L’apaisement diplomatique entre l’Arabie saoudite et le Qatar a-t-il joué un rôle dans ce mercato ?

Par Valentin Feuillette - Anas Bakhkhar
11 min.
Le prince héritier Mohammed ben Salmane et l'Emir Tamim ben Hamad Al Thani @Maxppp

L’Arabie saoudite est devenue une véritable destination attractive durant ces derniers mois. Ce succès sportif s’inscrit dans une stratégie géopolitique fructueuse notamment avec son voisin du Qatar.

Si le mercato d’été a officiellement fermé ses portes le 1er septembre dernier dans les grands championnats européens, la Saudi Pro League a encore quelques jours devant elle pour continuer à s’offrir de grands noms du Vieux Continent. Forte de l’arrivée de Cristiano Ronaldo en janvier dernier, l’Arabie saoudite s’est invitée à la grande fête du marché estival avec agressivité et puissance, au point d’incarner une nouvelle constante dans l’actualité footballistique de l’intersaison. En effet, le Fonds d’Investissement Public saoudien (PIF), propriétaire de Newcastle depuis octobre 2021, a pris le contrôle de quatre des plus grands clubs de la Saudi Pro League : Al-Nassr et Al-Hilal pour la capitale Riyad, Al-Ittihad et Al-Ahli, pensionnaires de Djeddah, deuxième ville du pays. L’objectif ? Sortir de grosses enveloppes pour renforcer l’attractivité du championnat saoudien. Ces investissements importants ont donc permis d’amener dans le Royaume de nouvelles stars dorées, telles que Karim Benzema, N’Golo Kanté (Al-Ittihad), Roberto Firmino, Riyad Mahrez (Al-Ahli), Neymar Jr, Kalidou Koulibaly (Al-Ahli), ou encore Sadio Mané et Aymeric Laporte (Al-Nassr), pour ne citer qu’elles.

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Depuis le rachat du Paris Saint-Germain par Qatar Sports Investments en 2011, les pays du Moyen-Orient font du football, et plus généralement du sport, un vrai moyen d’accroître leurs poids économiques et diplomatiques ainsi que leur internationalisation culturelle. Un terme a d’ailleurs été largement médiatisé depuis pour définir cette nouvelle politique d’influence : le sport washing, que l’on pourrait vulgairement expliquer par un soft power (l’influence internationale à travers la culture, au contraire du hard power, qui s’appuie sur l’économie et la puissance militaire) sportif utilisé pour offrir une belle publicité mondiale à ces nations de l’Est asiatique. Car oui, ces dernières sont en proie à une médiatisation parfois négative dans le bloc occidental, qui a longtemps critiqué la région pour leur non-respect des droits de l’Homme. Si les prémices de cette stratégie diplomatique sur le sport ont été posés par Doha, à l’époque où cette petite péninsule arabique était isolée géopolitiquement, la donne a beaucoup changé ces dernières années.

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Origine de la crise du Golfe

Le Qatar et l’Arabie saoudite ont une histoire commune depuis plusieurs décennies, partageant à l’origine une vision wahhabiste communie, issue de l’Islam sunnite. Durant le 19ème siècle déjà, Doha a souvent changé de main, alternant entre la famille qatarie Al-Thani, l’emprise saoudienne et même la maison régnante bahreïnienne d’Al-Khalifa. Une certaine mise en tutelle s’installe donc sur la petite péninsule arabique du Qatar, qui peine à gagner son indépendance jusqu’au milieu du 20ème siècle avec la fin successive des dominations ottomanes puis britanniques au Qatar. En 1995, l’arrivée de Hamad ben Khalifa Al Thani - père de Tamim ben Hamad, actuel émir du Qatar et propriétaire du PSG - aggrave les tensions avec ses voisins du Golfe. Pendant 18 ans, il y installe un système politique de libéralisation modérée avec l’approbation du suffrage, le droit de vote des femmes aux élections municipales, la rédaction d’une première Constitution et la création, un an après son renversement de son père Khalifa ben Hamad, du groupe médiatique connu mondialement Al Jazeera Media Network. Des réformes qui permettent au Qatar de s’émanciper de l’Arabie saoudite mais qui s’accompagnent d’un certain isolement régional.

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En juin 2017, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Yémen, le Bahreïn et l’Égypte ont rompu leurs liens diplomatiques avec Doha, accusant le Qatar de semer le trouble dans la région en raison de sa proximité avec des pays de confession musulmane chiite comme l’Iran - déjà en plein conflit avec l’AS avant le rétablissement du dialogue entre les deux pays en juin dernier - et aussi en soutenant des groupes islamistes tels que Al-Qaïda, l’Etat Islamique (Daech) ou encore les Frères musulmans, confrérie classée comme terroriste par l’Arabie Saoudite, notamment durant les révolutions du Printemps Arabe en 2010. Même si le Qatar a toujours réfuté ces accusations, ce blocus a été accompagné de trois années de mesures de restrictions telles que la fermeture des frontières, le contrôle de l’espace aérien aux avions qataris, l’arrêt total de la diffusion de la chaîne qatarie Al Jazeera, ou encore les limitations sur les déplacements des citoyens qataris. Durant cette longue période de trouble, plus communément appelée «Crise du Golfe», la police saoudienne a enchaîné de nombreuses arrestations et répressions contre des politiciens, chercheurs et universitaires saoudiens pour «non-participation à la campagne médiatique contre le Qatar». Une situation plus que tendue entre l’Arabie saoudite et le Qatar pendant de longues années.

Début du réchauffement diplomatique

C’est au début de l’année 2021 que les tensions entre l’Arabie saoudite et le Qatar se sont calmées. Sur pression de Washington, soucieux d’unir les pays du Golfe contre l’Iran, un grand sommet régional des pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG), marqué sous le signe de la réconciliation, a été organisé à Riyad, le mardi 5 janvier 2021. Au cours de cette réunion, les six pays arabes du Golfe ont signé un accord de «solidarité et de stabilité», permettant de définitivement apaiser les tensions dans la région. L’Arabie saoudite avait d’ailleurs autorisé la réouverture de son espace aérien et de ses frontières terrestres et maritimes avec le Qatar, après trois ans de rupture diplomatique : «ce blocus mis en place par l’Arabie saoudite avec ses alliés a finalement plus fragilisé la région du Golfe persique dans son ensemble, alors que le Qatar a réussi à contourner ce blocus de par ses nouvelles relations diplomatiques internationales qu’il avait pu se forger avec le gaz naturel liquéfié mais aussi grâce à sa diplomatie sportive. Tout le monde connaissait le Qatar qui avait des relations importantes avec l’Occident et d’autres pays», nous précise Kévin Veyssière, expert et professeur en géopolitique du sport.

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L’image la plus symbolique de ce sommet de 2021 a été la poignée de main entre l’émir du Qatar Tamim ben Hamad Al-Thani, accueilli avec une accolade amicale du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane. Une fraternisation nécessaire pour la région mais aussi pour le Royaume : «l’Arabie saoudite, qui a subi les conséquences de la Coivd-19, a mis fin à ce blocus en 2021 dans une logique pour faire en sorte que cela ne les affaiblisse pas plus que cela. Il y avait aussi un autre enjeu : depuis que Mohammed ben Salmane est à la tête de l’Arabie saoudite, il a une volonté de moderniser l’Arabie saoudite, qui avait une image assez conservatrice et pour se faire, il y a une sorte de mimétisme qui se met en place en utilisant le sport comme un levier pour améliorer l’image de l’Arabie saoudite à l’international, moderniser la société saoudienne pour devenir une grande puissance régionale», explique Veyssière, auteur de la série de livres «Football Club Geopolitics». C’est à partir de cet apaisement avec le Qatar que le fonds souverain saoudien Public Invest Fund (PIF) a pu s’offrir les parts majoritaires du club anglais de Newcastle en octobre 2021 : «tous les leviers ont été débloqués pour que l’Arabie saoudite puisse acheter Newcastle. On a vu que cela a permis à l’Arabie saoudite d’investir dans le football qui était plutôt un pré carré du Qatar jusqu’à la fin de ce blocus», conclut-il.

De la Coupe du Monde 2022…

Onze ans après l’acquisition du Paris Saint-Germain, le Qatar se retrouvait enfin face à son pari d’envergure : la Coupe du Monde de football 2022, attribuée en 2010. Habituellement organisé durant l’été, le Mondial devait finalement se jouer en automne à cause des fortes chaleurs estivales prévues dans l’Etat (jusqu’à 50°C et un taux d’humidité pouvant atteindre les 80%). Entachée par les nombreuses controverses (corruption pré-attribution, conditions des travailleurs, droits de la femme et de la communauté LGBT…), la 22e édition de ce tournoi planétaire, remportée par l’Argentine en finale face à l’équipe de France, était finalement une réussite pour le Qatar. D’après l’agence de presse QNA (Qatar News Agency), cette Coupe du Monde a accueilli plus de 3,4 millions de spectateurs (3.404.252), soit la troisième meilleure affluence depuis les éditions 1994 (Etats-Unis, 3.587.538) et 2014 (Brésil, 3.429.873). En plus du prisme sportif, l’aspect diplomatique était également de mise pour Tamim ben Hamad Al-Thani, qui voyait en ce rendez-vous international l’occasion de montrer une "amitié arabe", mais plus précisément, l’apaisement des tensions avec l’Arabie saoudite. Car oui, l’émir du Qatar a profité de cette Coupe du Monde pour mettre en exergue la représentation des pays arabes, avec les présences du pays-hôte, le Maroc, la Tunisie et l’Arabie saoudite. «Cela a été très instrumentalisé, très mis en scène pendant la Coupe du Monde au Qatar. Le Qatar voulait montrer que ce n’était pas seulement la Coupe du Monde du Qatar, mais que c’était la Coupe du Monde du Golfe Persique et plus largement du monde arabe. On a vu des images et des scènes fortes avec Mohammed ben Salmane et l’émir Al-Thani qui étaient encore inimaginables un an auparavant. Le Qatar a bien compris qu’il était sorti gagnant de cette Coupe du Monde mais il a aussi compris qu’il ne devait pas tirer la couverture seulement à lui», explique Kévin Veyssière.

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Pour rappel, le souverain de 43 ans avait déployé le drapeau marocain avec la qualification des Lions de l’Atlas en demi-finale d’une Coupe du Monde, une première pour une nation africaine et arabe. Mais l’image la plus marquante suivait l’exploit historique de la sélection nationale saoudienne face à l’Argentine en phase de poules (1-2), que le dirigeant qatarien a célébré en portant le drapeau saoudien depuis sa loge, une image qui a fait le tour du monde et qui confirmait ainsi la relation apaisée entre les deux pays. Et après s’être retrouvés durant la compétition, Tamim Al-Thani et Mohammad Ben Salmane s’étaient d’ailleurs présentés ensemble début décembre pour le Sommet Golfe-Chine organisé Riyad pour la coopération et le développement. Cette réconciliation se concrétise également par des discussions en dehors du rectangle vert. En effet, déjà avant le Mondial qatari, le média économique Bloomberg annonce un intérêt de l’Arabie saoudite, par l’intermédiaire de son fonds public PIF, serait en concurrence avec des sociétés de rachat américaines pour le rachat de beIN Sports, dont le groupe est d’ailleurs présidé par un certain Nasser Al-Khelaïfi, et ce quelques jours avant l’ouverture du Mondial 2022. Si aucune nouvelle sur cette possible transaction n’a filtré depuis, ces négociations viennent illustrer un peu plus les nouveaux liens, qui se veulent solides et fraternels, que souhaitent établir les deux pays. Et ce jusqu’à la dernière fenêtre des transferts…

… au mercato d’été

Car oui, cette coopération naissante entre les deux pays se traduit également par l’intermédiaire de leur football, à commencer par la Saudi Pro League. Fort d’un mercato ambitieux cet été, le PIF s’est même permis de s’offrir les services d’un autre grand nom du football européen, en la personne de Neymar Jr, qui était sous contrat avec le PSG jusqu’en 2027. Une star d’un club appartenant au Qatar qui rejoint l’Arabie saoudite ? C’était impensable il y a quelques années de cela. «Le projet du PSG a changé et la Coupe du Monde 2022 est passée. Avant la Coupe du Monde 2022, il y avait cette logique pour le Qatar d’avoir ce club du PSG en véritable vitrine sportive mais aussi "bling-bling" pour avoir les plus grosses stars présentes dans le club. La Coupe du Monde a été une réussite pour le Qatar et désormais, le projet a changé, il faut gagner la Ligue des Champions avec une véritable équipe sans empiler des stars aux noms qui associeraient PSG avec le Qatar. Mais il est vrai que sans la fin du blocus, le Qatar aurait jamais donné son feu vert pour un transfert de Neymar en Arabie saoudite, puisque ces joueurs ont un rôle d’ambassadeur au-delà du sport», analyse Veyssière qui tient le compte FC Geopolitics, suivi par plus de 69 000 personnes sur Twitter,

Le spécialiste de la géopolitique du sport poursuit ensuite sur les plans mis en place par les deux pays pour se frayer une plus grande place sur la scène footballistique asiatique, et pourquoi pas mondiale.«Ce sont deux pays aux stratégies différentes qui marchent dans le même sens. Ils ont des projets qui ne se chevauchent pas. L’Arabie saoudite veut faire un grand championnat national, alors que le Qatar n’a pas du tout cette ambition et eux, leur objectif c’est la Ligue des Champions et peut-être d’avoir un autre club de stature mondiale avec Manchester United. On verra plus tard si leurs stratégies s’entrechoquent.» Le milieu de terrain italien Marco Verratti pouvait lui aussi rejoindre le promu de la SPL, Al-Ahli, avant de finalement rejoindre prochainement la Qatar Super League sous les couleurs d’Al-Arabi, où il va retrouver un autre ex-Parisien, Abdou Diallo. Ce rapprochement entre ces deux pays arabes se traduit donc bien au-delà de l’aspect diplomatique, avec cette volonté de permettre au Moyen-Orient, et au monde arabe en général, de diriger vers une alliance plus forte et de s’émanciper du bloc occidental, que ce soit l’Europe ou encore les Etats-Unis, la coopération ayant été concrétisée il y a deux ans avec les accords d’AlUla, avec comme objectif d’installer de la «solidarité et de stabilité» entre les pays du Golfe.

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