Le RC Lens exaspère ses supporters

Par Quentin Dagbert
7 min.
Lens @Maxppp

Après une courte victoire (1-0), mais surtout une purge retentissante face au dernier de Ligue 2 (Châteauroux), les joueurs du Racing Club de Lens ont reçu les sifflets de leurs propres supporters, refusant par la même occasion de célébrer avec eux. Explications.

Il est presque 23h, ce lundi soir, quand les joueurs du Racing Club de Lens s'avancent vers le kop Lensois pour célébrer leur victoire. C'est un rituel au Stade Bollaert comme à l'extérieur, et c'est même ce que les supporters sang-et-or ont réclamé par le passé. C'est alors que des sifflets, des «Lensois, Lensois bouge ton cul», et des «on veut la Ligue 1» descendent des travées. La mythique tribune latérale "Tony Marek" est en colère. Cette victoire laborieuse, sur la plus petite des marges, glanée sur un penalty accordé généreusement, contre Châteauroux, lanterne rouge du championnat, à 11 contre 10, passe très mal.

La suite après cette publicité

Malo, présent dans le kop avec les ultras lensois ce lundi soir, nous raconte : «à la fin du match, le capo (ndlr : meneur des ultras) félicite les supporters pour l'ambiance malgré la triste performance». Dans la foulée, l'homme au mégaphone poursuit : «on ne va pas fêter ça quand même ! Pour monter en Ligue 1, il faut montrer plus ! Nous sommes d'accord à l'unanimité pour ne pas fêter la victoire ?», demande-t-il à l'ensemble de sa tribune. «Personne n'a rien dit, tout le monde a partagé son avis, il n'y a pas eu de contestation», affirme Malo. Après un tour de stade en applaudissant, «les joueurs viennent vers nous et s'installent directement par terre sur la pelouse». Le rituel, installé depuis cette saison, consiste à chanter doucement assis, puis plus fort debout, dans une synchronisation entre joueurs et supporters. Cela a remplacé l'habituel clapping des saisons précédentes.

À lire Les Lensois pestent contre les sifflets pour Wahi

«D'un vide abyssal»

Une fois d'accord à l'unanimité, le capo se retourne vers les joueurs et se lance dans une explication : «vous avez fait le strict minimum, on en demande un peu plus, un peu plus les gars, surtout à 10 contre 11». Comprenant qu'elle n'est pas en odeur de sainteté, la bande à Guillaume Gillet se relève comme un seul homme et regagne les vestiaires dans une ambiance contestataire. On entend même quelques insultes. «Malheureusement, c'était seulement un individu. Il était le seul, je tiens à le confirmer», témoigne Malo.

La suite après cette publicité

«Insipide», «d'une rare faiblesse», «un manque de justesse incroyable», «loin du compte», «en manque de repères et de confiance», «apathique», «fébrile», «d'un vide abyssal», voici les qualificatifs employés par les médias, L'Équipe et La Voix du Nord, pour résumer cette purge du RC Lens. On comprend mieux pourquoi, sur le penalty transformé de Tony Mauricio (55e) pour le seul et unique but de la rencontre, les 21 089 spectateurs célèbrent sans créer le capharnaüm qui résonne habituellement jusqu'à la gare de Lens. Signe annonciateur de ce qu'il allait se passer en fin de rencontre.

«C'était un match de merde mais on l'a gagné»

«À croire qu'après les "défaites encourageantes", formule souvent utilisée dans le foot, Lens vient d'inventer la "victoire décourageante"», décrypte Grégory Lallemand, journaliste à La Voix du Nord. «Je comprends les gens qui sifflent et qui ne sont pas contents, mais je n'ai pas compris après le match», a réagi le gardien de but lensois Jean-Louis Leca, après la rencontre. «C'était un match de merde mais on l'a gagné. Quand on veut fêter notre victoire, et qu'on se fait rembarrer par nos supporters comme des gamins de trois ans, ça ne fait pas plaisir, c'est blessant», grogne-t-il, en ajoutant : «si on était Ronaldo ou Messi, on ne jouerait pas à Lens». La réaction du portier de 33 ans témoigne d'une incompréhension entre joueurs et supporters.

La suite après cette publicité

«Je ne me sens absolument pas solidaire des insultes qui ont été proférées par quelques-uns d’entre nous. La symbolique de la non-célébration est suffisamment forte et reste respectueuse, même si ça n’a pas plu à Jean-Louis Leca», lui répond Antoine, supporter du RCL. «Je ne crois pas en une cassure, les mecs savent qu’on est là pour eux à chaque match, à Bollaert, et qu’on le sera encore à La Source (Orléans), ou à Rodez», poursuit-il. «J’espère que cela va les vexer, les piquer au vif, et qu’ils transformeront leur vexation en victoire à Caen (ndlr : ce samedi). Les victoires, même dégueulasses, effaceront cet épisode malheureux, mais toutefois mérité.»

La dernière fois, c'était en 2001

Mais comment expliquer que le public du RC Lens se fâche avec ses propres joueurs ? Cela n'a rien d'inédit, bien entendu. Nombreux sont les mécontentements depuis une dizaine d'années. Mais après une victoire ? Il faut remonter à la saison 2001-2002 pour voir cela. Lors d'un pauvre Lens-Sedan (1-0), où les supporters avaient également copieusement sifflé leurs joueurs à la fin de la rencontre. «C'était une époque bien différente, Lens était leader de L1, avait gagné ce match face à une équipe à 10, et avec un joueur dans les buts. Deux semaines plus tard, Lens explosait Bastia 7 à 0», se souvient le journaliste Grégory Lallemand.

La suite après cette publicité

Aujourd'hui, le contexte est tout autre. «Tout part d'un enchaînement de piètres prestations. Et hier, on a atteint des sommets. Pas de jeu. Pas d'envie. Le néant», rouspète Louis, fan du Racing. Le club, actuel 10e de Ligue 2, venait d'enchaîner les déconvenues. Avant la purge de Châteauroux, une défaite au Havre (1-3), un non-match à Troyes (0-2), et un nul à Grenoble (2-2), entre autres, avaient déjà frustré les supporters. «Lens est un club passion, et la patience n’est pas notre force. On en chie depuis plus de 10 ans», rappelle Antoine. Passé tout près de la montée en Ligue 1 ces trois dernières années, avec une défaite cruelle dans le dernier match des barrages à Dijon (2019) et un but d'Amiens à la dernière seconde qui lui chipe la dernière place de promu (2017).

Le mercato de la trahison

«Ligue 1». Un mot qui revient sans cesse dans la communication du club. Des joueurs, en passant par l'entraîneur, jusqu'aux dirigeants. Le club ne s'en cache pas, l'ambition affichée est de remonter en première division le plus rapidement possible. «On t'annonce ça tous les deux ans. Une ambition de montée "dans les deux ans". On est à la 2e année. Et ça semble mal parti avec ce coach (ndlr : Philippe Montanier). Ça fait évidemment partie de l'énervement des gens», raconte Louis.

Le mercato, qui vient de se terminer, n'a pas non plus été bien perçu par les fans sang-et-or. Au 1er juillet, il semblait pourtant être intelligent avec les recrutements de joueurs aguerris de Ligue 2 comme Florian Sotoca, Gaëtan Robail, Tony Mauricio, Manuel Perez et Clément Michelin. Pour peu de pertes. Finalement, ce marché des transferts s'est transformé en cauchemar, avec les ventes de Fabien Centonze, Jean-Kevin Duverne, Jean-Ricner Bellegarde, Souleymane Diarra et Mehdi Tahrat.

35 mouvements, 20 départs et 15 arrivées

Si certains départs étaient prévus, d'autres ont été mal vécus par les supporters comme ceux du meilleur buteur (16) Yannick Gomis (à Guingamp) et du grand espoir Mounir Chouiar (à Dijon) dans les dernières heures du mois d'août. La direction, avec son directeur général Arnaud Pouille en chef de file, avait promis de la stabilité au club. Les supporters se sont sentis trahis. «On t'annonce qu'on va signer les joueurs tôt pour être prêts en début de saison et pour être stable. Résultat, on termine avec 35 mouvements (ndlr : 20 départs et 15 arrivées)», critique Louis.

Malgré toutes ces raisons, la piètre performance de lundi soir reste la principale selon ce fan du RCL. «Les gens en ont probablement marre de se saigner - financièrement et en termes de temps - pour assister à ça et voir que les mecs ne se bougent même pas sur le terrain». Il prévient : «jusqu'à nouvel ordre, je ne mettrai plus un pied à Bollaert tant que le coach Philippe Montanier sera là». On se souvient que le public de Lens avait fait partir Alain Casanova à coup de banderoles et d'envahissements de terrain à l'aube de la saison 2017-2018. Bis repetita ?

Plus d'infos sur...

La suite après cette publicité

Fil info

La suite après cette publicité