La parenthèse bolivienne de Julien Benhaim-Casanova

Par Mathieu Rault
10 min.
San José Julien Benhaim @Maxppp

Joueur de l’AS Furiani-Agliani, engagée au 5e échelon du football français, Julien Benhaim-Casanova a quitté la Corse en janvier pour tenter l’aventure à 10 000 km de là. Débarqué en Bolivie avec l’envie de découvrir l’ambiance sud-américaine, le milieu de terrain n’a pas été déçu du voyage. Même si l’aventure a tourné court. Récit.

Comme le rappelle très justement le site Lucarne Opposée, qui est également une revue, le dernier joueur de nationalité française à avoir évolué dans le championnat bolivien se nommait jusqu'au mois de janvier dernier Hugo Christophe Bargas. Né à Lyon en 1986, alors que son papa Ángel Hugo Bargas, ancien international argentin (30 sélections) repéré par Robert Budzynski, évoluait sous les couleurs du Puy-en-Velay, après des aventures au FC Nantes et au FC Metz. Après avoir évolué sous les couleurs du Blooming Santa Cruz, du Club Oriente Petrolero et du Bolivar La Paz, le jeune Bargas, 33 ans aujourd'hui, roule sa bosse au Salvador. Depuis le mois de janvier, un autre tricolore a pris la relève au pays où l'union fait la force.

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Planté par son agent après une saison pleine du côté du Marignane-Gignac FC (N1), Julien Benhaim-Casanova a décidé, à 23 ans, de partir à l’aventure, cet hiver. Le milieu de terrain formé au SC Bastia a bouclé son sac, «avec le strict minimum», et s’est lancé dans un périple pour rejoindre la Bolivie, poussé par la curiosité. «Je ne vais pas dire que je connaissais le championnat bolivien, mais mon rêve de toujours était de découvrir l’Amérique du Sud. C’était une obsession. C’est un tout, une culture et un football avec une mentalité que j’adore. Et quand on m’a proposé, je n’ai pas hésité une seconde. On m’a parlé de cette opportunité le mercredi, j’avais match le samedi avec Furiani (N3), qui m’avait ouvert ses portes à l’été, et le dimanche je faisais ma valise.»*

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«Après un appel en profondeur, il me fallait deux minutes pour reprendre ma respiration»

Aucune ligne aérienne n’existe pour le moment entre la Corse et la Bolivie. Julien Benhaim-Casanova passe par Bastia, Marseille, Madrid, puis Santa Cruz de la Sierra, dans l’est de la Bolivie. De là, il rejoint la capitale administrative, La Paz, à une demi-heure de vol, avant d’avaler 4 heures de bus pour atteindre Oruro, berceau du Club Deportivo San José, engagé en División Profesional (D1). «J’avoue que j’étais un peu choqué. Je ne m’attendais pas à faire quatre heures de bus, je pensais que quelqu’un du club viendrait me récupérer. Et ce n’était pas un bus cinq étoiles, mais plutôt un vieux bus. Des vieilles voitures, des bus anciens, c’est ce qu’on trouve ici. Et les voitures roulent pour la plupart au gaz. Tu sais, les bouteilles de gaz que tu as dans ta cuisine ? C’est très pauvre où je suis. Ce n’est pas le luxe. Mais ça m’a plu.»

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Posée dans les paysages lunaires de l’Altiplano, Oruro semble presque oubliée, à plus de 200 km des deux capitales, La Paz et Sucre. Le déclin de l’industrie minière, de l’argent et de l’étain, a plongé la ville et ses 300 000 habitants dans une douce léthargie, dont elle sort pour quelques jours, au mois de février, à l’occasion du carnaval. Pour le voyageur de passage, le climat est inhospitalier. «On est à 4 000 mètres d’altitude. Je ne vais pas mentir, les deux premières semaines ont été très compliquées. J’avais du mal à respirer. Pourtant, je suis un joueur qui a l’habitude de beaucoup courir. Mais là j’étais à bout de souffle. Après un appel en profondeur, il me fallait deux minutes pour reprendre ma respiration.» Il faut dire que le jeune milieu est immédiatement mis dans le bain !

«Ici, on m'appelle «le Français»»

À peine ses valises déposées dans un hôtel de la calle Aroma, il passe sa visite médicale et prend la température auprès du coach fraîchement nommé, l’Argentin Omar Asad, qui a pu l’observer en vidéo avant de valider sa venue. Julien Benhaim-Casanova a l’avantage de parler espagnol, vestige de l’époque où il évoluait en Andorre, ce qui facilite les échanges. Seul étranger de l’effectif, il doit s’habituer à cette nouvelle condition. «Ici, on ne m’appelle pas Julien, on ne m’appelle pas Benhaim, on m’appelle « le Français » (« Francés »). Mais ça ne me dérange pas. Au début, les gens m’observaient, on voyait qu’ils se posaient des questions. J’étais une nouveauté dans une ville un peu perdue au milieu de nulle part.»

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À la nouveauté, Julien Benhaim-Casanova s’adapte. «J’ai entraînement tous les jours. Ce qui est compliqué c’est qu’ici on joue tous les mercredis et tous les samedis. Le rythme est assez intense. Au niveau de la charge de travail, c’est assez colossal. Les séances durent entre 2 et 3 heures. Même si le début était dur, ça me plaît.» Pour l’entraînement, le cadre est minimaliste. Il n’y a qu’un stade. Une pelouse synthétique, mais de bonne qualité. «C’est suffisant,» tempère le baroudeur. Pour les matches, l’ambiance est tout autre. «Leur stade est très beau (le stade Jesús Bermúdez, ndlr). C’est un peu spécial parce que pour la première fois de ma vie je fréquente un club qui a plus de supporters à l’extérieur qu’à domicile.»*

«Certaines équipes pourraient viser le haut de tableau en Ligue 2»

Toute la Bolivie supporte le CD San José et dans tous les stades où il se déplace, les supporters affluent. Venu pour «l’ambiance sud-américaine», Julien Benhaim-Casanova n’est pas déçu. «Le football sud-américain est un football passion, avec beaucoup d’amour et ça se ressent vraiment. Quand les matches sont à domicile, on a un coin VIP pour les joueurs, où l’on peut regarder la rencontre dans une salle, au calme. Moi généralement je m’installe en tribunes, avec les supporters. J’adore écouter ce qu’ils disent. Chez eux, les feux d’artifice sont autorisés. Ils ramènent des tambours, ils dansent, ils chantent, c’est vraiment la fête. C’est autre chose.» Conquis par l’atmosphère, le joueur l’est tout autant par le niveau affiché.

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Oruro vue des hauteurs de la ville

«J’ai vraiment été agréablement surpris. C’est un bon niveau, il y a de très bons joueurs. Je pense que San José et d’autres équipes ont le niveau Ligue 2. Certaines, plutôt bas de tableau. Mon équipe jouerait le maintien je pense. D’autres pourraient même viser le haut de tableau en Ligue 2, en France.» L’Observatoire du Football CIES a très récemment révélé que le championnat de première division bolivien est l'un des plus agressifs au monde, avec une moyenne de 7 cartons distribués par match. Aucun autre championnat ne l'égale. Julien Benhaim-Casanova confirme. «C’est un championnat très rugueux. Si je ne me trompe pas, il faut 5 cartons jaunes pour risquer d’être suspendu deux matches. Les cartons sont sortis assez facilement. Moi je suis un joueur qui aime bien le contact, donc j’étais préparé. »

«Semaine après semaine on me répétait « tu pourras jouer la semaine prochaine»»

S’il décrit si bien son expérience bolivienne, c’est que Julien Benhaim-Casanova a eu le temps d’observer, n’étant que spectateur depuis son arrivée. Le joueur avait pourtant signé un contrat. «Le club me proposait un salaire moyen. À Oruro, on peut vivre avec entre 300 et 500 euros par mois. Je ne leur coûtais pas cher. Et je ne suis pas du genre à faire des caprices. Je voulais juste venir, qu’on me paye mes billets d’avion et ensuite avoir un salaire correct.» Salaire mensuel, prime à la signature, un hôtel pour rebondir avant de trouver un appartement, et le voyage pris en charge, voilà ce que Julien Benhaim-Casanova avait négocié au départ. Problème, il n’a jamais touché le moindre centime depuis son arrivée. Et surtout, il n’a pas pu jouer le moindre match.

*«Après la première semaine, j’ai senti que quelque chose n’allait pas. J’avais signé mon contrat avant de venir, mais il y a eu plusieurs changements de présidents. En un mois, il y en a eu quatre différents. Je devais signer un nouveau contrat mais le nouveau président était injoignable. J’ai vu que ça traînait. À la fin de ma première semaine, on m’a expliqué que le club avait une dette envers la FIFA* et que tant qu’elle ne serait pas payée les nouvelles recrues ne pourraient pas jouer. On était sept ou huit dans cette situation. Semaine après semaine on me répétait « tu pourras jouer la semaine prochaine». Aujourd’hui, Julien a l’impression d’être en vacances. Mais s’il en rigole avec ses coéquipiers, il commence à trouver le temps long.

«Je me suis bien rendu compte que je n’étais pas Messi (...) Si j’arrivais à combiner voyage et football, c’est peut-être comme ça que je trouverais un équilibre»

«C’est hyper frustrant. Je me sens vraiment bien ici. La ville me plait. Même si certains jours se ressemblent, ça n’empêche pas qu’ils soient tous aussi bien les uns que les autres. Le club, les joueurs, le staff, tout me plaît. Tout est réuni pour faire quelque chose de bien. Mais de ne pas pouvoir jouer, clairement ça me fait chier.» À l’hôtel depuis un mois, sans salaire, il se languit mais ne se plaint pas. Il pense à ses coéquipiers, qui eux attendent d'être payés depuis cinq mois. «Il y a eu deux ou trois grèves des entraînements, ce qui est logique. Mais les joueurs continuent de jouer. Depuis ces grèves, ils ont même gagné trois matches» (dont un sans entraîneur puisque Omar Asan*** a depuis été mis à pied, ndlr). Après onze journées, le CD San José est 8e sur 14 équipes que compte la División Profesional, à six unités du leader.

Si le club survit malgré des tempêtes internes, l'avenir de Julien Benhaim-Casanova devrait s'écrire en dehors de la Bolivie. Un chapitre qui se clôt de manière précipitée, mais dont le joueur sort grandi. «Le voyage est quelque chose qui m’a toujours attiré, mais je n’ai jamais pu. Ou pratiquement jamais. A cause du football. L’été, les quelques vacances que j’avais je les passais en famille. Et mes amis travaillaient ou allaient à l’école. Ce n’est pas quelque chose que je faisais, mais j’y prends goût.» Aujourd’hui, il se verrait bien endosser le costume du footballeur-globe-trotter. «Je me suis bien rendu compte que je n’étais pas Messi. Et que la vie était courte. Si j’arrivais à combiner voyage et football, c’est peut-être comme ça que je trouverais un équilibre. C’est une idée qui commence à me plaire.»

«Mes coéquipiers m’ont demandé s’ils pouvaient venir en vacances en Corse»

L'introspection du voyageur, seul et sans repères. Un mélange de sentiments s’opposent chez Julien Benhaim-Casanova, entre souvenirs magnifiques d’une première expérience loin de chez soi et réalité du quotidien observée en Bolivie. «C’est une autre vie. La pauvreté se ressent un peu partout. J’ai pu visiter les anciennes galeries de la mine d’argent, c’est important de découvrir dans quelles conditions les gens travaillent.» À Oruro, le CD San José a mis un chauffeur à la disposition de Julien Benhaim-Casanova. Gêné, il s’en excuse. «Aujourd’hui, c’est devenu un ami.» C’est cette rencontre qui lui propose de rejoindre une bande d’amis à lui calle Sucre, pour taper le ballon. «Ça m’a vraiment marqué. Ce sont des gens qui ont le minimum et qui semblent les plus heureux. J’ai dit à mes amis, «j’ai vécu pendant un mois avec très peu et je ne me suis jamais senti aussi vivant».

Le joueur a finalement résilié son contrat, mardi. Il rentrera en Corse ce week-end. Avant de repartir ? «Mes coéquipiers à San José m’ont déjà demandé s’ils pouvaient venir en vacances sur mon île, en Corse (rires). Je leur ai dit « pas de souci.» Le joueur a aussi rencontré quelqu’un, pendant le carnaval. «Elle est argentine et elle est prête à venir vivre avec moi. Je pense que partout où j’irai elle viendra avec moi maintenant. C’est assez improbable comme rencontre, mais comme quoi tout est possible. Je n’ai pas pu jouer, mais c’est au moins ça. Je suis quelqu’un qui dans chaque situation arrive à trouver du positif. Même si je n’avais pas rencontré cette fille, j’aurais trouvé d’autres raisons d’être content de l’expérience. C’était formidable,» conclut Julien Benhaim-Casanova, qui tentera dans les prochaines semaines de rendre, chez lui, ce que la Bolivie lui a donné.

**Julien Benhaim-Casanova tient à remercier l’AS Furiani, qui l’a accueilli à bras ouverts quand il n’avait plus de club. *

**Le Club Deportivo San José doit payer des arriérés de salaires à plusieurs anciens joueurs ainsi qu’à l’ancien entraîneur, ces derniers ayant porté l’affaire devant la FIFA et obtenu gain de cause.

**Il y a trois jours, le coach Omar Asan a été limogé par le président Huascar Antezana. La raison évoquée : tout d’abord, le coach argentin avait signé son contrat sous la présidence de José María Cuellar. Ensuite, lui sont reprochés des faits de conspiration envers l’actuel président et le conseil d’administration.

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