Serie A

Le scandale du dopage explose une nouvelle fois à la face de la Serie A

Les déclarations chocs de Dino Baggio suite aux décès de Mihajlovic et de Vialli ont ravivé de vives tensions au sein de la petite famille du football italien des années 90.

Par Maxime Barbaud
6 min.
Dino Baggio devant Boban et Collina @Maxppp

Le spectre du dopage ressurgit avec force en Italie. Il y a d’abord eu les innombrables joueurs des années 70 morts d’une sclérose latérale amyotrophique, aussi appelée maladie de Charcot, dont le taux de malade était 20 fois supérieur que dans la population italienne. Il y a également les années 90. Les récents décès de Sinisa Mihajlovic (53 ans) d’une leucémie, puis de Gianluca Vialli (58 ans) quelques jours après seulement d’un cancer du pancréas, jettent un trouble ravivé avec force par Dino Baggio. L’ancien milieu de terrain phare de la Squadra Azzurra (60 sélections, 7 buts entre 1991 et 1999), désormais âgé de 51 ans, accuse un système de dopage généralisé à la Serie A durant cette époque. Selon lui, cela pourrait être la cause des disparitions prématurées de ses deux anciens coéquipiers (à la Juventus entre 19992 et 1994 pour Vialli et à la Lazio entre 2000 et 2003 pour Mihajlovic).

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«Nous devons revenir sur ce que nous avons pris, nous devons enquêter un peu sur les substances prises pendant ces périodes, s’élève-t-il sur la chaîne Tv7. Je ne sais pas si c’est dû à ça, mais il y a toujours eu du dopage. On n’a jamais pris de trucs bizarres parce qu’il y avait un pourcentage qu’il faut respecter. Mais avec le temps, il faut voir si certaines substances sont bonnes ou non, si elles peuvent être éliminées ou restent à l’intérieur de l’organisme. J’ai peur aussi, ça arrive à trop de joueurs. Dans mes années, il y avait trop de dopage.» Des accusations qui brisent un certain tabou, même si ce ne sont pas les premières. Le vice-champion du monde 94 est un peu revenu sur ses propos hier, rectifiant les « produits dopants » en « substances pharmacologiques » autorisées. Le fond du problème reste le même. Il divise également les joueurs de cette époque.

Les anciens joueurs divisés

«Dino est un ami très cher et une personne avec qui j’ai partagé beaucoup de joies. Mais il n’y a aucune preuve d’une relation entre l’utilisation de certaines substances et l’apparition de formations malignes, ce sont des conjectures. Je peux comprendre qu’on peut avoir des craintes. Mais s’il n’y a pas de fondement à ces hypothèses. Ce ne sont pas de belles choses à dire», regrette l’ancien coéquipier à Parme de Baggio, Alberto Di Chiara dans les colonnes de la Gazzetta dello Sport. Un point de vue que ne partage pas un autre ex-Palermitain, Alessandro Melli. «Je connais Dino. Il m’a dit ça aussi après le décès de Vialli. S’il le dit, c’est qu’il doit l’avoir vu de ses propres yeux. Ma réaction ? Je lui ai dit : "J’espère que si ce que tu dis est vrai, tu as été perspicace et intelligent pour ne pas les utiliser (ces produits, ndlr)". Et il ne l’a certainement pas fait. Il faut revenir sur ce qu’on a pris, enquêter un peu sur les substances prises à cette période-là.»

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Une histoire de 30 ans que l’Italie refuse parfois de regarder. Elle existe pourtant, en témoignent les acteurs de la Serie A de ce temps-là où ce championnat était réputé pour être le meilleur du monde. Il y a même eu un procès au début des années 2000, celui dit de la Juventus où des joueurs phares de l’équipe comme Didier Deschamps et Zinédine Zidane ont été auditionnés. Le tribunal de Turin avait condamné Riccardo Agricola, le médecin-chef de la Juventus, à un an et dix mois de prison, en plus d’une interdiction d’exercer pour fraude sportive, utilisation abusive et dangereuse pour la santé de médicaments en dehors de toute justification thérapeutique et administration systématique et intensive d’érythropoïétine (EPO). Un coup d’épée dans l’eau en réalité car un an plus tard, le médecin fut relaxé en raison d’un vice de forme. Au moment des faits (entre 1994 et 1998), l’EPO n’était pas encore considérée comme un produit dopant…

La fameuse pharmacie de la Juventus

Il a fallu attendre 2000 pour que la législation italienne se dote d’un texte pénalisant le dopage. Le rapport d’expertise de l’hématologue Giuseppe D’Onofrio avait pourtant conclu à l’utilisation «systématique et intensive» d’EPO à partir de l’étude approfondie des variations des paramètres sanguins de 49 joueurs. «A la Juve, il y avait énormément de produits, même en perfusion. Mais de tous les produits que m’ont cités les joueurs, jamais ils ne m’ont donné le nom d’un produit dopant » témoignait Jean-Marcel Ferret, le médecin de l’équipe de France entre 1993 et 2004, interrogé par le Sénat en 2013 lors d’une commission d’enquête sur l’efficacité de la lutte contre le dopage, évoquant tout de même des méthodes médicales «plus agressives» en Italie qu’en France. «Quand on leur fait une injection, les joueurs ne demandent pas ce que c’est» expliquait-il plus loin.

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Des piqûres de Neoton (créatine) déjà rapportées par Zidane lors de son audition devant le juge de Turin en janvier 2004, en plus de perfusions de cocktails de vitamines ou d’Esafosfina, un médicament destiné aux patients gravement malades en cours de transfusion ou atteint d’alcoolisme chronique, de malnutrition prolongée, d’insuffisance respiratoire chronique et de myocardiopathies ischémiques. «Les perfusions sont utiles, sinon, comment ferions-nous pour jouer 70 matchs pendant l’année», justifiait l’ancien numéro 10 des Bleus. Le scandale de la Juventus avait explosé à l’été 98, sitôt après la victoire française en Coupe du Monde et l’affaire Festina qui torpilla le Tour de France cyclisme. Elle est surtout née d’une bombe lâchée par Zdenek Zeman, alors coach de la Roma. «Le calcio doit sortir des pharmacies.» 281 produits tels que des stimulants, des corticoïdes, ou des hormones avaient été retrouvés dans celle de la Juve.

Un sujet toujours tabou en Italie

La justice italienne avait également interrogé Gianluca Vialli lequel avait qualifié l’entraîneur de la Louve de «terroriste», et de demander à la fédération italienne de le suspendre cinq ans. Il n’a évidemment pas eu gain de cause mais a tenu une rancune tenace à l’égard du technicien tchèque. «C’est une personne très intelligente, mais aussi un grand opportuniste. Il combat les batailles qui l’arrangent et oublie les autres. Je ne lui ai jamais pardonné ses accusations de dopage sur ma carrière et celle de Del Piero, et il ne s’est toujours pas excusé» disait Vialli en 2012. Une indignation hypocrite qui levait en réalité le voile sur certaines pratiques en Italie. Zeman lui n’en a jamais démordu, remettant le sujet sur la table entre les deux décès des anciennes gloires.

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«Avec Sinisa (Mihajlovic), nous avions une bonne relation, une amitié particulière. Quand il était à la Roma nous nous voyions souvent. (…) Je suis désolé pour l’état de santé de Gianluca Vialli et pour tous ceux qui sont malades. Il est le représentant d’une époque importante du football italien, je suis désolé » déclarait-il, ne cachant pas non plus sa déception que le sujet fut trop souvent nié. « Cela dépend de qui dit certaines choses. Dès que j’ouvre la bouche, les controverses sont toujours créées par d’autres personnes. Je ne les fais pas. Si je parle, je le fais pour essayer d’aider le football et le sport », concluait l’homme de 75 ans dans des propos rapportés par l’agence ANSA. Il a passé le témoin. Désormais, c’est Dino Baggio qui remet un coup de pied dans la fourmilière mais encore une fois tout le monde ne semble pas encore prêt à regarder cette vérité en face.

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