoger son sélectionneur Rigobert Song. Un choix logique et qui caractérise aussi l’échec d’Eto’o puisqu’il avait été son choix à son arrivée à la tête de la fédération en 2021. À ce moment-là, l’État camerounais ne cache pas aussi sa déception quant au triste bilan de l’équipe nationale depuis quelque temps.

La suite après cette publicité

Il fallait donc nommer un nouveau sélectionneur pour diriger la formation camerounaise. Et c’est là que les histoires commencent. Au Cameroun, l’État, par l’intermédiaire de son Ministère des Sports, estime avoir un droit de regard sur le choix du futur sélectionneur puisqu’il le rémunère. Généralement, les deux institutions travaillent ensemble et valident donc le choix ensemble. Mais pas cette fois. La FECAFOOT, après plusieurs mois de réflexion, propose une liste de trois sélectionneurs pour le Cameroun au gouvernement. Dans cette liste, on retrouve Hervé Renard, Fabio Cannavaro et José Peseiro. Mais à la surprise générale, l’État annonce avoir nommé le coach Marc Brys à la tête de la sélection camerounaise et publie un communiqué pour officialiser tout ça.

À lire Cameroun : le communiqué de Samuel Eto’o

Une guerre ouverte entre Samuel Eto’o et le gouvernement

Un véritable coup de théâtre puisque le coach belge n’était même pas dans la short-list de la FECAFOOT et n’a surtout pas été validé par cette dernière, qui apprend donc sa nomination en même temps que tout le monde. De quoi fortement déplaire à Samuel Eto’o qui s’empresse de répondre avec un premier communiqué cinglant, s’en prenant donc à son propre gouvernement. « La Fédération Camerounaise de Football a appris, au même moment que l’ensemble des Camerounais, la nomination à des postes de responsabilité au sein de la Sélection Nationale Seniors de football masculin. La Fecafoot marque son grand étonnement face à cet acte qui s’oppose aux termes du Décret N°2014/384 du 26 Juillet 2014 portant organisation et fonctionnement des sélections nationales de football », pouvait-on lire. Mais ce communiqué n’a pas changé grand-chose puisque dans la foulée, c’est le Ministère des Sports qui a répondu et violemment recadré Samuel Eto’o.

La suite après cette publicité

«Le ministère des Sports et de l’Education physique a déjà, pris toutes les dispositions utiles et nécessaires pour l’entrée en fonction du nouvel entraîneur-sélectionneur, M. Marc Brys, et des autres membres de l’encadrement technique. Ce choix était conforme à l’article 9 de la Convention Minsep-Fecafoot stipulant que les membres des structures d’encadrement des sélections nationales de football sont recrutés soit sur la base d’un contrat signé avec le président de la Fédération camerounaise de football, après avis obligatoire du ministre chargé des Sports, soit sur la base d’une mise à disposition de l’Etat» expliquait ainsi le Ministère avant d’expliquer clairement son choix. «Les trois candidatures soumises par vos soins (ndlr : Hervé Renard, Fabio Cannavaro et José Peseiro) présentaient chacune des prétentions salariales exorbitantes, variant d’environ 1 milliard (1.500.000 euros) à 1,6 milliard de FCFA (2.500.000 euros) de rémunération (hors primes diverses) par an, soit respectivement en moyenne de 82 millions FCFA à 132 millions FCFA par mois. Ce qui représente des montants excessifs. (…) Au regard de l’imminence des éliminatoires de la Coupe du Monde 2026 : nous vous tenons informé que le ministère des Sports a d’ores et déjà pris toutes les dispositions utiles et nécessaires, adéquates et appropriées […] pour l’entrée en fonction du nouvel entraineur-sélectionneur.»

La FECAFOOT impose un staff, en vain

Une situation ubuesque donc qui pouvait laisser entrevoir le pire pour la suite, surtout que la FIFA est très attentive aux cas d’ingérence politique dans le football. Ces dernières années, elle n’avait pas hésité à sanctionner plusieurs nations africaines lorsque l’État prenait trop de places au sein de la fédération. Forcément, pour le cas de Marc Brys, la FECAFOOT n’a pas voulu se laisser faire et a plusieurs fois tenté de s’opposer à son arrivée. Au début du mois de mai, la FECAFOOT, dans un communiqué, expliquait ainsi que la FIFA avait interpellé la fédération concernant «les mécanismes de désignation de l’encadrement du staff technique et administratif de l’équipe A.» Pourtant, le coach belge a tout de même débarqué au Cameroun il y a plusieurs semaines et commencé à travailler comme si de rien n’était. Impuissant devant l’insistance de Paul Biya et du gouvernement, Samuel Eto’o a fini par céder.

La suite après cette publicité

Le 8 mai, la FECAFOOT, dans un nouveau communiqué, validait officiellement le choix de Marc Brys à la tête du Cameroun. Mais elle décidait de nommer un autre staff technique à la place de celui imposé par le gouvernement. Une tentative manquée puisque le gouvernement a rapidement réagi à cette décision. «Le chef de l’État n’a donné aucune directive au ministre [des Sports] visant à accepter une éventuelle modification de la composition du staff technique de la sélection nationale, nommé le 2 avril dernier avec son plein accord. Ce réaménagement ne sera jamais pris en compte par le gouvernement». Dans le même temps, convoqué par la FECAFOOT pour une réunion de travail, Marc Brys avait séché cette réunion et avait surtout dévoilé, sans aucun accord de la fédération, sa pré-liste pour le prochain rassemblement du mois de juin.

La FECAFOOT ne lâche rien

Un comportement que n’a pas du tout apprécié l’instance du football camerounais, qui a décidé de publier un nouveau communiqué. Cette fois en direction de Marc Brys. «Par mail du 10 mai 2024 à 18h39, vous nous avez transmis une correspondance datée du 9 mai contenant la liste des 31 joueurs sélectionnés pour les matches de juin. Nous relevons curieusement que cette transmission a été faite 3 heures après la publication par vos soins de la liste. (…) Vous avez procédé à la publication de la liste en lieu et place de la FECAFOOT. (…) Vous n’avez pas permis à la FECAFOOT d’organiser, comme à l’accoutumé, une cérémonie officielle. Nous vous avons convoqué à une réunion de travail que vous avez expressément refusé d’honorer. Or le même jour, vous avez tenu une conférence de presse à Yaoundé», pouvait-on notamment lire alors que la Chambre de conciliation et d’arbitrage du Comité national olympique et sportif du Cameroun étudiait la question du staff imposé par Samuel Eto’o.

La suite après cette publicité

Et cette dernière a donné raison au gouvernement camerounais. Elle a ordonné la « suspension immédiate des effets de la résolution N°1 de la session du comité d’urgence de la Fédération camerounaise de football du 08 mai 2024 relative à la nomination des membres de la structure d’encadrement de la sélection nationale masculine A du Cameroun, les Lions Indomptables ». En gros, le staff nommé par la Fécafoot et son président, Samuel Eto’o, n’est pas reconnu et ne peut donc officier. Une nouvelle défaite pour Samuel Eto’o, de plus en plus isolé, qui a été celle de trop. Pour tenter le tout pour le tout dans ce dossier, la FECAFOOT a décidé dans un communiqué de suspendre le staff technique nommé par le ministère des Sports et le sélectionneur Marc Brys. Une décision pour la forme puisque le gouvernement ne devrait pas tarder à réagir et aller contre cette décision. La dernière solution pour la FECAFOOT sera donc d’avertir la FIFA qui, pour ingérence politique, mettra en place un comité de normalisation. Mais le Ministère des sports semble déjà préparé à ça…

La suite après cette publicité

Fil info

La suite après cette publicité