Mory Diaw, le rebond inattendu

Par Augustin Delaporte
6 min.
Mory Diaw a nettoyé la page @Maxppp

À Paris, il a laissé cette image d'un jeune pris de vitesse par la machine à broyer des réseaux sociaux. Mais en le retrouvant à Lausanne après une partie de padel, on a découvert un jeune homme avec une maturité d'homme, un brin philosophe, qui n'en veut à rien ni personne et qui espère rendre les siens heureux en faisant ce qu'il sait faire de mieux : couvrir le moindre espace d'un but de football.

Comme son homonyme basketteur, Mory Diaw est un maître du rebond. Pourtant, bien nombreux sont ceux qui pensaient qu’après la crevaison de juin 2015, la balle ne rebondirait plus. Le colosse d’un mètre quatre-vingt-dix-sept fête alors ses 22 printemps et acte la fin de son histoire avec son club de toujours, par un tweet des plus sobres. En toile de fond, le Twittergate des jeunes du PSG qui conduit à la non-prolongation de son contrat. Le quatrième portier du PSG est passé en quelques semaines d’anonyme apprécié de tous ceux qui l’entourent, à « sujet monde » sur Twitter et persona non grata à Paris.

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Presque cinq ans après cet épisode et malgré qu'il ait refait sa vie à Lausanne, la pilule peine encore à passer : «encore aujourd’hui ça me touche quand je parle de ça, parce que j’étais bien à Paris, j’étais apprécié, on connaissait ma personnalité ... Le directeur sportif me connaissait bien et malgré ça le club a préféré se séparer de moi sans chercher à comprendre. C’est bête de payer les pots cassés d'erreurs de jeunesse. Mais peu importe, on apprend de nos erreurs et j’ai appris de ça. Je me suis relevé et aujourd’hui dieu merci ça va. C’est à ma famille que ça a fait le plus de mal, ils avaient une image de moi qui n’était pas celle qu’il y avait dans les journaux ou celle que les gens pouvaient me donner.»

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Bien que, dans son nouveau chez lui, en Suisse, cette «image» soit bien différente. En juillet dernier, le quotidien suisse 24 Heures titrait notamment «Le héros, c’est Mory Diaw». L'ancien du Camp des Loges avait alors sauvé le 1-0 en fin de partie face au FC Schaffhausen, puis enchaîné trois clean sheets pour ses trois premiers matches comme titulaire en deuxième division suisse. Le tout alors qu'il avait initialement signé 6 mois pour combler l'indisponibilité de Dany Da Silva en début de saison, avant de glisser doublure. Mais dans cette nuit de Schaffhausen le vent a bel et bien tourné. Et de manière décisive. Au point d'en faire aujourd'hui le titulaire d'une équipe qui pourrait viser l'Europe dans les années à venir.

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Racisme, jeu d'agents et népotisme

Retour en 2015, au bord du précipice. Les représentants de Mory Diaw l'exfiltrent de Paris, Chambly s'avance doucement, une personne de l'ombre intervient et fait capoter le deal : la suite passera par le petit poucet de Liga Portugal 2, le CD Mafra, à une trentaine de kilomètres de Lisbonne. La saison se passe relativement bien pour lui sur le plan individuel, hormis une lourde suspension de deux mois : «on jouait à Covilhã, on perdait 1-0, et je vais chercher une balle en sortie quand un ramasseur de balles me crache dessus. Je le regarde et il me dit : «preto de merda». Ça veut dire noir de merde. Je fais attention sans faire attention, je le touche pour prendre la balle (sans le bousculer), il tombe, il crie. L’arbitre n’a pas vu, il se retourne, il voit le petit par terre et il me met carton rouge et deux mois de suspension. J’ai essayé de m’expliquer auprès de l’arbitre mais il me disait que je mentais, que j’inventais. On était le plus petit club de la ligue, donc personne nous écoutait…»

Privé de son gardien titulaire une bonne partie de la saison, le club retrouve la troisième division un an après sa montée historique. Mory Diaw pense pouvoir évoluer plus haut et fait ses valises. Les portes se ferment. Après six mois d'inactivité, le gardien va s'entraîner avec Leeds United. Il doit signer avec les Peacocks, le président Massimo Cellino (2014-2017) le veut, mais un jeu d'agents retarde l'affaire et le club est vendu à Andrea Radrizzani. Mory Diaw atterrit en Bulgarie (Lokomotiv Plovdiv), à quelques jours près. Là-bas il enchaîne les titularisations sous la houlette de Voyn Voynov avant que ce dernier ne soit limogé quatre mois plus tard... Bruno Akrapovic débarque et ne tarde pas à confier à Mory qu'il compte installer un autre gardien, un portier «à lui» dans le onze. «Il m’a dit qu’il allait ramener un gardien à lui et que si je restais, je serai deuxième dans la hiérarchie, même si j’étais meilleur que lui. Ça n’avait pas de sens, j’ai préféré résilié mon contrat en espérant trouver quelque chose d’autre», rembobine-t-il.

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«En traînant dans le quartier tout le temps, t’es plus facile à engrainer»

Commence alors une nouvelle traversée du désert, sans football : «j’ai profité de ma famille au maximum, même si ce n’était pas facile. Ils voyaient qu’il me manquait ce que j’aime. C’était compliqué. Heureusement que j’ai de bons amis et la religion dans ma vie, sinon j’aurais pu vriller du mauvais côté. En traînant dans le quartier tout le temps, t’es plus facile à engrainer. Dieu merci, je n'ai pas flanché. Mentalement c’est dur. Pendant presque deux mois je n’ai plus touché de ballons, je ne courrais plus… Jusqu’au moment où l’on a commencé à me dire que j’avais pris du poids. J’ai décidé de me reprendre en main. Je suis allé m’entraîner avec une douzième division et je me donnais à fond comme si je jouais la Ligue des Champions. Il fallait que je perde du poids !»

Le travail finit par payer, le temps fait son œuvre et le téléphone sonne : «j’ai un club pour toi en Irlande», lui glisse un agent. «J’étais sans rien, donc j’y suis allé. J’ai fait un essai. Au bout de deux séances le club voulait me faire signer, donc on commence à négocier mais je n’étais pas à l’aise. J’y allais par défaut. C’est très différent de la France, même au niveau de la mentalité… Je n’aimais pas la ville (Waterford, ndlr). J’y allais à reculons.» Mais au même moment, le FC United Zürich (4e division suisse) entre dans la danse. Mory Diaw a une soirée pour faire son choix. Il tranche pour Zürich, qui lui propose pourtant six fois moins. La raison ? «J’arrivais dans une équipe qui avait encaissé pas loin de 60 buts (65 en 13 journées, ndlr) sur la première partie de saison, donc je savais que si j’étais performant là-bas ça allait faire parler.»

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Le coup est parfait puisque six mois plus tard le Lausanne Sport vient le chercher. Le club, propriété d'Ineos depuis 2018, est ambitieux comme en atteste la construction de son nouveau stade (Tuilière à Lausanne, ndlr). Et retrouve l'élite dans le sillage d'un Mory Diaw devenu «héros» et titulaire. D'ailleurs, la formation est invaincue en 5 matches cette saison. Pas de quoi rendre présomptueux le nouveau Mory : «les difficultés m’ont forgé une mentalité de revanchard. J’ai vécu des choses qui font que je ne peux plus moins bosser qu'un autre à l'entraînement ou être laxiste sur les détails. Il y a peu je m'entrainais seul. Je n'ai plus de temps à perdre...» Sans pour autant s'ôter toute ambition de la caboche : «la CAN (avec le Sénégal) en juin est dans un coin de ma tête. Mais je veux surtout éviter les blessures, être en bonne santé et essayer de rebondir encore et encore, jusqu’à ce que le ballon ne rebondisse plus.»

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