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Combien coûte le football ? Les dessous des liaisons dangereuses entre l’Arabie saoudite et la FIFA !

Par Josué Cassé
8 min.
Gianni Infantino et Mohammed ben Salmane. @Maxppp

Candidate déclarée à l’organisation de la Coupe du Monde 2034, l’Arabie Saoudite a décidé de mettre toutes les chances de son côté en investissant officiellement au sein de la FIFA via sa compagnie pétrolière publique, Aramco. Un nouveau partenariat répondant à la stratégie de son prince héritier Mohammed ben Salmane, bien décidé à faire de la puissante monarchie du Golfe un pays d’affaires et de tourisme afin de réduire sa dépendance au pétrole. Un mariage confirmant, par ailleurs, la volonté des responsables saoudiens d’utiliser le sport comme levier d’influence.

L’Arabie saoudite poursuit son ascension sur la planète football. Prêts à tout pour rivaliser avec leurs voisins qataris, organisateurs du dernier Mondial, les Saoudiens se sont ainsi lancés dans un vaste programme de réformes économiques et sociales, nommé « Vision 2030 » et destiné à sortir le pays de sa dépendance à l’or noir, tout en améliorant son image sur la scène internationale après la guerre menée au Yémen depuis mars 2015 ou encore l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi dans le consulat saoudien d’Istanbul (Turquie), en 2018. Dans cette optique, le premier exportateur de pétrole brut au monde, engagé dans une stratégie géopolitique, continue, aujourd’hui, d’investir des milliards de dollars dans le sport. D’ores et déjà nommé pays hôte des Jeux asiatiques d’hiver 2029, et ce malgré les résistances exprimées par les défenseurs de l’environnement, le royaume dirigé par le prince héritier Mohammed ben Salmane accueille, par ailleurs, de nombreuses compétitions.

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Une nouvelle étape dans la stratégie saoudienne

De son Grand Prix de Formule 1 au rallye-raid du Dakar en passant par le Saudi Tour, le pays du Golfe, qui recevra également les Jeux Asiatiques en 2034, ambitionne désormais de s’installer durablement sur la planète football. Ces derniers mois, la plus grande puissance économique du monde arabe, souvent critiquée pour ses violations des droits humains, s’est ainsi distinguée par une véritable frénésie sur le marché des transferts. À l’instar de la Chine, devenue en 2015 le sixième championnat le plus dépensier du monde en matière de transferts - attirant au passage Alex Teixeira, Jackson Martinez, Hulk, Oscar, Ezequiel Lavezzi, pour ne citer qu’eux - ou du Qatar qui avait, par exemple, enrôlé des stars vieillissantes dans sa première division, telles que le Brésilien Romario (Al-Sadd, 2002-2003) ou le champion du monde 1998 Marcel Desailly (Al-Gharafa, 2004-2005), l’Arabie saoudite a donc ramené une pléiade de stars (Cristiano Ronaldo, Karim Benzema, N’Golo Kanté, Seko Fofana, Sadio Mané, Sergej Milinkovic-Savic, Riyad Mahrez, Neymar, Fabinho…) sur ses terres.

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Une folie dépensière, incarnée par le PIF (fonds d’investissement public saoudien), visant alors une triple ambition : se faire une place sur la carte du football mondial, préparer l’après-pétrole et acquérir une attractivité certaine en vue d’une éventuelle Coupe du monde à domicile. Pour autant et malgré les investissements massifs réalisés, les résultats se font encore attendre sur le plan sportif, notamment après le fiasco des clubs de Saudi Pro League lors de la Ligue des champions asiatique. «Le football saoudien a révolutionné le marché des transferts l’été dernier, dépensant plus de 975 M€ en transferts. Avec quatre clubs (Al Hilal, Al Nassr, Al Ahli et Al Ittihad) financés par le Fonds d’investissement public du pays, dominer le football continental devait être la première étape pour commencer à intimider le reste du monde. Et cette première tentative a échoué», soulignait à ce titre le quotidien AS après l’élimination d’Al-Hilal face au club d’Al-Ain aux Émirats arabes unis. Un premier couac ne remettant, cependant, pas en cause les ambitions délirantes affichées par le régime saoudien et sa volonté d’utiliser le ballon rond pour redorer son image à l’échelle internationale.

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Un partenariat aux enjeux multiples…

Plus que jamais en lice pour accueillir la Coupe du Monde 2034 - le président de l’instance internationale, Gianni Infantino, n’avait pas hésité à vendre la mèche en octobre dernier - l’Arabie saoudite a, par ailleurs, décidé d’investir dans la FIFA afin de mettre toutes les chances de son côté, alors que l’attribution officielle de ce Mondial ne se fera qu’à la fin de l’année 2024. Ce jeudi, Aramco, la compagnie pétrolière publique de l’Arabie saoudite, est ainsi devenu «partenaire mondial majeur» de la FIFA jusqu’à fin 2027. Un accord de quatre ans permettant donc au roi de l’or noir de soutenir la fédération internationale avec «des droits couvrant plusieurs événements» dont la Coupe du monde masculine en 2026, aux États-Unis, au Canada et au Mexique, et la Coupe du monde féminine en 2027. Si le montant de cette nouvelle alliance n’a pas été officiellement communiqué, The Times avançait dernièrement un accord aux alentours des 11 milliards de dollars sur la durée du contrat précédemment évoqué. Un sacré chèque de la part du géant pétrolier saoudien permettant de sécuriser, un peu plus, l’organisation de la Coupe du Monde 2034 mais également d’étendre son influence sur la scène internationale…

«La première chose qu’on peut analyser avec ce partenariat, c’est que ça confirme la stratégie de l’Arabie saoudite dans le football et son intensification. On a eu la phase 1 du projet avec l’arrivée de Mohammed ben Salmane et les premiers transferts, on a eu ensuite la phase 2 avec l’arrivée de Cristiano Ronaldo puis une phase 3 l’été dernier avec les transferts de Neymar et plusieurs stars européennes, les sponsorings de compétitions à l’étranger, les sponsorings maillot et désormais Saudi Aramco qui monte au sponsoring de la FIFA. D’une part, ce nouveau cap passé place Aramco comme l’un des premiers sponsors du football, à la manière de ce qu’a pu faire Gazprom (société anonyme russe connue principalement pour l’extraction, le traitement et le transport de gaz naturel, ndlr). Là encore on voit ce qu’on peut faire quand on est un argentier où le business repose sur l’énergie. Il est possible aussi qu’on voit un avionneur de type Saudia Airlines débarquer, en plus de Riyadh Season qui est déjà sponsor de clubs comme l’AS Roma. Finalement, tout ça répond à la logique de l’Arabie saoudite qui est d’intensifier son pouvoir d’influence via le football», remarquait, à ce titre, Jean-Baptiste Guégan, expert en géopolitique du sport.

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Un rapprochement «poléthiquement» pas correct…

Un mariage offrant par ailleurs bien d’autres perspectives au plus grand pays du Moyen-Orient. «Ce rapprochement officialisé autour d’un partenariat implique aussi que ça sécurise la Coupe du Monde 2034 quoi qu’il se passe, ça va permettre d’augmenter les revenus, ça facilite également l’obtention sur le sol de l’Arabie de saoudite de compétitions internationales comme la Coupe du monde des clubs et si un jour il y a une Super Ligue, on est à peu près sûr qu’un Saoudien sera de la partie parce que celui qui financera imposera aussi potentiellement au moins un de ses représentants. Aujourd’hui, la logique événementielle et l’instrumentalisation du football par l’Arabie saoudite continuent plus que jamais. Encore une fois on redistribue les cartes donc ça complexifie la donne. On est sur un autre exemple de désoccidentalisation du monde par l’arrivée de sponsors, finalement ils sont sur la même stratégie qu’avait appliquée les Émirats arabes unis ou le Qatar, à savoir entrer par tous les biais possibles dans le sport et dans le football international pour se rendre incontournable, être capable d’influencer, de décider et de faire valoir leurs intérêts», poursuivait alors l’auteur de Révolution Mbappé aux éditions Michel Lafon.

Basé sur le principe du payeur/décideur, l’entrée d’Aramco au sein de la FIFA devrait également profiter à l’Arabie saoudite sur le plan local. Ainsi, si ce partenariat assure d’ores et déjà au nouvel eldorado du football mondial une place de choix dans les décisions prises à l’international, cet accord pourrait, parallèlement, entraîner une dynamisation du football en Asie. «Si on a un tel niveau de sponsoring de la part des Saoudiens, ça va normalement développer leur championnat sachant que Saudi Aramco n’a pas encore dépensé ce que le PIF a lui dépensé. Il faut rappeler qu’Aramco a des clubs sous contrat donc on peut imaginer que la puissance économique du championnat saoudien va s’affirmer davantage et tout ça devrait se traduire par une puissance sportive, en tout cas une compétitivité accrue même si les résultats ne le prouvent pas pour l’heure. La deuxième chose est que ça pose la question du ruissellement sur le football asiatique. Si vous avez un championnat qui est plus attractif financièrement, on peut imaginer qu’il soit plus attractif sportivement, ce qui est pour l’instant invérifiable que ce soit au niveau des résultats ou des audiences mais on peut imaginer que le monde entier va progressivement prendre plus d’intérêts à regarder les compétitions asiatiques internationales de clubs et éventuellement de sélections», ajoutait Jean-Baptiste Guégan, qui vient récemment de sortir «La Guerre du sport, une nouvelle géopolitique» aux Éditions Tallandier.

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S’il précise que cette possible dynamisation dépendra surtout de la capacité des investissements saoudiens «à être efficaces sportivement, économiquement et soutenables», l’arrivée d’Aramco en tant que sponsor de la FIFA suscite, enfin, une dernière interrogation. Et non des moindres. En officialisant ce partenariat, la FIFA a, en effet, une nouvelle fois choisi l’argent plutôt que l’éthique, à l’heure où la monarchie du Golfe continue d’être pointée du doigt pour ses violations des droits humains et son mauvais bilan environnemental. «Tout cela va questionner l’implication de la FIFA dans la promotion des droits humains et va renouveler avec une intensité encore plus forte les questions posées à l’occasion du Mondial au Qatar. Évidemment dans cette désoccidentalisation du sport et l’usage qui en est fait par l’Arabie saoudite, ça va interroger du côté de la FIFA ses pratiques de compliance (capacité à respecter une prescription, ndlr) puisque la nature autoritaire du régime saoudien n’a pas changé donc ça va être un sujet polémique». N’en reste pas moins que l’Arabie saoudite, à coup de milliards, poursuit son développement sur la scène internationale et pourrait accompagner cette stratégie de sponsoring par la création de nouveaux tournois, voire d’une nouvelle frénésie sur le marché des transferts dans les semaines à venir…

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