FIFA : pourquoi la nouvelle Coupe du Monde des Clubs et la Coupe du Monde à 48 sont une chance
Alors que la Coupe du Monde des Clubs, dans sa nouvelle formule à 32 équipes, débute ce dimanche, et que la Coupe du Monde 2026 se jouera pour la première fois à 48 sélections nationales, les critiques pleuvent. Pourtant, derrière ces évolutions se cache une transformation bien plus profonde : une reconfiguration de l’ordre mondial du football, à l’image du monde multipolaire qui se dessine. Ces élargissements ne sont ni un caprice commercial, ni une simple opération cosmétique, mais une véritable refondation du football mondial.

Le 11 juin 2025, l’Ouzbékistan et la Jordanie ont validé leur qualification historique pour la Coupe du Monde 2026, imités par la Nouvelle-Zélande dans la zone Océanie. Dans le même temps, des nations comme les Émirats arabes unis, l’Irak, l’Oman, la Palestine ou encore l’Indonésie poursuivent leur rêve mondial, dans un paysage footballistique en pleine recomposition. L’élargissement de la Coupe du Monde à 48 équipes, souvent décrié en Europe et en Amérique du Sud, commence pourtant à produire ses premiers effets concrets : des régions entières accèdent enfin à la scène globale, longtemps monopolisée par les grandes puissances traditionnelles. Cette transformation ne se limite pas à la seule compétition des sélections nationales : dès demain, la nouvelle Coupe du Monde des Clubs, portée à 32 participants, s’ouvrira sur le sol américain. Pour la première fois, des clubs africains, asiatiques, sud-américains, océaniens ou nord-américains auront l’opportunité d’exister sur un pied d’égalité, même symbolique, avec les mastodontes européens.
Ces deux compétitions, bien qu’indépendantes, participent d’un même mouvement : la redéfinition d’un ordre mondial du football plus représentatif, plus ouvert, plus en phase avec la réalité d’un sport devenu véritablement universel. Derrière les chiffres des deux tournois mondiaux — 48 nations, 32 clubs, 211 fédérations, 6 confédérations —, ce sont des enjeux sociaux, culturels, géopolitiques et économiques majeurs qui se jouent. Chaque nouvelle nation qualifiée, chaque club émergent qui s’invite dans la cour des grands, témoigne d’un football qui n’est plus un centre entouré de périphéries, mais un archipel global où les lignes de force se déplacent. Cette évolution est loin d’être une simple réforme de calendrier ou de format : elle marque le passage vers une mondialisation assumée, parfois contestée, mais de plus en plus incontournable du football moderne.
Un football mondial à l’image d’un monde multipolaire
La Coupe du Monde à 48 reflète un monde en pleine mutation. La domination traditionnelle des puissances occidentales – sur le plan politique, économique et sportif – est progressivement remise en question par une mondialisation plus horizontale. Voir l’Ouzbékistan et la Jordanie se qualifier, c’est assister à l’affirmation symbolique de régions longtemps marginalisées dans les grands récits du football. La refonte des Coupes du Monde répond à un impératif géopolitique : le football ne peut plus rester centré sur l’axe Europe-Amérique du Sud, alors que l’Asie, l’Afrique et le Pacifique émergent à tous les niveaux. Une Coupe du Monde à 48 et une Coupe du Monde des Clubs à 32 traduisent une volonté de représenter une planète plus diverse, où les dynamiques du football évoluent hors des traditionnelles capitales du jeu. Le football devient un levier d’affirmation nationale, de soft power, d’image globale. Quand l’Ouzbékistan et la Jordanie accèdent à la Coupe du Monde, ou quand Al Ahly, Auckland City, le Wydad Casablanca ou Ulsan Hyundai participent à un tournoi mondial des clubs, ce sont des régions entières qui trouvent une visibilité nouvelle, dans un monde où l’influence se mesure aussi sur le terrain de sport. Le football n’est plus l’apanage de l’Europe et de l’Amérique du Sud. Il devient véritablement planétaire. Cela correspond aussi à une logique géopolitique où les pays émergents veulent se projeter sur la scène internationale à travers le sport.
Comme la Chine investit massivement dans les JO, l’Asie centrale, le Moyen-Orient, l’Afrique ou même certaines nations du Pacifique voient dans la Coupe du Monde un outil de soft power, un moyen de peser dans l’imaginaire collectif global. Refuser cette ouverture, c’est rester dans une logique implicite : celle d’un football réservé aux élites historiques. Pour les nations dites « du second cercle » comme pour les clubs hors des grands championnats européens, ces nouveaux formats sont une porte d’entrée vers l’élite. Participer à une Coupe du Monde ou à une Coupe du Monde des clubs, c’est structurer une fédération, attirer des sponsors, professionnaliser les staffs, crédibiliser les projets. Cela agit comme un accélérateur de développement. Côté clubs, les retombées sont immédiates : un club africain ou asiatique qui participe à la Coupe du Monde des Clubs va augmenter sa visibilité, renforcer son attractivité pour les joueurs, déclencher des droits TV à l’international. Côté nations, l’expérience du haut niveau stimule les jeunes générations, ouvre la porte à des carrières à l’étranger et renforce la compétitivité locale à long terme.
Un enrichissement narratif et émotionnel
Ces deux compétitions élargies sont aussi des laboratoires de diplomatie douce. Là où les institutions politiques échouent, le football tisse des liens. Lorsqu’un club égyptien, un club sud-coréen ou un club japonais joue contre un géant européen ou américain, cela crée des ponts culturels inattendus. De même, une sélection du Proche-Orient ou d’Asie centrale qui affronte l’Angleterre ou la France, c’est un moment symbolique, pacifique, de reconnaissance et de respect. Ce sont aussi des opportunités de valoriser des identités collectives souvent méconnues. La diaspora marocaine en Europe l’a démontré lors de la Coupe du Monde 2022. Demain, ce sera peut-être la diaspora indienne, vietnamienne ou malgache qui vibrera derrière ses couleurs. Le football crée du récit, de l’attachement, de la fierté. Ces nouveaux formats sont une scène d’expression internationale unique. Ce qui fait la beauté du football, ce ne sont pas uniquement les vainqueurs, mais les histoires inattendues, les outsiders qui bouleversent la hiérarchie. L’Islande, le Maroc, la Corée du Sud, mais aussi les clubs comme Al Alhy ou l’Espérance Tunis ont offert des moments légendaires. En multipliant les participants, on multiplie les chances de surprise, de conte de fée, de moments d’émotion brute. Chaque nouveau participant apporte son propre football, sa culture de jeu, ses couleurs, ses hymnes, ses chants, ses légendes. Une Coupe du Monde des Clubs à 32 permet au supporter mexicain de découvrir un club sud-coréen, au fan brésilien de s’attacher à un club saoudien. On enrichit l’imaginaire du football mondial, on le rend plus vivant, plus pluriel, plus humain. Ce qui fait la magie du football n’a jamais été réduit à un palmarès. Ce sont les récits qui restent. Les larmes d’un gardien inconnu qui qualifie son pays pour la première fois, la liesse d’un peuple qui voit son drapeau flotter dans un stade mondial, les chants improvisés dans les rues de Djeddah, d’Amman ou de Tashkent, les danses d’un petit club africain qui tient tête à une légende européenne.
En élargissant les Coupes du Monde, on élargit l’éventail des émotions collectives, des récits improbables qui deviennent légendaires, des héros anonymes qui émergent du néant médiatique pour écrire leur moment d’éternité. Le football n’a jamais été aussi puissant que lorsqu’il renverse l’ordre établi, fait vibrer des millions derrière un outsider, fait naître l’inattendu dans l’arène des puissants. Ce n’est pas l’uniformité qui crée l’intensité, mais l’inattendu, la diversité des styles, des histoires, des drames vécus et surmontés. Une Coupe du Monde avec l’Ouzbékistan, la Palestine ou l’Indonésie, c’est l’irruption d’un imaginaire neuf, c’est la langue, la musique, la passion d’un autre bout du monde qui entrent dans nos écrans. C’est une leçon d’humilité pour les grandes nations et une source d’identification immense pour les diasporas. C’est une petite fille à Mascate ou à Bagdad qui regarde son pays affronter les champions du monde et se dit : moi aussi, un jour. C’est un supporter en Cisjordanie ou dans les montagnes tadjikes qui se sent existant, reconnu, représenté. Chaque match devient un miroir d’identités, une histoire qui dépasse les 90 minutes. Dans la nouvelle Coupe du Monde des Clubs, c’est aussi l’histoire d’un club néo-zélandais qui croise le chemin du Bayern, d’un géant asiatique qui peut faire douter un grand d’Europe, d’un football local qui n’a jamais été vu à cette échelle. Ces émotions sont plus fortes que les calculs de coefficient UEFA. Elles sont brutes, vraies, populaires. Ce sont elles qui nourrissent la passion mondiale du jeu. En ouvrant les portes à plus d’histoires, plus de visages, plus de drapeaux, le football ne s’affaiblit pas : il s’enrichit, il devient plus humain, plus vivant, plus profondément universel.
Une manne économique et structurelle pour les footballs émergents
Il y a 211 fédérations membres de la FIFA, et des centaines de clubs professionnels répartis sur tous les continents. Il était absurde de continuer avec des formats conçus pour un football des années 1980 ou 1990, alors que le sport est devenu un phénomène global. Les Coupes du Monde réformées ne sont pas une inflation : ce sont une adaptation logique au monde tel qu’il est. Dans les deux cas – nations et clubs – les formats anciens étaient devenus étroits, élitistes, inéquitables. En élargissant, on respecte mieux les proportions géographiques, les dynamiques démographiques, la réalité de la pratique footballistique. Le football est désormais un bien commun mondial. Il était temps que ses plus grandes compétitions le reflètent. Sportivement, il est faux de croire que plus d’équipes signifie automatiquement baisse de niveau. L’élargissement de l’Euro, de la CAN ou de la Coupe d’Asie a prouvé le contraire : les petites équipes progressent quand elles affrontent les grandes. C’est en jouant contre le haut niveau qu’on l’atteint. Cette vérité vaut pour les nations comme pour les clubs. Un club africain ou asiatique qui affronte Manchester City ou le Real Madrid en compétition officielle revient transformé. De même, une nation comme la Jordanie ou l’Ouzbékistan, qui participe à la Coupe du Monde, acquiert une expérience irremplaçable, qui profite à toute sa filière football. À terme, cela réduit les écarts, renforce la concurrence, et rend le football mondial plus ouvert et plus imprévisible. La redistribution des richesses est un autre pilier. Les nouvelles Coupes du Monde génèrent plus de droits télévisés, de revenus commerciaux et de partenariats. Cela permet à la FIFA d’investir davantage dans les fédérations membres, notamment les plus fragiles.
En augmentant le nombre de participants, on donne accès à des ressources qui peuvent transformer radicalement l’écosystème local. Pour des clubs d’Amérique latine, des Caraïbes ou d’Afrique, ces revenus sont essentiels pour survivre face aux géants européens. Pour des nations émergentes, ce sont des années de budget public injectées en quelques semaines. Stades, infrastructures, formation, visibilité : la puissance de transformation économique du football mondial s’étend enfin à l’échelle planétaire. La Coupe du Monde à 48 équipes et la Coupe du Monde des Clubs à 32 ne sont pas des réformes gadgets. Elles sont les symptômes d’un monde en bascule, où les lignes bougent, les équilibres se réinventent, et où le football n’est plus le privilège de quelques puissances historiques. Elles sont un choix d’ouverture, de redistribution, de pluralisme, dans un sport qui n’a jamais été aussi global. Plutôt que de les craindre, il faut y voir une opportunité unique : celle de construire un football mondial plus juste, plus passionnant, plus divers. À condition, bien sûr, que l’enjeu reste le jeu. Et que derrière les formats, les enjeux sportifs, culturels et sociaux restent au cœur du projet. La mondialisation du football ne fait que commencer. Autant qu’elle soit inclusive et ambitieuse. Ce que les conservateurs considèrent comme une "dilution", c’est en réalité une refondation du contrat social du football mondial. Le sport le plus universel doit refléter la diversité humaine qu’il incarne. Une Coupe du Monde à 48 n’est pas une menace, mais une promesse : celle d’un monde plus ouvert, plus juste, plus riche dans ses identités et ses récits. Et s’il faut en passer par quelques matchs déséquilibrés, quelques nations méconnues, c’est un prix raisonnable à payer pour construire un football véritablement mondial.