«Magique Système», un livre qui dévoile le côté sombre du football africain

«Magique système, l'esclavage moderne des footballeurs africains» nous plonge dans un système où le footballeur africain est traité comme une marchandise par des intermédiaires sans limite.

Par Abou Cissé
8 min.
Le footballeur africain est malmené par ses intermédiaires @Maxppp

La face obscure du football africain passée au crible. Deux journalistes Barthélémy Gaillard et Christophe Gleizes ont voyagé dans toute l’Afrique de l'Ouest et en RD Congo pendant neuf mois pour nous montrer un système où le footballeur africain, qui rêve de jouer en Europe ou ailleurs, est traité comme une marchandise. Des intermédiaires s’enrichissent en se servant de moyens légaux ou illégaux dans lequels le principal intéressé se trouve perdant. A travers plusieurs témoignages et portraits, «Magique Système, l'esclavage moderne des footballeurs africains» nous décrit cet univers. Depuis plusieurs décennies, des interrogations existent sur le trafic d'âge concernant les footballeurs africains. Les deux journalistes Christophe Gleizes et Barthélémy Gaillard décident un jour de se rendre en Afrique pour vérifier de leurs propres yeux si ces rumeurs sont fondées. L'un des deux auteurs du livre Barthélémy Gaillard revient sur ce déclic qui les a poussé à réaliser cette enquête.

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«A l'époque, Christophe Gleizes travaillait à So Foot et il a vu des articles tournés de manière un peu marrante sur les trafics d'âge et les identités des footballeurs africains et c'est dit qu'il va aller voir sur place en Côte d'Ivoire notamment pour faire un entretien rigolo pour So Foot. Et sur place, il s'est rendu compte que ce n'était pas simplement une curiosité ou un truc folklorique mais au contraire, ça s'inscrivait dans une véritable attraction d'une chaîne. Pour le trafic d'âge, les mineurs passent majeurs pour échapper à la législation de la FIFA et les vieux rajeunissent leur age pour avoir l'air plus bankables aux clubs européens. Enfin le trafic d'identité permet de faire disparaître les joueurs à la fédération africaine pour ne pas payer les indéterminés de formation» nous confie-t-il en premier lieu.

Les confidences de Claude Le Roy

Les deux auteurs nomment cet univers «Magique Système». Un clin d’œil au groupe ivoirien Magic System, mais pas que comme nous l'explique Barthélémy Gaillard. «Le groupe Magic System fait partie des références culturelles en Afrique. Au-delà de ça, il faisait vraiment sens ce titre car il y a quelque chose de magique dans ce qu'on décrit, avec des gens qui perdent des années, qui gagnent une lettre à leur nom, et qui disparaît d'un fichier FIFA en RD Congo pour réapparaître en Chine. Il y a un côté magique, qui puisait systémique. Ce qu'on dénonce ce ne sont pas quelques arnaques isolées mais bien d'un système organisé, hiérarchisé, pyramidal, d’extraction d'une valeur première qui est le joueur africain vers des championnats plus huppés

Dans leur traversée, les auteurs découvrent donc d'autres pratiques en plus du trafic d'âge qui gangrène le football africain et font intervenir dans leur ouvrage en préface le sélectionneur du Togo Claude Le Roy. Ce dernier annonce la couleur en racontant deux faits. D'abord sa découverte d'une pratique acceptée par les footballeurs africains, le trafic d'âge à la fin des années 80 avec les Lions Indomptables. Ensuite, le départ d'un de ses gardiens à la mi-temps d'un match amical convaincu par des agents, alors que Le Roy est à la tête des Léopards, dans le cadre des préparations pour les qualifications au Mondial 2006 en Allemagne. Après cette forte mise en bouche, les deux journalistes partent à la rencontre des acteurs en nous décrivant le trafic d'âge qui engendre d'autres dérapages.

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Le trafic d'âge, une pratique ancrée en Afrique

Par exemple, afin de rivaliser avec les sélections européennes dans les catégories de jeunes, certaines sélections africaines baissent les âges de joueurs majeurs pour leur tenir tête. La FIFA riposte lors de la dernière Coupe du Monde des moins de 17 ans en mettant en place des IRM aux poignets pour repérer les fraudeurs. Le Nigeria est pointé du doigt et ne se qualifie pas pour cette édition. Pour sa première participation, le Niger effectue lui un parcours jusqu'en 8e de finale mais présente des irrégularités avec plusieurs joueurs nés le même jour. Un autre cas, celui du footballeur Joseph-Marie Minala défraye la chronique. Lors de ses débuts en Serie A avec la Lazio Rome au mois de mars 2014, il est moqué en raison de ses traits de visage d'homme bien plus mur que son âge. Les deux journalistes le questionnent lors d'un entretien. Le principal intéressé nie en bloc toute fraude éventuelle.

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On poursuit l'envers du décor par la multiplication des structures opaques avec la création d’académies non affiliées aux fédérations africaines. Des intermédiaires réalisent des promesses aux familles de footballeur pour rejoindre l'Europe plus rapidement dans leur institut que dans une autre affiliée à une fédération africaine. A l'arrivée, ceux qui échouent au test sont abandonnés et livrés à eux-mêmes dans le pays où ils débarquent en situation irrégulière. L'intermédiaire en question ramasse l'argent donné par la famille puis conserve les papiers du joueur pour continuer son business en toute impunité. Ces agissements plombent les superbes initiatives de Génération Foot associé au FC Metz ou de l'ancienne académie ASECMIMOS de Jean-Marc Guillou (photo à voir ci-dessous avec la présence de Barry Copa, Kolo Touré). Ces fameux agents ne s'arrêtent pas là et détiennent plusieurs cordes à leur arc. Ils profitent du manque d’éducation des jeunes joueurs pour contrôler leur carrière ou leur soutirer de l'argent.

Des intermédiaires sans scrupules

Dans le livre, les deux auteurs reviennent sur le cas Nei Lampey, ancien international ghanéen. Bloqué par se fédération, il empreinte un chemin sinueux et tombe dans les mains d'un agent véreux. Ce dernier le prive d'une possible grande carrière en l'amenant dans des clubs en pensant à ramasser le plus d'argent possible. Dans un entretien accordé à l'Equipe le 10 mars dernier, l'attaquant sénégalais d'Amiens Moussa Konaté a vécu le même sort que Nei Lampey. «J'ai aussi été plusieurs fois arnaqué par les agents. Certains rengainent sans que le sache, ils ramassaient mes primes à la signature, faisaient des trucs bizarres. Ils savaient que je ne comprenais rien au fonctionnement du haut niveau. Peu à peu, j'ai réalisé comment ça se passait. Ça ne m'a pas empêché de vivre et de gagner ce que j'ai gagné, d'être heureux dans la vie et de continuer ma carrière.»

Avec un marché des transferts complètement dérégulé dans lequel les footballeurs africains ne cessent de voir leur valeur grimper, à l'image de Cédric Bakambu en Chine pour 74 millions d'euros au Beijing Guoan ou Naby Keita à Liverpool pour 68 millions d'euros en juillet prochain, d'autres dérives sont à prévoir comme le souligne Barthélémy Gaillard. «L'explosion exponentielle des prix sur le marché des transferts concerne aussi des joueurs africains. Evidemment, l’argumentation du jackpot à faire va aiguiser l’appétit des gens». Les clubs européens entrent dans la danse de ce système en étant complices et profitent du manque de professionnalisme des clubs africains sur le plan administratif pour ne pas payer les indemnités de transfert lié à la formation.

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Les clubs européens abusent de leur puissance

Le témoignage de l'agent Paulo Teixera dans l'ouvrage est saisissant et riche en enseignement comme l'indique Barthélémy Gaillard. «Son analyse permet de voir à quel point les règles instituées au football sont toutes détournées. Les clubs européens utilisent beaucoup le chantage. Je vais prendre votre joueur mais je n'ai pas les moyens de payer les indemnités de formation. En revanche, je m'engage à reverser 30 % sur la future revente de ce joueur. Sauf qu'il arrive très souvent que le joueur signe dans un autre club et son ancienne équipe africaine ne touche rien. Au delà des triches évidentes, des fraudes évidentes et des arnaques les plus sordides, il y a aussi un entre-deux de gens qui respectent les lois dans la légalité qui sont à la fois moraux et immoraux». Enfin le livre s'achève sur un long entretien de Jean-Claude Mbvoumin, ancien footballeur camerounais, fondateur et dirigeant de Foot Solidaire. Son association recueille des jeunes footballeurs africains lâchés par leurs agents et qui se retrouvent sans ressources et sans papiers.

Les deux auteurs du livre nous détaillent toutes ses dérives évoquées sur les 196 pages. Barthélémy Gaillard pense que l'Afrique pourra résoudre ce problème mais pas dans un futur proche. «Je l'espère très fort. Je le pense malheureusement à court terme impossible. Il y a tellement d'intérêt économique pour 10 000 intermédiaires. On parle des académies poubelles qui fleurissent un peu partout dans le pays, les agents et les petits clubs qui touchent des pots-de-vin ou des dessous de table. Ça contribue à flatter les intérêts individuels au détriment de l’intérêt général du football africain. Autre effet pervers qu'il y a, plus on sait qu'on peut vendre un joueur à 5 000 ou 10 000 euros et plus on va créer son propre club. Le nombre de clubs explose en Afrique et forcément s'ils sont de plus en plus nombreux, les talents sont de plus en plus dispersés. Or qu'est ce qu'il faut pour augmenter le niveau des championnats locaux ? Parce que la solution pour que les joueurs ne partent pas, il faut rassembler les talents pour qu'ils jouent ensemble comme ça pu être le cas avec Jean-Marc Guillou.»

«Magique système, l’esclavage moderne des footballeurs africains», de Barthélémy Gaillard et Christophe Gleizes, éditions Marabout, 190 pages 15,90 euros.

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