France - Belgique : récit d'une rivalité naissante

Par Maxime Barbaud - Josué Cassé
12 min.
Le coup de tête victorieux de Samuel Umtiti lors de France-Belgique @Maxppp

Le 7 octobre prochain, date de la demi-finale de Ligue des nations, la France et la Belgique croiseront le fer pour la première fois depuis la Coupe du Monde 2018 dans une rencontre qui suscite d'ores et déjà beaucoup d'intérêts. Et pour cause, si des antagonismes historiques existent entre ces deux nations, la victoire des Bleus face aux Diables Rouges (1-0) en demi-finale du dernier Mondial n'a fait qu'accentuer une rivalité empreinte de provocations. Récit de deux meilleurs ennemis.

«Je t'aime, moi non plus...» Voilà un célèbre dicton qui prend tout son sens dans les rapports historiques qu'entretiennent Français et Belges. Une rivalité exacerbée dépassant le cadre du football entre deux nations qui aiment se charrier, pour ne pas dire se «friter». Au regard de l'histoire, de la culture, de la gastronomie, ces deux peuples frontaliers rythment ainsi leur relation de moqueries en tout genre. Un amour vache, une querelle d'ego où le Français revêt, à son insu, l'habit de l'être hautain, pêchant d'un excès d'arrogance et où le Belge se voit quant à lui accoutré d'un costume de personnage aussi simplet que sympathique. Et si cette opposition ne date donc pas d'hier, le célèbre rectangle vert observé par tous les amoureux du football n'a fait que décupler ces antagonismes déjà bien marqués. À ce titre, la demi-finale du Mondial 2018 remportée par les Bleus de Samuel Umtiti aux dépens des Diables Rouges de Thibaut Courtois (1-0) reste sans doute le principal point de bascule.

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Un complexe d'infériorité accentué le 10 Juillet 2018 ?

«C'est dommage pour le foot que la Belgique n'ait pas gagné. On perd contre une équipe qui n'est pas meilleure que nous. On a perdu contre une équipe qui joue à rien, qui défend.» Le gardien de la Belgique Thibaut Courtois portait bien mal son nom à l'issue de la rencontre perdue face à la France (0-1), en demi-finale de la dernière Coupe du Monde. Et pour cause, la frustration était telle que l'objectivité ne pouvait avoir sa place, en témoigne le soutien d'Eden Hazard ou de Thomas Meunier sur la position exprimée du portier des Diables Rouges. Une sortie fracassante, sur laquelle il est ensuite revenu, à l'origine du désormais célèbre «seum» belge et qui questionne inexorablement sur l'origine de cette rancœur affichée. Interrogé par nos soins, Sacha Tavolieri, journaliste belge et correspondant pour RMC Sport, évoque alors une première raison : «il y avait la possibilité d’aller chercher ce rêve que la France, ce rival, ce voisin historique, a encore empêché. C’est l’éternelle histoire de 'David contre Goliath'. On est si prêts du rêve et puis tout d’un coup c’est eux qui y arrivent. (...) La France a été plus clinique, plus forte, plus fine et plus intelligente et ils ont gagné méritoirement. C’est pour ça qu’ils gagnent la Coupe du Monde. Ils étaient les meilleurs. C’est resté en travers de la gorge des supporters belges».

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«Il y a de la part de la Belgique une plus grande rivalité, parfois ça peut se traduire pas un complexe d’infériorité, et parfois, c’est surtout que les Belges vivent mal le fait de vivre à côté d’un pays plus grand, un peu supérieur, qui a évidemment une autre histoire. Les Belges ont tendance à dire : 'non on n'est pas anti-Français, ce sont eux qui se prennent trop la tête avec nous. On ne les pense pas plus grands qu’ils ne sont alors que eux ont tendance à penser que le monde tourne autour d’eux'». Des propos confirmés par Christophe Franken, chef de la rubrique football à La Dernière Heure : «moi je vois ça comme la Belgique c’est le petit frère qui veut impressionner son grand frère qui est la France. Il y a toujours ce côté compétition de se dire : 'je suis le plus petit mais j’ai envie de montrer que je peux jouer avec lui, que je suis suffisamment grand, que je peux m’amuser avec lui'. Je caricature mais il y a ce côté là je trouve entre Belges et Français. Et alors, quand les Français saluent les amis belges avec un peu de condescendance il y a toujours un peu de vexation plus fort que si c’était un autre pays qui se moquait de nous.»

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À l'aune de ces considérations rappelant les inévitables conflits de fratrie vécus par le commun des mortels, la défaite de 2018 est, par ailleurs, survenue au pire moment pour des Belges, proches de leur état de grâce. Un revers difficile à digérer pour des Diables Rouges qui ont connu un véritable trou noir entre 2002 et 2014 sur la scène internationale mais qui se présentent, depuis, comme un prétendant régulier et sérieux au titre final. Quart de finaliste au Mondial 2014 puis à l'Euro 2016, 2018 s'avérait très certainement comme l'année de la concrétisation pour cette génération dorée mais le coup de casque d'Umtiti a finalement réduit à néant les espoirs de tout un peuple : «cette rivalité est née je pense quand la France a compris que la Belgique commençait à devenir un vrai prétendant sportif (...) mais ce qui a vraiment commencé à créer ça c’est quand la France est devenue le bourreau de la Belgique, elle qui arrive très peu dans des phases finales dans son histoire, et en demi-finale, les Belges ont surtout vécu ça comme un abattement. Les Belges ont un sentiment profond de se dire 'putain, ils ont plus de chance que nous. Nous c’était la seule'», assure Sacha Tavolieri.

Un sentiment de frustration décuplé pour cette génération dorée, numéro 1 au classement FIFA malgré son absence de titre, qui ratait une nouvelle opportunité de se retrouver au sommet du football mondial : «ce n’est pas un truc de journalistes et de supporters qui aiment mettre la pression», rappelle ainsi Christophe Franken avant d'ajouter : «eux-mêmes se sont rendus compte dès 2012, 2014 et même avant vers 2011, ils ont compris qu’il y a avait un potentiel avec de bons joueurs à chaque position donc ils se sont dit, pas tout de suite mais à terme, on a une équipe pour gagner. (...) Clairement cette génération dorée est consciente qu’un petit pays comme la Belgique, qui normalement ne peut pas gagner un tournoi, puisse là le faire. Donc il y aura une déception si elle ne gagne jamais.»

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Un rapport de force historiquement ancré

Au-delà de l'aspect purement sportif, cette concurrence franco-belge qui s'exprime, certes aujourd'hui, sur un terrain de football ne peut se comprendre sans considérer le poids de l'histoire. Car plus qu'une rivalité, il s'agit surtout d'un rapport de force évolutif émanant d'une éducation, d'un paysage linguistique et d'une volonté belge de créer sa propre identité nationale malgré bon nombre de points communs avec la France. Une réalité que nous avons pu recueillir auprès de Catherine Lanneau, professeure à l’université de Liège : «il faut remonter dans l’histoire. La Belgique prend son indépendance en 1830. Pour une raison de commodité et d’une domination d’une certaine élite, qui parle surtout le Français à ce moment-là, c’est de facto la seule langue officielle durant les premières années mais parler le français ne veut pas dire être Français. Donc, on va s’employer à se démarquer dans la construction de l’identité nationale belge, on va plutôt insister sur ce qui différencie.»

Se démarquer pour mieux exister, voilà donc un leitmotiv qui anime la Belgique depuis plusieurs décennies malgré les inévitables points de rencontre entre ces deux pays frontaliers : «on joue à prendre ses distances, d’une part parce que la France fait un peu peur (Sous le Second Empire, Napoléon III avait des vues expansionnistes sur la Belgique, ndlr), mais aussi parce que si on veut se construire une identité nationale, il faut que l’on définisse ce que nous sommes mais aussi ce que nous ne sommes pas. Il y a une influence culturelle évidente. Il y a une langue commune mais aussi une volonté de dire : 'nous ne sommes pas Français'. Il y a une influence, on partage des éléments communs, linguistiques, culturels, mais aussi économiques et commerciaux, mais en même temps, on veut dire ce que l’on est», confirme ainsi l'universitaire de Liège.

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Parallèlement, et ce qui rend la chose un peu paradoxale, la Belgique reste très attentif au quotidien français, ce qui n'est pas forcément réciproque et qui peut également expliquer ce sentiment d'injustice entre «le petit frère intéressé» et «le grand frère un peu snob». Un élément qui peut d'ailleurs être mis en exergue à travers l'éducation aux médias comme l'analyse Catherine Lanneau : «ce que les Belges vivent parfois mal, et quelque fois à tort, c’est de vouloir comprendre la France, parce qu’on veut comprendre ce qu’il s’y passe par le biais de la télévision, des journaux, du cinéma. Nous avons toute cette profusion d’informations médiatiques et culturelles, alors qu’en France, on connaît beaucoup moins bien la Belgique, ou on ne la connaît pas mieux que ce qu’on connaît de l’Allemagne par exemple. On n’a pas l’offre médiatique en France. Ce système de regard en sens unique, on l’a toujours vécu et on voyait ça comme logique. Je crois qu’aujourd’hui, avec les possibilités que l’on a de s’informer, on accepte moins bien le fait d’être toujours méconnu, alors que la disponibilité est là. Il y a un petit sentiment d’injustice de ce manque d’intérêt.»

Un rapport de force, ancré dans l'Histoire, qui tend, cependant, à être de moins en moins accepté par la Belgique : «il y a eu une acceptation pendant très longtemps des Belges francophones de ce rapport de force. En quelque sorte, on acceptait d’être parfois traité avec un peu de condescendance, d’avoir un humour drôle ou pas drôle selon les moments. Il y avait une certaine résignation par rapport à cette réalité-là, ce qui peut-être aujourd’hui explique cette tension mais qu’il ne faut pas surinterpréter non plus. C’est peut-être une moindre acceptation de ce rapport de petite à grande puissance du fait que la France soit et demeure le pôle d’attraction culturel et linguistique. On est davantage dans l’idée qu’on peut parler d’un rapport plus égalitaire. C’est sans doute ça qui joue sur une susceptibilité peut-être plus grande», remarque Catherine Lanneau.

Une relation sportive franco-belge inséparable, donc, de l'Histoire divergente de ces deux peuples et où la perception de la France ne s'exprime d'ailleurs pas de la même manière en Belgique. Conséquence directe d'un pays multilingue (francophone, néerlandophone, germanophone...) et d'un territoire fragmenté au niveau régional (Flamands, Wallons...) comme l'illustre parfaitement Christophe Franken : «les Belges suivent la Ligue 1, s’informent sur les sites français comme L’Equipe et Foot Mercato. On est tournés vers la France. Les Wallons et les francophones connaissent très bien le foot français mais je prends l’exemple de Jeremy Doku. C’est un club bruxellois mais supporté majoritairement par des Flamands. Quand l’offre de Rennes de 26 M€ arrive, les Wallons se disent : 'Ah oui, Rennes c’est fort. Bravo'. Côté flamand, on se dit : 'Rennes ? Mais qu’est ce qu’il va aller faire là-bas'. Pour eux c’est un club qui joue la relégation mais ils ne savent pas qu’il est détenu par un milliardaire, qu’ils sont très ambitieux chez les jeunes. Il y a des différences de culture qui se marquent çà ce niveau-là.»

Le poids des réseaux sociaux

À la lumière de tous ces arguments, difficile alors de parler d'une rivalité sanguinaire entre Français et Belges mais plutôt d'un rapport de force historiquement construit. Et si cette demi-finale de Ligue des Nations, prévue le 7 octobre prochain, laisse naturellement réapparaitre le «seum belge» et un certain sentiment de revanche outre-Hexagone, les réseaux sociaux n'y sont pas pour rien. Oui, la réaction amère de Thibaut Courtois, partagée par certains de ses coéquipiers et beaucoup de ses compatriotes, était emprunte d'une certaine rancœur, celle d'un compétiteur voyant son rêve de finale envolé et n'ayant que ses yeux pour pleurer face au désormais célèbre déhanché de Samuel Umtiti. Et oui, sur ce pas de danse de l'ancien Lyonnais, un temps visionné, un temps chanté et mettant la France en transe, le portier des Diables ne pouvait la jouer fair-play. Un mauvais jugement dont la puissance des réseaux s'est alors emparée, souligne Catherine Lanneau : «c’est une caisse de résonance. Le principe des petites phrases, des formules plus ou moins réussies est quelque chose qui est loin d’être récent. Mais c'est la pratique des réseaux sociaux, le fait que ça soit répété, retweeté, relayé, joué en ricochet sur plusieurs jours... Avant une petite phrase mourrait d’elle-même dans la journée. Maintenant, elle ricoche sur d’autres supports médiatiques. (...) Ça contribue à ce que la moindre étincelle devienne un fait médiatique.»

Une réalité médiatique confirmée par Christophe Franken à La Dernière Heure : «selon moi cette rivalité est surtout née sur les réseaux sociaux. Ça reste une rivalité mais les joueurs s’en foutent un peu. Ils jouent beaucoup ensemble en club et se connaissent souvent très bien. C’est plus les supporters qui se chambrent beaucoup sur les réseaux sociaux. (...) Finalement, les gens censés qui connaissent un peu le foot et sont objectifs; ce que les Belges reprochent aux Français en demi-finale, ils l’ont fait aux Brésiliens en quart de finale. Les Diables avaient bien joué, mais avaient été surtout très défensifs. Ils avaient eu moins d’occasions que le Brésil mais s’étaient battus comme des lions. Les Français ont fait ça contre les Belges. Je me souviens notamment du match de Matuidi. Une occasion et ils la mettent. Ça m’est arrivé un an après de revoir le match et de me dire : 'tiens, les Français ont quand même eu un peu plus de possibilités', même s’il n’y a pas eu beaucoup d’occasions dans ce match. Ils ont tout de même eu plus de situations que dans mes souvenirs. Ce n’est pas un hold-up.»

En somme, une rivalité footballistique inexorablement renforcée par les réseaux où chacun a pris l'habitude de se vanner. Un sentiment également partagé par Didier Deschamps, le sélectionneur de l'équipe de France, interrogé à ce sujet en conférence de presse d'avant-match : «il y a eu beaucoup de choses qui ont été interprétées sur des déclarations à chaud. Il y a toujours eu une rivalité parce que c’est frontalier. En 2018, ils avaient la possibilité d'aller en finale, mais c’est nous qui sommes allés en finale. C’est une rivalité saine et sportive. Tout ce qui peut se passer à l’extérieur, des commentaires exagérés des deux côtés, on est plus dans l’interprétation des propos tenus à chaud et forcément ça prend un peu trop d’importance.» Et si Roberto Martinez n'a, de son côté, pas souhaité considérer cette demi-finale de Ligue des Nations face aux Bleus comme une revanche, nul doute que ce rendez-vous sera, à nouveau, suivi de près par deux peuples qui ne pourront, qui plus est, pas se quitter bons amis...

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