Pourquoi le PIF a pris possession de Newcastle

Par Josué Cassé
20 min.
Les supporters de Newcastle aux abords de St James' Park @Maxppp

Après une première tentative repoussée à l’été 2020, notamment due au lourd passif du prince héritier Mohammed ben Salmane, le projet de rachat de Newcastle a été officialisé le 7 octobre dernier. Désormais majoritairement détenu par le Fonds public d’investissement saoudien (PIF), allié à PCP Capital Partners et aux frères David et Simon Reuben, le club populaire du nord de l'Angleterre entame une nouvelle ère et déchaîne les passions. Pourtant, le PIF laisse également place à de nombreuses interrogations. Qui se cache derrière ? Quelle image pour le football mondial ? Quel visage pour Newcastle ? Foot Mercato vous propose une analyse détaillée d'un "puits sans fond", désormais, au centre de tous les débats.

«Nous sommes extrêmement fiers de devenir les nouveaux propriétaires de Newcastle United, l'un des clubs les plus célèbres du football anglais», s'était ainsi félicité, dans un communiqué, le patron du fonds saoudien, Yasir Al-Rumayyan, nouvel homme fort des Magpies. Le 8 octobre dernier, au lendemain du retentissant rachat de Newcastle, la presse britannique - et plus largement mondiale - s'enflammait forcément de ce changement de pavillon pour le nouveau château de sable saoudien. Pour une transaction estimée à 350 millions d'euros, l'entité - pilotée par le prince héritier et vice-Premier ministre d'Arabie saoudite Mohamed Ben Salmane - a ainsi pris le contrôle majoritaire des Magpies ayant connu les prouesses de David Ginola, Kevin Keegan ou Alan Shearer pour ne citer qu'eux. Lassés par les quatorze années de présidence du Britannique Mike Ashley, les Toons abordent donc, avec enthousiasme, une nouvelle ère. «Le club le plus riche du monde», titrait d'ailleurs le Daily Express pour présenter ce club historique de Premier League. Un dénouement heureux pour les Geordies après une première tentative infructueuse à l'été 2020. En effet, le PIF s'était déjà présenté l'année dernière pour acquérir le club mais à cette époque, la Premier League avait mis son veto. 

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Si les raisons liées aux droits de l'Homme ont souvent été invoquées pour justifier ce refus originel, le contentieux avec le Qatar, aujourd'hui réglé, pénalisant beIN SPORTS au Moyen-Orient, s'impose malgré tout comme le principal argument : «concrètement ce qui les avait bloqué l’année dernière, c’est le coup de pression de beIN SPORTS, quand beIN a dit : "vous êtes mignons mais nous on vend les droits de la Premier League à l’étranger et si Newcastle est racheté, je ne vous les vendrai pas et je vais vous pourrir…" c’était le message, ce n’était pas dit comme ça, c’était plus poli, c’était dit à l’anglaise mais c’est ce que ça voulait dire», nous confirme d'ailleurs Jean-Baptiste Guégan, spécialiste de la géopolitique du sport. Preuve en est, les instances n'ont, cette fois, pas hésité à valider le rachat du NUFC malgré les réticences éthiques, pourtant toujours d'actualité. Récemment revenu à la charge, le puissant fonds saoudien a donc finalement réussi à mettre la main sur Newcastle (détenteur de 80% des parts). Un rachat effectué par le biais d'un consortium, comprenant également PCP Capital Partners (à hauteur de 10%), qui a joué les intermédiaires par la voix de la femme d'affaires Amanda Staveley, et RB Sports & Media (10% des parts), appartenant aux frères David et Simon Reuben, désignés comme la deuxième famille la plus riche du Royaume-Uni par le Sunday Times Rich List. Pourtant, en réponse à la ferveur de nombreux Toons, la méfiance est elle aussi bien présente. Une acquisition suscitant paradoxalement rêves et défiances, nécessitant donc une analyse plus précise. 

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Les Magpies, le nouveau château de sable saoudien

À ce titre, la tentative avortée du rachat de Manchester United en 2019 par ce même fonds d'investissement saoudien, permet d'éclairer une première particularité de ce dernier. Alors que la famille Glazer, propriétaire des Red Devils, demandait 7 milliards de dollars pour sceller la vente, le nouvel actionnaire majoritaire de Newcastle ne proposait «que» 4 milliards de dollars et avait finalement décidé de se retirer. Un dénouement, de prime abord, étonnant pour le PIF, dont les actifs sont estimés à 400 milliards d'euros, mais qui s'explique finalement par sa définition même : «il faut rappeler que le PIF, c’est un fonds souverain, c’est-à-dire qu’il a pour objectif d’être rentable. Il doit financer le pacte social saoudien, comme le fait que les Saoudiens ne paient pas d’impôts. Le PIF doit aussi financer les travaux d’infrastructures. Il n’a pas pour ambition de dépenser de l’argent et de le jeter par la fenêtre. En le faisant, cela remettrait en cause l’avenir du royaume», précise ainsi Jean-Baptiste Guégan. Un aspect confirmé par Kevin Veyssiere, journaliste et fondateur du FC Geopolitics : «il faut prendre des pincettes avec ce chiffre parce que c’est un fonds d’Etat souverain qui est destiné à moderniser dans son ensemble l’Etat d’Arabie saoudite, à savoir une pétromonarchie avec un régime assez conservateur».

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D’autre part, la stratégie que l’Arabie saoudite cherche à mener dans le monde du sport entre dans une philosophie bien particulière. Doté d'une puissance financière astronomique qui pourrait, sur le papier, embraser les prochains mercatos, le PIF s'inscrit avant tout dans une logique de modernisation entreprise par l'Etat saoudien ces dernières années : «il y a cette volonté de devenir une puissance culturelle et d’utiliser ce 'soft power' dont on parle beaucoup, c’est à dire d’influencer ou en tout cas d’avoir une bonne image à l’international grâce aux actions menées par l’Etat sur la culture ou les investissements sportifs. Ils avaient commencé avec un combat de boxe qui était le «clash on the Dunes» entre Anthony Joshua et Andy Ruiz, ils accueillent aussi les Supercoupes d’Espagne et d’Italie, ces délocalisations sont de plus en plus fréquentes pour développer la base de supporters, pour mettre en valeur leurs paysages et donc, il y a le côté tourisme derrière. Exemple avec le Paris-Dakar qui se fait en Arabie saoudite ou le tour d’Arabie saoudite qui est maintenant une course classée UCI au classement mondial de cyclisme et puis il y a aussi le Grand Prix en Formule 1 pour se mettre à niveau de ses voisins, des Emirats arabes unis, du Bahreïn, pour avoir une compétition prestigieuse sur son territoire et ainsi montrer que l’Arabie saoudite est capable d’accueillir des pays du monde entier», précise Kevin Veyssiere.

Ainsi cette arrivée retentissante des Saoudiens à Tyneside ne peut se lire que dans une approche systémique où le football est directement rattaché à une réalité économique : «par rapport à Manchester City et le PSG par exemple, oui c’est le fonds souverain qui a le plus d’argent mais ils ne mettront pas 400 milliards parce que c’est un fonds souverain, donc ils ont une énorme capacité financière mais elle n’est pas forcément plus grande que les Qataris. Ils jouent leur crédibilité internationale. Tous les projets qu’ils sont en train de monter, le projet NEOM (ndlr : projet de redéfinition de la vie urbaine), l’ouverture de la société, les grands prix de F1, 'The Line' (ndlr : projet d'une future ville intelligente longue de 300km et alimentée à 100% par des énergies propres), ce sont des projets qui vont te demander des centaines de milliards de dollars et tu vas aller les chercher auprès d’investisseurs étrangers, si tu commences à faire n’importe quoi, c’est comme si tu allais voir ton banquier après avoir fait exploser ton premier crédit», illustre ainsi Jean-Baptiste Guégan avant de préciser les intentions politiques du nouveau propriétaire des Magpies : «il (ndlr : MBS) a besoin de moderniser le pays, il a besoin de préparer l’avenir parce que le pétrole n’est pas éternel et il le sait, surtout que lui est amené à régner pendant au moins 30 à 40 ans donc l’intérêt saoudien de venir à Newcastle, c’est de se rapprocher des élites britanniques et notamment du gouvernement de Boris Johnson avec une idée très claire qui est de pouvoir investir en Grande-Bretagne et de bénéficier des mêmes avantages que les Emiratis, c’est-à-dire être les premiers à avoir accès à tout».

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À l'aune des leviers culturels, économiques et politiques activés par un tel rachat, difficile alors de prendre pour argent comptant le communiqué officiel de la Premier League visant à assurer que le PIF allait rester «une entité totalement indépendante du pouvoir politique mis en place en Arabie saoudite». Pour Jean-Baptiste Guégan, cette communication n'est autre qu'un «écran de fumée» cherchant à masquer cette politique de «sportwashing» (ndlr : procédé consistant, ici, à utiliser un club de football comme moyen d'amélioration de la réputation du pays) : «c’est comme si tu disais à Marseille, Frank McCourt est propriétaire mais on laisse faire (Pablo) Longoria et il ne regarde pas les décisions, c’est comme si tu disais au PSG que QSI qui est la propriété de Qatar Investment Authority, soit l’équivalent du PIF, était complètement déconnecté du pouvoir qatarien et donc des choix du gouvernement. Non, c’est évident que c’est politique, quand tu regardes les statuts, le roi Salmane, le père de Mohammed ben Salmane est directement le bras armé et puis surtout MBS fait partie du conseil d’administration et il ne faut pas oublier qu’on est sous une monarchie autoritaire donc ceux qui croient à ça, soit ils sont ignorants, ce n’est pas forcément un problème, soit ils sont de mauvaise foi, soit pire que tout, ils essayent de faire croire à une situation qui n’est pas vraie, et le vrai souci il est là, que les Anglais aient accepté ce délire-là».

Am stram gram, éthique et PIF et amalgame  

Contexte du rachat de Newcastle posé, enjeux affichés, intentions politiques sous-jacentes énumérées, cette arrivée retentissante des Saoudiens dans le Nord de l'Angleterre laisse encore une question en suspens. Qui se cache donc réellement derrière cette puissance financière hors-norme ? À ce titre, si Yasir Al-Rumayyan, patron de ce Fonds public d’investissement saoudien, revêt officiellement l'habit du nouvel homme fort des Magpies, il est par ailleurs essentiel de s'intéresser au «réel» pilote de cet appareil, dénommé PIF, prêt à survoler la planète football : Mohamed ben Salmane, surnommé MBS. Fils du Roi Salmane, ce prince héritier et vice-Premier ministre de l'Arabie saoudite, seulement âgé de 36 ans, incarne, à lui seul, la vision conservatrice d'une pétromonarchie autoritaire et c'est bien là où le bât blesse : «il ne détient pas le régime saoudien mais il est aux manettes du pays, il gère toutes les questions de défense, c’est lui qui a poussé pour faire une offensive au Yémen en 2015 parce que c’était un état en difficulté et il voulait garder la main dessus. Au final, c’est devenu une véritable guerre civile là-bas et ça a bien écorné l’image de l’Arabie saoudite. La guerre au Yémen est symptomatique de la vision de MBS, pour lui l’Arabie saoudite est un grand pays et ce grand pays doit montrer qu’il est puissant tout de suite et très vite, il est aussi à l'origine du blocus au niveau du Qatar en 2017», souligne Kévin Veyssiere avant de préciser la personnalité sulfureuse de MBS.

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«En 2016, il a lancé le plan Vision 2030 avec de grands investissements au niveau du tourisme, du développement durable pour faire de l’Arabie saoudite le grand pays de demain et avec cette ambition offensive et des projets parfois pharaoniques notamment avec ce projet The Line, une ville qui serait longue de 300km, sur une seule ligne où il n’y aurait pas de voiture mais que des transports en commun. Aujourd’hui, il y a beaucoup de publicités faites autour de cette ville de demain mais concrètement il n’y a pas grand-chose de fait à l’heure actuelle donc ça résume un peu la personnalité de MBS. C’est quelqu’un qui aime aller vite, qui aime utiliser la force si cela est possible et ça a d'ailleurs débouché sur l'assassinat de Jamal Khashoggi en 2018, un événement tragique dont il ne se cache pas (ndlr : ce journaliste saoudien, critique du pouvoir après en avoir été proche, avait été assassiné dans le consulat d'Arabie saoudite à Istanbul)». Dès lors, sa position et son influence certaine dans les décisions futures des nouveaux propriétaires du NUFC soulèvent plusieurs questions éthiques. Une attitude agressive, parfois sanguinaire, qui pourrait notamment causer du tort et freiner le projet des Magpies dans son ensemble.

Un État saoudien à la réputation plus que douteuse, notamment sur le plan des droits de l'Homme, rappelle ainsi Kévin Veyssiere : «ça reste un régime conservateur, au niveau du droit des femmes, ça commence légèrement à s’ouvrir même si il y a encore quelques années, elles n’avaient pas le droit de conduire et étaient soumises à l’autorité de leur mari ou de leurs parents.» Une réalité sociétale confirmée par Jean-Baptiste Guégan qui pourrait, selon lui, conduire à de nombreuses limites dans les nouvelles ambitions des Magpies : «tu peux avoir des marques qui boycottent, des sponsors qui se disent "non non, moi je ne reste plus avec eux". Est-ce que tout ça va fonctionner, parce qu’ils ont certes 80% des parts mais ils ne possèdent pas la totalité du club et puis on est en Angleterre, le niveau des opposants ce n’est pas le même non plus, les ONG, pour l’instant, sont plutôt dans une démarche constructive, on ne va pas vous boycotter tout de suite, on attend de voir. A part Amnesty qui y est allé frontalement car c’est leur job de s’opposer. La situation à Newcastle United, qui est plutôt pro LGBTQ+, le PIF a dit : on va travailler avec le club, on va jouer sur ces valeurs-là. Alors soit ils vont avoir la position de l’idiot utile, c’est à dire instrumentalisé et très vite ils vont le voir, soit il y a une vraie démarche derrière, c’est le grand questionnement que j’ai. Est-ce qu'on peut vraiment croire aux intentions saoudiennes de modernisation de leur société et jusqu’où ?»

Le PIF, un pied de nez à la Premier League ?

Au-delà des sponsors, cette situation pourrait, par ailleurs, freiner les joueurs à rejoindre un club piloté par une entité contestée et contestable : «tu auras peut-être des joueurs qui ne voudront pas jouer à Newcastle pour ces raisons-là. Tu vois par exemple un Erling Haaland qui fait le malin avec le Qatar et qui derrière pose avec le maillot de Boca Juniors qui a comme sponsor Qatar Airways, c’est drôle donc tu vas peut-être avoir des prises de position comme ça, tu as peut-être des joueurs anglais qui vont dire "je ne vais pas là-bas" pour ces raisons-là», précise Jean-Baptiste Guégan avant de tempérer :« si on te propose un salaire à neuf chiffres, eh bien tu es comme tout le monde», et d'ajouter, selon lui, les réelles difficultés que vont rencontrer Newcastle, actuel 19ème de Premier League : «rappelez-vous de cette fameuse vanne dans l’avion entre Griezmann et Mbappé, sur Football Manager où il dit ‘ah tiens je t’ai fait signer à Newcastle’ et la première réaction c’est ‘ah il fait froid là-bas’. Newcastle c’est ça aussi, tu n'as rien pour attirer, nous on connaît Newcastle parce que tu as Ginola qui y a joué mais ce n’est pas la folie non plus. C’est simple, ce qui va attirer les joueurs là-bas, c’est l’effet Premier League, l’effet salaire et puis le fait de se dire je participe, peut-être, à un projet qui risque d’être gagnant dans trois ou quatre ans.»

Enfin, pour Jean-Baptiste Guégan, le risque d'un amalgame autour des supporters demeure, qui plus est après l'enthousiasme très largement médiatisé qui ne reflète pas, selon lui, la réalité d'un club très attaché à l'histoire et à la tradition : «oui les gens sont plutôt contents car ils vont sortir du marasme de l’ancienne présidence, c’est la même chose avec QSI à Paris parce que finalement ce n’est pas tant l’arrivée de QSI avec la promesse de jours meilleurs que le départ de Colony Capital, donc tu as la phase d’euphorie mais après ils ne sont pas dupes non plus, il faut toujours rappeler que les supporters de football sont des gens intelligents, ils savent faire la part des choses, ce n’est pas parce que tu as trois débiles qui sont déguisés en cheikhs que derrière ils sont tous favorables à une monarchie autoritaire. Et puis il y a une dernière chose, les supporters de Newcastle sont contents que leur club attire ces nouvelles ambitions mais ils ne voudraient pas devenir une caricature où ils n’existent que via la politique saoudienne, eux ils n’ont rien demandé.» Pourtant, ce lourd passif saoudien et les limites qui en découlent n'ont pas alerté, outre mesure, la Premier League malgré les contestations appuyées des clubs présents dans le championnat anglais.

«Disons que la priorité éthique n’a jamais été la priorité de la Premier League. Ce qui est étonnant c’est que les autres acteurs de la Premier League n’aient pas été mis au courant, si tu regardes sur le plan des valeurs et surtout de la stratégie saoudienne, tu te fais quand même l’allié, via le sport, d’une politique au mieux sportwashhing, au pire de normalisation de l’image saoudienne et puis surtout tu en fais un acteur de développement qui reste quand même un pays d’une monarchie autoritaire, c’est plus ça qui est gênant car la Premier League c’est quelque chose qui est géré en commun, c’est un peu géré comme une société par actions, il y a 20 clubs en Premier League et chaque club a une part. Normalement pour qu’il y ait un changement d’actionnaires, il faut que les autres soient informés parce qu’il en va de l’image de la PL et de son fonctionnement, de sa gouvernance et donc de sa valorisation à la fois sportive et économique. Certains clubs ont été prévenus par la presse...», souligne Jean-Baptiste Guégan avant d'évoquer le principal risque découlant de ce rachat saoudien : «le vrai questionnement, c’est la dévalorisation de la Premier League en termes d’image, quand tu commences à être associé avec un pays comme l’Arabie saoudite… on l’a vu avec le PSG et le Qatar qui se sont fait facilement attaquer sur la question des valeurs. Là, ils vont être associés à la question du financement du terrorisme, au non respect des droits des femmes, des minorités sexuelles, des minorités politiques donc le risque c’est une dévalorisation des droits, une attaque de l’image, un championnat qui serait seulement lié à l’argent.»

De la crise du Golfe au Golfico ? 

Une puissance financière colossale générant autant de passions que d'interrogations éthiques et sportives, voici donc le portrait général qui peut être établi concernant le nouvel actionnaire majoritaire des Magpies. Inscrit dans une politique de modernisation, tout du moins revendiquée, l'Arabie saoudite débarque ainsi sur la planète football, là ou elle va retrouver le Qatar, à la tête du PSG depuis 2011, et les Emirats arabes unis, au soutien de Manchester City depuis 2008, deux protagonistes d'une crise du Golfe débutée en juin 2017 et aujourd'hui terminée : «la crise en elle-même s’est terminée parce qu’elle ne servait personne, la position saoudienne était trop radicale, ça a nui au business des Emirats arabes unis et depuis janvier dernier le blocus avec le Qatar est levé. Il y avait ce besoin de normaliser l'image, de normaliser les actions diplomatiques, c’est pour ça que ça s’est arrangé dans le Golfe, et ça arrange tout le monde, le Qatar et les Emirats», justifie Jean-Baptiste Guégan avant de poursuivre.

«C’est terminé même si il restera toujours une mémoire de cette rivalité, tu ne colles pas un pays en blocus pendant des années pour rien mais ni le Qatar, ni l’Arabie saoudite n’ont aujourd’hui intérêt à reconstruire un bras de fer, déjà parce que pour le Qatar, il y a la Coupe du Monde en 2022 et l’entrée des Saoudiens à Newcastle donnerait aussi plutôt à penser que le Qatar va rester à Paris. On aurait pu imaginer un désengagement même latent mais là ça montre que la stratégie marche, que la stratégie d’investissements dans le sport fonctionne. Les Saoudiens ont regardé ce que ça créait pour l’image de City, des Emirats arabes unis, du PSG et du Qatar, et ça fonctionne. Ils ne se seraient jamais amusés à mettre 300 millions sur Newcastle pour en faire seulement un actif économique, tu ne gagnes pas d’argent dans le foot. Tout ça vient valider la politique menée par le Qatar, menée par les Emirats et surtout ça a fait prendre conscience aux Saoudiens qu’il était possible de changer son image par le foot, c’est pour ça qu’ils y vont.»

Si cette entrée saoudienne soulève alors la question de l’instrumentalisation du football qui d'après Jean-Baptiste Guégan «va commencer à poser un vrai problème car trop d’acteurs se servent du sport pour régler leurs problèmes», le PIF piloté par MBS pourra d'ores et déjà se baser sur le modèle mis en place par le PSG et Manchester City ces dernières années : «au PSG, aujourd'hui, ils ont développé un modèle qui fait qu’ils n’ont plus forcément besoin des fonds qataris pour pouvoir être rentable même si cela s’est un peu atténué avec la crise Covid. Je pense que ce sera la même stratégie recherchée par Newcastle, à savoir de faire un club rentable et que le PIF ne mette pas systématiquement la main à la poche», avance ainsi Kévin Veyssiere avant de préciser que Newcastle ne représente pas une menace immédiate sur la scène européenne et devra, à l'image des Parisiens ou des Mancuniens, construire progressivement une équipe compétitive : «il ne faudra pas s’attendre à une guerre sur le terrain du football ou tout voir aux yeux du géopolitique. Pour Manchester City, le PSG et désormais Newcastle, l’objectif va être de gagner la Ligue des Champions, pas de battre l’autre Etat et pour l’instant aucun n’y ait parvenu. C’est compliqué et Newcastle va devoir patienter au moins 10 ans avant de pouvoir prétendre à un tel objectif en Ligue des Champions.» 

Inutile alors de parler de «Golfico» selon Jean-Baptiste Guégan : «ce qu’ils appelaient le Golfico entre Manchester City et le PSG, c’est une blague. Si demain il y a un Newcastle-Paris, ça ne sera pas un Golfico, on en fera des tonnes mais il n’y a plus de rivalités, c’est juste une rivalité comme ça, latente, parce qu’il y a une concurrence mais ce n’est plus une réelle rivalité et Newcastle part de bien plus loin». En effet, si les premiers chantiers ont débuté à Tyneside avec l'éviction de Steve Bruce, les Magpies vont devoir se montrer patients pour devenir une écurie européenne du plus haut standing : «gagner ça prend du temps, la culture foot ce n’est pas quelque chose qui se décrète, ils vont commencer par apprendre à perdre et après on verra ce que ça donne mais ils l’ont dit, ils sont sur une logique de 5 à 10 ans. Contrairement au PSG ou à City, ils arrivent dans un autre contexte, ça n’est 'que' Newcastle, ça reste un club historique oui mais ça fait bien longtemps qu’ils n’ont plus un présent glorieux dans une ville qui n’est pas une des premières villes d’Angleterre ni même de Grande-Bretagne. Ce n’est pas Liverpool, ce n’est pas Londres et ils sont dans un championnat où la concurrence est démentielle donc ils vont avoir un énorme boulot à faire, notamment au niveau des infrastructures.» 

«Si l’Arabie saoudite veut montrer sa main mise sur le football, il va falloir mettre des dirigeants au sein de postes clés de l’UEFA ou de la FIFA et créer un réseau de clubs pour pourvoir être présent dans d’autres ligues, d’autres championnats afin de former cette galaxie football (ndlr : certains médias anglais annoncent d'ores et déjà que le PIF saoudien viserait à ce titre un rachat de l’OM) et rattraper son retard qui est, pour l'heure, criant si on compare par rapport au Qatar ou aux Emirats arabes unis.» Un immense défi ainsi confirmé par Kévin Veyssiere pointant, par ailleurs, les difficultés que pourrait rencontrer Newcastle dès le prochain mercato hivernal : «sur le marché des transferts, le problème que va rencontrer Newcastle c’est que le club part de loin, les joueurs de renom ne vont pas forcément vouloir venir et les clubs ne seront pas forcément vendeurs. Ceux qui vont vendre savent maintenant que Newcastle a beaucoup d’argent donc ils vont surévaluer leurs joueurs. Newcastle va devoir surpayer des joueurs s'ils veulent créer une équipe compétitive pour au moins dans un premier temps pouvoir se maintenir cette saison en Premier League.» Nouveau propriétaire des Magpies, le PIF s'apprête quoi qu'il en soit à révolutionner le paysage du football mondial et les prochaines manœuvres orchestrées par ce puits sans fond risque, à coup sûr, de déchaîner les plus grandes passions.

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