Willy Sagnol : «je pense que l’Euro marquera la fin d’un cycle pour moi en Géorgie»

Par Jordan Pardon - Chemssdine Belgacem
24 min.
Willy Sagnol en conférence de presse @Maxppp

Nommé à la tête de la sélection géorgienne en 2021, Willy Sagnol a vu le temps lui donner raison. Aujourd’hui, l’ancien international français peut conduire pour la première fois de son histoire la Géorgie à un tournoi majeur. Une belle façon de clôturer son cycle dans le Caucase.

C’est depuis Tbilissi, à trois jours de récupérer une partie de son groupe pour le dernier rassemblement de l’année, que Willy Sagnol nous a donnés rendez-vous pour un appel téléphonique. Une heure d’échange avec forcément, en point d’orgue, la perspective d’une qualification historique de la Géorgie à l’Euro l’été prochain. Pour cela, il faudra passer par la voie des Nations au mois de mars, et un Final Four en compagnie de la Grèce, du Luxembourg et du Kazakhstan (dans l’hypothèse où ces 3 nations ne validaient pas leur ticket via les éliminatoires).

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Détendu, c’est l’état d’esprit adopté par Willy Sagnol, qui se dit déjà «fier» de pouvoir offrir le droit à ce petit pays de 3 millions d’habitants de rêver, alors que son contrat expirera dans un an. Son quotidien de sélectionneur, l’Euro, l’importance de Carlo Ancelotti dans son développement, ses ambitions, son regard sur le football français… L’ancien latéral droit de l’équipe de France s’est livré à coeur ouvert et n’a slalomé entre aucune question au cours de cet entretien exclusif avec Foot Mercato.

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Foot Mercato : Cela fait maintenant deux ans que vous êtes à la tête de la sélection géorgienne. Un choix qui vous a donné raison avec le temps mais qui pouvait paraître étonnant au départ. Comment en devient-on à se retrouver ici quand on est Willy Sagnol ?

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Willy Sagnol : Alors, il faut se remettre dans le contexte. Les premiers contacts remontent à l’automne 2020 en pleine période COVID. Pour des raisons familiales, il avait fallu que je me mette en retrait de ma vie d’entraîneur pendant 2 ou 3 ans. Quand je suis revenu sur le marché, j’ai écouté les projets qui arrivaient à moi et j’ai senti quelque chose avec les dirigeants géorgiens. Le président (Levan Kobiashvili) et le vice-président (Alexander Iashvili) de la fédération sont d’anciens joueurs de Bundesliga qui ont évolué à mon époque. Leur discours m’a plu et l’idée de construire quelque chose pour l’avenir m’a parlé de suite. C’est de cette façon que j’ai atterri dans un pays que je ne connaissais pas du tout.

Foot Mercato : Aviez-vous eu à cette période d’autres propositions susceptibles de vous intéresser ?

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Willy Sagnol : Oui, régulièrement, depuis plusieurs années même. J’ai parfois reçu des appels pour des sélections africaines ou asiatiques, mais ça n’entrait pas forcément dans mes projets immédiats. J’ai souvent marché à l’affect et j’ai eu un feeling différent avec la Géorgie. J’ai senti que c’était ici que je devais venir pour évoluer et prendre de l’expérience, surtout dans un contexte différent. J’étais dans une période où j’avais besoin de repartir sur quelque chose de neuf. Ils étaient dans une période où ils avaient besoin de quelqu’un d’expérimenté pour tirer ces jeunes vers le haut.

Foot Mercato : Vous aviez également déclaré à L’Équipe « être arrivé au constat de vouloir revenir aux sources, ­de retrouver un environnement sans hypermédiatisation où l’argent polluait pas mal de choses ». Avez-vous été dégoûté du football à un moment donné ?

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Willy Sagnol : Hm (réfléchis), non, pas dégoûté parce que le football je l’aime. C’est l’environnement du foot qui est différent aujourd’hui. Forcément, c’est aussi une question de génération. Lorsque j’étais joueur, certaines choses devaient exaspérer les anciens, c’est l’évolution de la vie.

Foot Mercato : Et qu’est-ce qui vous exaspère, vous, dans le football d’aujourd’hui ?

Willy Sagnol : Je suis persuadé que le football ne prend pas la bonne direction pour des raisons idéologiques et de business. Mais a-t-on le choix de ne pas prendre ce chemin ? Je ne sais pas, ce n’est pas à moi de juger cela. Le football a changé, il faut l’accepter parce que ce n’est pas moi qui vais changer cette situation.

Foot Mercato : Vous dirigez un groupe relativement jeune aujourd’hui avec la Géorgie, mais vous n’en êtes pas à votre coup d’essai. Vous aviez auparavant été à la tête des Espoirs de l’équipe de France (2013-2014). Est-ce que travailler avec des jeunes, c’est aussi une façon de retrouver une sorte de "pureté" ?

Willy Sagnol : Avec les jeunes, on a forcément l’impression de pouvoir les faire progresser, ce qui est la chose la plus importante. On veut les préparer et leur donner les meilleures armes pour avoir la meilleure carrière possible. Puis avec eux, on voit les effets de ce qu’on fait assez rapidement sur leur évolution. C’est extrêmement motivant pour un entraineur ou un sélectionneur de voir le développement positif d’un joueur.

Foot Mercato : Il y a aussi une sorte de satisfaction lorsque l’on se sait à l’origine d’une belle trajectoire ?

Willy Sagnol : Je pense qu’il ne faut pas en tirer une quelconque satisfaction personnelle, mais plutôt professionnelle. Parce que si on commence à en tirer une satisfaction personnelle, on en tirera une tristesse personnelle lorsque ça ne marchera pas. Faire le yoyo au niveau des émotions, ce n’est pas forcément bon.

«Les quelques mois que j’ai passés avec Carlo Ancelotti, au Bayern, ont valu toutes les formations et les expériences du monde»

Foot Mercato : Est-ce que votre passage comme adjoint d’Ancelotti au Bayern Munich en 2017, même s’il a été relativement court (il a également dirigé un match en qualité d’intérimaire), vous a apporté de nouvelles choses dans votre façon de coacher ?

Willy Sagnol : Les gens autour de moi savent que les quelques mois que j’ai passés avec Carlo Ancelotti, au Bayern, ont valu toutes les formations et les expériences du monde. Il m’a complètement ouvert ses portes sur sa façon de travailler, d’être, de faire. Oui ça m’a beaucoup changé, et en bien. Surtout au niveau de mon approche même du métier d’entraîneur.

Foot Mercato : En quoi ?

Willy Sagnol : Carlo (Ancelotti) avait toujours une phrase que j’ai en tête presque au quotidien. Il me disait sans cesse 'garde ton énergie sur les choses que tu peux changer. Sur le reste, n’en dépense même pas 1%.' Car quand vous êtes dans des clubs de niveau inférieur, - je grossis le trait -, mais vous allez presque devoir tondre la pelouse. Il m’a beaucoup aidé sur l’idée de mettre ses compétences au service de ce qu’on est en mesure de changer. Et après, forcément, le fait de l’avoir côtoyé au quotidien, de travailler avec les joueurs, d’être sur le terrain, ça m’a influencé.

Foot Mercato : Le fait d’avoir choisi de diriger une sélection, était-ce donc une façon de souffler, dans le sens où le calendrier reste forcément moins chargé ?

Willy Sagnol : C’est vrai qu’entraîneur et sélectionneur, ce sont deux postes complètement différents. Mais ce n’était pas forcément une volonté de ma part, c’est juste que ce projet est tombé à ce moment-là. Je me souviens de Christophe Galtier qui parlait de "machine à laver qui tourne en continu" en club. En sélection, on a moins de matches et la pression au quotidien est différente. Tout est décuplé lorsque la sélection se réunit car tout arrive au même moment. En club vous lissez votre énergie sur des périodes.

Foot Mercato : Y’a-t-il une journée type de Willy Sagnol en Géorgie ?

Willy Sagnol : Non, pas vraiment, dans le sens où lorsque je suis en Géorgie, je prépare des matches qui vont arriver deux ou trois semaines après. C’est plus un travail global. Je passe beaucoup de temps avec les gens de la fédération et dans la voiture pour aller voir des matches, notamment à Batoumi (le Dinamo est le plus gros club du pays avec le Dinamo Tbilissi). En France, on met peut-être une minute pour faire un kilomètre, ici, on en met beaucoup plus.

«Ici, ils comptent chaque euro, donc même un billet d’avion, en plus ou en moins, va peser dans les finances»

Foot Mercato : Avez-vous une équipe qui vous accompagne lorsque vous allez voir des matches ?

Willy Sagnol : Une équipe, non, car les moyens ne sont pas ceux de la FFF. Ici, ils comptent chaque euro, donc même un billet d’avion, en plus ou en moins, va peser dans les finances. On n’est pas nombreux donc il faut essayer d’optimiser chaque ressource. La vidéo par exemple, quand vous êtes sélectionneur, c’est précieux. Et encore plus quand vous êtes celui de la Géorgie (rires). Car sans vidéo, on est vite en difficultés.

Foot Mercato : C’était votre volonté dès le départ de vous installer ici au quotidien ?

Willy Sagnol : Oui, en arrivant, j’avais dit à mon staff qu’on avait besoin de comprendre la culture et la façon de penser des gens pour réussir. Je me disais que ça allait forcément nous aider à gagner du temps, à nous permettre d’éviter l’échec en termes de communication.

Foot Mercato : Vivre en France, c’était incompatible ?

Willy Sagnol : Je pense que c’est faisable car je sais que mes prédécesseurs opéraient de la sorte. Mais j’avais envie de faire différemment, par respect aussi pour les gens de la fédération, parce que je pense qu’en me faisant venir ici, ils m’ont aussi offert la possibilité de réaliser un projet sportif. Je dirais que c’était une volonté de ma part d’être plus présent que mes prédécesseurs.

Foot Mercato : C’est peut-être aussi l’un des ingrédients de votre réussite ?

Willy Sagnol : Je pense que oui, car ça m’a permis de comprendre des choses, d’être beaucoup plus réactif lorsqu’il y a eu des problématiques. Je sais que ça a été extrêmement apprécié par le public géorgien, qui s’est dit 'enfin, on a un sélectionneur désireux d’être là, de nous aider à créer quelque chose’. C’est ce qui a aussi contribué à générer une sorte d’engouement autour de l’équipe nationale, même s’il y a parfois des hauts et des bas. Mais de toute façon, quand vous êtes la Géorgie, vous êtes conscient que vous allez aussi être dans la difficulté, parce que vos adversaires sont souvent intrinsèquement au dessus de vous.

Foot Mercato : Pourtant, ce qui était encore inimaginable il y a 5 ans, l’est aujourd’hui avec une possible qualification à l’Euro 2024. En barrages de la Ligue des Nations, vous affronterez - normalement - en mars prochain la Grèce, le Luxembourg ou le Kazakhstan dans un Final Four. Est-ce qu’aujourd’hui, ce serait un échec de ne pas se qualifier après tout ce que vous avez apporté à cette sélection ? Ou alors au contraire, voyez-vous ça comme du bonus d’offrir le droit de rêver à un petit pays de 3 millions d’habitants ?

Willy Sagnol : Je dirais qu’une qualification ne serait pas une réussite, et qu’une non-qualification ne serait pas un échec. Je ne veux pas faire le Suisse dans ma façon d’être (rires), mais il ne faut pas que le travail se résume à cela. Il peut tellement se passer de choses sur un match. La réussite de mon travail réside dans le fait d’avoir offert la possibilité à la Géorgie de jouer une qualification à un Euro, sur un play-off. Après, forcément, quand vous en arrivez là, vous voulez vous qualifier parce que ça fait presque trois ans que vous jouez des matches avec cet objectif là.

Foot Mercato : Surtout dans un Euro à 24 où l’on a vu des nations mineures, comme la Macédoine du Nord, se qualifier en 2021…

Willy Sagnol : C’est un petit peu l’exemple, oui. Je ne veux pas dire que la Macédoine du Nord doit être un exemple pour nous, mais c’est un exemple de petite nation qui a réussi à pointer le bout de son nez. D’ailleurs, peu de temps après leur qualification à l’Euro, nous les avions battu en match aller-retour en Ligue des Nations (3-0 à Skopje puis 2-0 à Tbilissi). C’était aussi une façon pour nous de se dire que si eux, s’étaient qualifiés, on le pouvait aussi.

Foot Mercato : Si vous en êtes en capacité, c’est aussi grâce à cette nouvelle génération florissante ?

Willy Sagnol : La dernière fois, un journaliste m’a dit : 'les résultats sont bons mais c’est aussi parce que vous avez une génération dorée’. Je lui ai demandé de me citer 5 joueurs de mon équipe, il en était incapable (rires). Forcément, on a (Khvicha) Kvaratskhelia qui a explosé aux yeux du grand public, c’est un joueur talentueux. Son éclosion ne m’a d’ailleurs pas surpris car c’était un joueur qui nous avait impressionné dès notre arrivée. Ensuite, on a le gardien de Valence, Giorgi Mamardashvili, mais sur qui les gens ne comptaient pas au départ quand il jouait en Géorgie. Il a été au bon endroit, au bon moment, et a énormément travaillé. Mais hormis ces deux joueurs là, on a du mal à avoir des têtes d’affiche. On a (Georges) Mikautadze qui a très bien tourné en L2 à Metz, mais qui depuis le début de saison, ne joue pas, donc c’est extrêmement compliqué. Le reste de nos joueurs évolue à des niveaux différents.

Foot Mercato : Justement, lors de votre dernier match contre Chypre au mois d’octobre (la Géorgie s’est imposée 4-0), un seul joueur du championnat local était titulaire dans votre équipe. Y’a-t-il un trop gros écart entre le niveau du championnat et les ambitions de la sélection ?

Willy Sagnol : Vous touchez un point très sensible. Le championnat local, je l’ai déjà dit ici en Géorgie donc je n’en fais pas de mystère, n’est pas celui qu’il devrait être en termes de niveau. C’est un frein à une progression plus rapide de l’équipe nationale.

Foot Mercato : Où le situeriez-vous par rapport aux championnats français ?

Willy Sagnol : Je dirais que les deux meilleures équipes, le Dinamo Tbilissi et le Dinamo Batoumi, pourraient peut-être évoluer en bas de tableau de L2. Mais sinon, c’est plus du niveau de National voire de National 2 pour certains, donc on est très loin. Quand vous jouez contre d’autres sélections et que vous additionnez le nombre de matches de Ligue des Champions de vos adversaires, vous arrivez parfois à 400 ou 500, alors que vous, vous en totalisez 4. Il faut souvent attendre que les joueurs quittent le pays pour qu’il y ait une compatibilité avec le haut-niveau. Mais c’est en même temps une façon de mettre en valeur nos résultats parce qu’on part de loin et on arrive à exister. C’est le plus important car le foot c’est se donner la peine de rêver, de faire rêver les gens, les supporters…

Foot Mercato : Vous avez incorporé plusieurs jeunes qui étaient membres de l’équipe espoir quart de finaliste à l’Euro l’été dernier (la Géorgie a été éliminée aux tirs au but par Israël). C’est quand même la meilleure équipe que vous ayez eue jusqu’à maintenant, non ?

Willy Sagnol : Je dirais que quand je suis arrivé, j’avais une équipe plus âgée en termes de moyenne d’âge. Il y avait un besoin de rajeunir l’effectif. Après ce n’est pas toujours un plaisir de faire sortir un ancien, même si on fait aussi ça par nécessité. Mais prendre des jeunes, ça engage aussi des risques. C’est moins d’expérience, moins de maturité, donc vous allez parfois être sur de bonnes dynamiques, d’autres moins bonnes. C’est un risque à prendre et qu’on a voulu prendre en choisissant un projet plus moyen-terme que court-terme. On a deux ou trois joueurs qui sont identifiés comme nos locomotives techniques, mais derrière, j’aimerais parfois que ça suive un petit peu plus vite. Donc c’est compliqué de parler de génération dorée mais les gens, aujourd’hui, parlent beaucoup sans trop savoir et ça me dérange un peu. Quelque part, parler de génération dorée, c’est mettre une pression qui n’est pas nécessaire. On sait qui on est, à quel niveau on est et on sait qu’on est encore très très loin d’être une nation importante.

Foot Mercato : Avec ce que vous observez au quotidien, voyez-vous quand même un joueur capable de tirer son épingle du jeu comme Khvicha Kvaratskhelia ? Et quel est votre regard sur ses performances en sélection ?

Willy Sagnol : Non, pas actuellement, je ne vois personne capable d’avoir une trajectoire comme la sienne. Quand Kvara est avec la sélection, je suis persuadé que la possibilité de gagner un match avec son pays est plus forte que de gagner un match avec Naples. Les joueurs vivent pour leur sélection nationale ici. En termes de superficie, de population, la Géorgie est un tout petit pays, mais qui a, historiquement, été traversé par les Mongoles, les Ottomans, et qui a fait partie de l’Union Soviétique. C’est un pays qui a beaucoup souffert et aujourd’hui, il y a une vraie fierté de porter ce maillot. C’est bien plus prégnant qu’en France, en Allemagne ou en Angleterre. Il y a une forme de sentiment d’appartenance.

Foot Mercato : Et à l’extérieur, vous ressentez un regard plus attentif des observateurs autour de la sélection ?

Willy Sagnol : Je dirais que les excellents résultats depuis deux ans ont amené beaucoup de clubs à venir tourner en Géorgie. L’envol de Kvara et de Mamardashvili ont aussi joué parce que les scouts viennent chercher la nouvelle pépite, mais jusqu’à maintenant, ils n’ont pas trouvé grand chose. On se dit qu’il y a un nouveau vivier qui s’est déclaré ici, mais comme je l’ai dit, on est loin de la génération dorée. Je dirais qu’on est sur une phase de construction, et c’est la seule chose qui m’importe. Je suis ni agent de joueur, ni promoteur d’un club ou d’un pays, je suis simplement sélectionneur.

Foot Mercato : On va également parler de votre série d’invincibilité de 11 matches entre octobre 2021 et septembre 2022 avec des victoires de prestige contre la Suède ou la Bosnie. Vous écrivez l’une des plus belles pages de l’histoire de la Géorgie…

Willy Sagnol : Peut-être que la Géorgie écrit l’une des plus belles pages depuis la création de sa fédération, mais ce n’est pas moi qui écrit ou qui ai le stylo (rires). Moi, je suis simplement un technicien que la Géorgie est venue chercher et j’essaye de faire mon travail. Actuellement, j’ai l’impression de bien le faire et ça me rend plein de fierté car on préfère se coucher avec satisfaction. Mais il ne faut pas que ça soit mon histoire. C’est celle du pays car c’est le pays qui vibre derrière la sélection. Le succès doit être rendu à qui de droit.

«Oui, je pense que l’Euro marquera la fin d’un cycle pour moi en Géorgie»

Foot Mercato : Une qualification à l’Euro agrémenterait forcément l’histoire. Est-ce que ce serait aussi une façon de clôturer votre cycle à la tête de cette sélection, d’autant que votre contrat court jusqu’en décembre 2024 ?

Willy Sagnol : Oui, je pense. Pour travailler parfois dans des conditions pas toujours faciles, avec moins de moyens et de ressources, il faut une motivation quotidienne. Et peut-être que continuer après une défaite lors des play-offs, ou au contraire après une qualification historique, peut s’avérer compliqué. Car il faut beaucoup d’énergie, de motivation, et tout simplement parce qu’à un moment donné, il faudra quelqu’un d’autre avec une façon de faire différente pour redonner un coup de fouet. C’est l’histoire du foot. On n’est pas indispensable.

Foot Mercato : Vous avez donc déjà réfléchi à l’avenir ?

Willy Sagnol : Le gros avantage lorsque ça se passe bien professionnellement, c’est que j’ai de nombreux projets qui me sont soumis. C’est sûr qu’il y en a beaucoup plus maintenant qu’il y a trois ou quatre ans. Mais ça donnera la possibilité de me dire que je vais partir sur un projet différent. Après je ne sais pas si ce sera en club, en sélection, ni même dans quel pays ou sur quel continent.

Foot Mercato : Vous avez récemment été sollicité par des clubs français ?

Willy Sagnol : Oui, il y a régulièrement des contacts avec des clubs français. Je vous rassure, le PSG ne m‘a jamais appelé (rires). Mais des contacts, il y en a toujours. Après, je n’ai pas envie de penser à ça car ça voudrait dire qu’intellectuellement, je serais en train de me projeter sur autre chose, et je n’en ai pas envie. J’ai vraiment besoin de toute mon énergie pour atteindre mes buts ici.

Foot Mercato : Vous gardez quand même un bon souvenir de votre seule expérience en France, à Bordeaux ?

Willy Sagnol : Mon expérience à Bordeaux s’est terminée avant la fin de saison (en 2016). On a tendance à parler d’échec car oui, en soit, quelqu’un a été appelé pour faire mieux que vous. Mais j’aime regarder mon histoire bordelaise. On s’est qualifié pour la Coupe d’Europe et on a marqué 63 points (en 2014-2015). Depuis le titre de 2009 avec Laurent Blanc, il n’y avait jamais eu une saison avec autant de points et un tel classement (Bordeaux avait terminé à la 6e place). J’ai envie de dire que la première saison - pas la deuxième car elle n’a pas été bonne et moi non plus -, a été plus qu’un succès. On a été au-dessus de ce qu’on pensait pouvoir faire. Mais les gens regardent souvent que la fin. Carlo (Ancelotti) m’a beaucoup aidé à appréhender cet aspect. Aujourd’hui, tout le monde s’accordera à dire qu’il est l’un des plus grands entraîneurs du monde, et il n’y aucun débat là-dessus. Pourtant il m’a dit : 'je me suis fait virer dans beaucoup de clubs et ce n’est pas pour ça qu’il y a que des échecs. C’est juste qu’à un moment donné, il fallait quelqu’un d’autre à telle place. Il ne faut pas s’arrêter à analyser une situation au dernier jour.'

Foot Mercato : Vous avez quand même aussi des réussites sur votre CV…

Willy Sagnol : Depuis le début de ma carrière de technicien en 2013, que ce soit avec les Espoirs, où on était invaincu, Bordeaux, où la première saison a été excellente, et aujourd’hui avec la Géorgie, je peux toujours améliorer certaines choses. Mais j’ai aussi beaucoup de réussites, oui.

Foot Mercato : Des réussites qui vous offrent aussi le droit d’avoir des exigences pour vos prochains projets. Jouer l’Europe avec un club par exemple, ça peut être une condition ?

Willy Sagnol : Non, pas forcément. Je dirais que les bonnes choses que j’ai pu faire depuis une dizaine d’années, et notamment ce que je vis en Géorgie, qui reste aussi une vraie aventure humaine, c’est très fort. Et pour être honnête, ça ne me déplairait pas de refaire la même chose dans un autre pays, peut-être même du même niveau que la Géorgie où il faudra beaucoup construire et repartir sur quelque chose de moyen terme. Ç'a aussi été une réflexion personnelle pendant le COVID lorsque beaucoup de personnes réfléchissaient à ce qu’elles voulaient faire dans la vie. Moi, ça m’a fait voir les choses un peu différemment. Ce que je veux aujourd’hui, c’est prendre beaucoup de plaisir dans ce que je fais, et ça peut donc être dans un club comme une sélection.

Foot Mercato : Vous ne faites pas du niveau une condition sine qua non, donc ?

Willy Sagnol : J’ai quand même besoin d’avoir un groupe d’un certain niveau pour pouvoir faire des choses parce que je n’ai pas non plus envie de diriger l’école de foot (rires). Mais je ne fais pas du très haut niveau une obsession à terme. Déjà parce qu’il y a beaucoup de supers entraîneurs pétris de qualité dans le monde et que le marché est super concurrentiel. Quand vous êtes Pep Guardiola, vous pouvez avoir des exigences. Quand vous êtes Sagnol, vous en avez beaucoup moins.

Foot Mercato : Des historiques français redescendus en Ligue 2 comme Saint-Étienne, ça pourrait vous intéresser ?

Willy Sagnol : Je ne sais pas, on va dire que l’ASSE c’est différent. Je suis né là-bas, j’ai joué là-bas, j’y ai fait toutes mes classes de jeunes, c’est autre chose. C’est plus le côté émotionnel et le cœur qui parleraient. Mais le cœur n’est jamais très bon conseiller dans le foot, il vaut mieux choisir avec sa tête que son cœur, même si je ne m’interdis rien.

Foot Mercato : Je vous parlais d’historiques descendus en Ligue 2, quel est votre regard justement sur la situation que traverse Bordeaux aujourd’hui ?

Willy Sagnol : Ça m’embête. Ma famille habite Bordeaux depuis 2014, j’ai mes enfants qui sont des supporters inconditionnels du club. Chaque année, je paye deux abonnements pour mes deux garçons et le mien, même si je suis invité. Mais voir ce qui se passe, ça m’attriste parce que c’est un club qui compte en France. Le problème aussi, plus largement, c’est qu’on voit depuis 5/10 ans des grosses structures acheter des clubs et aujourd’hui, je dirais que si on ne vous juge pas en termes de milliards, c’est difficile d’exister. Aujourd’hui, on voit l’écart entre le TOP 5 en France et le reste.

Foot Mercato : Dans ce top 5 dont vous faites référence, il y a justement l’AS Monaco, un club où vous avez évolué pendant 3 saisons (1997-2000). Êtes-vous surpris par ce qu’a mis en place Adi Hütter depuis son arrivée ?

Willy Sagnol : Ces dernières années, je trouvais que Monaco parlait beaucoup de l’aspect athlétique, même dans leur communication où les acteurs évoquaient souvent le fait d’être l’équipe qui courrait le plus en Europe. Mais dans les résultats ça ne suivait pas forcément, donc quelque chose clochait. Mais par contre, je ne suis pas surpris de ce que fait Adi Hütter depuis son arrivée. Je le connaissais déjà aux Young Boys de Berne et à Francfort et j’aime beaucoup ce qu’il fait.

Foot Mercato : En Allemagne, ça se passe également bien pour l’un de vos anciens clubs : le Bayern Munich, où Mathys Tel performe depuis le début de saison. Quel est votre regard sur lui ?

Willy Sagnol : Il ne débute pas beaucoup de matches, même s’il joue un peu plus récemment. C’est encore un joueur très jeune mais il y a une vraie belle évolution. Dans ce genre de situation, il faut rester patient, surtout que je pense qu’il a un énorme potentiel. Ce que je vois me fait dire qu’il est sur la bonne voie, et j’aimerais beaucoup qu’il s’impose parce que le Bayern, c’est le cœur, mais aussi parce que Mathys est un joueur français. J’aimerais qu’il perpétue l’héritage des joueurs français qui s’y sont épanouis.

«Qu’il joue dans les années 1980 ou 1960, Mbappé aurait percé exactement de la même façon»

Foot Mercato : Vous avez souvent répété que vous n’étiez pas forcément programmé pour le très haut niveau plus jeune. Comment jugez-vous cette éclosion de talents à l’image de Mathys Tel ou de Warren Zaïre-Emery ?

Willy Sagnol : Je pense que c’est une question de génération. Quand vous avez aujourd’hui 12 ou 13 ans et que vous êtes bons, vous pouvez déjà regarder le foot comme un moyen de réussite sociale, d’accomplissement personnel, et aussi comme un moyen de gagner énormément d’argent. Vous travaillez peut-être différemment, les clubs aussi d’ailleurs. Le football a juste évolué. Il y a trente ans, quand j’étais tout jeune, le foot représentait qu’un sport. On ne parlait pas d’ascension sociale, de grosses sommes d’argent… Les éclosions étaient beaucoup plus tardives car tout était fait plus tard. Mais Kylian Mbappé, qu’il joue dans les années 2020, 1980 ou 1960, aurait percé exactement de la même façon. Parce que comme Zidane, Henry ou Platini, des joueurs comme ça, ça arrive une fois par décennie.

Foot Mercato : Avec tous ces joueurs, la France est-elle votre favorite à l’Euro ? Vous n’avez pas le droit de citer la Géorgie…

Willy Sagnol : Alors si je ne peux pas citer la Géorgie, je vais avoir du mal (rires). Non, plus sérieusement, je ne veux pas faire le chauvin mais aujourd’hui aucun autre pays au monde n’a autant de potentiel que les Français. Il y a d’autres pays avec des joueurs de très grande qualité, mais en France, on a 3 ou 4 très bons joueurs pour chaque poste, ce que personne d’autre n’a. Et même si on parle beaucoup des performances des clubs français en Europe, je tiens féliciter tous les formateurs, que ce soit en pro ou amateur. Ils font un travail extraordinaire et on insiste jamais là-dessus. Si Kylian Mbappé devient Kylian Mbappé, c’est aussi parce qu’il a eu les bons formateurs, et c’est ces gens là qu’il faut mettre en avant.

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