Antony raconte son parcours semé d'embûches et de cadavres

Par Léo Scalco
9 min.
Antony avec le maillot de Manchester United lors d'une rencontre @Maxppp

Antony s'est confié sans langue de bois sur son passé difficile au Brésil au sein de la favela Inferninho (petit enfer en français) avant d'arriver en Europe. Une enfance marquée par la violence qui a forgé l'actuel attaquant de Manchester United aussi bien sur le terrain que dans la vie de tous les jours. Une histoire touchante et ô combien inspirante.

Le Brésilien n'est pas un joueur comme les autres. Né à Sao Paulo, Antony a connu la violence et l'horreur qui sévissent dans les favelas de son pays natal. Une enfance qui a fait de lui l'homme qu'il est aujourd'hui sur et en dehors des terrains de football. Forgé par un parcours sinueux et des expériences traumatisantes, le joueur de 22 ans a connu des moments difficiles. Il s'est d'ailleurs confié sur cette partie de sa jeune existence au média The Players' Tribune. Une belle leçon de vie. Depuis, l'international auriverde (onze sélections dont deux titularisations pour deux réalisations) est parti en Europe pour rejoindre l'Ajax Amsterdam en 2020 - contre un chèque d'un peu moins de 16 millions d'euros - après avoir fait ses classes et ses débuts professionnels avec le club de sa ville natale. Deux ans plus tard, l'attaquant rejoignait Manchester United et devenait le plus gros transfert de l'histoire du championnat néerlandais (95 millions d'euros).

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Mais revenons-en aux prémices de cette histoire au scénario hollywoodien. «Je suis né en enfer. Ce n'est pas une blague. Pour mes amis européens qui ne le savent pas, la favela où j'ai grandi à São Paulo s'appelle en fait Inferninho - "petit enfer".» C'est par ces mots qu'Antony commence à raconter son vécu. Une histoire particulièrement dure qui trouve ses racines dans la violence qui gangrène la plupart des favelas au Brésil. «C'est un endroit infâme. À quinze pas de notre porte d'entrée, il y avait toujours des trafiquants de drogue qui faisaient leurs affaires, se passant la marchandise de main en main. L'odeur était constamment devant notre fenêtre. En fait, l'un de mes premiers souvenirs est celui de mon père se levant du canapé un dimanche et allant crier aux gars de descendre un peu la rue et de nous laisser en paix, parce que ses enfants étaient à l'intérieur en train de regarder le match de football.» Ambiance.

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«Alors j'ai fermé les yeux et j'ai sauté par-dessus le cadavre»

Mais le pire était encore à venir et les mots sont crus. Enfant, Antony a vu des choses qu'aucun jeune ne devrait voir. Avant de dribbler ses adversaires, le Brésilien devait zigzaguer entre les corps qui jonchaient la favela au sein de laquelle il habitait. «Mec, certaines des choses que j'ai vues .... Seuls ceux qui l'ont vécu peuvent comprendre. Un matin, alors que je me rendais à l'école, je devais avoir 8 ou 9 ans, j'ai vu un homme allongé dans la ruelle. Il ne bougeait pas. En m'approchant, j'ai réalisé qu'il était mort. Dans la favela, on devient un peu insensible à ces choses. Il n'y avait pas d'autre chemin à prendre, et je devais aller à l'école. Alors j'ai fermé les yeux et j'ai sauté par-dessus le cadavre» confirme d'ailleurs le principal intéressé. Un parcours semé d'embûches qui a motivé l'attaquant, mancunien désormais, à sortir de cet enfer grâce au ballon rond.

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«Je ne dis pas ça pour paraître dur. C'était juste ma réalité. En fait, je dis toujours que j'ai eu beaucoup de chance en tant qu'enfant, car malgré toutes nos luttes, j'ai reçu un cadeau du ciel. Le ballon était mon sauveur. Mon amour depuis le berceau. A Inferninho, nous ne nous soucions pas d'avoir des jouets pour Noël. N'importe quelle balle qui roule est parfaite pour nous.» Un combat au quotidien pour le jeune Antony de l'époque. Grâce à son amour pour le football, le brésilien a bravé des conditions très spéciales pour réaliser son rêve et devenir un joueur professionnel. Pour y arriver, l'attaquant virevoltant s'est entraîné comme un damné dans son quartier avec des personnes pas forcément très recommandables.

«Tous les jours, mon grand frère m'emmenait sur la place pour jouer au football. Dans la favela, tout le monde joue. Les enfants, les vieux, les professeurs, les ouvriers du bâtiment, les chauffeurs de bus, les dealers, les gangsters. Là-bas, tout le monde est égal. À l'époque de mon père, le terrain était en terre battue. De mon temps, c'était de l'asphalte. Au début, je jouais pieds nus, sur des pieds en sang. On n'avait pas d'argent pour des chaussures correctes. J'étais petit, mais je dribblais avec une méchanceté qui venait de Dieu. Dribbler a toujours été quelque chose en moi. C'était un instinct naturel. Et je refusais de baisser la tête devant qui que ce soit. Je réalisais des virgules sur les dealers de drogue, des sombreros sur les chauffeurs de bus et des petits-ponts sur les voleurs. Je n'en avais vraiment rien à faire. L'art de Ronaldinho, Cristiano et Neymar m'a inspiré quand j'étais enfant. Je regardais ces dieux avec émerveillement sur du wifi volé, puis j'allais sur le terrain en béton pour essayer d'imiter leur génie. Même si vous êtes né en enfer, c'est un petit cadeau du ciel. » confirme le Red Devil, qui doit apprécier ce surnom à sa juste valeur.

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Le football comme exutoire

Malgré ces conditions difficiles, Antony a trouvé des personnes sur qui compter pour trouver sa voie et s'inspirer des légendes modernes du football brésilien. «J'ai appris toutes les astuces des légendes. Ronaldinho, Neymar, Cristiano. Je les regardais sur YouTube, grâce à mon 'oncle' Toniolo. Ce n'est pas mon oncle de sang. Il était notre voisin de palier. Mais il me traitait comme de la famille. Quand j'étais petit, il me laissait voler son WiFi pour que je puisse aller sur YouTube et recevoir mon éducation footballistique. Il m'a même donné mon premier jeu vidéo. Si Toniolo avait deux miches de pain, c'était une pour lui et l'autre pour nous. C'est ce que les gens ne comprennent pas dans la favela. Pour chaque personne qui fait le mal, il y en a deux qui font le bien. Je dis toujours que j'ai grandi au mauvais endroit, mais avec les bonnes personnes» se remémore le fantasque brésilien avec une balle au pied.

«Quand j'avais 8 ans, je jouais sur la place quand le premier ange a croisé mon chemin. Ce type plus âgé me regardait faire mes tours contre les gangsters comme un fou. Il s'est tourné vers les autres personnes qui regardaient. "Qui est ce petit garçon ?" "Le gamin ? Antony." C'était le directeur du Grêmio Barueri. Il m'a donné ma première chance de quitter le bidonville et de jouer dans leur équipe de futsal. Alors, j'ai commencé à rêver» confie le joueur né en 2000, il y a 22 ans de cela. Les premières pierres de sa future carrière. La suite ? Un parcours sinueux marqué par le manque d'argent et de nourriture. «À 14 ans, j'ai eu ma chance au São Paulo FC. Chaque jour après l'école, je me rendais à l'académie l'estomac vide. Parfois, si c'était un bon jour, mes coéquipiers et moi mettions notre argent en commun pour acheter un ticket pour le trajet de retour en bus. Je n'avais pas besoin de faire semblant d'avoir faim pour me motiver. La faim était réelle.»

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Ces manques ont créé le joueur qu'il est devenu comme la colère que le Brésilien a réussi à exprimer et à utiliser à bon escient pour s'en sortir. «Au fond de moi, il y avait une intensité - on pourrait peut-être dire une colère. J'avais des problèmes avec mes émotions. À trois reprises, j'ai failli être renvoyé du club. J'étais sur la liste des personnes à libérer. Et trois fois, quelqu'un du club a pris ma défense. Ils ont supplié pour que je reste. C'était le plan de Dieu. J'étais si maigre, mais je jouais toujours avec du sang dans les yeux. C'est le genre d'intensité qui vient de la rue. On ne peut pas faire semblant. Les gens pensent que je mens quand je leur dis ça, mais même après avoir fait mes débuts professionnels à São Paulo, je vivais toujours dans la favela. Non, non - c'est la vérité - à 18 ans, je dormais encore dans le lit de mon père. C'était ça ou le canapé ! On n'avait pas d'autre choix. Mec, même en 2019, quand j'ai marqué le but contre les Corinthians en finale [du championnat brésilien, ndrl], j'étais de retour dans le quartier cette nuit-là» se souvient d'ailleurs Antony.

Avec un ballon à mes pieds, je n'avais pas peur

La pression et la peur qui sont liées de près au monde du football moderne, Antony s'en soucie guère. Son parcours lui a permis de prendre du recul et d'appréhender, de manière plus sereine, les émotions que cela peut engendrer. «Je suis passé des bidonvilles à l'Ajax puis à Manchester United en trois ans. Les gens me demandent toujours comment j'ai pu 'tourner la clé' si rapidement. Honnêtement, c'est parce que je ne ressens aucune pression sur un terrain de football. Aucune peur. La peur ? Qu'est-ce que la peur ? Quand on grandit en étant obligé de sauter par-dessus des cadavres juste pour aller à l'école, on ne peut avoir peur de rien dans le football. Les choses que j'ai vues, la plupart des experts du football ne peuvent que les imaginer. Il y a des choses que vous ne pouvez pas ne pas voir» confirme le joueur qui va participer à sa première Coupe du Monde avec la Seleção.

Pour Antony, les joueurs brésiliens ont, pour la plupart, été forgés par la rue et par extension aux expériences inhérentes que cette vie-là engendre. Le Brésilien prend donc son rôle d'ambassadeur pour les générations futures très à cœur. «Mais dans le football ? Avec un ballon à tes pieds, tu ne devrais ressentir que de la joie. Je suis né dribbleur. Cela fait partie de mes racines. C'est le don qui m'a fait passer des bidonvilles au Théâtre des Rêves. Je ne changerai jamais ma façon de jouer, car ce n'est pas un style, c'est moi. C'est une partie de moi. Une partie de notre histoire en tant que Brésiliens. Si vous regardez juste un clip de 10 secondes de moi, vous ne comprendrez pas. Rien de ce que je fais n'est une blague. Tout a un but. Avancer avec audace, faire peur à l'adversaire, créer des espaces, faire la différence pour mon équipe. Quand les gens demandent : 'quel est l'intérêt de votre style ? Quel message envoyez-vous ?' Mon frère, j'envoie un message à la maison.»

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