L’évolution de l’avant-centre, les renards des surfaces chassés ? @Maxppp

L’évolution de l’avant-centre, les renards des surfaces chassés ?

Par Frederic Yang - Hanif Ben Berkane - ThomasCvrK - 26/04/2021 - 18:59

Depuis sa création, le football se redéfinit sans cesse. Si bien que certains postes ont aujourd’hui des vocations que l’on n’aurait pu imaginer il y a quelques décennies. C’est le cas de l'avant-centre dont l'évolution a été particulièrement marquante ces dernières années avec des nouveaux profils qui se distinguent quand d'autres tendent à disparaître.

Dans l'Histoire du football, les attaquants ont souvent attiré la lumière. Roublards, intenables, décisifs, ils ont souvent été les joueurs qui faisaient basculer un match. Pendant très longtemps, il était inimaginable de ne pas disposer d'un numéro 9 d'envergure pour espérer gagner des titres. Si cette époque n'est pas complètement révolue, les choses ont nettement évolué face à l’exigence d’un football moderne où l’approche tactique ne cesse de s’améliorer avec un espace-temps qui se réduit.

Pour tromper l'adversaire, les 9 servent de plus en plus de leurre, de pion essentiel pour attirer l'attention de la défense afin de permettre aux ailiers et aux milieux de terrain de se projeter dans la surface. Le 9 n'est désormais plus qu'un buteur. Il est un joueur complètement intégré au collectif et qui est de moins en moins épargné des tâches défensives. Aujourd'hui, il y a grossièrement quatre écoles d’avant-centre: les renards des surface, les pivots, les dévoreurs d'espace et les 9 et demi/faux neuf.

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Les renards des surfaces, une caste à part

Quand on pense aux renards des surfaces, on imagine tout de suite Filippo Inzaghi traîner dans la surface pour pousser le ballon au fond des filets et devenir le héros d’une grande soirée. Ces attaquants ultra dépendants de leurs coéquipiers, qui ont généralement pour mission de donner le dernier coup de pinceau d'une œuvre collective, sont devenus rares car leur manque de polyvalence est de plus en plus difficile à combler à une époque où tous les joueurs, y compris les gardiens, sont devenus justement ultra polyvalents. Ce qui schématise peut-être le mieux ce type d'attaquants, c'est le ratio entre le nombre de ballons qu'ils touchent et leur nombre de buts. Ce type d'attaquants est habitué à toucher moins de 25 ballons par match pour une rentabilité maximale et c’est ce qui fait leur génie.

Le but, c’est quasiment la seule chose qui anime ces joueurs que l’on qualifie souvent d'égoïstes. L’esthétisme n’est pas important pour eux, ce qui compte, c'est que la balle aille au fond des filets. Que ce soit d’une splendide volée, de la hanche, du genou ou grâce une boulette du gardien, un but est un but. « J’avais cet instinct en moi dès mon plus jeune âge. Je ne pensais qu’au but. Et peu importait la manière », racontait Gerd Müller, auteur de 735 buts en carrière et détenteur du record du nombre de buts (40) en une saison de Bundesliga.

Gerd Müller est l’archétype du renard des surfaces. L’Allemand a succédé à Uwe Seeler, véritable icône du club d’Hambourg à qui il a offert un championnat d’Allemagne en 1960, et laissé derrière lui un héritage impressionnant qui s’est étendu jusqu’à Miroslav Klose et ses 16 buts en Coupe du monde. Depuis le départ à la retraite du recordman du nombre de buts en Coupe du monde, la Mannschaft est devenue orpheline d’un 9 de classe mondiale.

La France, qui n’est pas connue pour avoir formé de nombreux attaquants du genre hormis Just Fontaine, qui avec ses 13 buts lors du Mondial 58 a marqué les esprits, a tout de même vu éclore une référence en la matière: David Trezeguet. Comme Miroslav Klose, l'ancien goleador de la Juventus Turin était obsédé par le but, comme le confiait Thierry Henry. « Même s’il est malade, il se met dans la surface et il va marquer. Je ne sais pas ce que c’est, mais c’est quelque chose que lui et des joueurs comme Inzaghi ont. »

À la fin des années 1990-début 2000, lorsque le 4-4-2 prédominait, les purs finisseurs évoluaient généralement avec un attaquant plus créatif, mobile et fin techniquement à leur côté pour compenser leur manque d’apport dans le jeu. C’est comme ça que certains duos d’attaquants légendaires aux profils totalement différents ont vu le jour (Trezeguet-Del Piero ou Inzaghi-Shevchenko par exemple). Seulement, les approches tactiques ont bien évolué et les renards des surfaces sont aujourd’hui en voie de disparition. Avec des blocs défensifs de plus en plus haut sur le terrain, l’avant-centre s’est logiquement éloigné de sa surface de prédilection.

De plus, les attaquants sont devenus les premiers défenseurs et doivent abattre un travail de pressing décent. Le 4-2-3-1 et le 4-3-3 se sont également démocratisés et jouer avec un seul attaquant oblige celui-ci à savoir faire plus de choses. « Quand j’étais petit, je voyais des attaquants qui jouaient le rôle de pur finisseur. Ils ne se préoccupaient que du but. Aujourd’hui, on s’aperçoit qu’on est bien plus. On est les premiers défenseurs de l’équipe, il y a le pressing et un replacement défensif à faire. Mais c’est juste l’évolution du football car au final, les défenseurs aussi ont évolué », observe d’ailleurs Bafétimbi Gomis.

Mauro Icardi 1920

L'attaquant actuel qui correspond le plus à ce profil old school de renard de surface, ce serait Mauro Icardi (mais de nombreux attaquants actuels argentins peuvent aussi entrer dans cette catégorie comme Sergio Agüero). Malgré ses 32 buts en 56 matchs au Paris Saint-Germain, l’Argentin essuie régulièrement des critiques quand il ne marque pas. On lui reproche son manque d'apport dans le jeu, lui qui touche rarement plus de 25 ballons par match. Or, avec de telles statistiques et une telle efficacité, Icardi aurait probablement mis l’Europe à ses pieds dans les années 1990 ou 2000.

Preuve encore que le football a bien évolué et qu’on attend désormais plus que des buts de la part des numéros 9. L'Argentin en a notamment payé le prix en perdant sa place de titulaire lors du Final 8 de Ligue des champions en 2020 pour cette raison. Pour accompagner des joueurs libres comme Kylian Mbappé ou Neymar, bon nombre d’observateurs et de techniciens privilégieraient un 9 plus à l’aise avec le ballon pour servir les superstars qui tournent autour comme l’ont fait Karim Benzema avec la BBC ou Firmino avec Mohammed Salah et Sadio Mané ou encore un pivot, dont le rôle est devenu particulièrement ingrat avec le temps.

Les pivots, les éboueurs modernes

Avec les renards des surfaces, les attaquants de pivots sont ceux que l'on retrouve le plus aux origines du foot, et notamment en Angleterre, pays natal du « kick and rush » où les chandelles et les centres pleuvaient. À cette époque, le marquage en zone n’était pas encore démocratisé, l’avant-centre devait donc dominer le défenseur central qui le prenait au marquage individuel. Grands, costauds, avec un bon jeu de tête et un sens du but proche de celui des renards des surfaces, les pivots ont le rôle ingrat de rendre leurs coéquipiers meilleurs, faire remonter le bloc équipe et ramasser les miettes. Ce rôle ingrat, Olivier Giroud le connaît bien mais il n'est pas le premier à être passé par là. Si les pivots sont connus pour être des attaquants à l'anglaise, ils ont souvent eu une place importante en Italie comme Luca Toni.

Passé par la Fiorentina et le Bayern Munich notamment, l'Italien pesait sur les défenses du haut de son mètre 93. En 2006 à Berlin, il a fait vivre une soirée compliquée - qui deviendra même cauchemardesque suite aux tirs au but - à Lilian Thuram et William Gallas, qui lui rendaient 10 centimètres. « La grande force de Luca, c'est son jeu de corps. Il donne l'impression d'être nonchalant, mais arrive toujours à passer devant son adversaire au dernier moment grâce à son jeu de bras semi-légal, qui l'aide à se défaire des marquages les plus serrés », jugeait Sébastien Frey, son coéquipier à la Fiorentina. Jouer avec son corps, Zlatan Ibrahimovic sait aussi le faire. Passé par la Ligue 1 et le PSG, le géant suédois montre cependant une palette beaucoup plus fournie que les pivots classiques grâce à sa technique balle aux pieds. Mais sa carrure et sa taille combinée à son sens du timing, son sens du jeu et ses qualités de conservation de balle font de lui un joueur d'appui particulièrement redoutable. À l'Inter Milan, il formait un duo de feu avec Adriano, qui profitait pleinement des qualités de pivot du Suédois, pour faire parler sa puissance et sa vitesse.

Olivier Giroud

Dans un style moins gracieux, les références des dernières années sont Diego Costa, Mario Gomez et Olivier Giroud. Ces joueurs ont souvent été associés à des attaquants aux profils plus techniques derrière eux comme Antoine Griezmann. Si de nombreux entraîneurs préfèrent se passer de ce type d'attaquants dorénavant, Didier Deschamps en est encore adepte et c'est pourquoi Olivier Giroud paraît toujours incontournable chez les Bleus. Moqué par certains parce qu'il n'a pas marqué de but au Mondial, Giroud a pourtant été essentiel pour donner du temps et de l'espace à Griezmann et Mbappé mais aussi aider son équipe à sortir de son camp sous la pression contre la Belgique et la Croatie notamment, sans parler de son pressing constant sur phase défensive.

Bien que ce soit moins flagrant que pour les renards des surfaces, les attaquants de pivot disparaissent à petit feu. Il existe tout de même quelques exceptions avec Olivier Giroud ou Romelu Lukaku, dont le profil est un peu plus complet grâce à sa faculté à pouvoir prendre la profondeur, mais ils ne sont globalement plus à la mode pour les raisons que l'on a déjà évoquées. S'ils n'ont pas complètement disparus, c'est parce qu'ils demeurent toujours utiles pour faire sauter le verrou d'équipes qui défendent en bloc bas, grâce à leur taille et leur jeu de tête. Ils sont aussi essentiels pour contrecarrer un pressing haut, en offrant une solution lointaine permettant de faire remonter le bloc équipe. La tendance va tout de même vers des attaquants modernes plus créatifs et techniques comme pourraient l'être des numéros 10. L'hégémonie espagnole dans les années 2010 avec les sacres du FC Barcelone et de la Roja qui évoluaient sans réel attaquant de pointe n'a d'ailleurs pas arrangé le cas des attaquants de pivot et favorisé la prolifération d'attaquants hybrides.

L’ascension du 9 et demi

Que ce soit dans un 4-4-2 un 4-2-3-1 ou même un 3-5-2, les 9 et demi sont des attaquants dont les qualités mêlent à la fois la vista d'un 10 et la finition d'un 9. Le 9 et demi tourne généralement autour d'un attaquant de type pivot ou renard des surfaces. C'est dans ce rôle qu'ont évolué Alessandro Del Piero, Wayne Rooney, ou encore Thomas Müller, Paulo Dybala et Antoine Griezmann plus récemment. Ils sont des seconds attaquants, avec des caractéristiques qui diffèrent même s'ils partagent tous le sens du but.

Surnommé « il Pinturicchio » en référence à un grand peintre de l'école ombrienne durant la Renaissance, Alessandro Del Piero était un artiste. Auteur de 289 buts avec la Vieille Dame, le génie italien possédait toutes les qualités d'un joueur offensif d'exception: sens du but, créativité, qualité de dribble, puissance de frappe et toucher de balle soyeux. Le champion du monde italien était ce qu'on appelle un « fuoriclasse » chez les transalpins. Wayne Rooney, lui, faisait parler d'autres qualités. Ultra complet, la légende d'Old Trafford avait des qualités techniques indéniables couplées à une vision de jeu fantastique mais il faisait aussi parler ses qualités athlétiques. Le joueur formé à Everton était doté d'une puissance phénoménale, lui offrant une arme de plus dans son répertoire de passes ou de frappes.

Thomas Müller DFB

Durant la dernière décennie, Thomas Müller, qui s'était auto-surnommé « Raumdeuter », qui signifie « interprète de l'espace », s'est particulièrement fait remarquer pour son rôle sortant totalement de l'ordinaire. L'Allemand a un poste quasi indéfinissable, il vit entre les lignes. Müller interprète les espaces créés par ses partenaires à merveille et leur rend bien, grâce à ses courses incessantes. Que ce soit sur toute la largeur du terrain ou dans la profondeur, il crée sans cesse quelque chose, avec, ou sans le ballon. Doté de l'un des QI football les plus impressionnant de sa génération venant compenser des qualités athlétiques moindres (il a tout de même le mérite d'être grand et d'être bon de la tête), le Raumdeuter est assurément l'un des joueurs marquants de la dernière décennie footballistique, bien que souvent incompris et oublié des grandes cérémonies.

Paulo Dybala et Antoine Griezmann présentent eux aussi des qualités différentes au poste de 9 et demi. Tous deux sont de splendides créateurs balle au pied, dotés de capacités organisationnelles des numéros 10 d'antan. Le Français a un côté buteur plus prononcé que l'Argentin qui est un superbe joueur de combinaison. Que ce soit à l'Atlético ou en équipe de France, Griezmann a profité de l'impact d'un Diego Costa et d'un Olivier Giroud pour tourner autour d'eux et se muer en buteur prolifique. Au FC Barcelone, avec l'absence d'un pivot devant lui, le Français a connu d'énormes difficultés avant de trouver un équilibre grâce au repositionnement d'Ousmane Dembélé en 9, dont le rôle est de prendre la profondeur. Le neuf et demi a un profil qui se rapproche énormément du faux 9, qui est un joueur placé en tant qu'avant-centre mais dont l'activité est en réalité éloignée de la surface de réparation.

Le faux 9, le cousin du neuf et demi

Il faut remonter plus d’un siècle en arrière, en Angleterre, pour voir les prémices du faux 9. Selon les Britanniques, le faux 9 a fait son apparition dès la fin du 19ème siècle avec Gilbert Oswald Smith, joueur de cricket reconverti en footballeur au Corinthians FC. Quelques décennies plus tard, l’Autrichien Matthias Sindelar interprète à nouveau ce rôle. Il mise sur sa technique et son intelligence pour être libre sur le terrain. La principale raison ? Éviter de passer 90 minutes en duel avec le défenseur qui le marque à la culotte.

Ensuite, on parlera de Nandor Hidegkuti et Alfredo di Stefano post Seconde Guerre mondiale. « L’attaquant hongrois a été plus souvent vu à l’intérieur de son propre rectangle », écrivait le Guardian à la suite de la défaite des Three Lions face à la Hongrie. Ce soir-là, malgré son triplé, Nandor Hidegkuti fait sensation par son positionnement faisant vivre un cauchemar aux défenseurs anglais. Le point commun entre l’attaquant Hongrois et Di Stefano ? Ferenc Puskás compense leurs décrochages en restant aux avants poste pour conclure.

La popularisation du faux 9 doit beaucoup à Johan Cruyff et l'équipe des Pays-Bas des années 1970, qui pratiquaient un « football total ». Pour pratiquer ce type de football, il n’est pas question d’avoir un renard des surfaces qui reste statique, il faut du mouvement et de la créativité pour exploiter les espaces et en créer. Véritable révolutionnaire, c’est en tant qu'entraineur du Barça que Johan Cruyff a remis le faux 9 au goût du jour avec le Danois Michael Laudrup à la pointe de son 3-4-3. Seulement, le faux 9 s'est tout de même fait rare, n’existant que sous la houlette d’entraîneurs à la philosophie particulièrement portée vers le jeu de position.

Au 21ème siècle, il a refait une apparition remarquée dans la capitale italienne. Dépourvu d’attaquants lors de la saison 2006/2007, Luciano Spaletti utilise son capitaine, Francesco Totti, pour occuper la pointe de l’attaque de l’AS Roma. À l’époque, la presse italienne ne parle pas de faux 9 pour définir le capitaine Romain, son entraîneur avoue lui avoir demandé de faire l’attaquant, le vrai. Seulement, Totti est un trequartista de nature malgré ses 26 buts inscrits cette saison-là, faisant de lui le soulier d’or européen. Pendant quelques mois, le capitaine romain est donc un 9 aux caractéristiques d’un numéro 10 et c’est cette idée d’aimer marquer comme faire la passe qui ressort chez les faux 9.

Messi et Guardriola

Au FC Barcelone, influencé par le football total de Cruyff, Pep Guardiola fait de Lionel Messi un faux 9 alors qu’il évoluait sur l’aile droite. Le 2 mai 2009, à la 9ème minute du Clasico, l’entraîneur catalan indique à Samuel Eto’o et Lionel Messi de permuter. Fabio Cannavaro et Christoph Metzelder sont alors perdus. « Qu'est-ce qu'on fait ? Est-ce qu'on le suit jusqu'au milieu de terrain ou est-ce qu'on reste bas ? On n'en avait aucune idée », racontait le défenseur allemand. Ce soir-là, les décrochages de l’Argentin ont perturbé les défenseurs madrilènes, ce qui a alors offert des espaces à Thierry Henry et Samuel Eto’o dans le dos de la défense. Résultat ? Démonstration des Catalans qui se sont imposés 6-2. Le sextuple Ballon d’or se déclare lui-même être un « avant-centre menteur » chez El Mundo Deportivo. C’est avec cette formule que le Barça est devenu l’une des meilleures équipes de l’histoire en 2011 avec David Villa et Pedro pour remplacer Henry et Eto'o.

Cette tendance a inspiré l'Espagne de Vicente Del Bosque, vainqueur de l'Euro en 2012, tandis que Pep Guardiola l'utilise encore régulièrement actuellement avec Manchester City. Les références de ce poste actuellement sont Karim Benzema, qui fait rayonner ses ailiers depuis une décennie ou encore Roberto Firmino à Liverpool qui régale Sadio Mané et Mohammed Salah. « Les gens demandent à un attaquant de mettre des buts, mais je pense que je suis un 9 avec l'âme d'un 10 », déclarait Karim Benzema après un doublé contre l’Espanyol Barcelone en 2019.

L’avant-centre très habile balle au pied est aussi une conséquence de l’évolution des ailiers, qui ont tendance à marquer de plus en plus de buts. Chez les Reds, Firmino se met clairement au service de ses ailiers, qui enfilent souvent la cape du héros tandis que Karim Benzema au Real Madrid, parvient à sublimer le poste tout en étant très souvent lui-même à la finition. Si l'émergence des faux 9 colle bien avec la tendance actuelle du jeu, les dévoreurs d'espace, et plus particulièrement de la profondeur, sont aussi plus que jamais essentiels.

Les dévoreurs d'espace

La démocratisation des défenses en zone et des blocs haut avec un pressing intense a entraîné une révolution chez les attaquants, qui sont passés du rôle de campeur dans la surface de réparation à l'ère du mouvement et des courses incessantes dans le dos des défenses. Edinson Cavani illustre parfaitement ces attaquants dont la qualité première se trouve dans les déplacements et l'attaque de ces espaces dans le dos de la défense. Se faire oublier côté opposé pour mieux attaquer l'espace, c'est la spécialité de l'attaquant Uruguayen dont la fréquence d'appels en profondeur à partir de toutes les zones du terrain pendant 90 minutes est impressionnante. Cavani ne se limite évidemment pas qu'à ses courses, il peut également jouer en pivot mais ce n'est pas ce qui fait sa force, loin de là. D'autres attaquants, comme Pierre-Emerick Aubameyang, profitent également de leur qualité athlétiques pour semer le trouble dans les défenses modernes. Si les courses dans l'espace caractérisent Edinson Cavani ou Pierre-Emerick Aubameyang, elles ne représentent qu'une qualité de plus dans la panoplie des attaquants les plus complets.

Dans les années 1990, Ronaldo et Georges Weah, entre autres, ont fait entrer le poste de numéro 9 dans une nouvelle ère, alliant des qualités athlétiques hors norme à des qualités techniques et de finition ahurissantes. Eux aussi, sont des dévoreurs d’espace, profitant de leur vitesse pour désorganiser les défenses mais ils faisaient souvent la différence balle aux pieds. Ils pouvaient partir de très loin pour faire des différences individuelles grâce à leurs qualités de dribbles comme le faisait si bien R9, qui a inscrit de nombreux « solo goals » mémorables. « Ronaldo, je ne l’aime pas du tout ! C’est un sprinter, pas un avant-centre », confiait Gerd Müller.

Malgré ce qu’en pense l’Allemand, la vitesse est une donnée importante pour ces nouveaux 9 et Ronaldo devient même le fer de lance d’une nouvelle génération d’attaquants. Que ce soit dans un 4-3-3, un 4-2-3-1 ou un 4-4-2 pour ne citer que ces schémas tactiques, ces 9 ont toutes les caractéristiques pour s’adapter à tous types de contraintes. Si la recherche de mobilité ne fait que s’accentuer, ces attaquants ont également besoin de savoir jouer le rôle de pivot, comme le faisaient les attaquants de la vieille école. En réalité, on leur demande de savoir tout bien faire, d'être des caméléons. En attestent les statistiques de Thierry Henry à Arsenal, détenant notamment le record (20) du nombre de passes décisives sur une saison de Premier League à égalité avec Kevin de Bruyne.

« En 2010, on ne joue pas comme dans les années 1990... Faire des sprints à répétition, ça n’a jamais été dans mes caractéristiques. C’est une nouvelle réalité: l’attaquant court plus, il fait plus de pressing, est moins dans les seize mètres », analysait David Trezeguet, et depuis 2010, le phénomène a encore pris de l’ampleur. Si l’on évoquait plus tôt les faux 9 qui créent pour les autres via leurs qualités avec le ballon, les attaquants mobiles créent pour les autres sans le ballon, à partir de leurs courses. La « MSN », que l’on considère comme étant le meilleur trio offensif de l’histoire du foot, doit en partie sa réussite aux qualités de Luis Suarez qui, bien au-delà du but, est un joueur très à l’aise dans les combinaisons et surtout excellent sans ballon pour créer des espaces à Messi et Neymar via des appels sur toute la largeur du terrain. La saison 2015-2016 de l’Uruguayen (il avait inscrit 40 buts en 35 matches de Liga et avait fini Pichichi) apparaît d’autant plus exceptionnelle parce qu’il évoluait aux côtés d’ailiers buteurs. À cette époque-là, l’ancien attaquant de Liverpool apparaissait comme l’attaquant ultime: premier défenseur, tueur, créateur, altruiste avec une touche d'égoïsme. Aujourd'hui, Robert Lewandowski sait tout faire sur un terrain. Le Polonais peut faire le pivot, combiner avec ses partenaires, faire des courses dans le dos des défenseurs, marquer comme un renard des surfaces pouvait le faire, éliminer grâce à ses qualités techniques...

C'est désormais au tour de Kylian Mbappé et Erling Haaland de reprendre le flambeau des attaquants qui règnent par leur vitesse et leurs mouvements. Le Norvégien pourrait vite devenir le successeur de Robert Lewandowski dans la catégorie des 9 complets avec son jeu en pivot, sa mobilité et l'intelligence dans ses déplacements avec des qualités athlétiques folles et une finition chirurgicale. Le Français est lui plus « hybride » et représente parfaitement l'évolution du football dans sa globalité avec des postes moins fixes qu'aux origines du jeu. Il n'y a qu'à voir Ousmane Dembélé, ailier de formation, à la pointe de l'attaque du Barça pour se rendre compte que les attaquants, et tous les joueurs en général, doivent faire preuve d'adaptabilité pour répondre à différentes problématiques...

L'avant-centre d'hier peut-il survivre demain ?

Toutes ces évolutions nous ramènent aux attaquants de la vieille école et leur rendement dans le football d'aujourd'hui et surtout de demain. S'il ne faut pas se voiler la face et admettre qu'il s'agit d'une espèce en voie d'extinction, ces numéros 9 ne sont pas pour autant morts. « Il ne faut pas prendre un attaquant qui ne va pas avec son équipe. Si l'équipe n'a pas l'habitude de repartir de derrière et allonge le jeu alors que c'est un joueur comme Benzema en 9 et qu'on lui dit « bah cours, bats toi devant », ça ne marchera pas », estime Bafétimbi Gomis. Les maîtres des airs comme Olivier Giroud peuvent offrir une alternative viable dans ces équipes qui n'hésitent pas à allonger le ballon face à la pression adverse en offrant une solution sur du jeu long faire remonter le bloc. Ils demeurent aussi des options intéressantes face aux blocs regroupés qui acceptent de subir des pluies de centres.

« Le directeur sportif doit communiquer avec l'entraîneur. Je pense que ça fait partie du jeu. Les clubs doivent faire attention à l’organigramme. Les deux doivent être sur la même longueur d'onde et savoir exactement ce qu’ils veulent pour l’équipe parce que c’est un poste très important », insiste l'attaquant passé par Saint-Etienne, l'OL et l'OM. À son arrivée à l'Inter Milan, Antonio Conte avait fait de Romelu Lukaku une priorité pour l'associer à Lautaro Martinez afin de reproduire en quelque sorte un duo qui fonctionnait bien 20 ans en arrière, avec grossièrement un attaquant puissant capable de gagner des duels, de jouer dos au but et un autre plus créatif et mobile qui gravite autour de lui.

Erling Haaland

Vous avez donc pu constater l'évolution frappante de l'avant-centre au fil du temps grâce à des idées révolutionnaires, de nouvelles approches tactiques, la philosophie de jeu des entraîneurs et des joueurs tout simplement hors du commun. Les attaquants modernes sont bien loin des standards d'antan et ils n'ont pas fini d'évoluer. La réalité du football des années 2020, c'est que les attaquants ne sont plus les seuls joueurs à être très adroits devant le but. D'autres entraîneurs vont-ils suivre la voie de Pep Guardiola, qui a pour habitude de ne pas aligner de 9 dans son équipe afin d'aligner plus de joueurs de mouvement avec un profil hybride ? Pour rassurer les attaquants de surface, peu d'équipes ont le luxe de vraiment pouvoir s'en passer. À eux de se rendre incontournables pour de nombreuses années encore...

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