Le retour explosif de la Russie sur le mercato d’été
Longtemps marginalisé depuis l’invasion de l’Ukraine en 2022, le football russe sort lentement de son isolement. Privés de compétitions internationales et frappés par des sanctions économiques lourdes imposées par l’UEFA et la FIFA, les clubs russes ont survécu dans un écosystème fermé. Mais cet été 2025 marque un tournant : le Zenit, le Spartak ou encore Krasnodar multiplient les approches ambitieuses sur le marché des transferts. Même sans horizon européen, la Premier League russe semble vouloir reconquérir sa place dans le paysage footballistique mondial.

Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022, la Russie a été mise au ban du football international par les deux principales instances mondiales : la FIFA et l’UEFA. Dans un premier temps, dès le 28 février 2022, ces deux organisations ont conjointement suspendu toutes les équipes nationales et clubs russes de leurs compétitions jusqu’à nouvel ordre. Cette décision a conduit à l’exclusion immédiate de la Russie des qualifications pour la Coupe du monde 2022 au Qatar, à laquelle elle devait affronter la Pologne en barrages. Du côté des clubs, le Zenit Saint-Pétersbourg, qui devait jouer en Ligue Europa, et le Spartak Moscou, encore engagé à l’époque, ont été exclus. Depuis, la suspension s’applique systématiquement à chaque saison, empêchant tout club russe de participer aux compétitions européennes (Ligue des champions, Ligue Europa, Ligue Europa Conférence, Youth League). Les compétitions féminines et de jeunes sont également concernées, tout comme les arbitres russes, bannis des compétitions internationales officielles. Par ailleurs, la Russie a été privée d’organisation de tous les événements UEFA, ce qui a entraîné, entre autres, la relocalisation de la finale de Ligue des champions 2022, initialement prévue à Saint-Pétersbourg. Au-delà de l’impact sportif, ces sanctions ont provoqué un véritable effondrement économique du modèle russe, autrefois soutenu par les recettes des compétitions européennes et les revenus liés au marché des transferts.
Selon les estimations de plusieurs observateurs économiques et spécialistes du sport, les clubs russes ont perdu entre 150 et 200 millions d’euros de revenus cumulés entre 2022 et 2024. Le Zenit, par exemple, qui pouvait toucher jusqu’à 60 millions d’euros en une seule saison européenne, a vu ses recettes chuter drastiquement, à l’heure où les cachets explosent en Ligue des Champions. En plus des droits TV internationaux, suspendus par plusieurs diffuseurs, les sponsors étrangers se sont progressivement retirés. Des marques comme Nike ou Adidas ont mis fin à leurs partenariats avec les clubs russes et la fédération. Le marché des transferts s’est également effondré : la Russie est passée de plus de 200 millions d’euros investis en transferts en 2021 à moins de 40 millions en 2024, avec une balance désormais nettement positive, car les clubs n’achètent presque plus. Le championnat russe (RPL) a aussi été exclu des classements UEFA, ce qui affecte la valorisation des joueurs. Les talents russes partent désormais à bas prix, tandis que les clubs étrangers hésitent à faire affaire avec des institutions considérées comme politiquement sensibles. Cette combinaison de sanctions sportives, économiques et diplomatiques a plongé le football russe dans un isolement inédit depuis l’ère soviétique, forçant les clubs à se replier sur des marchés secondaires et à repenser en profondeur leur modèle économique.
Un retour progressif à souligner !
Après plusieurs saisons cantonnées à des transactions avec un cercle restreint de pays « alliés » — comme le Brésil, la Serbie ou la Biélorussie — les clubs russes semblent retrouver peu à peu une certaine visibilité médiatique sur le marché des transferts. Ces pays, restés proches diplomatiquement de Moscou, ont longtemps constitué les seules sources viables de recrutement. Mais ces derniers mois, on observe une timide ouverture vers des profils plus exposés. Le Spartak Moscou s’est ainsi intéressé à des joueurs comme Azzedine Ounahi (OM) ou Yacine Adli (AC Milan). Si ces derniers ont finalement décliné les offres, le simple fait que des discussions aient eu lieu marque une progression notable dans l’attractivité du championnat russe. Parallèlement, plusieurs mouvements concrets ont été enregistrés : Gaëtan Perrin va prendre la direction de Krasnodar après ses belles saisons à l’AJ Auxerre, mais le Zenit a frappé fort avec le recrutement de Gerson et Luiz Henrique, deux Brésiliens au fort potentiel. Enfin, le FC Krasnodar a signé Douglas Augusto, milieu de terrain du FC Nantes, symbole d’un regain de crédibilité dans les négociations internationales. Une étude d’Izvestia rapporte que lors du mercato hivernal de 2025, les clubs russes ont dépensé près de 82,17 M€ (un record pour une fenêtre hivernale des dix dernières années), pour des recettes de 66 M€.


Ce renouveau se reflète également dans les chiffres du mercato. Après avoir atteint un plancher historique en 2023 (moins de 35 millions d’euros dépensés au total), les clubs russes ont déjà investi plus de 85 millions d’euros sur la seule fenêtre estivale 2025, selon plusieurs sources locales. Le Zenit, le CSKA et le Dinamo Moscou se partagent la majorité des dépenses, retrouvant des niveaux proches de la période pré-sanctions. Sur les salaires, la tendance est également à la hausse : plusieurs joueurs sud-américains ou africains ont été attirés par des contrats supérieurs à 2 millions d’euros net annuels, rivalisant avec les offres des clubs turcs, qataris ou saoudiens. Cette nouvelle dynamique s’explique par une volonté politique forte de relancer le football russe comme outil de soft power, mais aussi par une relative stabilisation du rouble et un recentrage des ressources sur le marché intérieur. Si la Russie ne peut toujours pas offrir de vitrine européenne, elle commence à proposer des packages financiers attractifs, notamment pour des joueurs entre deux statuts ou désireux de relancer leur carrière.
Infantino à la rescousse ?
Vladimir Poutine n’a jamais caché son ambition d’utiliser le football comme vecteur d’influence et de prestige international. Le succès de la Coupe du Monde 2018 en Russie — considérée comme une « vitrine géopolitique » — avait révélé l’ampleur de ses objectifs : renforcer la légitimité du régime, promouvoir l’image du pays, et miser sur le sport comme outil de soft power. Un projet qui a connu un frein net avec le conflit en Ukraine. Dans ce cadre, Poutine avait honoré Gianni Infantino lors du congrès de la FIFA en 2019 en lui remettant l’Ordre de l’Amitié, soulignant leur coopération dans la diffusion de l’héritage du Mondial russe et la promotion du football national. Pendant la période post-2018, Infantino avait multiplié les visites officielles en Russie et salué publiquement le projet de « croissance durable » du football russe, tel que promu par la Fédération russe appuyée par l’État. En termes de relation personnelle, la proximité entre Poutine et Infantino remonte à la phase d’organisation du Mondial 2018 : ils ont participé à plusieurs opérations symboliques ensemble — notamment une partie de football sur la Place Rouge à Moscou avec des légendes du ballon rond. Poutine a qualifié Infantino de « fidèle aux idéaux sportifs », saluant son approche qui sépare sport et politique, tandis qu’Infantino a insisté sur le rôle du football comme lien universel entre les peuples. Toutefois, cette relation n’a pas débouché sur une stratégie tangible de retour des clubs russes dans le giron UEFA/FIFA.
Sur le plan institutionnel, la situation de la Fédération russe de football (RFU) reste figée. Depuis son exclusion de toutes les compétitions UEFA et FIFA en 2022, aucun calendrier officiel de réintégration n’a été établi. Plusieurs discussions informelles auraient eu lieu entre la RFU et des responsables de la FIFA en marge de congrès internationaux, mais aucune promesse concrète de retour n’a été faite à court terme. La Russie avait tenté, sans succès, de basculer vers la Confédération asiatique (AFC) début 2023, une initiative qui avait été gelée après des protestations internes et internationales. La FIFA maintient sa ligne officielle : tant que le conflit en Ukraine n’est pas résolu, la suspension reste en vigueur. Toutefois, avec la dégradation militaire contenue et la montée des pourparlers diplomatiques autour d’un possible cessez-le-feu courant 2026 avec l’appui de plus en plus prononcé de Donald Trump, certains acteurs du football mondial évoquent en privé la possibilité d’une réintégration progressive si un apaisement durable venait à s’installer. En attendant, le football russe tente de reconstruire un écosystème parallèle, avec ses propres repères, ses ambitions réajustées et l’espoir de ne pas disparaître complètement du radar du football mondial.