L'évolution du gardien de but @Maxppp

L'évolution du gardien de but

Par ThomasCvrK - 04/06/2021 - 18:17

Le football a énormément évolué depuis sa création, si bien que le football moderne est un sport totalement différent de celui d’antan. Tous les postes ont changé et notamment celui de gardien de but. D’abord totalement séparé du reste de l’équipe, le gardien s’est petit à petit intégré au collectif au point même de devenir le 11ème joueur de champ de certaines grandes équipes.

Dans l’Histoire du football, les gardiens ont souvent attiré la lumière au point de voir des matchs être résumés à leurs duels avec les numéros 9 les plus prolifiques. Les portiers sont les héros des grandes soirées où ils privent les attaquants de buts mais aussi ceux qui sont blâmés à la moindre erreur. Ce poste est si particulier que l’on a longtemps pu croire que les gardiens pratiquaient un sport dans le sport tant tout ce qu’ils faisaient différait des actions des joueurs de champ.

Que ce soit dans la cour de récréation ou en club de football, les gardiens étaient catégorisés dès le plus jeune âge et défendaient souvent les cages en fonction de leurs caractéristiques physiques ou de leur niveau balle au pied. Même au niveau professionnel, les premières générations de gardiens présentaient ces caractéristiques communes. Seulement, le jeu dans son ensemble a grandement évolué et les besoins du gardien aussi. Ainsi, sous l’impulsion de quelques avant-gardistes et d’entraîneurs adeptes du football total, les gardiens se sont petit à petit pleinement fondus dans le collectif avec l’apparition de nouveaux profils.

Dernier rempart… et puis c’est tout

À l’origine du football et sur les premiers règlements en vigueur, le poste de gardien n’existe même pas. Ce n’est qu’en 1871 que le gardien se distingue officiellement des autres postes en devenant l’unique joueur à pouvoir attraper ou repousser le ballon avec ses mains. Avant que la révolution n’ait lieu, le poste de gardien était importantissime, certes, mais il était surtout totalement à part. On pouvait presque dire qu’une équipe était composée de 10 joueurs et d’un gardien plutôt que de onze joueurs. Et pour cause, les gardiens ne font rien comme les autres, ils s’entraînent à part, n’ont pas le même équipement que les joueurs de champ et ont surtout le droit de prendre le ballon à la main.

Pendant longtemps, ils pratiquent un sport bien différent, à tel point que depuis 1886, il s’agit du seul poste où la moindre spécialisation est évoquée par l’IFAB, qui est l'instance qui détermine et fait évoluer les règles du jeu. Aujourd’hui encore, quand on parle de composition d’équipe, il est très rare que le gardien soit mentionné, on parle de 4-3-3, de 3-5-2 ou encore de 4-4-2 mais très rarement de 1-4-3-3 ou de 1-3-4-3 par exemple. « On se sent toujours différent quand on est gardien. Déjà, basiquement, c’est le seul poste où on peut prendre le ballon à la main. Aujourd’hui, on tend à rapprocher le gardien du « vrai joueur de foot », il est moins solitaire et de plus en plus proche de ses partenaires », indiquait Stéphane Porato, l'ancien gardien de l'OM à nos confrères de Onze Mondial.

Les derniers remparts sont d’abord assez limités et ne défendent que leur but. « Le gardien de but doit se placer au centre du but qu’il est appelé à défendre, toujours prêt à repousser le ballon si celui-ci menaçait son but, il doit savoir conserver son sang froid, et ne jamais quitter son but d’autant qu’il a le champ libre pour le dégager », expliquaient N.G. Tunmer et Eugène Fraysse dans le livre Football Association paru en 1897. Ce petit espace à défendre laisse place à des profils de gardien forts et rugueux, comme ceux qui étaient envoyés aux cages par défaut dans la cour de récréation.

Ainsi, les derniers remparts sont souvent extrêmement costauds à l’origine du jeu et pour cause, ils sont souvent amenés à jouer des duels avec les attaquants où ils n’y vont pas de main morte. Ces duels ont d’ailleurs marqué l’histoire du poste avec des accidents gravissimes. En 1931, le jeune gardien du Celtic Glasgow perd la vie en percutant le genou de l’attaquant des Glasgow Rangers Sam English. En 1982, c’est toute la France qui retient son souffle pour Patrick Battiston violemment percuté par le gardien Allemand Harald Schumacher en demi-finale de Coupe du monde. Plus récemment, Petr Cech a aussi marqué les esprits, en étant contraint de porter un casque durant toute sa carrière suite à une fracture du crâne après un choc avec le genou de Stephen Hunt en 2006.

Entre l’origine du jeu et le 21ème siècle, les gardiens ont évidemment bien évolué, aussi bien physiquement, que techniquement et tactiquement, mais certaines caractéristiques sont restées et notamment ces sorties spectaculaires et assez violentes que l’on voit encore régulièrement au plus haut niveau. «Il faut être fou pour être gardien », rapportait Paul Pogba dans la « PogSérie » diffusée sur Canal+ avant le Mondial 2018. Au-delà de cet aspect spectaculaire et de leur physique parfois peu affuté, les gardiens du début du siècle dernier restent donc figés devant leur but en attendant de devoir sortir l’arrêt décisif en dehors de quelques avant-gardistes qui auront laissé leur empreinte en révolutionnant leur poste sous l'impulsion de changements tactiques.

Le football total et l’avènement d’un nouveau type de gardien

Durant le 20ème siècle, l’arrivée d’un nouveau type de football entraîne la mutation du gardien. Mais avant même ces changements tactiques, quelques gardiens s’éloignaient déjà des codes de l’époque. On parle notamment de l’Allemand Heinrich Stuhlfauth qui sortait loin de sa surface pour soutenir ses coéquipiers dans les années 1920. Il est le premier d’une longue lignée de gardiens de la Mannschaft adeptent des sorties lointaines. Manuel Neuer en est aujourd’hui son digne héritier, avec quelques matchs qui s’inscrivent au panthéon des gardiens de buts, comme celui face à l’Algérie à la Coupe du monde 2014 où le portier Bavarois a touché 17 ballons hors de ses 16 mètres 50.

La démocratisation d’un football plus offensif entraîne ensuite l’arrivée de véritables références au poste de gardien. Avant le règne du football total Hollandais, il y a son ancêtre tout droit venu de Hongrie. « Nous avons, en quelque sorte, inventé l’ancêtre du football total des Néerlandais », déclarait Ferenc Puskás. Dans le fameux onze d’or hongrois du début des années 1950, Gyula Grosics se distingue du reste des meilleurs gardiens en sortant loin de ses cages pour annihiler les passes en profondeur adverses. Et pour cause, il y a de l’espace dans le dos des défenseurs hongrois puisque c’est une équipe extrêmement offensive. Qui dit style de jeu protagoniste dit aussi repartir proprement de derrière donc Gyula Grosics ne dégage pas le ballon le plus loin possible avec ses pieds comme le font les gardiens de l’époque. Il privilégie plutôt les relances propres, à la main comme au pied.

Celui que l’on surnomme la « panthère noire » en raison de sa tenue vestimentaire, devient même le premier gardien à devenir une véritable star en Europe, avant Lev Yachine, qui sera d’ailleurs surnommé de la même façon. Le Russe est connu pour être le seul et unique gardien ayant été Ballon d’or. Et pour cause, il a tout simplement révolutionné son poste. Si Gyula Grosics lui a montré la marche à suivre quelques années plus tôt, le gardien du Dynamo Moscou a définitivement fait entrer le poste de gardien dans une nouvelle ère. Gardien-libéro, c’est ce à quoi ressemblait le Ballon d’or 1963 et c'est aussi ce qui lui a fait défaut à ses débuts. « Yachine, comme tous ceux dont le style devient une révélation pour chacun, a brisé des règles et des tabous et à cause de cela, on ne le laissait pas exprimer son potentiel. Tu n'es pas au cirque, lui disait-on ! Mais son style a ouvert le potentiel tactique de notre équipe » , déclarait son premier entraîneur au Dynamo Moscou au début des années 1950, Mikhail Yakushin.

En plus d’avoir un style mobile et proactif, le portier moscovite était le maître des airs dans sa surface et a démocratisé le fait de « boxer » les centres et plus globalement de ne pas capter le ballon à tout prix sur les frappes. Quand il avait le contrôle du ballon, Lev Yachine ne perdait pas de temps et relançait immédiatement à la main pour lancer la contre-attaque avant que l’équipe adverse n’ait le temps de se replier. Il développait également son jeu au pied pour devenir le premier relanceur de son équipe et a révolutionné son poste à bien des égards.

Gianluigi Buffon avec le maillot d'entraînement de la Juventus

Lev Yachine est en quelque sorte le premier gardien moderne. Celui dont Peter Schmeichel, Oliver Kahn ou Gianluigi Buffon se sont inspirés pour boxer les ballons de plus en plus flottants et compliqués à capter. Celui à qui Manuel Neuer a emprunté les sorties lointaines ou les relances rapides à la main une fois le ballon capté pour lancer les contre-attaques. Pour rappel, le gardien allemand s’est notamment fait connaître du grand public par ses passes à la main de 40-50 mètres dans la course de ses coéquipiers à Schalke.

Après Lev Yachine, le football total venu des Pays-Bas a entraîné lui aussi l’émergence de gardiens proactifs. Dans l'Ajax de Rinus Michels qui pratiquait un football révolutionnaire, Heinz Stuy était impliqué dans toutes les actions, que ce soit sans ballon pour masquer les failles défensives du système de jeu hollandais ou avec le ballon pour justement amener le surnombre. Pour pratiquer ce type de football, pas question d'avoir un gardien qui jettait les ballons, il fallait repartir proprement de derrière. Plus tard, Johan Cruyff a hérité du football total de Rinus Michels et l'a mis en place en tant qu’entraîneur. Pour lui aussi, le gardien ne devait pas rester figé sur sa ligne, il devait participer au jeu. « Dans mon équipe, le gardien est le premier attaquant et l'attaquant le premier défenseur », déclarait-il.

Après avoir joué sous les ordres de Johan Cruyff, Pep Guardiola est aussi devenu entraîneur et a prôné lui aussi une philosophie protagoniste au FC Barcelone, demandant à Victor Valdes de ne jamais jeter le ballon sous pression, quitte à faire des erreurs offrant des buts à ses adversaires. « Il a démontré sa valeur et peut se permettre toutes les erreurs qu'il veut tellement j'ai confiance en lui », racontait Pep Guardiola alors que Victor Valdes s'attirait les foudres des médias espagnols suite à ses erreurs. Si le gardien barcelonais participait au jeu, c'était parce que c'était la volonté de son entraineur mais avant lui, au début des années 1990, de nombreux gardiens se sont mis à jouer aux pieds parce qu'ils n'avaient tout simplement plus le choix.

La règle de la passe en retrait et ses conséquences

En 1992, l’IFAB instaure la règle interdisant aux gardiens de capter le ballon suite à une passe en retrait d’un partenaire. Jusque là, certains gardiens profitaient de ces passes pour bloquer le ballon et gagner du temps. Cette règle a révolutionné le poste puisque les gardiens sont revenus en quelque sorte à l’origine du jeu lorsque leur équipe est en possession du ballon, devenant de nouveau des joueurs de champ. Tous les portiers sont devenus alors « multifonctions », incarnant à la fois le rôle de dernier défenseur et celui de premier attaquant.

Le gardien moderne est aujourd’hui parfaitement incarné par Manuel Neuer, Marc-André ter Stegen ou encore Ederson. Si le premier cité est le plus complet des trois, les gardiens du Barça et de Manchester City se sont particulièrement distingués ces dernières années pour leurs sorties lointaines et leur jeu au pied digne de certains numéros 10. En 2015 contre le Bayern Munich en demi-finale de Ligue des champions, ter Stegen a contrecarré les plans de Pep Guardiola grâce à son jeu au pied. « Guardiola a mis en place un pressing haut sur l’homme mais en laissant seul Ter Stegen. Et c’est lui qui nous a tout compliqué. Il a commencé à faire de longues passes sur Suárez et nous a obligé à changer », expliquait Xabi Alonso qui évoluait au milieu du terrain bavarois ce soir-là.

Marc-André ter Stegen

Ederson a lui totalement changé le visage du Manchester City de Pep Guardiola à son arrivée, rendant l’équipe quasiment impossible à presser grâce à son sang froid balle au pied pour ne pas jeter le ballon et relancer court. L’autre grande caractéristique du gardien brésilien vient de son superbe jeu long idéal pour contrer les pressing haut de plus en plus populaires. Adeptes du contre-pressing, les parisiens ont encaissé un but des suites d’une passe en profondeur de 60 mètres d’Ederson à destination de Zinchenko en demi-finale de Ligue des champions. En finale face à Chelsea, Sterling a failli punir le bloc-haut des hommes de Thomas Tuchel grâce à une passe millimétrée d’Ederson l'envoyant quasiment en face à face avec Edouard Mendy. Les gardiens comme Ederson et er Stegen ont les caractéristiques parfaites pour développer un jeu offensif intéressant mais aussi pour punir les équipes dites protagonistes qui pressent très haut sur le terrain.

Au niveau des sorties lointaines, les gardiens les préparent en amont en se plaçant loin de leur cage en fonction d'où se situe le ballon. « Un ou deux pas peuvent faire la différence. Il ne faut pas rester au milieu du but, mais se placer comme les défenseurs. Ce sont des détails qui font la différence dans la lecture de l’action et dans l’intervention du gardien », analysait Hugo Lloris dans un entretien accordé à France Football. Le gardien-libéro n'est plus aussi rare qu'avant et cela se ressent dans les statistiques. Selon une étude de FootballReference, les gardiens des 5 grands championnats européens se seraient en moyenne tenus à plus de 14 mètres de leur cage durant la saison 2020-2021, les portiers de Liga s'exilant même à 15 mètres.

Ederson et Ruben Dias

En plus de ces caractéristiques tactiques qui se démocratisent, les meilleurs gardiens du football moderne ont un point en commun : ils sont très grands et tournent autour du mètre 90. Gianluigi Buffon et Manuel Neuer n’ont donc pas uniquement hérité des caractéristiques techniques et tactiques de Lev Yachine, ils ont également hérité de son gabarit. Thibaut Courtois fait lui le bonheur du Real Madrid et des Diables Rouges du haut de son mètre 99. La taille, c’est ce qui fait la force du Belge selon Christophe Lollichon, ancien entraîneur des gardiens à Chelsea: « il est grand, hein. S'il avait eu cinq centimètres de moins, Thibaut ne serait pas à Chelsea », disait-il à Guy Martens, entraîneur des gardiens du KRC Genk, où est passé le grand gardien des Diables Rouges.

Pour autant, il existe quelques exceptions, comme Iker Casillas et son mètre 82, Jan Oblak et son mètre 86 ou encore Keylor Navas et son mètre 85. Ces deux derniers n’entrent d’ailleurs pas réellement dans la lignée des gardiens modernes qu’incarnent parfaitement les meilleurs gardiens allemands ou brésiliens par exemple. Les gardiens de l’Atlético de Madrid et du PSG sont surtout reconnus pour leur talent sur la ligne, capables d’arrêts réflexes dignes de Gianluigi Buffon ou San Iker. Ces portiers ne sont ni reconnus pour leurs sorties aériennes, domaine où Thibaut Courtois excelle, ni pour leur jeu au pied. Ce défaut a d’ailleurs particulièrement gêné le PSG pour sortir du pressing de Manchester City, le gardien Costaricain offrant même une balle de but aux Skyblues.

Les joueurs du PSG

Ils font pourtant partie des meilleurs portiers du monde, ce qui montre qu’avoir un style plutôt « old school » ne condamne pas nécessairement les gardiens au plus haut niveau. « Ces dernières années, on a pu constater l'émergence d'entraîneurs qui veulent à tout prix conserver le ballon, qui tiennent à repartir par le gardien quand il n'y a pas de solutions. Et si ce portier a les pieds fourchus et qu'il envoie tous les ballons en touche, ça pose problème. Mais, moi, ma réflexion, c'est que quand on joue le maintien par exemple, on a pas besoin de ce genre de gardiens là. Ce que je veux dire, c'est que ça dépend de la qualité et du profil de ton effectif », expliquait Jérémie Janot dans un entretien chez Goal.

Cette réflexion vaut également pour les grands clubs. Comme à chaque poste, le gardien doit être choisi en fonction de son profil et des intentions de jeu d'entraîneur en poste. Jan Oblak ne collerait par exemple pas au Jeu de position de Pep Guardiola à cause de ses difficultés dans le jeu court, comme Ederson collerait moins au jeu défensif de Diego Simeone à l’Atlético, étant moins fiable que le Slovène sur sa ligne. D’autant qu’en dehors de Manuel Neuer et de Marc-André ter Stegen durant ses plus belles années, bon nombre de gardiens dits modernes ne sont pas « complets » et ont donc des défauts que le jeu au pied et la lecture de jeu ne peuvent pas toujours masquer. Les gardiens de la vieille école ne sont donc pas nécessairement condamnés, même si le football tend vers des portiers capables de participer pleinement au jeu.

Jan Oblak

En somme, les gardiens ont fortement évolué depuis les origines du jeu grâce aux changements de règles, aux nouvelles approches tactiques des entraîneurs ainsi qu’à quelques avant-gardistes. L’émergence de portiers complets comme Manuel Neuer ou de gardiens aux pieds de numéros 10 comme Ederson donne de nouvelles perspectives quant à la construction du jeu, au rôle de chaque joueur ou encore à l’interprétation des espaces sur phases défensives comme offensives. Le poste de gardien n’a certainement pas fini d’évoluer alors qu’il n’a sans doute jamais été aussi important qu'aujourd'hui.

La suite après cette publicité

Fil info

La suite après cette publicité

Nos rubriques