Lors d’une conférence de presse au Sénat, la commission d’enquête sur la financiarisation du football français a prononcé un discours accablant. À un mois de rendre son rapport définitif, elle s’interroge sur la gestion de la LFP ainsi que de celle des clubs français.
Des nouvelles de la commission d’enquête sénatoriale sur la financiarisation du football français faisant suite à l’arrivée de CVC dans la société commerciale de la LFP. Le rapporteur, Michel Savin, et le président de cette mission, Laurent Lafon, tenaient une conférence de presse ce jeudi sur l’avancée de leurs travaux. Ce point fait suite à leur visite matinale au siège de la LFP. Ils y ont rencontré les directeurs généraux de la Ligue, Arnaud Rouger, de LFP Media, Benjamin Morel, ainsi que le directeur financier et administratif de la LFP, Sébastien Cazali. L’objectif était d’obtenir de nouvelles informations afin de compléter leur rapport, qui doit être rendu durant la 2ᵉ quinzaine du mois d’octobre.
S’ils n’ont pas eu le temps d’analyser l’ensemble des documents obtenus plus tôt dans la journée, les sénateurs ont dressé un premier bilan cinglant envers la Ligue, et plus globalement à l’encontre du football français. S’ils reconnaissent que le milliard et demi d’euros injectés par CVC en échange de 13% de la société commerciale de la LFP a permis aux clubs de respirer, «nous constatons que les arguments de l’époque sont mis à mal par les faits avérés aujourd’hui», résume Laurent Lafon. «De fait, cette société existe. Le 1,5 milliard d’euros allait engager un cercle vertueux, 1,1 revenait aux clubs et allait être réinvestis. Nous avons un regard critique sur l’utilisation qui en a été fait par les clubs.»
«Les chiffres obtenus se rapprochent plus du championnat slovène que de la Premier League anglaise»
La venue de CVC devait également permettre une meilleure commercialisation du football français dans la vente de ses droits TV. Après d’interminables négociations, l’appel d’offres a été remporté par DAZN pour une somme largement inférieure qu’espérée (en moyenne 500 M€ par saison sur la période 2024-2029), et pour une qualité moindre (absence de magazine et de multiplex). «L’apport d’un point de vue technique, et d’implication des responsables de CVC ne nous paraît pas évident. Ils ont été relativement absents tout au long du processus, un peu moins à la fin», assure le rapporteur qui emploie une formule-choc pour résumer la situation. «J’ai le sentiment que les chiffres obtenus se rapprochent plus du championnat slovène que de la Premier League anglaise. Le résultat est donc relatif sur l’apport du montage financier mis en œuvre il y a deux ans.»
Autre tacle envoyé aux clubs français, l’absence de vision à long terme. Le modèle économique repose sur deux piliers fondamentaux : la vente des droits TV et les transferts de jeunes joueurs, qui n’ont finalement rien de structurant. «On voit une forme de "cataloguisation" du foot français : un championnat avec un vivier de jeunes mais dès lors que le jeune devient performant, il va ailleurs. Ça limite les perspectives de développement du championnat», juge le sénateur Lafon avant d’aborder l’autre source de revenus. «Les droits télévisuels ne sont pas extensibles à merci. On voit bien les différentes forces qui essayent de capter ces ressources. Cette captation ne se passe plus au niveau national mais au niveau européen. Il y a plus de matchs diffusés (Ligue des Champions, Coupe du monde des clubs). Le phénomène d’attractivité se fait au niveau européen, au détriment des championnats nationaux. C’est à intégrer dans la réflexion générale.»
La masse salariale de la LFP a explosé en deux ans
Le résumé du rapporteur de cette commission d’enquête, Michel Savin, s’est davantage concentré sur la LFP et les nombreuses interrogations qui la cernent depuis plusieurs mois, notamment depuis qu’elle est dirigée par un Vincent Labrune largement réélu à la tête de l’organisation mardi dernier. Ce dernier n’a d’ailleurs pas été interrogé ce jeudi matin. «Entre 2022 et 2024, entre la LFP et LFP Media, les effectifs sont passés de 77 à 137 CDI. Cette masse salariale a grimpé de 7 à 17 M€. Dans le même temps, il y a une forte diminution liée à la vente des droits TV. Autre constat, le salaire du président de la LFP a triplé à 1,2 M€ annuel à l’occasion de l’opération avec CVC, en plus de recevoir un bonus de 3 M€ (bonus auquel Vincent Labrune a depuis renoncé).» Labrune avait d’ailleurs été auditionné sur tous ces sujets en juin dernier. «Le football est un milieu où circule beaucoup d’argent mais s’agissant de la Ligue, nous parlons d’une association à loi 1901, chargée d’une mission de service public, ce qui pose quelques questions», interpelle le sénateur de l’Isère.
La fameuse surfacturation du salaire du patron de la LFP a d’ailleurs cessé depuis l’audition des dirigeants de CVC. En revanche, le nouveau siège à 131 M€ «très beau, de très belle qualité (sourire narquois du rapporteur) pèse sur les frais de fonctionnement de la ligue. Ceci nous interroge». De fait, un constat s’impose, «la Ligue doit rapidement engager des réformes de fonds sur sa gouvernance, sa transparence des décisions, son fonctionnement, son train de vie et sur les évolutions à mettre en place en lien avec le pouvoir politique (piratage, multipropriété). Il y a urgence à ce que le foot français arrête de vivre au-dessus de ses moyens et retrouve une gouvernance professionnelle.»
La commission d’enquête n’oublie pas les supporters
Enfin, un dernier sujet autour des supporters a été abordé. «Ils sont relativement peu écoutés, estime le sénateur Lafon. C’est pourquoi, nous continuons à les auditionner. Les supporters, c’est aussi l’expression des territoires. Nous tenons un championnat de France dont les clubs sont issus de leur territoire et y consacrent leur identité. À travers ce processus de financiarisation, il y a une confrontation, même une opposition.» Michel Savin lui emboîte le pas, citant le mouvement de contestation des supporters de Ligue 2 contre la diffusion des matchs le vendredi soir. «On ne construira rien contre les consommateurs et les supporters. La reprogrammation des matchs de Ligue 2 le vendredi sans aucune concertation aurait pu être évitée. Le départ des consommateurs pour du piratage destructif est également très préoccupant.» Le rapport publié dans un gros mois sera très piquant.
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