Un ancien club de Serie A au bord de la noyade à cause de la mafia ‘Ndrangheta !
Placé sous administration judiciaire, l’ex-pensionnaire de Serie A du FC Crotone est au cœur d’un scandale d’infiltration mafieuse. Selon les enquêteurs, la ’Ndrangheta a exercé pendant dix ans une emprise "asphyxiant" sur le club, symbole d’un football calabrais sous pression criminelle.
Club historique de Calabre, le FC Crotone incarne depuis des décennies l’identité footballistique d’une région passionnée, mais souvent en marge du football italien dominant. Monté jusqu’en Serie A en 2016, le club rossoblù s’est offert une nouvelle parenthèse de gloire en 2020-2021, affrontant les géants de la péninsule. Au fil des années, son maillot a vu passer de nombreux talents, français ou internationaux, de Sébastien Piocelle à Abdoulay Konko, Moussa Diaby, Julian Palmieri, Zinédine Machach et Jean-Pierre Cyprien, mais aussi des figures du football italien et mondial comme Federico Bernardeschi, Alessandro Florenzi, Maxi Lopez, Ivan Juric, Ante Budimir, Rolando Mandragora, Antonio Nocerino, Adam Ounas, Graziano Pellè ou encore Leandro Cabrera. Symbole d’ascension et de résistance sportive, le club calabrais reste profondément enraciné dans son territoire, représentant bien plus qu’une simple équipe de football. Mais aujourd’hui, l’icône rossoblù vit l’un des moments les plus sombres de son histoire. Relégué en Serie C, plombé par les difficultés financières et désormais placé sous administration judiciaire, le FC Crotone se retrouve au bord de l’asphyxie. Cette équipe qui incarnait l’espoir de toute une région lutte à présent pour sa survie sportive et institutionnelle, dans un climat de défiance et d’incertitude.
Le Tribunal de Catanzaro a pris une décision inédite en plaçant le FC Crotone, aujourd’hui pensionnaire du groupe C de Serie C, sous administration judiciaire pour une durée de douze mois. Cette mesure exceptionnelle, révélée par l’agence ANSA, résulte d’une proposition conjointe du parquet national antimafia et antiterroriste, du procureur de Catanzaro et du commissaire de police de Crotone. Elle s’inscrit dans le cadre d’une offensive judiciaire visant à enrayer les ingérences mafieuses dans l’économie du sport. Selon la Direction antimafia de Catanzaro (DDA), l’enquête « Glicine-Acheronte » a mis au jour des éléments probants sur un contrôle exercé depuis plus de dix ans par des clans de la 'Ndrangheta sur les activités économiques du FC Crotone et ses opérations commerciales. Le club, longtemps vitrine sportive de la Calabre, a été considéré comme un objectif « important et attractif » par le crime organisé, ce qui justifie la rigueur de la mesure adoptée.
La ‘Ndrangheta au cœur de l’enquête
Les investigations menées conjointement par la police d’État et les carabiniers du Raggruppamento Operativo Speciale (ROS) ont révélé un réseau d’influences directes et indirectes sur la société sportive. Les magistrats parlent d’un contrôle « asphyxiant » exercé par les cosche locales de la ’Ndrangheta (petits groupes mafieux locaux, ndlr), étendant leur mainmise sur des secteurs jugés stratégiques et sur les flux économiques que génère un club professionnel. Ce constat illustre l’ancrage profond de la criminalité organisée dans la région de Crotone : non seulement les entreprises locales, mais aussi un acteur de premier plan du football italien ont été la cible de pressions et d’intimidations systématiques. Pour la DDA, cette infiltration prolongée constitue un cas d’école du lien entre sport et criminalité organisée dans le sud de l’Italie. Les enquêteurs ont aussi mis en lumière des pratiques opaques touchant des secteurs sensibles comme la sécurité et la gestion des accès au stade Ezio Scida, le fief du FC Crotone : « L’activité économique de l’entreprise aurait été soumise à l’intimidation et à la subjugation des gangs (…) Il y a suffisamment d’éléments pour croire que les activités économiques de FC Crotone srl, y compris celles de nature commerciale, ont été soumises, au cours de la dernière décennie, directement ou au moins indirectement, à des conditions d’intimidation et de soumission de la part de membres des clans locaux de la 'Ndrangheta, qui exerçaient un contrôle étouffant sur la zone de Crotone et sur les activités commerciales connexes, y compris FC Crotone srl, ce qui est certainement plus important et plus attractif », est-il écrit dans le communiqué officiel relayé dans les différents médias italiens.
Grâce aux témoignages de collaborateurs de justice, un tableau précis a émergé : le club n’était pas libre de ses choix en matière de sécurité et de services liés aux matches, ces domaines ayant été utilisés pour favoriser des activités illicites de personnes soupçonnées d’appartenir aux clans locaux. Dans ce contexte, le football est devenu un outil stratégique permettant de générer des flux d’argent parfois non traçables et d’obtenir une visibilité sociale qui renforce le prestige et l’emprise de la ’Ndrangheta sur le territoire. « Nous examinerons attentivement la décision provisoire du tribunal de Catanzaro et nous préparerons à l’audience prévue le 13 octobre. Nous notons qu’il ne s’agit pas du tout d’une mesure punitive : la mesure a été adoptée parce que l’Autorité Judiciaire considère que le FC Crotone a été soumis au pouvoir d’intimidation de la 'Ndrangheta et ne suggère même pas de loin une complicité ou une connivence de la part du club, de ses actionnaires ou de ses dirigeants et collaborateurs. Le FC Crotone collaborera activement avec les administrateurs judiciaires nommés par le Tribunal pour poursuivre ses activités dans le meilleur intérêt du club, de ses supporters et du sport en général ». Cette situation, loin d’être inédite en Italie puisque l’on vous comptait déjà les problèmes internes au club de Foggia il y a quelques mois, illustre la manière dont le sport peut être détourné de sa vocation première pour servir des intérêts criminels.
Pour les autorités judiciaires et policières, l’administration judiciaire du FC Crotone n’a pas pour but de punir le club, mais bien de l’assister dans son processus de redressement. L’objectif affiché est de rétablir la transparence et la légalité dans l’ensemble des opérations économiques du club afin de lui permettre de poursuivre ses activités sportives dans un cadre sain. Dans le même temps, le Questore de Crotone a émis dix-sept mesures de Daspo «fuori contesto» à l’encontre d’individus considérés comme socialement dangereux, indépendamment de délits commis dans l’enceinte sportive, c’est-à-dire des interdictions de stade aux personnes responsables de certains délits commis en dehors des événements sportifs. Ces décisions envoient un signal fort : les institutions entendent reprendre le contrôle d’un secteur longtemps infiltré et protéger l’intégrité du football calabrais, marquant ainsi un tournant historique dans la lutte contre les ingérences mafieuses dans le sport italien. Au-delà du seul cas du FC Crotone, cette affaire illustre l’ampleur d’un mal qui gangrène le football italien. Malgré les lois antimafia et les contrôles financiers, les clubs des divisions inférieures restent vulnérables aux pressions criminelles. L’intervention de la justice à Crotone ne marque pas la fin d’un système, mais révèle au contraire l’ampleur de l’infiltration mafieuse dans le sport national, laissant planer l’ombre d’un avenir incertain pour un football italien miné par les ingérences et la corruption.