Entretien avec… Habib Bellaïd : « Le monde du football est hypocrite »

Par Khaled Karouri
11 min.
Sedan Habib Mohamed Bellaïd @Maxppp

Défenseur prometteur faisant partie de la génération des Ben Arfa et Diaby, Habib Bellaïd se refait la cerise cette saison à Sedan, après être passé par une année de galères. Pour Foot Mercato, le joueur revient sur son parcours et jette un regard lucide sur le monde du ballon rond.

**Foot Mercato : Quel bilan faîtes-vous de votre saison ?

Habib Bellaïd :** Ça a été une saison plutôt positive dans l'ensemble. C'est à dire que je suis arrivé après une saison où je n'avais pas du tout joué, j'avais eu un surpoids, pas mal de choses. Il a fallu un peu de temps pour me remettre à niveau, me remettre dans le rythme. Au début, j'étais en retard dans mes interventions, ce qui a fait que j'étais suspendu en début de saison (rires). Et puis, plus le temps passait, plus je me sentais mieux. Je me suis senti de mieux en mieux dans mes courses, mes interventions, j'ai bien enchaîné jusqu'au mois de décembre avant d'être touché aux adducteurs, ce qui m'a tenu éloigné des terrains pendant un mois. J'ai eu la chance de revenir vite dans l'équipe, là on enchaîne les bons résultats, mais le week-end dernier je me suis fait une grosse entorse à la cheville. C'est un peu à l'image de mon début de carrière, un peu malchanceux. Mais bon, je ne me plains pas plus que ça, je suis content de ce que j'ai fait jusque-là, parce qu'il s'est passé tellement de choses. Après un an sans jouer, je pense qu'il est très difficile de revenir dans le milieu du football aujourd'hui, donc je ne me plains pas.

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**FM : La saison dernière a été galère pour vous. Comment l'avez-vous vécue ?

HB :** Je l'ai très mal vécue, je pense qu'on peut parler de dépression, il faut le dire. Heureusement que j'avais ma famille autour de moi et la foi, sinon je pense que j'aurais tout lâché, parce que j'étais vraiment au plus bas. Quand tu passes des saisons à jouer 20-25 matches par saison à une saison comme celle-là, tu meurs à petit feu, surtout pour nous qui sommes sportifs de haut niveau, que tu es passionné, que le football c'est ta vie. Je ne dis pas que je ne sais rien faire d'autre, parce que j'ai quand même fait des études, mais c'est l'une des choses qui me rend le plus heureux. Rien ne remplace les matches, et je suis donc vraiment tombé en dépression. C'est le mot, je n'en pouvais plus. Pour un mec comme moi, qui a l'habitude d'avoir la boule à zéro, je me suis retrouvé avec une coupe afro, dans ces moments-là tu te laisses aller et tu fais n'importe quoi. C'est pour ça aussi que j'ai choisi Sedan, parce que je connaissais le coach et que le projet était de me refaire une santé, ce qui a plutôt bien marché.

**FM : Votre famille, votre foi, vous ont permis de ne pas baisser les bras. Le milieu du football vous a-t-il également soutenu ?

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HB :** Dans le milieu du foot, tu n'existes pas quand tu ne joues pas. C'est la vie du footballeur, c'est comme ça. Si je n'avais pas eu la foi et ma famille, je pense que j'aurais arrêté. Même si quand on est footballeur on a un amour du foot qui est assez inconditionnel, j'avais perdu un peu cet amour et j'étais prêt à tout plaquer, à tout arrêter. Quand tu vois les matches à la télé le week-end, que tu vois du foot à la télé toute la semaine et que tu ne joues pas, que tu es sur le banc... C'est difficile. Tu as l'impression de te sentir inutile. Le monde du foot est impitoyable, et les footballeurs qui sont au chômage pourront vous dire la même chose. Si tu ne joues pas, si tu n'est pas dans le circuit, on t'oublie.

**FM : En aviez-vous déjà conscience, ou ce passage vous a-t-il vraiment permis de vous en rendre compte ?

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HB :** J'en avais conscience, mais il faut l'affronter pour vraiment s'en rendre compte. Je pense que, en un an, je suis vraiment devenu un homme, parce que ça te forge un caractère puissant.

**FM : On dit souvent que ce qui ne tue pas rend plus fort. Clairement, cette année de galère vous a-t-elle permis aussi d'en tirer du positif ?

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HB :** Mais complètement, complètement. Il y a deux ou trois saisons, après une année comme celle-là, j'aurais pété les plombs, j'aurais pris des cartons rouges à tire-larigot. Maintenant, je sais par quoi je suis passé, et je remercie mon Dieu d'avoir un contrat. Ma blessure à la cheville, ce n'est rien du tout. J'ai passé un an sans jouer, à rentrer tous les week-ends chez moi en ayant autant d'énergie que mes enfants car j'étais sur le banc... Quand tu vis ce genre de choses, tu te dis que ce n'est rien de ne pas jouer un ou deux matches. Même si ça fait mal, tu te rends compte de la chance d'avoir un contrat, et c'est déjà pas mal. Parce que tu vois aussi le chômage qui approche. Il ne faut pas se mentir, les conditions actuelles sont plus difficiles qu'il y a quelques années.

**FM : Vous l'avez dit plus tôt, vous avez été malchanceux en début de carrière. Quel regard portez-vous sur votre parcours ?

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HB :** Je n'ai aucun regret sur les choix que j'ai fait : partir en Allemagne, revenir en France pour enchaîner les prêts sur deux saisons dans deux clubs différents... Ce sont les aléas de la vie. J'aurais pu, je pense, avoir une meilleure carrière. Mais je tombe dans une tranche de joueurs qui n'était peut-être pas capable de jouer en Ligue 1, c'est peut-être ce que certaines personnes pensent, parce qu'on est dans un pays d'a priori. Mais je suis fier de ce que j'ai fait, il y a des joueurs qui n'ont pas fait le quart de ce que j'ai fait, il y en a d'autres qui ont fait le double (rires), mais ça ne me pose pas de problèmes. Je suis en paix avec moi-même, parce que des fois j'ai l'impression que les valeurs du football ne sont pas respectées. Moi, je suis un homme, je dis ce que je pense, et peut-être que des fois çe ne plait pas trop vous voyez. J'aurais pu travailler avec des coaches mais qui n'ont pas accepté parce que j'étais une forte tête, et ça ne plait pas souvent. Mais je suis comme je suis, je ne changerai jamais mon caractère. Je suis content de ce que j'ai fait, même si j'aurais pu faire beaucoup mieux.

**FM : Vous n'hésitez pas à dire ce que vous pensez. Estimez-vous que le milieu du football est lui bien plus hypocrite ?

HB :** Complètement. Les gens sont complètement hypocrites, ne se disent pas les choses en face, que ce soit un joueur envers un autre joueur, un entraîneur envers un joueur, un joueur envers un entraîneur. C'est dommage, parce que même s'il y a des choses à ne pas dire dans la vie, moi je n'arrive pas à être introverti. Je dis ce qui me passe par la tête, même s'il faut savoir utiliser les mots. Mais c'est sûr, le monde du football est hypocrite et je ne me retrouve pas du tout dans ses valeurs, mais vraiment. J'ai joué en Allemagne aussi, et j'ai vu que les Allemands étaient totalement différents des Français. En Allemagne, si tu gagnes mais que tu rates un but, un coéquipier est capable de venir t'insulter parce qu'il n'a pas eu sa prime. C'est peut-être aussi la mentalité française qui est comme ça, je ne sais pas.

**FM : Avez-vous du coup été à un moment donné découragé à l'idée de continuer dans le foot ?

HB :* Sincèrement, j'ai eu un passage où j'ai pensé à arrêter. Et si j'ai voulu arrêter, ce n'est pas parce que je n'aimais pas le foot, mais c'était vraiment par rapport à ça. Je me suis demandé : « Mais c'est quoi ce monde de pourris ? »* Mais après, tu aimes tellement le foot que tu reviens, parce que tu passes 4-5 jours sans les terrains et tu deviens fou. Je pense que tous les footballeurs vous le diront, au bout de 4-5 jours à être blessé, les fils de ton cerveau commencent à se toucher parce que tu veux être sur le terrain. Je suis blessé depuis vendredi dernier, et j'ai déjà envie de courir, même si je sais que j'en ai encore pour quelques semaines. Jouer, c'est ce qui me fait avancer, c'est mon adrénaline.

**FM : Vous avez fait partie du documentaire À la Clairefontaine, avec Ricardo Faty, Abou Diaby, Geoffrey Jourdren ou bien encore Hatem Ben Arfa. Quels souvenirs gardez-vous de cette époque ?

HB :** J'en garde un frère, Ricardo Faty. Déjà, ça c'est quelque chose de très important, parce que je le considère comme mon frère. Après, ce sont les souvenirs en tant que gamins, que de la rigolade pendant trois ans, des petites disputes mais dont on rigole aujourd'hui. C'est trois ans de ma vie, avec un super entraîneur. Quand il nous parlait à l'époque, on le prenait parfois un peu pour un con, mais il s'avère qu'il avait totalement raison. Moi, quand je parlais seul avec lui, il me disait exactement ce qu'il s'est passé pour moi. Il me disait que j'étais l'un des joueurs avec le plus gros potentiel, mais que je me reposais trop sur mes lauriers, que j'ouvrais trop ma gueule, et que ma carrière allait faire des hauts et des bas. Et bien ça n'a pas loupé (rires). Ma carrière a fait des hauts et des bas, c'est comme ça. En tout cas, je retiens vraiment trois belles années à Clairefontaine, avec de supers joueurs, de supers mecs, que ce soit ceux qui sont connus maintenant ou ceux qui ne le sont pas du tout. Et bien sûr, Ricardo, qui pour moi est comme un frère.

**FM : Vos meilleurs souvenirs de foot ne sont-ils pas finalement là, avant que toute la médiatisation, la pression, l'argent, n'entrent en jeu ?

HB :** Oui, c'est sûr que le football insouciant est le meilleur. Quand tu as la pression du résultat mais que tu ne joues pas pour de l'argent, c'est le meilleur. L'argent fait vite tourner les têtes de beaucoup de monde. Le meilleur foot, c'est celui que tu fais avec tes potes, dans ton quartier, sur des terrains de hand, où tu mets deux t-shirts par terre et que tu joues, c'est ça le meilleur football. C'est pour ça, je pense, qu'on en a fait un métier nous les jeunes de cité. Et quand tu arrives au haut niveau, ce n'est plus la même chose. C'est pour ça aussi que, souvent, certains n'y arrivent pas, parce que ça demande une exigence énorme que tout le monde ne peut pas avoir.

**FM : On le sent dans votre discours, vous avez une certaine réflexion sur le milieu du football, certaines valeurs. Une fois votre carrière terminée, aimeriez-vous transmettre toutes ces choses aux plus jeunes ?

HB :** Oui, j'aimerais bien transmettre aux jeunes. J'aimerais transmettre mon savoir, parce que je pense avoir acquis beaucoup d'expérience notamment à l'étranger, j'ai côtoyé de sacrés entraîneurs. Mais après, je pense que je suis un petit peu trop nerveux pour ce métier. Je sais que, vu mon tempérament, je me prendrais la tête avec les joueurs, donc je laisse ça à ceux qui sont plus calmes que moi. Après, je pense quand même que je bosserai avec les jeunes, de 15-18 ans, ce serait sympa de leur apprendre le football et les valeurs, parce que je pense que les valeurs se perdent énormément.

**FM : Pensez-vous que, dans l'éducation d'un footballeur, les valeurs sont mises de côté ?

HB :** Oui, complètement. Les mecs sont dans un film. C'est simple, quand tu es jeune, que tu gagnes de l'argent, tu es dans un film. On ne va pas se mentir, j'ai connu ça aussi, j'ai été international Espoirs à 20 ans, je gagnais bien ma vie. Tu vas alors à Paris et tu te crois dans un film, tout t'est offert. Après, en grandissant, que tu as un enfant, que tu te maries, les choses changent. À l'époque, j'avais déjà certaines valeurs, mais en grandissant elles se sont ancrées en moi. Après, tu ne peux pas reprocher à certains de péter les plombs. La plupart des gens qui les jugent, je pense que s'ils avaient la possibilité d'avoir le même salaire et les mêmes propositions notamment dans la vie nocturne, il n'y en a pas beaucoup qui refuseraient. Moi, quand je lis des choses sur certains joueurs, je ne leur en veux pas. L'histoire des Espoirs par exemple, les gens les critiquent mais les ¾ des Français auraient fait la même chose. Après, les gens se voilent la face. Tu as 20 ans, tu as de l'argent, la vie est belle non ? Mais bon, il y a un rapport à l'argent qui est tabou, il ne faut pas se le cacher. En France, il ne faut pas avoir de l'argent, ce n'est pas beau.

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