Entretien avec… Didier Martel : « la science infuse du recruteur n’existe pas »

Par Aurélien Léger-Moëc
9 min.
Utrecht @Maxppp

Ancien professionnel passé par le PSG, Didier Martel travaille désormais comme recruteur pour le club néerlandais d'Utrecht, celui-là même qui a révélé aux yeux de l'Europe un certain Sébastien Haller, déniché par Martel. Ce dernier sillonne la France à la recherche de futures pépites pour lesquelles le championnat néerlandais pourrait être un formidable palier. Entretien.

C’est un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître… Pour les trentenaires et plus, Didier Martel évoquera sans doute un souvenir, que ce soit pour son passage, certes furtif, au Paris Saint-Germain, où il avait été recruté par Michel Denisot en provenance de Châteauroux, ou pour son éclosion à Nîmes. La carrière de l’attaquant l’a surtout mené aux Pays-Bas (Utrecht, Vitesse Arnhem puis Helmond Sport), un pays qui l’a adopté et qu’il a retrouvé pour son après-carrière. Devenu recruteur France pour le club d’Utrecht, Didier Martel est l’homme qui a découvert et permis l’explosion de Sébastien Haller. Un succès sur lequel il peut surfer pour dénicher les joueurs passés sous le radar des clubs français. De sa reconversion à ses méthodes de travail, il nous a raconté les coulisses de son passionnant travail de l’ombre. Et comment il parvient à se faufiler habilement pour recruter des joueurs ciblés par des clubs de Ligue 1.

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Foot Mercato : après un bon parcours en France, vous avez atterri, en tant que joueur, aux Pays-Bas à Utrecht. Comment vous étiez-vous retrouvé là-bas ?

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Didier Martel : j’étais au Paris Saint-Germain et je n'y ai pas beaucoup joué, car il y avait de la concurrence. Bien sûr, je me suis régalé à l’entraînement, car j’ai pu côtoyer des superbes joueurs. Sur le temps de jeu, je me suis rattrapé aux Pays-Bas ! C’est un agent hollandais qui m'a dit qu'un club était intéressé, Utrecht. J'avais dit bon pourquoi pas. Je suis allé voir un match là-bas, l'ambiance m'a plu, le coach me voulait. Dans le stade, tout le monde est debout, ça chante, ça encourage. Les gens étaient sympas. Le pays m'a plu, je suis resté une semaine. J'ai opté pour Utrecht, et puis finalement ça s'est bien passé.

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FM : une fois les crampons raccrochés, comment êtes-vous devenu recruteur ?

DM : au début, j'avais une brasserie dans le sud de la France et puis vite le football m'a manqué. J'étais au PSG, avant l'ère qatarie, en tant que recruteur international. Utrecht m'a donné la possibilité de devenir recruteur France principal et je fais cela depuis plusieurs années maintenant. Jordy Zuidam (le directeur sportif) m'a proposé le poste et j'ai accepté. J'avais envie de me concentrer sur la France.

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FM : décrivez-nous votre travail au quotidien.

DM : au quotidien, c’est un travail avec un réseau d'agents, de recruteurs, de directeurs d'académies, de directeurs sportifs. Ensuite, c'est beaucoup de déplacements, il faut aller voir les matches, L1, L2, National, réserves de club. Après, il y a des plates-formes comme Wyscout, qui aident aussi à superviser des joueurs, à regarder leurs performances du week-end. Mais rien ne remplace le fait d'aller sur le terrain, de voir les matches en direct pour voir l'attitude générale du joueur, ses qualités de déplacement, son sens du jeu et son intelligence tactique, son influence sur ses coéquipiers. Des choses que l'on ne voit pas forcément à la TV ou sur les plateformes de scout. En général, quand je me déplace, j'essaie de faire en sorte qu’il y ait deux ou trois joueurs ciblés. Ça peut arriver que je me déplace pour un seul joueur bien sûr. Mais ça peut être aussi pour un rendez-vous avec un directeur sportif ou quelqu’un du club.

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« L'attitude générale, c'est la base »

FM : que regardez-vous prioritairement chez un joueur ?

DM : l'attitude générale, pour moi c’est la base. Sur et en dehors du terrain. J'attache une grande importance à l'attitude. On se renseigne, on prend des informations, via les gens du club, via des agents, via le réseau en général. Quand tu cibles un joueur, c'est la base. Un mauvais retour là-dessus, ça peut avoir des conséquences négatives.

FM : quel est le genre de joueur que cible Utrecht ?

DM : Utrecht est un club avec des moyens modestes. Je suis obligé de travailler en ciblant des joueurs où on peut avoir des opportunités. Je dois cibler des joueurs qui ne jouent pas trop. Et qui ont du potentiel, plutôt jeunes, entre 19 ans et 25 ans.

FM : quels sont vos arguments pour séduire le joueur ?

DM : déjà, avant de convaincre un joueur, il faut avoir l'accord du club auquel il appartient et convaincre au préalable son entourage. Travailler dans une bonne éthique est la base. Quand je propose le challenge, l'important, c’est de sentir un joueur tout de suite intéressé. Je donne les arguments, sur la qualité du championnat, du jeu. Les gros matches contre l’Ajax, le PSV, le Vitesse, l’AZ Alkmaar. Ce sont des matches scrutés par l'Europe. C’est intéressant pour des joueurs ambitieux. C’est attractif au niveau du jeu. Je mets en avant les qualités du club, Utrecht est bien structuré, familial, dispose d’un très beau stade, de bonnes structures d'entraînement. En général, les joueurs sont intéressés par la venue dans ce championnat.

« Quand j'ai découvert Sébastien Haller, je n'étais pas venu pour lui »

FM : racontez-nous l'histoire du recrutement de Sébastien Haller ?

DM : Sébastien Haller, je l'ai vu jouer avec Auxerre contre Nîmes, aux Costières, je ne venais pas pour lui. Il est rentré à dix minutes de la fin. Ça a été un peu le hasard quand je l'ai vu au final. J'ai vu tout de suite ses qualités physiques, un garçon qui conservait bien le ballon dos au but, un garçon focus pour être devant au bon moment, j'ai vu l'instinct du buteur, le potentiel technique. C’était un garçon un peu nonchalant à l'époque un peu lent, ce qu'il a amélioré. Je l'ai rencontré, j'ai vu un garçon à l’écoute, humble, professionne,l avec de très bons échos. Tout ça a fait que je l'ai ciblé. Il n'avait rien à faire en réserve. C’était un choix de l'entraîneur à l'époque.

FM : il y a un autre joueur français qui marche très bien à Utrecht, c'est Nicolas Gavory.

DM : Gavory c'était un joueur qui jouait en L2 (à Clermont, ndlr). On lui garantissait de jouer. C'était important pour lui, la garantie de jouer. J'ai mis en avant tout ce que je vous ai dit avant : l'envie du club, le fait de jouer un championnat de qualité. Je lui ai fait part de l'intérêt concret du club. Il avait des touches en L1, mais rien de concret. Nous, on s'est positionné concrètement, je le suivais depuis un moment. Il le savait. Je l'ai suivi toute la saison. Il voulait aussi une expérience à l'étranger. Et ça marche bien pour lui. Il est sur les tablettes de clubs de L1 et de deux trois clubs étrangers. On a été plus réactif que les clubs de L1 intéressés. Ça a fait la différence.

FM : le succès de Sébastien Haller vous facilite-t-il le contact avec des clubs et des joueurs en France ?

DM : déjà, j'acquiers une crédibilité au niveau du club. Pour convaincre les joueurs dans le futur, c'est toujours bien que les joueurs que j'ai repérés aient du succès. Désormais, je reçois des mails tous les jours, on me contacte pour me proposer des joueurs en France. Ce n’était pas le cas à mes débuts. Les réussites Haller, Gavory et j'espère Bahebeck (qui a été transféré définitivement après avoir été prêté par le PSG la saison précédente, ndlr) engendrent des demandes de la part de joueurs ou d'agents. Il y a une culture de la réussite du joueur français. Parce qu’on essaie de faire des joueurs de qualité, avec du potentiel, c’est la base évidemment. On est un club familial, on accueille bien les joueurs, on les met dans les meilleures conditions.

« J'avais ciblé Nicolas Pépé »

FM : votre réussite avec ces joueurs français n'est-elle pas le symbole de ce qui ne fonctionne pas dans les cellules de recrutement françaises ?

DM : non, je ne dirais pas cela. C’est un peu partout pareil, que ce soit en France ou aux Pays-Bas. Je prends l'exemple Nicolas Pépé : il y a 4 ans, je l’avais ciblé, il était inconnu. C’est un garçon qui me plaisait beaucoup. Il n’y avait pas beaucoup de gens dessus à l'époque. J'avais vraiment fait des pieds et des mains pour le faire venir. Mon club ne m'a pas suivi alors que j'avais vraiment insisté. À l'époque, on avait probablement les moyens de le faire venir, financièrement et sportivement. Le timing était bon car il était jeune et peu coté. Inutile de vous dire que cela a vite changé au vu de ses performances ces deux dernières années ! Je pense que j'aurais pu trouver un accord avec Utrecht. Le club ne m’a pas suivi sur ce coup, mais je ne lui en veux pas. Ça fait partie du job de proposer des joueurs que le club refuse. Et cela arrive partout mais la science infuse du recruteur n’existe pas. On peut parfois passer à côté de joueurs qui, par la suite, performent. Et cela pour différentes raisons. Certains gros talents ne confirment pas et d'autres moins bons explosent. Le mental a un rôle important aussi. On peut déceler le potentiel d'un joueur mais on n'est pas dans sa tête. C'est pour cela que, au départ et en amont, l'attitude général quand on cible un joueur est primordiale pour optimiser les chances de réussite. Le mental, c'est 50 % de la réussite, les autres 50% sont ses qualités générales de footballeur.

FM : quel est le champ de possibilités pour un club comme Utrecht en France ?

DM : un joueur titulaire dans le top 8 français, c’est très compliqué, voire impossible. Par contre, en 2e partie de tableau, des joueurs qui ont du potentiel, mais qui ne sont pas toujours titulaires, c’est possible. En L2, c’est possible de recruter, sauf les joueurs qui cassent tout. La L2 est un marché plus approprié au niveau financier. La L2 est d’ailleurs un marché très intéressant.

FM : votre prochain pari ?

DM : il est déjà au club. Je crois beaucoup en Jean-Christophe Bahebeck. L'année dernière, il commençait vraiment à faire parler de lui en Eredivisie. Malheureusement, il a eu une grosse blessure au tendon d'Achille, qui l'a éloigné des terrains plusieurs mois. Il travaille dur pour revenir et n'a que 25 ans. S'il est épargné par les blessures, il peut faire de belles choses en Eredivisie et pourquoi pas se relancer. Qu'il performe pour l'équipe et qu'il se relance, c'est l'objectif. Ça peut être un deal gagnant-gagnant. J'ai aussi évidemment 3-4 joueurs en France que je suis et qui m'intéressent pour le futur. Mais je ne peux pas en dire plus pour le moment !

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