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Florent Ghisolfi : « notre force aujourd’hui au RC Lens, c’est la qualité de l’organisation »

Par Sebastien Denis - Antoine Grasland
14 min.
Florent Ghisolfi avec Franck Haise à Bollaert sur le banc du RC Lens (crédit photo @RC Lens) @Maxppp

Jeudi 11h. Il fait un soleil magnifique au centre d'entraînement de la Gaillette. Dans ce complexe sportif ultra-moderne, nous avons rendez-vous avec Florent Ghisolfi, le jeune et très moderne directeur sportif du RC Lens, bien plus à l'aise pour dénicher des joueurs que pour s'épancher dans les médias. Cet ancien joueur pro de 37 ans, qui pilote le club artésien depuis mai 2019, a fait une exception à la règle en acceptant de répondre à toutes nos questions. De la prolongation de Seko Fofana, à sa gestion du mercato artésien considérée par de nombreux observateurs comme l'une des plus efficaces de Ligue 1, en passant par ses quelques coups de génie à moindre coût (Clauss, Frankowski, Sotoca, Gradit), et le rôle prépondérant de Franck Haise, il n'a éludé aucun sujet à quelques heures d'un RC Lens-OL très important pour la suite de la saison d'un club qui se trouve aux portes du podium de Ligue 1.

Foot Mercato : Florent, ce n'est un secret pour personne, vous préférez l'ombre à la lumière. Pour quelle raison ?

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Florent Ghisolfi : c’est ma nature. Je n’ai pas besoin de lumière pour être heureux. Je veux être valorisé dans mon travail, mais je veux que ce soit dans la réussite du club dans lequel je travaille. Voilà pourquoi je préfère l'ombre.

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FM : pouvez-vous vous présenter, pour ceux qui ne vous connaissent pas encore ?

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FG : je suis un directeur sportif moderne puisque j’ai 37 ans. J’ai eu un parcours assez riche : d’un côté ma carrière de joueur professionnel et ensuite ma reconversion vers le côté entraîneur. Et en parallèle de ça, j’ai toujours été dans la gestion d’entreprise et des investissements depuis mes 18 ans. C’est cette construction parallèle assez riche, dans divers entreprises, clubs ou fonctions, qui font de moi aujourd’hui, l'homme que je suis. Dans toute cette construction, je me suis toujours dit, car le foot est ma passion, que le métier qui me correspond le plus est directeur sportif. Il allie les deux : la vision footballistique et le management d’entreprise et tout ce que ça comporte.

FM : votre premier fait d'armes en tant que directeur sportif a été de mettre Franck Haise, alors coach de la réserve (N2), à la tête de l'Equipe...

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FG : (il coupe) non. Mon premier fait d’armes est d’avoir construit un effectif de Ligue 2 pour monter en Ligue 1 quand je suis arrivé à cette fonction en mai 2019. Je vais citer des joueurs qui sont encore dans le projet, Sotoca, Gradit, qui sont des joueurs qui incarnent le projet du club. Et surtout, cet effectif-là, il était important de le créer par rapport à ce qu’on voulait faire : créer l’identité de cette équipe et de ce club. Les joueurs que nous sommes allés chercher à ce moment-là correspondaient vraiment à ça. Après oui, en février 2020, il y a un autre vrai tournant, c’est quand on met Franck Haise en fonction à la tête de l’équipe première. Franck, c'est quelqu'un que j'observais depuis 8 mois avec l’équipe réserve.

«Avec ou sans moi, Franck Haise serait devenu un entraîneur de Ligue 1 car il avait trop de qualités»

FM : aujourd'hui, son nom est évoqué en Premier League et il fait partie des meilleurs coaches de Ligue 1, cela doit être une réelle satisfaction pour vous j'imagine ?

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FG : Franck est un entraîneur extraordinaire. C’est le meilleur entraîneur que j’ai pu côtoyer. Quand on l'a mis en fonction, il était prêt. Avec ou sans moi, il serait sorti et serait devenu un entraîneur de Ligue 1 car il avait trop de qualités. Mais être le directeur sportif qui lui a mis le pied à l’étrier, qui a cru en lui, c’est une vraie fierté.

FM : en quelques années seulement, vous êtes devenu une référence dans le recrutement, là aussi il y a un sentiment de fierté ?

FG : oui, c’est forcément une fierté, mais cette fierté est collective, d’être très efficace dans tout notre process de recrutement et toute notre organisation en général et tout ce qui en découle.

FM : mais alors quel est votre secret ?

FG : on ne peut pas parler d’un secret. C’est un ensemble de choses. Je pense que notre force aujourd’hui, c’est la qualité du process et de l’organisation à tous les étages. J’ai eu la chance de pouvoir construire la cellule recrutement de A à Z puisque le club sortait d’un plan de licenciement. J’ai pu rebâtir sur un terrain vierge. Aujourd’hui, cette cellule de recrutement, avec Greg Thil responsable, me ressemble : elle est moderne, jeune et très humaine. Il y a une vraie dynamique entre nous. Notre force aujourd’hui ce sont toutes les étapes du process de recrutement. Le projet club est lisible, le projet de jeu est précis, la cellule travaille avec efficacité main dans la main avec Franck, l’étape de l’intégration est souvent réussie grâce à des personnes comme Djamal Mezine (team-manager), et en bout de chaîne le staff fait un travail fantastique dans le vestiaire et sur le terrain pour l’intégration des recrues.

Florent Ghisolfi accueille Lukasz Poreba lors de son arrivée à Lens

FM : si vous deviez n'en citer que deux, quels sont les critères les plus importants lorsque vous recrutez un joueur ?

FG : la première chose : est-ce que le joueur correspond à l’identité du club, aux valeurs ? On a défini cette identité au début du projet.
Et c’est notre travail que de juger les valeurs et la personnalité des joueurs ciblés. La deuxième, tout simplement, est-ce que le joueur correspond à l’identité de jeu ? On a une identité de jeu très claire, il faut que le joueur colle à notre projet. Il y a eu des cas, même récemment sans citer de noms, où le joueur ne collait pas à ces deux critères et avec qui on a décidé de ne pas aller plus loin.

«Le club est attractif, c'est une réalité»

FM : on a le sentiment, en observant votre recrutement, que vous avez toujours un coup d'avance et que vous avez déjà trouvé le remplaçant du joueur qui n'est pas encore parti du club. Je pense à Salis Abdul Samed, qui a déjà remplacé Cheick Doucouré dans le coeur des supporters ou à Loïs Openda, qui a pris la place d'Arnaud Kalimuendo...

FG : notre objectif est d’avoir un coup d’avance. Notre force est de savoir quel type de profil on recherche en lien avec notre projet de jeu club. On doit avoir des coups d’avance, et quand on y arrive c’est top. Je pense qu'Abdul Samed et Openda sont deux très bons exemples.
Parfois sur un poste à pourvoir ou à remplacer, on n'a pas le profil idéal. Et parfois, on pense avoir le bon profil, mais il est en dehors de nos moyens. Pour les 2 cas cités, nous sommes très satisfaits. Nous sommes globalement très satisfait des trois mercatos estivaux que l’on a faits parce qu’on a été pour chacun d’entre eux dans l’anticipation. C’est aussi grâce à Arnaud et au Président (Joseph Oughourlian, le président du RCL depuis 2018). Il y a tout ce qui se passe en bas, mais il y a aussi tout ce qui se passe en haut. Son investissement fait qu’on peut réaliser un mercato d’anticipation. Il a aussi des garanties sur l’anticipation des ventes, puisqu’à ce jour on a souvent réalisé les objectifs fixés.
En tous cas pour les deux joueurs cités, ce sont de très bons exemples en terme de choix, d'intégration et aussi de timing puisqu'on les a faits assez tôt.

FM : prenons l'exemple de Loïs Openda. Comment l'avez-vous convaincu de rejoindre Lens alors que de nombreux clubs européens souhaitaient le recruter après son excellente saison aux Pays-Bas ?

FG : le club est attractif, c'est une réalité. On a aussi un process de persuasion pour le joueur qui est efficace. Aujourd’hui, un joueur est rassuré de venir à Lens dans un projet très lisible dans lequel il va être développé et valorisé. C’est la qualité du club et de notre projet sportif qui nous rend très attractifs. Franck s’investit aussi beaucoup dans cette partie là, et c’est rassurant pour le joueur puisqu’il va travailler au quotidien avec lui. On est plutôt satisfait de notre capacité à convaincre. Cet été, sur tous les recrutements, on a fait à chaque poste la priorité fixée. C’est un signe fort. Et pour finir, quand on remplace Patrick Berg en toute fin de mercato, qui est un switch qui n'est pas prévu au départ, on arrive à recruter Junior Onana qui est sur le poste milieu défensif le numéro 2 de la liste derrière Abdul Samed.
On a donc fait toutes nos priorités, et le numéro 2 en toute fin de mercato sur un recrutement imprévu. C'est anecdotique et improbable parce que le joueur, fin août, est encore sur le marché. Mais c'est ce qui fait de ce mercato estival 2022, un mercato très satisfaisant.

Florent Ghisolfi lors de la signature de Lois Openda à Lens

«Si le PSG était passé concrètement à l'action, on ne serait pas en train de parler de la prolongation de Seko Fofana à Lens»

FM : on a parlé de premier coup d'éclat, mais le premier gros coup mercato que vous faites c'est l'arrivée de Seko Fofana non ? Vous aviez expliqué à France Bleu qu'il était votre Zlatan Ibrahimovic...

FG : l'idée à la base en recrutant Seko, c'était de renforcer l'équipe. Mais ca nous faisait faire des efforts importants financièrement pour un promu. Je disais à Arnaud (Pouille) et Joseph (Oughourlian) que c'était important de faire des efforts sur un joueur qui allait incarner notre projet. Ce projet était de stabiliser Lens en Ligue 1. Recruter Seko, c'était marquer ce projet-là. Effectivement, Zlatan Ibrahimovic, qui a incarné le projet qatari du PSG, correspondait à l'identité que voulait donner Paris à son équipe. Seko de son côté correspondait parfaitement à l'image du projet que l'on voulait construire ici. C'est un grand professionnel. C'est un garçon qui a un gros caractère, mais positif. C'est un compétiteur, mais qui a aussi beaucoup d'humilité. Tout collait pour qu'il incarne notre projet. Pour le reste, le mérite lui revient, ainsi qu’à ses partenaires et au staff. On a réussi à le convaincre, on a été persuasif. Il a su écouter ses intuitions. Et il a su incarner le projet de stabiliser Lens en L1. Mais je le précise toujours, il na pas été le seul. pas le seul joueur. Yannick Cahuzac, Jean-Louis Leca, Jonathan Gradit ou Florian Sotoca entre autres, ont su incarner ce projet depuis 3 ans et demi et le renouveau lensois.

FM : justement, vous avez réussi à le prolonger alors que tout le monde le donnait partant et qu'il était très convoité. Comment avez-vous réussi votre coup ? Et quels ont été votre discours et vos arguments pour le convaincre de rester au RC Lens ?

FG : il y avait des clubs sur Seko cet été. Probablement que si le PSG avait passé le stade de l'intérêt pour passer concrètement à l'action, on ne serait pas en train de parler de sa prolongation. À l'inverse, par rapport aux clubs qui se sont présentés, le discours a été de lui dire qu'il allait être beaucoup plus valorisé et lui-même beaucoup plus heureux d'annoncer le 31 août sa prolongation qu'un transfert dans un club qui ne le fait pas complètement rêver. Le discours a été celui-là et il a fallu ensuite créer toutes les conditions pour que cela soit réalisable.

«Florian Sotoca incarne vraiment les valeurs du club. C'est une grande fierté et un grand symbole.»

FM : on pourrait citer 10 exemples de folles réussites, comme celle d'avoir ramené Brice Samba en Ligue 1 après sa folle saison à Nottingham, mais quel est aujourd'hui le transfert dont vous êtes le plus fier ?

FG : c'est très difficile de n'en citer qu'un. Parce que sur chaque transfert, on s'investit comme si c'était le plus important. Si on prend l'exemple de Jonathan Clauss, pris en D2 allemande et qui atteint l’Equipe de France, c'est une histoire incroyable évidemment. Mais si je dois n'en citer qu'un, il le sait car je le lui répète souvent, ça serait Flo Sotoca. Il a vraiment pour moi un côté symbolique. Il est le premier joueur recruté sur ce mercato d'été 2019 et le premier buteur en L2 de la saison. Il est le dernier juste avant l'arrêt COVID. C'est un joueur au parcours cabossé, qui vient du monde amateur. Et derrière, il a su s'adapter en Ligue 1. Aujourd'hui, c'est l'un des meilleurs attaquants de L1 (il est le 4e meilleur buteur de L1 avec 5 buts en 8 matches). Il a 31 ans, mais il progresse chaque saison. Et en terme de valeurs, il incarne vraiment les valeurs du club. C'est une grande fierté et un grand symbole.

FM : vous êtes 4e de Ligue 1 aujourd'hui, est-ce que quand vous vous rasez le matin, vous pensez à la Ligue des Champions ?

FG : on a tous des rêves et des objectifs. Je suis ambitieux. Mais je ne veux pas m’enflammer. Je reste aussi lucide sur nos moyens financiers. Nous sommes en sur-performance depuis 3 saisons. Et évoquer la Ligue des Champions serait un pêché d’orgueil.
Nous progressons saison après saison sur l’ aspect financier aussi, mais nous sommes encore loin des Top 7 puissance économiques de notre championnat. Donc plutôt que de rêver en me rasant, j’essaye de rester focus sur le travail. Dans ce métier là, si on s’endort 5 minutes, on se retrouve vite en difficulté.

FM : les supporters doivent forcément y penser, eux qui ont connu les grandes heures de la C1 du temps de Guillaume Warmuz ou Rigobert Song...

FG : c’est différent ! C’est ce qui emmène les gens au football et au stade : les émotions, les rêves. Et nos supporters mériteraient de connaître à nouveau la Coupe d'Europe et ses folles soirées européennes. C'est un public extraordinaire, qui s'investit à 1000 %.

«La Coupe d'Europe ferait grandir le RC Lens à tous les niveaux...»

FM : est-ce qu'une qualification en Coupe d'Europe vous permettrait d'avoir encore plus de marge de manoeuvre financièrement parlant sur le mercato ?

FG : évidemment, cela ferait grandir le club à tous les niveaux. Et lui permettrait de passer un cap. Forcément, si on venait à augmenter nos ressources, on pourrait faire des choses encore plus qualitatives, et garder les joueurs majeurs plus longtemps.

Florent Ghisolfi présente Jimmy Cabot au RC Lens

FM : quel est votre modèle de club aujourd'hui ? J'ai entendu parler de l'Atalanta Bergame qui fait de jolis coups sur le marché des transferts et de belles plus values. Ce qu’on nomme communément « trading »...

FG : pour construire le projet, j'ai eu plusieurs sources d'inspiration. L'Atalanta Bergame en fait partie. C'est vrai qu'on a un projet de jeu assez proche et de construction d'effectif assez similaire. Je ne veux pas citer d'autres noms de clubs, mais oui ce sont des sources d'inspiration. Mais on ne copie personne. L'idée c'est de construire le projet de Lens avec son identité et ses valeurs. Bien sûr qu'on a besoin de créer de la valeur et de faire avancer le club sur les aspects financiers, mais c'est un mot qu'on n’emploie pas à Lens. Ce qui nous intéresse c'est la performance. C'est via la performance qu'on va valoriser l'effectif et notre club.

FM : quels sont les axes d'amélioration pour vous au niveau du club ? Améliorer le centre de formation ? On voit aujourd'hui que vous sortez moins de jeunes qu'auparavant.

FG : la formation est une partie très importante du RC Lens. On essaie, dès qu'il y a un joueur qui a le potentiel, de lui tracer le chemin. C'est pour cela qu'on est un effectif très réduit. David Pereira da Costa en est le meilleur exemple. Alors oui, aujourd'hui on pense que le centre de formation est un axe d'amélioration au club puisqu'on sort peut-être moins de joueurs qualitatifs que par le passé. Pendant 3 ans, j'ai mis beaucoup d'énergie sur les pros, parce que c'est la locomotive. Cet été, j'ai travaillé sur la constitution du staff de l'équipe réserve et d'un projet de jeu aligné sur celui des professionnels. Et par la suite, on va mettre de l’énergie sur le centre de formation.

FM : il y a par contre peu de clubs français qui peuvent se targuer d'avoir une si belle ambiance. Bollaert fait partie des 40 meilleures affluences d'Europe, j'imagine que c'est un magnifique argument quand vous négociez avec un joueur...

FG : ça fait partie de l'attractivité du club aujourd'hui. Tout joueur aime jouer dans ce type d'ambiance. Elle est magique et elle est très colorée à Lens. C'est forcément un argument pour faire venir des joueurs. Mais c'est quelque chose qu'on prend en compte dans l'autre sens dans le recrutement puisque c'est quelque chose qui peut être aussi inhibant et contre-productif avec certains profils psychologiques.

FM : pour terminer, un petit mot sur Joseph Oughourlian, le propriétaire du RC Lens. Quelle est son importance dans le projet du club ?

FG : la réussite du club aujourd'hui est la sienne. C'est lui qui le sauve de la banqueroute en 2016. C'est lui qui a nommé les personnes qui ont œuvré au renouveau comme Arnaud Pouille. La réussite, c'est la sienne et il peut la savourer.

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