Conflit israélo-palestinien : comment le football palestinien s’organise-t-il en temps de guerre ?

Par Valentin Feuillette
11 min.
 Jibril Rajoub, président de la fédé palestinienne @Maxppp

A quelques heures de jouer sa deuxième rencontre en Coupe d’Asie des Nations, la Palestine a connu ces derniers mois une préparation tronquée par la terrible escalade entre l’armée israélienne et le Hamas. Pourtant le football est historiquement populaire et continue d’être une lueur d’espoir pour plus de 5 millions de citoyens palestiniens. Diagnostic d’un développement sportif particulier.

Depuis l’escalade du 7 octobre 2023 marquée par la série d’attaques terroristes du Hamas, les terribles ripostes de l’armée israélienne et l’arrivée massive de nouveaux belligérants tels que l’Iran, le Hezbollah du Liban et les Houthis du Yémen, le football dans la région du Moyen-Orient est largement entravé par un contexte géopolitique mouvementé. La rédaction de Foot Mercato vous racontait en novembre dernier le quotidien difficile des sélections d’Israël et de la Palestine. Pour la troisième fois de l’histoire de la sélection, les internationaux palestiniens disputent la Coupe d’Asie des Nations qui a lieu au Qatar (12 janvier - 10 février). Après avoir chuté contre l’Iran (4-1), lors de leur première rencontre du groupe C, les Lions de Canaan s’apprêtent à affronter ce jeudi soir les Émirats arabes unis pour un match honnêtement symbolique.

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«A la Fédération palestinienne de football, nous cherchons à répondre aux aspirations de notre peuple palestinien, qui en est venu à considérer le sport comme le côté positif du voyage national. Le sport palestinien s’est imposé comme un acteur central aux niveaux continental et international dans une logique d’égalité et de compétition, même si nous vivons sous une occupation qui cherche à briser notre volonté et à bloquer toute opportunité qui pourrait faire du sport l’un des symboles de notre identité nationale», est écrit fièrement sur le site officiel de la Fédération de Palestine de football (PFA). Une lettre écrite de la plume du président de la fédération, Jibril Rajoub. L’importance du football est inégalable dans la région et la sélection nationale revêt naturellement à un grand sentiment de fierté, d’appartenance et de rayonnement à l’international. Entre le football et la politique, il n’y a qu’un pas. Et la Palestine en est la parfaite illustration de ce phénomène.

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La fierté de la sélection nationale

Si la cause palestinienne s’est largement invitée dans les débats footballistiques ces derniers temps, avec de nombreuses prises de position parfois jugées polémiques, la sélection nationale de la Palestine est le parfait reflet d’un pays qui essaye, tant bien que mal, de se (re)construire. Une équipe fière qui cherche à représenter au mieux les valeurs de sa société. Comme en Arabie saoudite, au Qatar ou en Iran, le football y est très populaire malgré le contexte : «Le football a une grande place dans cette société et il a beaucoup évolué. Il y a eu des lourdes défaites jusqu’à avoir de belles victoires comme face à l’Ouzbékistan, qui était dans le Top 3 Asie. Les difficultés sont surtout logistiques et techniques, liées à l’Occupation qui ne laisse pas beaucoup de place mais le football fait partie de la société palestinienne. Les Palestiniens aiment vivre, aiment le sport et ils ont ce chauvinisme pour le football. On ne peut pas le dissocier de ce qu’il se passe dans le monde entier. Je suis resté 8 ans dans cette structure donc j’ai de très bonnes relations. Vous avez cette relation humaine en premier lieu et professionnelle. On sollicite, on demande des choses. Même si on ne les a pas, on a toujours le minimum. C’est une certaine satisfaction de travailler à coûts réduits», nous explique Noureddine Ould Ali, ancien sélectionneur de la Palestine entre 2018 et 2021.

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A noter que le peuple palestinien est composé de plus de 14 millions de personnes dont 9 millions sont expatriés aux quatre coins du monde, dans les pays voisins au Moyen-Orient jusqu’en Amérique latine où 500 000 Chilo-palestiniens vivent d’après les chiffres officiels du Bureau central des statistiques de Palestine (PCBS) : «En termes de passion, c’est de la folie quand la sélection joue. Tous les gens qui ont été impliqués de près ou de loin avec la sélection le diront. Comme beaucoup de pays qui ont une grande diaspora morcelée à travers le monde, la sélection nationale revêt ce sentiment d’appartenance pour la mère patrie. Il faut rappeler que la diaspora de la Palestine va de l’Amérique du Sud à l’Asie du Sud-Est. L’équipe nationale a aussi pu jouer des matchs à domicile en Cisjordanie quand le stade avait été refait puisqu’il avait subi également les affres de la guerre. Il y avait eu des financements qui avaient permis ce match très important entre la Palestine et l’Arabie saoudite, où les Palestiniens avaient fait match nul. Il faut aussi rappeler qu’il y a eu quelques qualifications en Coupe d’Asie donc il y a un vrai bon vivier», analyse Romain Molina, journaliste et écrivain, qui a travaillé sur le football du Moyen-Orient dans le cadre de son ouvrage publié en 2022 et intitulé Yémen - Les guerres des bonnes affaires.

Mais parfois l’actualité de la sélection nationale s’entrechoque directement avec le conflit israélo-palestinien. A plusieurs reprises, la FIFA a dû jouer les arbitres et les médiateurs entre la Palestine et Israël : «L’ancien sélectionneur Noureddine Ould Ali avait été interdit de territoire suite à une altercation verbale avec un garde-frontière israélien. Le sélectionneur ne pouvait même plus aller sur le territoire, c’est quand même exceptionnel. La fédération en a directement parlé dans le bureau de Gianni Infantino et la FIFA a fait le médiateur. Quand ils ont un problème, la FIFA s’en occupe. A l’intérieur de la fédération, comme dans toutes les fédérations, il y a une lutte de pouvoir mais en Palestine, il y a comme une sorte de solidarité de par les événements. Susan Chalabi, la vice-présidente, a un rôle prépondérant car elle est très vocale», poursuit Romain Molina. Pour un autre exemple, les forces israéliennes ont été accusées en 2019 d’avoir tiré intentionnellement sur des footballeurs palestiniens dans les genoux et les pieds de Adam Abd al-Raouf Halabiya (17 ans) et de Jawhar Nasser Jawhar (19 ans) dont dix balles dans les pieds de ce dernier. Un fait divers qui avait été le sujet principal d’une réunion de la FIFA au Brésil, au cours de laquelle le statut d’Israël au sein de l’institution avait été remis en question.

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Des difficultés logistiques évidentes

L’organisation du football palestinien prend une forme originale. En effet, le championnat national est, à l’image du territoire, divisé en deux ligues majeures distinctes. D’un côté, douze clubs locaux se disputent le titre de champion de la Bande de Gaza. De l’autre, douze autres équipes participent au championnat de Cisjordanie. Les leaders de ces deux ligues disputent ensuite la Coupe de Palestine en fin de saison : «La première des choses quand on est entraîneur en Palestine, c’est qu’on doit connaître la situation géopolitique de la région. Il y a la Palestine et tous les pays qui l’entourent. Vous avez un échantillon de joueurs assez réduit car il y a deux championnats : en Jordanie et à Gaza. Donc vous n’avez pas l’embarras du choix parce que le pays est coupé en deux. Vous vous concentrez sur ce que vous avez entre les mains donc surtout la Jordanie. Ceux de Gaza ils ont des difficultés de déplacement, soit pour la Jordanie, soit pour aller ailleurs, même faire venir des joueurs à l’étranger», nous confie Noureddine Ould Ali, qui a également été adjoint de la sélection palestinienne.

Entre les rencontres reportées ou annulées et les bombardements sur le stade Al-Rimal de Gaza éternellement reconstruit, le quotidien des clubs et des joueurs de la bande de Gaza rend l’évolution du football local très compliquée. Et quand vient une trêve internationale, le sélectionneur convoque des joueurs issus du championnat de Gaza qui sont contraints de refuser l’appel à la sélection nationale : «Quand tu as la coupe avec le champion de Gaza qui doit rencontrer le champion de Cisjordanie, parfois ils ne peuvent même pas sortir, ceux de Gaza. Aujourd’hui, si tu es Gazaouite, tu vas avoir quelques soucis car c’est compliqué de sortir donc il faut prévoir d’autres choses. Cela entrave le développement du football local et toutes ses projections mais c’est une sainte horreur. La Palestine est la seule sélection au monde où tu fais une liste avec plus de joueurs car tu sais à l’avance que certains joueurs n’auront pas le droit de sortir. Ils ont déjà fait des voyages où il leur manquait des mecs car ils n’avaient pas eu l’autorisation de venir, particulièrement pour les joueurs locaux et surtout ceux de Gaza», ajoute Romain Molina.

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Par exemple, lors de la trêve internationale de novembre, la Palestine a pu néanmoins compter sur plusieurs de ses soutiens régionaux. Le Koweït a été désigné comme terrain neutre pour accueillir la rencontre entre la Palestine et l’Australie. Initialement prévu à Beyrouth, le match contre le Liban a été joué aux Émirats arabes unis en raison de problèmes de sécurité liés au mouvement libanais du Hezbollah, proche du Hamas : «C’est une expérience humaine et professionnelle car nous sommes des entraîneurs en quête de performances. Malheureusement, on se retrouve à gérer plusieurs situations extrasportives. Cela m’a appris un différent type de management. Vous gérez de l’exception, vous gérez de l’urgence, vous gérez beaucoup de choses que vous n’avez jamais vécues avant. Dans le contexte palestinien, vous avez du nouveau à chaque fois. Quand on faisait des débriefings et des réunions, on essayait d’anticiper les nouveaux problèmes et savoir comment nous allions nous comporter. Quand on faisait une liste élargie de 35 ou 50 joueurs pour des compétitions, on se retrouvait seulement à 20 joueurs à la dernière minute parce que des joueurs étaient bloqués pour différentes raisons», nous précise Noureddine Ould Ali. En novembre dernier, son successeur, Makram Daboub, souhaitait faire appel à Ibrahim Abuimeir, Khaled Al-Nabris et Ahmed Al-Kayed mais ces trois joueurs n’ont pas pu sortir de Gaza.

Forts symboles politiques

L’histoire de la région et le contexte géopolitique, marqué notamment par la répartition des territoires entre Israël et la Palestine, ont directement eu un impact sur la scission entre la Fédération israélienne de football (IFA) et la Fédération palestinienne de football (PFA). A l’origine, dès 1928 40 clubs juifs et 25 clubs arabes faisaient partie de la même institution, avant que l’IFA ne décide de se séparer après la fondation de l’Etat d’Israël en 1948 : «La situation du football palestinien a un corollaire avec la situation politique. Il existe une sélection palestinienne de football depuis 1928 mais elle n’a été reconnue par la FIFA qu’en 1990. Il y avait eu les Accords d’Oslo entre Israël et l’autorité palestinienne qui était une première voie pour tenter de trouver une solution à deux Etats dans la région. Cela a permis à la Palestine d’avoir une certaine reconnaissance pour participer à l’évolution politique. Le contexte israélo-palestinien avait aussi été impacté par Israël qui avait été exclue par les autres pays de la confédération asiatique, avant de rejoindre plus tard l’UEFA», résume également Kévin Veyssière, auteur et géopolitologue du sport.

La sélection nationale, et plus largement le football palestinien, prend une dimension politique. L’intégration de la Fédération Palestinienne de Football (PFA) au sein de la Fédération internationale de football association (FIFA) et de la Confédération asiatique de football (AFC) en 1998 a permis un rayonnement de la cause palestinienne à l’échelle mondiale, au point de devenir un véritable exemple historique pour d’autres pays qui cherchent à rejoindre ces organisations : «Dans tous les pays du monde, a fortiori dans un pays arabe, le football a une place prépondérante, surtout en Palestine où la sélection nationale a été un symbole à la fois humain en termes de fierté mais aussi politique avec la FIFA. La Palestine a suscité une vocation et a influencé d’autres nations de reconnaissance internationale. Ce dossier a influencé Gibraltar et Kosovo. Les causes ne sont pas totalement comparables évidemment mais c’est une inspiration directe. Le football a un écho médiatique absolument délirant et grossissant. L’adhésion de la Palestine a eu un impact mondial. Elle avait suscité des remous au niveau politique. Il y avait eu des obstacles mais cela a été une reconnaissance internationale pour la Palestine, ce qui est recherché par beaucoup de Palestiniens. C’était un écho très important», poursuit Romain Molina.

Les alliances régionales entre les divers blocs diplomatiques ont parfaitement été mises en lumière avec la sélection palestinienne. En effet, le football palestinien a aussi été un levier diplomatique utilisé par les différents pays du Moyen-Orient, notamment l’Arabie saoudite. Le 15 octobre 2019, les Lions de Canaan ont affronté les Faucons verts dans un match amical, au stade palestinien de Faisal Al-Husseini, rénové avec l’aide de la FIFA : «Ce match entre l’Arabie saoudite et la Palestine avait été utilisé par tout le monde, y compris Israël. L’Arabie saoudite se veut comme le leader hégémonique du monde sunnite, le pays qui est le gardien des deux saintes mosquées. Avec toute cette médiatisation, ce match avait été très important politiquement avec un impact médiatique très fort. Tout le monde s’en est servi. Mais la fédération palestinienne n’est pas vraiment représentée dans les confédérations et sous-confédérations. Il leur manque un leader international et la fédération ne pèse pas du tout au niveau de la confédération et de la sous-confédération asiatique», conclut Romain Molina. Avec des moyens modestes et un contexte belliqueux, la Palestine vibre tout de même pour sa sélection et ses championnats. La victoire palestinienne dans l’AFC Challenge Cup en 2014, compétition composée des pays émergents de la confédération asiatique, a posé les bases d’une belle évolution jusqu’à ces trois participations en Coupe d’Asie des Nations…

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