Comment la Serie A a retrouvé toute sa splendeur

Par Frederic Yang
11 min.
Le grand retour de la Serie A au premier plan @Maxppp

Championnat européen de référence à la fin des années 1990/début des années 2000, la Serie A a connu un sacré déclin symbolisé par l’affaire Calciopoli en 2006. Mais lors de cette saison 2019/2020, le football italien est revenu au premier plan en termes de qualité et de niveau de jeu. Un retour en grâce que l’on explique avec François Lerose, rédacteur en chef du site Calciomio, spécialisé dans le foot italien.

Il y a 17 ans, la Serie A plaçait trois équipes (la Juventus, l’Inter et l’AC Milan) en demi-finales de Ligue des champions. Une simple illustration de la domination de ce championnat en Europe, où évoluait les meilleurs joueurs du monde comme Shevchenko, Kakà, Del Piero, Trezeguet, Davids, Maldini, Nesta, Cannavaro, Batistuta, Crespo, etc. Mais après l’affaire du Calciopoli, qui avait mis en lumière des soupçons de matches truqués lors de la saison 2004/2005, le championnat a grandement souffert puisqu’il a assisté au départ de grands joueurs vers d’autres pays et suscité la défiance du public sur le plan international.

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« Pour moi, le Calciopoli n’a été que la partie visible de l’Iceberg qui a fait couler la Serie A au milieu des années 2000. Effectivement, le fait que la Juventus soit reléguée, que des grands joueurs aient quitté le championnat durant ces années ont fait que la Serie A a progressivement décliné. Mais l’AC Milan (2007) et l’Inter Milan (2010) ont réussi à remporter la Ligue des champions après le Calciopoli donc la conséquence n’a pas été aussi directe », indique François Lerose dit Cesco, rédacteur en chef du site calciomio.fr.

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Et de poursuivre : « je pense qu’il faut aussi pointer la mauvaise gestion globale des clubs italiens, avec toutes ces familles à la tête des clubs. Je pense notamment à Moratti à l’Inter. Progressivement, la Serie A a pris du retard par rapport aux autres championnats comme la Premier League qui a su se réinventer, investir dans des nouveaux stades. L'Angleterre a aussi su faire la chasse aux hooligans car elle avait conscience de l’impact négatif ça pouvait avoir d’un point de vue marketing à l’international. La Serie A n’a pas réussi à faire cette transition et a pris énormément de retard. L’Italie n’a pas organisé de compétitions internationales depuis la Coupe du monde 1990. Pourquoi ? Parce que les stades sont vétustes. Les vestiaires au San Paolo de Napoli tombent en lambeau, les spectateurs au premier rang n’ont pas une bonne visibilité du terrain. C’est cet ensemble de petites choses qui fait couler la Serie A. »

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Un renouveau entamé en 2015 avec la Juventus d’Allegri et fondé sur la stabilité

Malgré la relégation administrative de la Juventus en 2006, l’AC Milan et l’Inter ont donc fait de la résistance. Sous l’impulsion de José Mourinho, les Interistes ont même réalisé un triplé historique en 2010, avec en point d'orgue une finale de Ligue des champions remportée aux dépens du Bayern Munich. Mais après cette année 2010, la Serie A a sérieusement décliné et l’absence de clubs italiens en quarts de finale de C1 en 2014 a été un coup de massue. « Selon moi, ça a coïncidé avec le renouveau de la Serie A, qui a commencé la saison suivant avec le retour de la Juventus en finale de Ligue des champions (2015) durant la période Allegri. Cette Juve qui a fait 2 finales de Ligues de champions en 3 ans a été une locomotive pour les autres clubs italiens, qui ont commencé à se structurer derrière », indique François Lerose.

Massimiliano Allegri

Il précise : « À l’Inter Milan, il y a eu l’arrivée d’investisseurs comme Erick Thohir puis Suning dès 2016, qui ont remis à flot les finances du club et qui ont permis de le stabiliser. On peut voir que le projet sportif actuel semble cohérent avec l’arrivée d’Antonio Conte sur le banc et des joueurs comme Lukaku. L’Atalanta Bergame aussi a réussi à se stabiliser sous l’impulsion de Gasperini, qui est là depuis 2016 et qui récolte les fruits de son travail aujourd’hui. Pareil pour la Lazio avec Simone Inzaghi, aux commandes du club depuis 2016 également, dont l’effectif n’a pas énormément évolué depuis et qui a lutté pour le titre cette saison et s’est qualifié pour la Ligue des champions. La stabilité sportive a été la clé du renouveau de la Serie A. »

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Des grands joueurs, des grands entraîneurs

Même si la Juventus a fini par remporter son neuvième Scudetto consécutif à deux journées de la fin du championnat, la course pour le titre en 2019/2020 a été passionnante. « Effectivement, la Juventus a encore remporté le Scudetto avant la dernière journée du championnat mais la course avec l’Inter, la Lazio et l’Atalanta pour le titre a été haletante. Malheureusement, la trêve due au Coronavirus n’a pas favorisé ces équipes moins bien dotées en termes de profondeur de banc mais il y a eu du suspens et de très belles rencontres. On peut aussi parler de l’AC Milan qui a fait une très belle deuxième partie de saison avec Zlatan Ibrahimovic », affirme François Lerose.

Cristiano Ronaldo

Le retour en force de la Serie A coïncide aussi avec l’arrivée, ou le retour, de têtes d’affiche sur le terrain mais aussi sur le banc. François Lerose : « On vit dans une époque où les figures charismatiques sont importantes. Du côté des joueurs, on a Cristiano Ronaldo à la Juve, Zlatan à l’AC Milan, Ribéry à la Fiorentina. Ce sont des joueurs qui donnent envie de regarder les matches. Et sur le banc, on a une figure emblématique qui est Antonio Conte. Après l’Euro 2016, il y a eu un véritable engouement autour de cet entraîneur, qui a d’ailleurs ensuite remporté le titre en Premier League avec Chelsea. Son retour en Serie A à l’Inter avec Marotta, deux anciens de la Juve, a évidemment apporté beaucoup de lumière sur ce championnat. Conte était une véritable attraction cette saison. Au final, l’Inter Milan n’a pas réussi à remporter le Scudetto mais il a été compétitif et il a su attirer des joueurs comme Lukaku et Eriksen. Christian Eriksen, c’est quand même un top joueur européen qui décide de jouer en Serie A. C'est un signe que ce championnat est redevenu attractif pour le public mais aussi pour les joueurs. »

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Des buts et surtout du spectacle

Réputée pour sa philosophie défensive et son héritage du Catenaccio, la Serie A a surpris beaucoup de monde par la quantité de buts inscrits durant cette saison 2019/2020. Avec 3,03 buts inscrits par match, la Serie A se positionne juste derrière la Bundesliga (3,2 par match) au classement des championnats du Top 5 européen les plus prolifiques cette saison (devant la Premier League et ses 2,72 buts par match, la Ligue 1 et ses 2,52 buts par match, et la Liga et ses 2,47 buts par match). Mieux, avec ses 36 buts, Ciro Immobile a fini meilleur buteur européen de la saison tandis que les 1154 buts inscrits cette saison en Serie A est le quatrième plus haut total de l’histoire de ce championnat.

Ciro Immobile

« Ce qui a changé, c’est que les équipes du milieu et du bas de classement proposent du jeu. Ils n’ont plus cette mentalité de vouloir verrouiller pour ne pas perdre ou ne pas prendre de but. Ils sont protagonistes. Le Sassuolo de De Zerbi, ça joue au foot. Lecce, qui a finalement été relégué, produisait du jeu. Par rapport à d’autres équipes, il y a eu plus de déchets techniques et c'est ce qui leur a sans doute coûté parfois des points. Mais ils ont eu le mérite de vouloir produire du jeu. Donc la mentalité de ces équipes a changé. L’approche tactique est aussi différente grâce à l’arrivée de techniciens comme Fonseca à l’AS Rome, Sarri à la Juve, même s’il n’a pas su instaurer le football offensif qu’il avait mis en place à Naples, ou encore Antonio Conte, qui ne sont pas des entraîneurs “défensifs” », explique Lerose.

Et d'y ajouter : « même un Stefano Pioli va prôner le jeu, comme le racontait récemment Bennacer ou Calhanoglu tandis que Gasperini poursuit ce qu’il a commencé à bâtir depuis 2016. Tout ça contribue à ce que les matches soient plus ouverts et plus plaisants à regarder. Si les projets de jeu mis en place du côté de l’AC Milan, de l’Inter, de la Lazio, de l’AS Rome se stabilisent, on pourrait vraiment avoir une bataille encore plus passionnante entre 7 ou 8 équipes pour le titre comme au début des années 2000. »

Encore une grosse marge de progression

Le haut total de buts inscrits en Serie A est aussi la conséquence du VAR et des nombreux penalties qui ont été sifflés cette saison : 185 en 380 matches, soit quasiment 1 penalty sifflé tous les 2 matches. « Il y a encore des problèmes au niveau de l’arbitrage italien où, il faut le dire, le niveau n’est globalement pas bon. Sans parler de favoritisme pour les grandes équipes, il y a trop de penalties sifflés de manière abusive pour des fautes pas du tout évidentes. J’espère qu’il y aura de vrais progrès dans ce domaine dans les saisons à venir », avoue François Lerose.

Outre la qualité de l'arbitrage, la rénovation de stades vétustes, la négociation de nouveaux droits TV plus lucratifs est primordiale, tout comme les bons résultats des clubs italiens en coupes d’Europe. François Lerose acquiesce : « faire des résultats en C1 et C3 est selon moi fondamental. C’est le révélateur du vrai niveau du championnat aux yeux du monde. C’est très important que la Serie A puisse placer deux équipes en quarts de finale de C1 par exemple et c’est essentiel que d’autres équipes que la Juventus aillent loin dans la compétition. C’est génial ce que fait l’Atalanta pour le championnat italien mais il ne faudrait pas que ce soit un épiphénomène. Il faut absolument de la régularité et il faut que les autres équipes comme la Juventus ou l’Inter Milan fassent de meilleurs résultats en Europe. Même en Ligue Europa. »

La régularité des clubs italiens sur la scène européenne pourrait-elle vraiment suffire pour que la Serie A concurrence la Premier League, le championnat européen et mondial de référence ? « Très honnêtement, je ne pense pas que la Serie A puisse vraiment concurrencer un jour la Premier League parce qu’il y a un énorme fossé qui s’est créé. Notamment au niveau du marketing. On le voit, les stades en Angleterre sont neufs, la réalisation des matches est au top et comme évoqué tout à l’heure, les instances du football anglais ont eu le courage de faire le nettoyage du hooliganisme pour soigner son image. Les clubs sont aussi globalement mieux gérés qu’en Italie, où le flou persiste au sein des directions de nombreux clubs et où l’ombre de la Mafia reste importante. »

Les alentours de San Siro vide après l'épidémie de coronavirus

« La question des droits TV en dit long sur le fossé qui existe entre la Serie A et les autres championnats du top 5 européen. Quand la Ligue 1 arrive à vendre les droits de son championnat à 1,153 milliards d’euros, la Serie A lutte toujours pour franchir cette barre du milliard d’euros. D’ailleurs la situation des droits TV de la Serie A à partir de la saison 2021/2022 n’a toujours pas été réglée et ce n’est pas normal pour un championnat de ce niveau. L’arrivée des investisseurs, comme Suning à l’Inter Milan, est peut-être essentielle pour l'avenir de ce championnat. En tout cas, des changements devront être faits mais cela prendra sûrement plus de temps qu’ailleurs car c’est un pays nostalgique. On peut le voir à Naples, où l’on parle encore de Maradona. En Italie, on a du mal à tourner la page, à passer à autre chose. Des projets de travaux à San Siro ont été reportés. Même chose à Rome. D’ailleurs ce n’est pas normal qu’un quart de finaliste de Ligue des champions comme l’Atalanta ne puisse pas jouer dans son stade en C1 à cause d’un problème de norme concernant 2 ou 3 rangées de sièges », se désespère François Lerose.

L’Italie a donc encore beaucoup de marge pour redevenir le championnat n°1 dans le monde. Mais heureusement, la Serie A peut compter sur un engouement populaire et un amour du football difficilement égalable selon François Lerose : « l’amour vrai du foot, c’est en Italie. Les plus belles histoires sont racontées en Serie A. De plus, comparé à la Premier League, qui est déjà au top, et à la Liga, qui a régressé cette saison, la Serie A est le championnat où il y a eu le plus de progression au niveau du jeu. Les grands joueurs et les grands entraîneurs sont aussi de retour donc pour moi, c’est un championnat qui est déjà redevenu incontournable. » On ne saurait le contredire.

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