Jérémy Clément : « je n’ai pas envie de faire quelque chose dans laquelle je serais médiocre »

Par Augustin Delaporte
13 min.
Jérémy Clément et Jean-Michel Aulas lors d’un match amical d'avant saison de Ligue 1 2019-2020 opposant Lyon au Servette de Geneve. @Maxppp

L’ancien joueur de l’Olympique lyonnais, du PSG, de Saint-Etienne ou encore de Nancy revient pour Foot Mercato sur son émotion au moment de mettre un terme à dix-sept années de carrière de footballeur professionnel.

Foot Mercato : vendredi dernier (17 avril), vous avez annoncé la fin de votre carrière de footballeur. Pourquoi ce timing ?

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Jérémy Clément : ce n’était pas prémédité. J’y réfléchissais depuis un moment et il y a eu l’annonce de la fin de saison du foot amateur qui a coïncidé avec notre fin de saison (avec son club de Bourgoin-Jallieu, ndlr). Un journaliste du Dauphiné que je connais bien voulais avoir mon ressenti et il me dit 'alors l’année prochaine ?' et puis on s’est mis à parler. 'Tu vas arrêter ? Je peux l’annoncer ?' Ce n'était pas prévu et au final, ça s’est fait un peu comme ça. Depuis un moment, j’aspirais à faire d’autres choses. Du coup, il a communiqué dans le sens où je n’allais pas reprendre. J’ai aussi eu l’opportunité de discuter avec le club avec lequel je suis actuellement qui voulait que je continue à jouer, mais je me sentais plus utile en dehors des terrains. Ça s’est fait comme ça et puis après je me suis dit : 'allez, dit le officiellement'. Pour remercier les personnes qui m’ont aidé, qui m’ont soutenu et qui ont fait de moi l’homme que je suis devenu.

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FM : à quel moment avez-vous compris que c’était fini ?

JC : déjà, j’ai fait une croix sur le monde professionnel une fois que je suis parti de Nancy. Quand je suis arrivé à Bourgoin, je savais que c’était fini. L’idée, c’était de prendre du plaisir et de jouer pas loin de chez moi avec une bande de potes. Ce qui m’animait aussi, c’était de ne pas perdre de temps, de passer mon BEF (brevet d’entraîneur professionnel, ndlr), de commencer à préparer la suite. Bourgoin, c’était un tremplin, une année en douceur. Et puis ce qui a vraiment joué aussi, c’est le confinement. Je ne suis plus motivé à faire une préparation. Quand on a plus envie… Je n’arrive plus à faire une activité physique. Je pense que j’ai été au bout… Enfin physiquement, ça allait, j’ai fait tous mes matches l’an passé en National 3 mais avec la reprise au mois de juillet, encore deux mois, recourir… C’était trop. Je pense que j’aurais eu du mal à faire redémarrer la machine et je sens que physiquement, je n’ai pas envie de courir. Je dis ça en avril hein ! Si ça se trouve en juillet je me dirais : 'tiens, j’ai trop envie de courir'. Mais là, c’était mon ressenti. Alors est-ce que c’est le destin ? Le confinement qui tombait à ce moment-là et qui m’a aidé à prendre cette décision ? En tout cas, c’est tombé comme ça.

FM : vous décidez alors de poster un message sur LinkedIn dans lequel vous écrivez : « je suis envahi par un sentiment de doute et de peur, une sensation très étrange, difficile à décrire… car maintenant je n’ai plus le choix, c’est officiel ! » C’est le sentiment qui prédomine, la peur ?

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JC : l’annonce en tant que telle c’est une réalité, tu ne joueras plus au foot. Acter la chose, mine de rien, ce n’est pas que tu ne peux plus retourner en arrière (il réfléchit), mais l’avenir et le chemin qui se dresse devant moi sont différents de ce que j’ai pu connaître de mon entrée au centre de formation à maintenant. Alors bien-sûr, ça sera en lien avec le football mais dans un rôle différent. C’est excitant d’un côté, mais comme j’ai toujours été compétiteur, je n’ai pas envie de faire quelque chose dans laquelle je serais médiocre. J’ai envie d’être bon dans ce que je vais faire après. C’est tout ça qui fait que j’ai un peu d’appréhension, un peu de doute.

FM : de la peur ?

JC : peur non. La peur, c’est un grand mot. J’ai peur pour mes enfants. Ce n'est pas vraiment de la peur, c’est une appréhension. J’ai toujours été épanoui dans ma carrière et j’ai toujours eu l’objectivité de dire et de savoir que j’étais un privilégié et que le football professionnel est un super métier. On s’en rend d’autant plus compte quand on a arrêté. Donc c’est la peur de ne pas être épanoui comme je l’étais. En discutant avec les anciens, on te dit que tu n’es pas épanoui de la même façon et qu’on ne peut plus ressentir les mêmes sensations (après avoir mis un terme à sa carrière, ndlr). Mais je pense qu’on peut s’en rapprocher et qu’il faut trouver le bon compromis, la bonne voie pour être épanoui et jouir de la vie. Je suis quelqu’un qui aime la vie en général et je pense que peu importe ce que l’on fait, il faut être heureux.

FM : en passant de la vie pleine d’adrénaline de footballeur à une vie plus simple, moins grandiose, de nombreux footballeurs tombent dans la dépression. Ils perdent un peu sens à la vie. C’est quelque chose que vous craignez ou que vous avez déjà côtoyé chez vous ou chez des partenaires de vestiaire ?

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JC : non, je n’ai pas de collègues à qui c’est arrivé mais je sais que c’est compliqué l’après carrière. Moi, j’ai la chance d’avoir été bien entouré par ma famille et mes amis d’enfance. Forcément, ton cercle grandit avec les rencontres liées au football et à toutes les relations humaines que l’on entretient tout au long de notre vie, mais je pense que le plus important est de ne pas oublier d’où l’on vient. Les meilleurs moments, ce ne sont pas forcément les stades pleins, c’est parfois de jouer avec ses enfants dans son jardin avec un ballon. Ce sont des bonheurs accessibles à tous qu’il ne faut pas oublier.

FM : un footballeur est en général très entouré mais aussi très solitaire, c’est ce que vous ressentiez ?

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JC : au contraire. Je crois que les relations que l’on a eues tout au long de notre carrière, les moments de vie que l’on a partagés, c’est un lien qui reste à vie. Après notre carrière, on a encore du temps et notamment de revoir des anciens. Ce matin justement, j’ai eu un appel d’Edouard Cissé avec qui j’ai joué au PSG lors de ma première année (2006-2007, ndlr). Ça faisait plus de dix ans qu’on ne s’était pas vus et il m’a appelé. On est restés à papoter comme des vieux qui refont le monde. C’est aussi ça le football et les relations que l’on a. Je ne suis pas inquiet de ne pas être entouré, je sais que les personnes que j’ai côtoyées, ça me fera plaisir de les revoir. J'ai un lien avec elles, forcément on a un lien. Et puis dans ma vie privée, j’ai toujours été entouré par mes amis d’enfance que je sois à Paris ou à Saint-Etienne, ils ont toujours fait partie de ma vie, de mes week-ends, de mes vacances et ils en feront encore plus partie maintenant.

FM : être retraité à 35 ans, c’est aussi une chance. C’est comme une deuxième vie…

JC : (il coupe) tout le monde dit « retraité ». Moi, je ne me vois pas comme un retraité.

FM : retraité d’une carrière professionnelle de footballeur.

JC : ah voilà ! Oui retraité du football. Je suis quelqu’un de très actif donc je ne vais pas rien faire. Mais c’est sûr que j’ai encore du temps. Il y a limite des gens qui commencent à travailler à cet âge-là. C’est une nouvelle vie et je pense qu’elle sera remplie de nouvelles choses, de découvertes, peut-être d’erreurs que je vais faire pour trouver ma voie parce que j’ai toujours pensé à mon après carrière mais au final, la vie c’est aussi des rencontres, un destin, un réseau… On a beau programmer des choses, il arrive ensuite le moment où l’on te propose carrément autre chose et tu ne sais pas trop pourquoi mais t’es embringué dedans. Il faut mettre les chances de son côté et voir où les aventures humaines peuvent nous mener.

FM : maintenant que vous en êtes sorti (avant de peut-être y revenir), quel regard portez-vous sur le milieu du football professionnel que l’on dit souvent corrompu ?

JC : je ne vais pas dire qu’il y a que du positif, ça serait mentir. De toute façon, c’est comme dans tous les milieux où il y a de l’argent, ça existera toujours. On ne va pas changer les mentalités et dire qu’il n’y aura pas de corruption, c’est impossible, ce n’est pas vrai. Mais il y a aussi de belles personnes dans le football. Oui il y a de l’argent, des gens pas très nets, du pouvoir, mais le football ça fait rêver les gens et moi, en tout cas, j’ai fait de belles rencontres et j’ai côtoyé de belles personnes.

FM : on vous décrit comme quelqu’un de relativement discret. Comment on s’impose dans ce milieu en restant simple, sans se dénaturer ?

JC : je n'en sais rien de comment on s’impose (rire) ! Mais je n’ai jamais voulu jouer un rôle ou quoi. Je pense que quand on est soi même, avec nos défauts et nos qualités, c’est une qualité. D’être soi même, entier. Alors ok, moi j’étais chiant, je n’étais pas le plus facile à gérer en tant que joueur mais j’étais entier.

FM : il paraît que ce qui vous faisait particulièrement vibrer dans le football, c’était les ambiances de vestiaires. Pourquoi ?

JC : c’est pour tout ce qui se passe dans un vestiaire. On se change, ça rigole, ça discute, ça chambre. Pour moi, ce sont des moments importants. C’est pour ça que je suis allé à Bourgoin aussi. Je voulais encore vivre un peu de moments comme ça.

FM : pour revenir au terrain, il y a quelques souvenirs que j’aimerais évoquer avec vous. D’abord, il y a ce match retour à San Siro d’avril 2006 avec l’OL (3-1), perdu dans les derniers instants. Certains considèrent cette rencontre comme la pire déception européenne du club parce qu’il s’agit sûrement de l’année où vous aviez le plus les armes pour aller au bout.

JC : je ne vais pas dire que l’on était plus forts que Milan à cette époque-là mais on avait fait jeu égal avec eux. On avait dominé les deux rencontres. C’était la belle équipe de l’OL. Sur le plan du jeu et des joueurs on pouvait tenir tête à un club comme Milan. Ce qui a manqué, c’est peut-être un peu d’expérience, du vice, on avait sûrement moins de vécu que les joueurs de Milan… Je ne sais pas. Mais ce qui est sûr, c’est que cette année-là ou celle d’avant, l’OL était armé pour faire une finale de Ligue des champions.

FM : en janvier 2008, vous êtes depuis un an au PSG, et Éverton Santos et Willamis Souza sont transférés à Paris, avant d’être considérés à leur départ comme les plus gros flops de l’histoire du club par beaucoup de supporters. Vous partagez cet avis ?

JC : ce n'est pas gentil ça. Moi, je ne suis pas méchant alors je ne dirais pas de mal, surtout pas des anciens joueurs. (sourire)

FM : quatre mois plus tard, vous jouez la survie du club en L1 à Bonal dans un match que vous allez gagner grâce à un doublé d’Amara Diané en fin de partie. C’est la rencontre la plus crispante de votre carrière ?

JC : oui. C’était dur. Forcément crispant. Comme tous les clubs qui jouent leur maintien lors du dernier match et peut-être encore plus quand c’est Paris.

FM : il y a ensuite cette saison 2010 extrêmement mouvementée qui se conclut par une victoire en Coupe de France. Jouer à Paris, c’est épuisant ?

JC : il y a une pression particulière mais à l’inverse, quand ça marche, c’est énorme. On ne peut pas tout avoir. On ne peut pas avoir un club où quand on perd il ne se passe rien et quand on gagne c’est le feu. Ça n’existe pas. Soit c’est neutre et il ne se passe pas grand-chose, qu’on perde ou qu’on gagne, soit il y a des choses.

FM : quand on enfile le maillot vert après avoir été formé à l’OL, on pense à quoi ?

JC : (rire) Franchement, j’y ai pensé avant de m’engager mais pas longtemps. Je me suis dit que si j’étais moi-même, que je donnais mon maximum… Après voilà, je n’étais pas le premier à faire ça. Il y a une rivalité mais tant que tu donnes tout ce que tu as à donner à chaque club, je pense que l’on peut comprendre que certains choix sont sportifs. C’est comme ça, c’est la vie.

FM : avec Saint-Etienne, vous décrochez la Coupe de la Ligue 2013, le premier titre du club depuis 32 ans (hors Ligue 2). Vous avez senti une effervescence particulière dans la ville après ça ?

JC : ah ça oui… Faire partie de l’équipe qui a ramené un trophée, ça a marqué. C’est jouissif. L’ambiance le lendemain quand on a défilé dans les rues, c’était in-croy-able.

FM : cette année, en plus d’être joueur, vous étiez aussi éducateur avec les U14 de Bourgoin.

JC : oui, c’est ma première expérience en tant qu’éducateur. C’était pour passer mon BEF. J’essaie de leur apporter (aux jeunes joueurs, ndlr) conseils et plaisir. J’ai une bonne relation avec eux, je le souhaite en tout cas. Et puis ce sont de super enfants. Je ne pouvais pas rêver mieux comme première expérience.

FM : pour beaucoup, la période de formation est un déchirement notamment du fait de l’éloignement de la famille.

JC : c’est un peu ce que j’ai vécu aussi. C’est compliqué. On est éloigné de la famille, on est plus dans son concon. Il faut être costaud mentalement. On a envie de jouer, d’être gardé, il faut essayer de gravir les échelons… Une fois que l’on est dedans, on a envie d’être footballeur donc c’est pas mal de sacrifices. Et puis moi, je dis ça et j’ai réussi mais imaginez ceux qui ont fait beaucoup de sacrifices pour ne pas réussir.

FM : selon vous, comment pourrait-on faire évoluer ça positivement ?

JC : je ne sais pas s’il faut rendre le chemin facile. Le centre de formation a fait de moi le joueur que j’ai été ensuite. On peut peut-être trouver des formules pour permettre un meilleur épanouissement des joueurs mais de là à faciliter les choses… Le but, c’est de former des joueurs professionnels avec l’exigence que cela comporte, qu’ils soient performants, compétiteurs. Ce n’est pas en facilitant les choses que l’on peut faire ça.

FM : si vous aviez un conseil à donner au jeune Jérémy Clément qui débute sa carrière, lequel serait-il ?

JC : ce n’est pas facile, la route est longue, mais ça vaut le coup parce que l’on fait un super métier. Quand on est jeune, il faut croire en ses rêves, essayer de kiffer l’instant présent et ne pas trop se projeter, profiter, être bien entouré et garder les pieds sur terre.

FM : vous avez débuté en professionnel au début des années 2000, qu’est-ce qui a le plus changé dans le football en un peu moins de 20 ans ?

JC : c’est le portable. Honnêtement, c’est ça qui fait la différence. Les téléphones, les réseaux… Avant, ça n’existait pas tout ça.

FM : vous estimez que l’on est plus tourné sur soi ?

JC : moi, j’aimais le partage, j’espère que ça ne se perd pas. Je suis quelqu’un d’optimiste et je crois à la nature humaine, à son bon côté.

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