Le plan du Luxembourg pour devenir une nation qui compte dans le football
Alors que le Luxembourg va recevoir les Bleus ce samedi, Foot Mercato vous invite à découvrir le football du Grand-Duché. Longtemps simple faire-valoir, les Roud Léiwen progressent grâce à un travail et une volonté politique entamés il y a maintenant une quinzaine d'années. Jeff Strasser, ancien acteur de la Ligue 1, et le journaliste du Quotidien Julien Carette nous expliquent cette évolution positive.

La France a rendez-vous avec le Luxembourg ce samedi (20h45) dans le cadre des éliminatoires pour la prochaine Coupe du Monde. Autrefois, le déplacement dans le vétuste stade Josy-Barthel n'aurait été qu'une formalité, en témoignent les larges victoires des Bleus durant les années 1950, 60 et 80 mais force est de constater qu'avec le temps, l'écart s'est réduit. D'ailleurs, les deux derniers matches se sont terminés sur le score de 2-0 en octobre 2010 et mars 2011. Il n'y a plus de petites équipes a-t-on coutume de dire et le parcours des Roud Léiwen dans la poule en atteste, malgré l'unique point glané. «Le Luxembourg, par ce qu’il a fait, mérite toute notre attention», a prévenu Deschamps face à la presse. «On s’attend à un match compliqué, un match piège» a abondé Laurent Koscielny.
Les Bleus sont méfiants et il y a de quoi. L'équipe grand-ducale est loin d'être ridicule durant ces éliminatoires. Défaite 3-1 par les Pays-Bas après avoir tenu le nul durant 58 minutes, elle a perdu de justesse face à la Suède 1-0 et 4-3 dans une fin de match folle contre la Bulgarie. La sélection des Lions Rouges a fini par accrocher un nul 1-1 sur la pelouse biélorusse. «Ce n’est plus le Luxembourg d’avant qui joue à 11 dans son camp. Elle essaye de proposer du jeu. Depuis que le sectionneur Luc Holtz est là (depuis 2010, ndlr) il y a une évolution. Les joueurs ne sont plus les mêmes non plus c’est-à-dire que la moitié voir les trois quarts de l’effectif jouent à l’étranger. Ils ne jouent plus dans le championnat luxembourgeois. Maintenant, ils ne jouent pas non plus dans des grands club, du moins pas encore, on verra bien», introduit Julien Carette, journaliste pour le journal luxembourgeois Le Quotiden.
Un virage entamé à l'aube des années 2000
Sur les 23 joueurs appelés, seulement 9 jouent encore en BGL Ligue (la D1 luxembourgeoise). Surtout, le Luxembourg est une équipe s'appuyant sur de très jeunes joueurs. Trois éléments ont plus de 30 ans dans cette liste. De quoi envisager un bel avenir. «C’est une moyenne d’âge qui très jeune. Cette équipe se construit. Il manque encore des résultats comme une performance marquante ou une série de résultats marquants qui les prendrait peut-être plus au sérieux mais il y a vraiment du mieux», nous explique Julien Carette. Cette évolution positive s'explique par une volonté politique du pays de former de jeunes joueurs talentueux. En l'an 2000, la fédération décide de construire le premier et seul centre de formation à Mondercange. Comme en France dans les clubs professionnels, il s'agit d'accueillir de jeunes joueurs qui s’entraînent quatre fois par semaine avant de retourner chez eux le week-end et de disputer des matches avec leurs clubs respectifs.
Ce chantier entamé il y a une quinzaine d'années commence à faire effet selon Jeff Strasser. «Ça porte ses fruits pour construire un pont vers le professionnalisme d’un côté et de l’autre côté, améliorer tout simplement la qualité individuelle des joueurs. Quand je me rappelle à l’époque des premiers centres de formation en France et le jour où ça a porté ses fruits, il s’est passé des années. Aujourd’hui, c’est un peu la même histoire qui est en train de s’écrire et qui continuera dans les années à venir», envoie l'ancien défenseur de Metz (1993 à 1999 puis de 2007 à 2009) et de Strasbourg (2006/2007). L'homme aux 98 sélections (un record) et 7 buts avec les Léiwen assure aussi que les résultats chez les jeunes sont bien meilleurs depuis quelques années. «On voit que dans les confrontations de jeunes des clubs professionnels limitrophes qu’ils soient allemands, français ou belges, cela tournait souvent en faveur des clubs étrangers. Aujourd’hui, elles tournent régulièrement en faveur des sélections nationales.»
La solution pour progresser : partir à l'étranger
Julien Carette rejoint l'actuel entraîneur de Fola Esch sur ce point, tout en soulignant un problème insoluble rencontré par le Grand-Duché : son faible nombre d'habitants et donc de licenciés (32 000, ndlr). «Parmi les premiers joueurs à être sorti de Mondercange, il y a Miralem Pjanic qui a choisi la Bosnie. Il y a une formation maintenant mais elle n’est pas extensible. Le Luxembourg c’est 570 000 personnes. Après une équipe comme l’Islande (environ 330 000 habitants, ndlr) qui a une population petite a prouvé qu’il y avait moyen de faire des choses.» Seule solution alors pour les joueurs luxembourgeois, partir à l'étranger. Le championnat n'étant pas professionnel, il devient difficile pour les équipes de progresser. Après être passés à Mondercange, les quelques jeunes qui souhaitent passer le cap professionnel n'ont guère d'autres choix que de s’exiler. «Le sélectionneur et la fédération poussent à ça. Les clubs ne sont pas forcément contents et c’est normal puisqu'ils veulent garder leurs joueurs mais si un joueur qui a 19 ou 20 ans, qui est international et bon, il doit partir à l’étranger, il n’y a pas d’autre choix» argumente le journaliste du Quotidien.
Le pari est risqué d'autant que le football n'est pas la priorité chez les parents luxembourgeois qui préfèrent voir leurs enfants se concentrer sur l'école et les études plutôt que de rêver en un destin compliqué à réaliser. Aussi, les acteurs de la première division sont plutôt bien payés en dépit d'un statut amateur. Un joueur comme Laurent Jans a par exemple baissé son salaire pour passer de Fola Esch à Waasland-Beveren en Jupiler League où il est devenu l'un des meilleurs latéraux du championnat. «On connaît le système de scouting international. Lors des tournois à l'étranger, il y a des contacts avec les clubs. C’est la qualité du joueur qui est importante, pas la nationalité. Avec le travail de qualité qui est fait au sein des clubs et de la fédération, il n’y a pas moins de talents au Luxembourg qu’ailleurs mais il faut franchir le palier, partir puis s’imposer dans les championnats étrangers. Aujourd’hui, il n’y a pas, malheureusement, de titulaire indiscutable dans l‘un des 5 grands championnats, comme moi ou d’autres Luxembourgeois avant moi ont pu le faire» déplore Strasser.
Le Luxembourg rêve d'un destin à l'islandaise
L'équipe nationale a tout de même des motifs d'espoir avec de jeunes joueurs qui commencent à faire leur trou mais ils sont encore trop peu à être titulaires dans leur club. Un passage obligé avant de franchir un cap dans le haut niveau. «3 joueurs sont au sein de clubs de Ligue 1 comme Christopher Martins qui s’entraîne assez régulièrement avec l‘équipe professionnelle de l’OL, Chris Philipps qui a fait des prestations intéressantes avec Metz en Ligue1. On parle de Vincent Thill aussi qui est encore très jeune, voir même trop jeune pour l’équipe nationale selon moi, mais qui semble être un très grand talent. Il y a Mario Mutsch, qui est un peu plus ancien déjà, qui a évolué en Ligue 2 en France (Metz entre 2009 et 2011, ndlr), aujourd’hui il est en Suisse à Saint-Gall. Aurélien Joachim joue en D2 belge à Lierse où il vient de louper la montée malheureusement. On a un garçon (Lars Gerson, ndlr) qui joue en Suède après un passage en Norvège.»
Reste maintenant à la 135e nation au classement FIFA et à la fédération de poursuivre leurs efforts. Les résultats des clubs en coupe d'Europe et des Lions Rouges sont meilleurs depuis quelques années et les jeunes générations sont pleines de promesses. A l'avenir un exploit comme un bon parcours en phase qualificative, voire même une qualification est peut-être possible d'ici 10 ou 15 ans. Pour cela, il faudra que plusieurs éléments parviennent à s'imposer et faire progresser le collectif. «Jusqu’où ça peut aller? Ça sera dépendant de deux facteurs. Un, du nombre de joueurs qui arrivent à s’imposer au niveau senior dans le monde professionnel et être des joueurs titulaires dans leurs clubs. Deux, continuer le travail d’intégration de jeunes pour les former au niveau international et emmagasiner des matches internationaux qui sont d’un autre niveau et d’un autre rythme aussi. Après, de là à rêver à autre chose, beaucoup de temps va se passer, prévient Jeff Strasser. Que ce soit le Luxembourg ou d’autres petites nations, le niveau est en train de monter et sur certains matches on peut rendre la vie difficile aux grandes nations.» L'avenir footballistique du Grand-Duché s'annonce bien.
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