Coupe du monde 2022 : la passe d'armes continue entre le Qatar et la FIFA
À un peu plus de six semaines du début de la Coupe du monde 2022, prévue au Qatar du 20 novembre au 18 décembre prochain, la tension montre entre le pays organisateur et la FIFA. Victime d’un intense bashing et au cœur de nombreuses polémiques, l’état du Golfe a décidé de répliquer.

«Nous sommes dans un siècle de l'image. Pour le bien comme pour le mal, nous subissons plus que jamais l'action de l'image», affirmait, au siècle dernier, le philosophe français Gaston Bachelard. Une maxime plus que jamais vérifiée à l'heure où nous écrivons ces lignes et bien réelle lorsqu'il s'agit de décrire l'analyse des rivalités entre États qui ont pour objet ou vecteur le sport, autrement dit : la géopolitique du sport. Un thème largement diffusé et relayé au cours des dernières semaines alors que cette petite péninsule, nommée Qatar, s'avançant dans le golfe Persique, s'apprête à accueillir la plus prestigieuse des compétitions internationales : le Mondial 2022. Soupçons de corruption, négation des droits de l'Homme et désastre écologique... Ce dernier fait, certes, plus parler de lui pour les nombreuses polémiques qu'il suscite que pour son aspect sportif. Pourtant, si de plus en plus de voix s'élèvent pour appeler au boycott, le Qatar est lui bien lancé dans son sprint final et gare à celui qui voudrait ternir un tel rendez-vous.
Pays hôte de cette Coupe du monde, cet émirat du Moyen-Orient va, en effet, attirer des milliers de fans, de touristes et de journalistes, donnant ainsi un véritable coup de pouce économique à cette terre d'une superficie de 11 586 km. Plaque tournante mondiale le temps d'un petit mois, le Qatar voit également l'occasion de se commercialiser auprès de l’Occident. Alors pas question de gâcher une telle opportunité... Passons donc les considérations climatiques, humaines, sociales, cette presqu'île, limitrophe de l'Arabie saoudite au sud et de Bahreïn au nord-ouest (elle n'est séparé des Émirats arabes unis que par le port naturel saoudien de Khor Duweihin), a bien l'intention de redorer son image et ainsi de prendre, pleinement, place au sein de la communauté internationale. Accusé, à maintes reprises, de sportwashing, procédé par lequel une entreprise, un pays ou d'autres entités utilisent un événement sportif, une équipe sportive, ou le sport de façon générale, comme moyen d'amélioration de sa réputation, le Qatar s'est, malgré tout, vu attribuer, le 2 décembre 2010 et à la surprise générale, l'organisation de cette compétition.
Un Mondial au cœur des polémiques !
Déterminé, aujourd'hui, à fêter, coûte que coûte, la grande messe du football mondial, ce richissime émirat gazier, également connu pour sa chaîne d’information Al-Jazeera mais aussi son achat du Paris Saint-Germain, est bien conscient que le sport, utilisé comme outil d’influence ou comme source d’enjeux économiques, politiques, voire culturels, est devenu un élément incontournable des relations internationales. Le moyen également de redorer un blason plus que maculé ? Sous le feu des critiques à cause des violations faites aux droits humains, ce pays qui punit l’homosexualité et place les femmes sous tutelle masculine fait de l'image son cheval de bataille. En rivalité permanente avec l'Arabie saoudite, pétromonarchie également présente dans cette région et qui vient de décrocher l'organisation des Jeux asiatiques d'hiver 2029, le Qatar a, ainsi, bien l'intention de se défendre des accusations qui lui sont faites. Et même des plus graves... Outre l'aberration écologique et les dépenses pharaoniques engagés dans ce projet (220 milliards d'euros selon les derniers chiffres de Front Office Sports, soit presque l'équivalent du PIB du pays évalué à 236,3 milliards), le pays hôte a également dû faire appel à des milliers d’ouvriers immigrés pour construire les stades climatisés, les hôtels et les gares de métro.
Oh la clim. #Qatar2022 pic.twitter.com/KAXPzGRv08
— Josué Cassé (@CasseJosue) September 27, 2022
Récemment, le quotidien britannique The Guardian révélait, à ce titre, que près de 6 500 hommes seraient morts sur ces chantiers, et ce malgré de nombreuses manifestations, pourtant interdites au Qatar, entamées début mars. En réponse à ces terribles révélations, le gouvernement qatari estimait, quant à lui, que «le nombre de morts est proportionnel au nombre de travailleurs immigrés présents dans le pays et inclut des travailleurs en col blanc qui sont décédés de mort naturelle après avoir vécu au Qatar de nombreuses années» dans des propos rapportés par The Guardian. Une réaction surprenante des autorités locales qui va, malgré tout, dans le sens de la stratégie adoptée par cet émirat du Moyen-Orient : bonifier son image, quel qu'en soit le prix. Nouvelle preuve de cette ambition de faire bonne figure, et ce malgré les nombreuses critiques adressées, cette passe d'armes entre le Comité suprême en charge de l’organisation de cette Coupe du monde 2022 et la FIFA depuis la fuite d’un guide détaillant les règles du Qatar pour l'accueil des supporters sur les questions de consignes vestimentaires, de règles de vie en public ou encore de consommation d'alcool.
Le Qatar veut redorer son blason, quel qu'en soit le prix !
Accusé initialement d’être un faux par les organisateurs, ce document a, pourtant, bien été rédigé par la FIFA et mis à disposition des détenteurs de droits sur l’extranet de l’instance internationale dans l’onglet «Broadcaster Information Center». Agacés par la publication sur les réseaux sociaux ou dans la presse de ce document, les organisateurs ont alors tenu à rétablir leur vérité, par le biais d'un communiqué officiel. «Le document 'Le Qatar vous accueille' qui circule sur les réseaux sociaux ne provient pas d'une source officielle et contient des informations factuelles incorrectes, a expliqué le Comité suprême via un communiqué cité par le média local The Peninsula Qatar. Nous exhortons vivement les fans et les visiteurs à se fier uniquement aux sources officielles des organisateurs de tournois pour obtenir des conseils de voyage pour la Coupe du Monde de la FIFA Qatar 2022 de cette année», précise ainsi le texte cité par le média local The Peninsula Qatar avant d'ajouter : «le Comité suprême pour la livraison et l'héritage, la Coupe du monde 2022 et la FIFA publieront sous peu un guide complet des fans qui conteste une grande partie des informations diffusées».
Une contre-attaque prouvant, une nouvelle fois, la volonté du Qatar de protéger son image mais qui ne répond finalement pas aux principales interrogations. Deux hommes pourront-ils dormir dans une même chambre ? Qu'en est-il également des relations homosexuelles ou encore de la consommation d'alcool dans les rues qatariennes et dans les stades ? En attendant et malgré ces contre-mesures globalement partielles et cette mise au point peu convaincante, le Comité suprême en charge de l’organisation a également souhaité modifier les conditions d’entrée sur son territoire pour le tournoi. En effet, si tous les supporters de la planète ne seront pas les bienvenus, superficie du pays oblige, certains fans sans billet pourront, malgré tout, être invités par des supporters détenteurs du précieux sésame, comme le précise le site officiel de la compétition. Ainsi, les personnes munies de la Hayya Card, carte digitale permettant d'entrer au Qatar et couplée avec l’accès au stade (via le billet de match), pourront inviter jusqu’à trois personnes dépourvues de ticket pour visiter le pays grâce au programme Hayya with Me, donnant accès à des transports en commun gratuits pendant toute la durée du tournoi et à de nombreuses réductions sur place. A noter, en revanche, que ces titulaires d'Hayya with Me devront payer des frais non remboursables de 500 Riyal qatarien, soit environ 140 euros, pour les touristes de plus de douze ans.
En vert et contre tous !
Une chose est sûre, ce petit Etat du Golfe, au cœur de toutes les polémiques ces dernières semaines, met tout en œuvre pour préserver son image. Une bataille également menée sur le plan écologique et qualifiée de greenwashing par les experts du climat. Principal exportateur de gaz au monde et triste détenteur du record mondial d'émissions de CO2 par habitant, le Qatar doit également se défendre du désastre écologique engendré par un tel rendez-vous, qui plus est dans un pays où le thermomètre peut atteindre jusqu'à 50 degrés. En dépit de températures plus clémentes attendues pour ce Mondial (entre 19,5 et 29,5 degrés en moyenne en novembre et 15 et 24,1 degrés en décembre), sept des huit stades qui accueilleront les matchs seront, toutefois, climatisés à ciel ouvert. Un scandale pour beaucoup malgré la promesse de la promesse de neutralité carbone affichée par les organisateurs. Les données suggèrent que les émissions liées à la Coupe du monde seront considérablement plus élevées que prévu par les organisateurs, et que les crédits carbone destinés à compenser ces émissions n'auront sans doute pas un impact suffisamment positif sur le climat, précisait, dans ce sens, l'ONG Carbon Market Watch, en mai dernier. Ces conclusions ont cependant été qualifiées de «spéculatives et inexactes» par les organisateurs du Mondial.
«Nous sommes sur la bonne voie pour organiser une Coupe du monde neutre en carbone», affirmait ainsi, au sein d'un communiqué, le Comité suprême, assurant également que les données «réelles» seront publiées après le tournoi et «tout écart expliqué et compensé». Les «émissions inévitables» seront compensées par «des investissements dans des crédits carbone reconnus et certifiés au niveau international», ce qui «devrait être reconnu, plutôt que critiqué». Pour rappel, la FIFA assurait, en juin 2021, que la Coupe du monde au Qatar devrait générer 3,63 millions de tonnes de dioxyde de carbone. Un chiffre qui devrait, toutefois, s'envoler puisque plusieurs pays voisins du Qatar vont mettre en place des navettes quotidiennes en avion pour acheminer les très nombreux supporters dans les stades. Avec 160 vols quotidiens et un départ toutes les dix minutes, difficile de continuer à croire en une quelconque neutralité carbone... «Ainsi il ne perdra pas la face. Depuis le dernier coolie jusqu'au premier mandarin, il s'agit de ne pas perdre la face, leur face de bois, mais ils y tiennent et en effet, n'y ayant pas de principes, c'est la face qui compte», assurait Henri Michaux dans son carnet de voyage, intitulé Un barbare en Asie, paru en 1933.
“Ce petit pays devenu incontournable s'appuie sur des petites mains esclavagisées. Sans eux, il n'y a pas de mondial, sans eux, le Qatar n'est pas ce qu'il est devenu aujourd'hui.” @RachidaElAzzz, journaliste à Médiapart
— C ce soir (@Ccesoir) September 20, 2022
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