Ligue 1

Supporters : « les Ultras ne se sentent pas au-dessus, mais comme une entité à part entière d'un club »

Cette saison, les débordements en tribunes ont été nombreux. Valentin, ancien membre actif d'un groupe Ultra en virage Auteuil du Parc des Princes au début des années 2000, raconte à Foot Mercato sa vision des choses, mais aussi comment il a subi et vécu le plan Leproux en 2010.

Par Constant Wicherek
7 min.
Des fumigènes lors de la rencontre entre le PFC et l'OL @Maxppp

Foot Mercato : comment tu es arrivé dans le monde ultra ?

Valentin : je suis arrivé dans ce milieu par passion, comme 90% des mecs. Avant tout, nous sommes supporters de notre club. Ce qui fait qu'on y arrive, c'est qu'on aime aller au stade. Les premières fois où j'y suis allé, je regardais plus les tribunes, les tifos, les fumigènes, les chants, les gestuelles. Donc quand j'ai eu l'âge d'aller tout seul au stade, avec des amis, on a pris des abonnements en virage. De fil en aiguille, tu rencontres les mecs du groupe et tu viens te greffer à ce milieu et tu t'encartes.

FM : qu’est-ce que ça représente pour toi ?

V : c'est un état d'esprit et aussi une vision du football. Celle-ci est totalement opposée au football qu'on a en ce moment qui est un football business, un football merchandising que prône l'UEFA et la FIFA, qui font des réformes en permanence pour qu'il y ait toujours plus de bénéfices, de droits télés. L'Ultra ce qu'il veut c'est un football populaire, avec des tribunes pas chères et vivantes. Nous ne sommes pas des spectateurs, on ne va pas au stade comme on va au cinéma en mangeant du pop-corn et en regardant le spectacle assis. Nous on créer ce spectacle-là en animant nos tribunes pendant 90 minutes, en créant des tifos et en se déplaçant aux quatre coins de la France.

Foot Mercato : quel choc a été pour toi le plan Leproux ?

V : honnêtement, cela n'a pas été une surprise. Il y a eu un laps de temps important entre les évènements du 28 février et l'annonce du plan en juin. C'était une affaire d'État, Rama Yade, Brice Hortefeux étaient sur le dossier, il y avait eu des dizaines voire des centaines d'interdictions de stade prononcées pendant ce temps. On s'attendait à une répression sans précédent, on s'y attendait. Quand il y a eu la conférence de presse, on n'a pas été surpris. Choqué ? Oui, parce qu'on apprend la dissolution des groupes historiques, qui avaient alors plus de quinze ans. Cela fait quelque chose, on y était préparé quelque part. Finalement, le sentiment qui prédominait c'était de la résignation. La seule réponse du gouvernement, des dirigeants du foot français et du PSG face à un drame pareil, ça a été la répression. Cela pose problème qu'on mette tout le monde dans le même sac et qu'on ne fasse aucune distinction.

FM : était-ce nécessaire ?

V : je ne pourrais jamais dire que cela a été nécessaire parce que ça a été la mise à mort de groupes emblématiques du Parc des Princes. À mon goût, cela a été une réponse qui a été trop dans la répression. Il n'y a jamais eu de dialogue, on n'a jamais essayé de comprendre pourquoi on en était arrivé là, à un tel niveau de violence et à un tel antagonisme. Je ne pourrais pas le dire non. Avec le recul, on se rend compte que la situation était beaucoup trop explosive. Il y avait un cocktail détonnant à partir du moment où la politique s'immisce dans les stades avec du hooliganisme et de l'ultra-violence. Bien sûr qu'il fallait faire quelque chose, je ne peux pas le nier. Mais le plan Leproux, tel qu'il a été appliqué, ce n'était pas nécessaire, je pense. J'imagine qu'on aurait pu laisser des mecs s'abonner et chanter sans qu'il y ait d'autres morts ou des bagarres.

«L'Ultra, c'est avant tout un supporter»

FM : quelle est ta définition de l’ultra ?

V : l'Ultra, c'est avant tout un supporter, il faut que les gens le comprennent. Il faut remettre l'église au milieu du village, un ultra c'est un supporter, ce n'est pas quelqu'un qui vient pour se battre, il n'et pas violent. Il vient supporter son club de manière extrême. La définition du latin c'est : un degré extrême. Ce degré s'exprime par le mode de vie, ils vont passer des heures sur la route pour supporter leur club, ils vont passer des heures à créer des tifos, à peindre. Pendant les matches, ils passent 90 minutes à crier, c'est en ça qu'il se distingue du supporter lambda, mais c'est avant tout un supporter.

FM : quel est rôle social des ultras ?

V : c'est assez complexe. Ce qui est sûr, c'est un contre-pouvoir énorme. C'est une organisation en rupture avec les organisations dominantes. C'est pour cela qu'il y a beaucoup de méfiance des pouvoirs publics. Un groupe ultra a cette capacité à fédérer, à rassembler beaucoup de gens autour d'une identité et de certaines valeurs. À partir du moment où tu rassembles du monde, tu as un pouvoir assez colossal.

FM : comment expliques-tu la recrudescence des violences ?

V : je n'ai pas vraiment d'explications. Je ne pense pas qu'ils soient devenus plus méchants ou plus fous qu'avant. Il y a aussi la loi des séries, ça peut s'enchaîner et derrière il ne se passera rien pendant des années. Est-ce que c'est un épiphénomène ? Est-ce que post covid, les mecs ont de l'adrénaline et ont envie d'aller au contact, je ne sais pas. De l'extérieur, je n'ai pas vraiment d'explications.

FM : à quel type de sanctions es-tu favorable quand il y a des débordements ?

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V : je n'y ai jamais vraiment réfléchi et ce n'est pas ma manière de penser. Si on regarde le mode d'action des dirigeants du football français et des pouvoirs publics, c'est de la répression. Avant cela, est-ce qu'il ne faudrait pas être dans la prévention et l'anticipation ? On l'a vu avec les réunions qu'ils ont fait réellement, cela n’a abouti à pas grand-chose. Quelles sont les mesures ? On interdit les bouteilles d'eau ? Wahou... C'est ça leurs grandes mesures pour lutter contre les débordements ? On se rend compte qu'on est à un degré d'incompétence énorme. Sur toutes ces réunions ministérielles, avec les instances du foot français, les pouvoirs publics, ils n'ont jamais songé à inviter les groupes ultras pour discuter avec eux. En France on a l'Association nationale des supporters (ANS), qui représente pas mal de groupes ultras et ils n'ont jamais été invités autour d'une table ronde pour discuter de tout cela.

FM : le mouvement a-t-il changé ces dernières années ?

V : il a évolué, les racines et les valeurs sont toujours les mêmes. Ce qui a changé, c'est qu'il est beaucoup plus marginalisé. Pendant des années les stades ont été les laboratoires de la police répressive des gouvernements européens. Dans un foot business plus présent, les Ultras c'est un contre-pouvoir qui dérange énormément. Donc inéluctablement, on va les mettre de côté, les pointer du doigt parce qu'ils empêchent certains actionnaires de faire leur petit business comme ils en ont envie. On le voit à Nantes avec Waldemar Kita, les Ultras Nantais dérangent le club, à l'ASSE c'est pareil. Aux quatre coins de la France et de l'Europe, certains groupes ultras dérangent énormément. On est de plus en plus marginalisés. Cette marginalité entraîne une certaine radicalité dans les actions. On l'a vu à Nantes, à Sainté, à Marseille contre Jacques-Henri Eyraud quand ils sont montés à la Commanderie. Finalement, il a évolué, le mouvement ultra est peut-être plus radical qu'avant, parce que c'est un instinct de survie. Si notre vision du foot veut continuer d'exister, il faut s'opposer à ce genre d'actionnaires qui veulent faire leur petit business entre eux et qui s'en moquent du mouvement ultra et qui veulent s'en débarrasser.

FM : les ultras se sentent-ils au-dessus des clubs, des dirigeants et des joueurs ?

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V : les Ultras ne se sentent pas au-dessus, mais comme une entité à part entière d'un club. Dans un club, les joueurs sont salariés, un dirigeant touche un salaire, un actionnaire récupère de l'argent. Les supporters, on ne touche rien du club et on en fait partie intégrante. Est-ce que Marseille serait Marseille si les Ultras n'avaient pas été là ? On le voit avec des phrases célèbres comme « A jamais les premiers ». À Paris, le « Ici c'est Paris », c'est une phrase des Ultras parisiens. Cela a été repris pour le merchandising, ils font un business avec, mais ça appartient aux Ultras. On est une entité à part entière d'un club. Ce n'est pas la question de se sentir au-dessus, mais d'être garant de l'histoire et des valeurs du club. Il y a combien de dirigeants qui arrivent et qui changent les couleurs d'un club, le logo, la musique d'entrée ? Dieu merci, on a encore en France des groupes ultras qui sont garants de tout cela et qui disent : « non, Marseille ce n'est pas ça, Paris, ce n'est pas ça. Paris c'est telles couleurs, c'est telle musique quand les joueurs entrent, etc. »

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