Les Bleus, la dépression, son enfance difficile : les douloureuses confessions de Yann M’Vila

Par Maxime Barbaud
7 min.
Yann M'Vila avec l'Olympiakos face à Arsenal @Maxppp

Aujourd’hui à l’Olympiakos, Yann M’Vila est en paix avec lui même. A 32 ans, plus de dix ans après sa dernière sélection en équipe de France, le milieu de terrain confie tous les épisodes douloureux par lesquels il est passé durant sa carrière.

Yann M’Vila a un peu disparu des radars du foot français. Après avoir quitté Saint-Etienne en 2020, le milieu de terrain a filé à l’Olympiakos où il coule des jours heureux. Il est titulaire (35 matches toutes compétitions confondues cette saison) chez l’actuel 3e du championnat grec. Pas de quoi pour autant le revoir un jour en équipe de France. Didier Deschamps ne l’a d’ailleurs jamais appelé, lui qui compte tout de même 22 sélections entre 2010 et 2012. Le train bleu est passé pour lui, la faute à des écarts de jeunesse, notamment cette virée entre Le Havre et Paris (en compagnie de M’Baye Niang, Chris Mavinga, Antoine Griezmann et Wissam Ben Yedder) pour filer en boîte de nuit durant un rassemblement de l’équipe de France Espoirs entre deux matchs de barrages face à la Norvège qualificatifs pour l’Euro. Malgré un premier succès en France (1-0), les Bleuets s’inclineront au retour (5-3) et ne disputent pas la compétition. Quelques jours plus tard, la nouvelle de l’escapade fait les gros titres à une époque où les footballeurs sont dans l’œil du cyclone après les révélations de différentes affaires (Zahia notamment).

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«Parce que je suis le plus ancien, le seul à avoir déjà des sélections en A : 22, dont 19 comme titulaire. Si je dis “personne ne part à Paris”, personne ne bouge» revient-il dans un long entretien accordé à Libération. De tous les fautifs, celui qui joue alors au Stade Rennais est celui qui prend le plus cher : 19 mois de suspension qui le mettent d’ores et déjà hors-jeu pour le Mondial 2014. Pour montrer l’exemple sans doute car l’équipe de France peine déjà à se remettre de Knysna et d’un Euro 2012 émaillé d’incidents. «On fait l’aller-retour sur Paris dans la nuit de samedi à dimanche et on joue en Norvège le mardi. Là, il pleut, on joue sur un synthétique, ils nous mettent une pression d’enfer… Je ne pense pas qu’on perd parce que cinq joueurs ont fauté. Mais ils ont fauté quand même.» Selon lui, cette histoire serait sortie quelque soit le résultat de cette double confrontation mais le ressenti aurait été forcément différent. Ce genre d’épisodes peut également forger un groupe ; l’extincteur d’Adil Rami durant la Coupe du Monde 2018 en est un célèbre exemple.

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Victime chez les Bleus de son époque, de ses actes et de son image

M’Vila ne le sait pas encore mais il a déjà atteint le sommet de sa carrière, à seulement 22 ans. «Avant cette histoire, j’étais en contact avec Manchester City, qui m’avait demandé mon numéro de maillot. Ensuite…» Il était déjà dans le viseur de la fédération depuis l’Euro en Pologne et en Ukraine. Remplacé par Giroud durant le quart de finale perdu face à l’Espagne (2-0), il sort du terrain sans saluer son remplaçant, ni son sélectionneur, Laurent Blanc. Il est mis dans le même sac de Samir Nasri et Jérémy Ménez, déjà responsables d’autres écarts durant la compétition. «On fait l’amalgame, on me convoque, on me sucre ma prime de match et on me fait redescendre en Espoirs. Des mecs qui ne tapent pas la main du coach, on voit ça tous les week-ends. Certains entraîneurs s’en foutent, d’autres te punissent en te disant “toi, ne fais pas le malin”… C’est du foot, ça arrive. Après, c’est vrai que je n’ai rien dit.» Un élan se brise net pour le protégé de Frédéric Antonetti. Il rêvait en grand mais c’est finalement en Russie qu’il est transféré en 2013, un peu contre son gré. Lui préférait l’Angleterre.

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« J’ai quitté Rennes pour le Rubin Kazan parce que les Russes proposaient 12 millions d’euros de transfert à mon club formateur, alors que les Queens Park Rangers en mettaient 10. Moi, je gagnais plus à Londres et la Premier League m’attirait. Mais le Stade Rennais a fait l’homme et le joueur que je suis. » En Russie, il déchante vite. L’entraîneur est remplacé et sort le joueur de l’équipe. Il est prêté à l’Inter (saison 2014/2015) où il joue peu, d’abord sous Mazzarri, puis sous Mancini, le même qui le voulait à Manchester City deux ans plus tôt. Il casse son prêt, revient à Kazan qui ne veut plus de lui. M’Vila rentre en France avec 8 kilos de trop. Ses avocats finissent par lui trouver une porte de sortie à Sunderland. Les joutes et l’ambiance de la Premier League lui redonnent goût au football. Au terme de la saison, les Blackcats lui font signer un pré-contrat pour le faire rester. Mais, faite d’accord avec Kazan, à qui il appartient toujours, le club anglais s’offre Didier N’Dong pour 17 M€ le dernier jour du mercato. M’Vila se trouvait à Londres dans l’attente de son transfert…

Retour en Russie et dépression

Il confesse. «Je ne vais pas mentir. Je l’ai très, très mal pris.» Le retour au Tatarstan est difficile lui aussi. Pas tant sur le terrain car il joue régulièrement nouveau mais il broie du noir. Le club russe a beau lui accordé le plus gros contrat de sa carrière (environ 6 M€ à l’année), il s’enfonce dans ses pensées moroses «L’argent ne fait pas le bonheur, j’en parle en connaissance de cause : c’est à ce moment-là que je plonge dans une profonde dépression.» Loin de chez lui et sans ses proches, il est victime de crises d’angoisse. «Il y avait un contexte aussi : l’éloignement, la solitude, l’impression que l’étiquette qu’on m’a collée ne s’effacera jamais… J’angoissais aussi de tout perdre. Matériellement, mais aussi la possibilité de pratiquer le sport auquel j’ai dévoué ma vie. Je me suis réveillé un matin en tremblant. Je croyais que j’allais mourir. Je suis allé sur Internet et j’ai vu qu’en fait, on ne mourrait pas comme ça, ce qui m’a un peu rassuré. Je suis sorti prendre l’air mais ça n’est pas passé.» Pour se soigner, il use de piqûres et de médicaments recommandés par son club, jusqu’à ressentir des nausées.

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Il souffre d’absence de vie sociale, rattrapé par la fragilité de la situation d’un joueur professionnel, de son parcours en centre de formation, de son exil à l’étranger, de ses solitudes. Il s’accroche. Son retour en Ligue 1 à Saint-Etienne avec Jean-Louis Gasset et sa famille vont l’aider. Sa mère notamment avec qui il a passé une partie de son enfance en foyer pour femmes battues. Un souvenir douloureux et heureux à la fois. «Je n’ai jamais retrouvé une entraide pareille, à la fois sociale et psychologique. Tu arrives et les mamans qui sont là te donnent toutes quelque chose, de l’huile, un paquet de pâtes… Tout le monde dans le même bateau. Quand l’une d’elles partait parce qu’on lui avait trouvé un appartement, il y avait une fête pour lui permettre de… s’envoler, en quelque sorte.» C’est d’ailleurs là-bas sur la petite place jouxtant le foyer où il passe son temps à jouer au foot, qu’il est repéré par un scout d’Amiens, Gérard Bréant. «Peut-être que sans le foyer…» Une première étape vers sa vie future de joueur professionnel où il va rapidement pouvoir aider sa famille au quotidien grâce à ses 292 euros mensuels.

Une enfance difficile

Mais là encore, il faut savoir ruser face à un père qui a un droit de procuration. «Il prend tout : le salaire tombe le 6 du mois, il n’y a plus rien le 6. Donc, je vais au distributeur le 5, juste avant minuit. J’attends cinq minutes et je le prends de vitesse.» Aujourd’hui, les relations avec le paternel sont bonnes. M’Vila le remercie même, malgré son tempérament dur et violent. Dès le plus jeune âgé, il lui a donné goût à l’effort, parfois de manière déraisonnable pour une enfant. M’Vila en a tiré une force. « Quand j’arrive au centre de formation de Rennes à 14 ans, je suis toujours premier au test Vameval (test physique de pré-saison particulièrement dur) alors que la plupart ne peuvent pas le terminer. Après oui, le foot n’était pas un loisir. J’avais un but et j’avais faim. Vous pouvez tout m’enlever, mais pas mon mental. J’ai le mental et le caractère de ma mère. Sans ça, je ne suis pas là. Et si mon père n’est pas dur avec moi, je ne suis pas là non plus.» A 32 ans, l’ancienne étoile montante du foot français semble apaisée. Les nuits à flamber sont derrière lui, il préfère emmener ses 4 enfants en vacances et leur faire goûter un quotidien sans doute moins difficile que le sien à leurs âges.

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