Entretien avec Antoine Cohet, Marketing Manager chez EA : « Quand il se vend un PES, il se vend neuf FIFA »

Entre le lancement de FIFA 14 et l’arrivée des nouvelles consoles Next Gen, Antoine Cohet est un homme très occupé. Incontournable sur tout ce qui concerne FIFA, il nous a fait le plaisir de venir nous parler du jeu de foot le plus populaire du moment. Les ventes de jeu, la concurrence avec PES, la relation entre EA et les stars du foot véritables ambassadeurs du jeu, Fifa Ultimate Team, l’importance de la communauté FIFA, la modélisation des joueurs, le Marketing Manager chez EA Sports n’a éludé aucun sujet. Morceaux choisis.

Par Jahed Makhlouf - Sébastien DENIS
14 min.
Antoine Cohet nous dit tout sur FIFA et ses coulisses Maxppp
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Foot Mercato : FIFA a-t-il tué la concurrence ?

Antoine Cohet : Si on regarde les chiffres de ventes, on se dit qu’on est largement leader, mais bon aujourd'hui, on sait très bien que la situation peut changer. Ça a déjà été le cas dans l’autre sens il y a quelques années, PES avait pris le pas sur FIFA à un moment donné. On a repris le pas sur eux, donc nous ne sommes pas à l’abri d’un nouveau retournement de situation.

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FM : Quels sont les chiffres de ventes de FIFA en France et dans le monde ?

AC : L’année dernière, nous avons terminé à 87, voire même 88 % et cette saison on tourne déjà à plus de 90 % de part de marché. Quand il se vend un PES, il se vend neuf FIFA.

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FM : À ce propos, y a-t-il encore des pays où PES domine ?

AC : Il n’y a plus de pays où PES domine. PES était généralement très fort sur l’Europe du Sud moins sur l’Europe du Nord pour des raisons de licences ou de comportement. Mais à l’heure actuelle, ce n’est plus le cas et il n’y a plus un seul pays où PES est devant FIFA, qui a vraiment pris le pas dans tous les pays.

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FM : Quelle est la répartition des ventes de jeux FIFA entre la PS3 et la XBOX 360 ?

AC : Historiquement, la Playstation a toujours été la console des jeux de foot. Les gens en France jouent beaucoup plus sur Playstation. Ce qui n’est pas le cas en Angleterre où les gens jouent plus sur Xbox 360 et bien sûr aux États-Unis où la Xbox est devant. Mais pour la France, la Playstation est clairement devant.

FM : Quel est le budget pour un lancement d’un blockbuster tel que FIFA en France et dans le monde ?

AC : On ne donne pas forcément de montant de budget sur un lancement marketing d’un produit tel que FIFA, mais il est clair que c’est un budget conséquent. Et contrairement à un lancement de film ou à des lancements de jeux plus « gamers » qui se lancent en « one shot » avec une promo de trois semaines, un mois, FIFA, qui a une communauté importante et qui se vend toute l’année, dispose d’un budget qui est réparti sur toute l’année. Puis on a un nouveau mode de jeu qui est FIFA Ultimate Team, qui permet aussi de communiquer de façon régulière, un peu différemment de ce qu’on peut faire traditionnellement sur FIFA tout au long de l’année. Donc c’est vrai que c’est un budget conséquent.

EA Sports aux petits soins pour sa communauté

FM : La communauté FIFA n’a jamais été aussi importante. Quelle importance a-t-elle dans votre stratégie et comptez-vous développer encore plus l’interaction avec celle-ci ?

AC : C’est simple, nous sommes cinq à travailler sur FIFA. Deux personnes travaillent uniquement sur la communauté. Elles sont en prise constante avec la communauté, pour savoir ce qui marche, communiquer, échanger avec eux. Ce n’est pas pour rien qu’il y a eu un patch qui est sorti deux semaines après la sortie de FIFA car il y avait des choses à régler dans le jeu. Ce sont des choses qui sont liées au retour de la communauté. On a vu ce qu’ils ont dit sur les passes en profondeur qui étaient un peu trop fortes dans le jeu où on marquait systématiquement, ou les centres où on marquait trop facilement de la tête. Grâce à ce patch, le jeu est bien meilleur sur ces points-là.

FM : Vous avez modélisé les joueurs du PSG, de l’OM et de l’OL notamment. Y a-t-il un deal spécifique avec ces formations et quid de Monaco ?

AC : Pour Monaco, on a uniquement un deal marketing, nous n’avons pas encore modélisé les joueurs de Monaco. Mais on a fait Lyon, Marseille, Paris et Lille avec qui on a un deal particulier. Ça fait partie du deal qu’on puisse venir une fois par an shooter les nouveaux joueurs. À Lyon, l’année dernière, nous n’avions pas shooté les anciens qui étaient déjà présents dans le jeu, mais on a pris la nouvelle génération des joueurs tels que Lacazette, Umtiti etc… Idem à Paris, on avait fait un shoot avec les nouveaux joueurs, l’année dernière on a fait Ibrahimovic, Lavezzi, Verratti qui étaient mal modélisés et je pense qu’à Paris on a beaucoup de joueurs très bien modélisés.

FM : Peut-on imaginer dans les années à venir avoir la totalité des équipes de L1 modélisées ?

AC : Il y a une réalité de budget. Mais en faisant Paris, Lyon Marseille, Lille, Bordeaux, on arrive à faire l’essentiel des fans en France. Après, on essaie de faire des choses avec d’autres clubs, ce sont des discussions que l’on a avec eux, mais aujourd’hui c’est encore un peu prématuré de l’annoncer.

FM : Comment choisit-on le ou les joueurs de couverture sur la jaquette du jeu ?

AC : On a un joueur star qui est Messi, qui est sur toutes les jaquettes partout dans le monde. Après, charge à chaque pays de faire une jaquette particulière en rajoutant un joueur. On l’a fait longtemps avec Benzema, on a travaillé pendant cinq ans avec lui. Maintenant, il n’est plus sur le pack pour diverses raisons parce qu’on avait fait beaucoup de choses avec lui, on était arrivé un peu au bout de tout ce qu’on pouvait faire en termes d’activation, de pub et on s’était dit avec l’arrivée des nouvelles consoles Next Gen qu'il fallait peut-être changer la jaquette. Si on mettait encore Messi-Benzema pendant 2-3 ans, ça faisait un peu beaucoup. On reste en contacts avec lui, on fait des choses avec lui sur son site internet, sa page Facebook, mais on a dit que la jaquette, la pub on allait arrêter cette année. Pour l’instant, en France, on n’a pas de joueur sur la jaquette, on n'a que Messi. Remplacer Karim en France pour l’instant, mis à part Ribéry qu’on a déjà fait par le passé, il n'y a pas forcément de joueur qui était montant. Peut-être dans les prochaines années ça peut changer, il y a de très bons joueurs qui arrivent : des Matuidi, des Pogba, des Varane. Après, il faut qu’ils atteignent une certaine notoriété et surtout qu’ils aient envie de le faire.

FM : Envisagez-vous d’intégrer un mode « futsal » ou de lancer un FIFA Futsal ?

AC : On avait FIFA Street en cinq contre cinq avec beaucoup de gestes techniques, plus fun. Mais on pense qu’il n’y a pas une réalité de sortir un opus tous les ans comme c’est le cas sur un FIFA parce qu’on ne va pas rajouter de nouveaux joueurs tous les ans, c’est un jeu qui est plus arcade, donc c’est plus dur d’innover sur le gameplay donc on en sort un tous les trois-quatre ans. Je n’ai pas d’informations particulières là-dessus, mais le dernier étant sorti il y a un an et demi maintenant, je ne pense pas qu’il y en aura un tout de suite. Mais il a très bien marché notamment chez les plus jeunes, parce que c’est plus facile à prendre en main, que c’est plus fun, et ça restait un très bon jeu en plus.

FM : Énormément de célébrités ont répondu à votre invitation lors de la soirée lancement de FIFA en septembre dernier. Leur présence est-elle gratuite, payante, ou bien rémunérez-vous les people en cadeaux ?

AC : Il y a deux types de VIP. Il y a les VIP qu’on appelle les ambassadeurs, qui étaient là avant la soirée. De 18h à 20h, on avait certains VIP qui étaient là pour faire des interviews par rapport à FIFA. Je ne vous cache pas que ces gens-là ont un contrat avec Electronic Arts. Mais ils ont un contrat parce qu’ils aiment FIFA. Parce qu’il faut parler à des journalistes comme vous pendant 2 heures, des gens comme Pierre Ménès, Orelsan, Soprano, Cyprien, La Ferme Jérôme qui étaient là aussi, tout comme Matuidi et Sirigu. Ils étaient en face de la caméra pendant deux heures, ils n’ont parlé que de FIFA. Pour nous, c’était primordial. On ne travaille pas avec des ambassadeurs qui ne sont pas fans du jeu. Parce que si on les met en face de vous et qu’ils ne sont pas capables de répondre, ça ne nous intéresse pas vraiment. Bien sûr qu’il y a de l’argent en compte, mais s’ils font ça uniquement pour ça, ça ne nous intéresse pas. Ça, c’est une première partie des VIP de la soirée. Après, vous avez tous les VIP qu’on ne paye pas, qui sont venus à la soirée comme s’ils étaient venus à l’avant-première d’un film. La plupart étaient présents car ça se déroulait trois jours avant la sortie du jeu. Bien sûr qu’ils allaient repartir avec un FIFA14 à la fin de la soirée et beaucoup sont venus parce qu’ils pouvaient venir jouer à FIFA et récupérer le jeu avant tout le monde, et puis parce qu’ils aiment ça tout simplement. Les personnes qui viennent juste faire les piques assiettes ça ne nous intéresse pas.

Fifa Ultimate Team, un mode de jeu en plein essor

FM : Quelle est la part de chiffre d’affaires générée par FUT par rapport à la vente de jeux ?

AC : C’est dur de comparer, parce que ce n’est pas un jeu qu’on vend en dur comme un FIFA, mais c’est une communauté qui se développe énormément. L’an passé, nous avons eu 500 000 personnes qui ont joué à FUT, en payant ou non puisque tout le monde ne paye pas forcément pour jouer à FUT, parce qu’on peut gagner des matches, gagner des points puis racheter des packs sans dépenser de l’argent. Bien sûr, après comme dans tout jeu un peu gratuit au début, on peut aller plus vite en achetant et en échangeant des cartes. Après, c’est un mode qui se développe de plus en plus. Après les proportions, c’est difficile à dire.

FM : Les arrivées de Riolo et Ménès en parrains ont-ils fait décoller la renommée de FUT vis-à-vis du grand public ?

AC : Nous, on pense que c’est le meilleur mode de FIFA quand on est fan de foot et qu’on a envie de se construire la meilleure équipe. On est tous des recruteurs en herbe. On aimerait changer, recruter tel ou tel joueur. FUT fait appel à ça, au manager qui est en nous, et puis ça fait appel aussi au côté enfantin, on ouvre des packs virtuels dans FUT, on a des cartes, on les échange. Il y a aussi un côté RPG (NLDR : issue de l’anglais Role Playing Game) où on booste ses joueurs avec des cartes. C’est un mélange de tout ce que les fans de jeux-vidéos et de foot aiment. Après en termes de marketing, on essaie de pousser ce mode-là parce qu’on pense que c’est un très bon mode. Après, ça rapporte aussi de l’argent, on ne va pas se le cacher. Après le fait de travailler avec des personnes comme Pierre Ménès ou Daniel Riolo, qui sont des icônes dans le monde des journalistes sportifs, est intéressant pour nous. On voit toute la polémique autour de Pierre Ménès et Evra. C’est une des voix qui compte dans le foot. Ce qui est important pour nous, c’est que c’est un fan du jeu. Il a fait un match avec Gignac en ligne à FUT contre un autre joueur en ligne et ils ont gagné le match. Ce n’est pas qu’un coup marketing, c’est aussi parce qu’il sait en parler et qu’il connaît le truc. On a rajouté Riolo pour qu’il y ait un débat entre les deux. Maintenant, on intègre les joueurs de foot. On a fait Gignac, on va certainement faire des choses avec Raphaël Varane à Madrid, on va faire également quelque chose avec Matuidi. Il y a Psyko17 qui s’est mis dans la boucle, qui est la référence des Youtubers sur FUT pour mélanger la communauté, les journalistes, les joueurs de foot, on est un peu tous dans la communauté qui aime FIFA.

L'importance des Youtubers pour le développement de FIFA en France

FM : Par rapport à Psyko17 justement, que beaucoup ne connaissant pas, pouvez-nous expliquer son parcours, son histoire et son rôle chez EA Sports ?

AC : On se rend compte qu’il y a un phénomène qui est en train d’exploser en France et pas seulement dans les jeux-vidéos : les youtubers. On voit des gens comme Cyprien, Norman, La Ferme Jérôme qui sont des mecs qui explosent grâce à Youtube, qui est un vrai média maintenant. D'ailleurs, Youtube l’a bien compris puisqu’ils rémunèrent ces gens-là en fonction du nombre de vues de leurs vidéos et on a maintenant des phénomènes qui se sont développés comme un DiabloX9 qui est LE youtuber jeux-vidéos. Nous, on trouvait qu’il n’y avait pas forcément de communauté de youtubers FIFA, donc on essaie de pousser plusieurs personnes qui travaillent avec nous. Il y a Psyko17 qui faisait beaucoup de vidéos sur FUT, mais qui fait maintenant des vidéos sur FUT mais également sur FIFA. On ne le rémunère pas. On le met juste dans les conditions les plus intéressantes pour qu’il puisse faire les vidéos qu’il aime. On l’a fait rencontrer Ménès et Riolo, il est parti il y a quelques semaines avec Bruce Grannec et Brake, qui sont d’autres personnes que l’on pousse à faire des vidéos, à Vancouver pour tester et filmer les premières images de FIFA Next Gen avec l’équipe de développement du jeu. Ce sont eux qui faisaient leurs propres vidéos, nous on leur donnait juste accès à cela. Il y a une dernière personne qui s’appelle Abdoulaye Saar, qui est une personne bien connue dans la communauté FIFA, qu’on pousse et qu’on aide à faire des vidéos. On a envie qu’il y ait de plus en plus de personnes qui fassent des vidéos de FIFA.

FM : Comment sont gérées les cartes spéciales des joueurs pros (comme le super Gignac à 95) ?

AC : Pour les cartes, il y a deux choses. Tout d’abord, vous avez les cartes qui sortent chaque semaine en fonction de ce qu’il s’est passé le week-end précédent. Par exemple, il y a eu la carte Zlatan juste après son doublé contre Bastia et son but en talonnade en l’air. Cette carte est disponible seulement pendant une semaine. Tout le monde peut l’avoir, mais elles sont un peu plus rares donc il est plus difficile de les avoir. Et vous avez les cartes spéciales que nous mettons en place avec les joueurs qu’on aime bien et qui adorent FUT. On a fait la carte spéciale Gignac, on a fait la carte spéciale Danzé, on va en faire une spéciale avec Matuidi. C’est vraiment pour donner à ces joueurs des trucs sympa parce qu’ils aiment ça. En revanche, sa carte Gignac, il peut l’avoir, mais il ne pourra pas la revendre parce qu’elle est invendable, il n’y a que lui qui peut l’utiliser.

FM : Que pensez-vous du marché noir de cartes FUT ou de points FIFA sur eBay notamment ?

AC : C’est difficile. À partir du moment où vous êtes un phénomène, et que vous avez de plus en plus de gens qui jouent à quelque chose, vous ne pouvez pas contrôler tout ce qui se fait. Si on veut tout faire contrôler, on doit tout vérifier, tout faire contrôler par la FIFA. S’il y a vraiment un truc très très gros, on va regarder ça de près avec des avocats, des juristes et la FIFA. Aujourd’hui, je n’ai pas connaissance d’action contre ce type de choses. World of Warcraft a eu le même problème, Everquest par le passé. Tous ces jeux qui font appel à la communauté dans lesquels il y a des items qui peuvent être vendus, c’est compliqué.

FM : D’ailleurs, est-ce qu’un jour vous permettrez à un joueur d’acheter n’importe quel joueur, Messi, CR7 ou par exemple un Ribéry à un prix donné en plus du système de random via les packs ?

AC : C’est dur de préjuger du futur, mais à ma connaissance, le principe de FUT c’est que les joueurs sont tous en random dans les packs. Il n'y aura jamais de possibilité d’acheter un joueur cash. Ça voudrait dire que c’est juste une question d’argent et ce n’est pas forcément ce qu’on veut. C’est une question de rewards, de surprises. Ça casserait l’ADN de FUT qui est ce côté surprise, j’ouvre mes packs, je découvre ce qu’il y a dedans, je fais des échanges. Si on pouvait juste avec de l’argent s’acheter des joueurs, ça ne serait pas intéressant.

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