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Les anciens coéquipiers de Bryan Mbeumo racontent le phénomène

Devenu le sixième plus gros transfert de l’histoire de Manchester United cet été, Bryan Mbeumo va mettre les pieds dans un monde nouveau. Ses anciens coéquipiers à Troyes racontent le phénomène depuis son origine.

Par Jordan Pardon
13 min.
Mbeumo @Maxppp

Il y a des trajectoires sur lesquelles il est parfois compliqué de mettre des mots. Celle de Bryan Mbeumo, l’ancien petit protégé du Stade de l’Aube désormais appelé à réenchanter le Théâtre des Rêves, en est une. Quand il quittait son club formateur de Troyes en 2019 pour rejoindre Brentford, alors en Championship, certains qualifiaient son choix d’"imprudent", d’autres d’"insensé". Car oui, le natif d’Avallon (Yonne) aurait pu jouer la sécurité en cédant aux sirènes de la Ligue 1, une possible première porte d’accès au très haut niveau. Mais ce n’était pas le genre du bonhomme, sûr de ses qualités mais décidé de faire les choses dans l’ordre.

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«Au début, il ne jouait pas beaucoup avec nous», se remémore son ancien coéquipier à Troyes, Rayan Raveloson, désormais au Young Boys. «Il a dû prendre son mal en patience avant de finir sa première saison en tant que titulaire. Mais ce qui m’a marqué chez Bryan, c’est son exigence avec lui-même, déjà à 18/19 ans. Quand il ratait un geste, il boudait et on en a tellement rigolé que c’était devenu une "réf" dans le vestiaire. On l’imitait pour l’embêter», rigole l’international malgache. Yehvann Diouf, aujourd’hui portier de l’OGC Nice et international sénégalais, ajoute : «à l’école, il ronchonnait quand la prof ne reprenait que lui alors qu’il n’était pas le seul à avoir bavardé. Et au foot, il pouvait bougonner pour un contrôle raté, puis perdre le contrôle sur son match. Il a su gommer ça avec l’expérience.»

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Pour Franck Ellé, vainqueur de la Coupe Gambardella en 2018 avec Mbeumo, ce côté boudeur dénotait déjà une forme de rigueur chez le garçon : «on l’appelait "le boudeur"», retrace celui qui a fait équipe avec Mbeumo pendant 5 ans. Quand il est arrivé au centre de formation en U15, il s’énervait dès qu’il ratait une passe ou un contrôle. Mais c’est en grandissant qu’on a compris que c’était en même temps une forme d’exigence qu’on n’avait peut-être pas, nous. Mentalement, il s’est conditionné.» Cette discipline déjà perceptible très tôt, Mbeumo l’a aussi trouvée chez son père, ancien bodybuildeur de haut-niveau. Il a su capitaliser sur cette maturité, couplée à ses qualités footballistiques évidentes même s’il n’apparaissait pas comme le plus talentueux de sa génération au départ.

Pas le talent le plus évident à détecter lors de ses premières années

Arrivé au centre de formation de Troyes en 2013 en provenance d’Avallon, club provincial situé à moins d’une heure d’Auxerre, Mbeumo y prend ses marques dans la discrétion. Son évolution est progressive, et lors de ses premières années, il n’est pas le talent le plus évident à détecter dans les équipes de jeunes de l’ESTAC, même si le potentiel est là. Bilal Brahimi, aujourd’hui à Caen, Brandon Domingues, fraîchement recruté par Oviedo en Liga, ou encore Yehvann Diouf, plus jeune joueur à signer pro à Troyes (16 ans et 297 jours), sont alors les ambassadeurs de cette génération 1999/2000. Calvin Bombo, capitaine de l’époque et régulièrement appelé en équipe de France, développe :

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«Entre U15 et U16, il n’entrait pas vraiment dans la discussion pour être appelé en équipe de France parce qu’il y avait du monde à son poste : Moussa Diaby, Amine Gouiri et Lenny Pintor qui étaient parfois surclassés, Yassin Fortuné qui était à Arsenal, Moussa Sylla de Monaco… Mais il progressait plus vite que la normale», se souvient-il. Franck Ellé, lui, retient l’image d’un joueur déjà tourné vers le collectif, très tôt. Avec une anecdote : «en demi-finales des play-off U17, on affronte le PSG de Moussa Diaby, Boubakary Soumaré, Yacine Adli, Antoine Bernede, Claudio Gomes… On prend un carton rouge après 30 minutes de jeu et le coach ne sait pas qui mettre au poste de latéral gauche. Bryan a accepté, il a fait un énorme match avec (Timothy) Weah sur son côté. Malheureusement, on perd à la toute fin sur un coup-franc d’Adli (2-1).» Benjamin Bureau, coach attitré de cette génération devenue «la génération BB» au club (ses initiales), rembobine.

«Bryan avait déjà une grosse capacité d’efforts dans son couloir, il aimait défendre et c’est pour ça que je l’avais fait reculer face au PSG. Il a dû rechigner dans sa tête ce jour-là, sourit-il aujourd’hui. Mais c’était un joueur toujours au service du collectif. Pour moi, il aurait déjà pu être appelé en équipe de France (U17) à cette période-là, on survolait le championnat et on était en demi-finale de play-off (ndlr : à deux joueurs près, le onze de cette demi-finale perdue contre Paris était le même que lors de la finale de Gambardella gagnée contre Tours deux ans plus tard). Il a vraiment passé un cap au centre de formation, et vu son sérieux et ses qualités, c’était clair et net pour moi qu’il ferait une belle carrière.» Yehvann Diouf, qui a passé un rassemblement en équipe de France U18 avec Mbeumo, approuve : «plus jeune, les joueurs davantage regardés étaient ceux qui jouaient dans de "gros clubs". Nous, on était à Troyes, un club de L2, ça pesait moins. Mais cette période a marqué le début du déclic pour Bryan. Puis l’année de la Gambardella, c’est là que la voie est tracée.»

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La Gambardella comme accélérateur

C’est effectivement à cette période que toute s’accélère pour Mbeumo. Les mois qui suivent sont déterminants dans son évolution : il passe un véritable cap dans l’efficacité et la régularité, s’affirme comme le joueur impactant dans les gros moments, et à 18 ans, il fait ses premières apparitions en réserve. Là encore, le pallier est validé. Chaouki Ben Saada, ancien international tunisien, se souvient : «je revenais de blessure et j’avais joué avec la réserve. Le coach Gharib Amzine était venu me voir avant le match pour me dire : "regarde le petit jeune devant, envoie-le en profondeur, il va très vite." C’est ce que j’ai fait, et pour l’anecdote, je lui avais fait une passe décisive. On gagne le match 1-0.» L’obstination et la volonté qu’il met au quotidien, presque jusqu’à l’obsession, n’échappent à personne. Ben Saada s’en rappelle très bien.

«Sa vitesse, son explosivité, et son pied gauche m’ont marqué. Il venait travailler les coups de pieds arrêtés avec moi après les séances, et ça m’avait interpellé dans le sens où c’est rare que les jeunes le fassent. Quand je l’ai vu tirer, j’ai compris : il avait déjà la fameuse frappe flottante.» Derrière Yehvann Diouf, Mbeumo est le deuxième "99" à s’imposer rapidement en réserve. Au point qu’il ne redescend avec sa catégorie d’âge que pour la Gambardella. Malgré un contexte piégeux, la pression glisse sur lui, et il est décisif à tous les matchs à partir des 64es. «Il y avait des attentes autour de lui, sachant qu’il évoluait déjà en réserve, et que nous, on tournait bien sans lui en championnat, se remémore Franck Ellé. J’ai le souvenir du 1/8e de finale contre Rennes, le grand favori. On nous disait que 8 joueurs de leur équipe étaient en équipe de France, qu’ils jouaient pratiquement tous en réserve. On avait besoin d’un grand Bryan et il a pris l’équipe sur son dos. Il marque d’entrée après un enchaînement fou, il nous tient tout le match, et on gagne aux tirs au but.»

Plus que ses qualités footballistiques, qui sautent aux yeux, c’est sa capacité de rebond qui a marqué Yehvann Diouf lors de cette campagne. Comme lors de cette demi-finale remportée aux tirs au but face au Stade Brestois de Lenny Pintor : «Bryan était un peu passé à côté en loupant 2 ou 3 grosses occasions dans ce match. Mais il s’est rapidement remis la tête à l’endroit et il nous fait gagner la finale juste derrière contre Tours en marquant un doublé (2-1).» Franck Ellé, aujourd’hui à Palloilijat en Finlande, ajoute : «comme Kylian (Mbappé) deux ans plus tôt contre Lens, il est proche de faire doublé, plus passe décisive en finale, sauf que je tire au-dessus du pied gauche sur son centre. D’ailleurs, après la finale, on se disait : "il y a deux ans, c’était Kylian, maintenant c’est Bryan". Même si on était tous bons, c’était le nom qui ressortait et on se disait qu’il allait aller vraiment loin.» Cette saison-là, il effectue d’ailleurs ses premières entrées en Ligue 1 avec le groupe professionnel, avant d’exploser en Ligue 2 lors de la saison suivante, en 2018/2019. Une saison à 10 buts qui lui ouvrira les portes de Brentford malgré des intérêts de Bordeaux ou encore Nice.

Brentford, l’explosion

Pour Calvin Bombo, son capitaine en jeunes dont il est encore proche, sa réussite est aussi le résultat de choix de carrière réfléchis. «On avait parlé de son transfert à Brentford, qui avait mis de l’investissement pour le faire venir, et plus que des clubs de L1. Les dirigeants s’étaient déplacés jusqu’à Troyes et il avait tout de suite adhéré au projet. Beaucoup de personnes ne comprennaient pas son choix mais il a eu raison : Brentford joue les play-off d’accession en Premier League dès sa première année, il joue 46 matchs et marque 16 buts.» À ce moment-là, il forme alors une triplette dévastatrice avec Saïd Benrahma à gauche, et Ollie Watkins en pointe.

À eux trois, ils marquent 59 buts en championnat (26 pour Watkins qui signe ensuite à Aston Villa, 17 pour Benrahma qui rejoint West Ham et 16 pour Mbeumo). La deuxième saison est finalement la bonne pour Brentford, promu en Premier League. Cette fois, Mbeumo se partage l’affiche avec Ivan Toney, auteur de 33 pions en Championship. «Il a joué avec des top joueurs à Brentford, mais il a toujours été titulaire, rappelle Calvin Bombo. Puis après leur départ, ça a été à son tour de prendre le lead.» Jusqu’à devenir international camerounais, marquer 20 buts en Premier League la saison passée, et convaincre Manchester United d’en faire la 6e recrue la plus chère de son histoire (environ 81 millions d’euros, bonus compris). «Même en jeunes, il ne marquait pas 20 buts en championnat. C’est de la folie», en rigole aujourd’hui Franck Ellé.

Encore très proche de Mbeumo aujourd’hui, leur ancien entraîneur Benjamin Bureau se dit à peine surpris. «Je suis étonné sans être étonné, c’est le prix d’un joueur qui marque 20 buts en Premier League. Maintenant, ce qu’il veut, c’est jouer l’Europe. Le challenge est beau parce que ça fait 2 ans que Manchester United tourne moyen, et qu’ils veulent inverser le truc. Ils mettent le paquet, il est là pour ça, et il part pour être titulaire». Ses mots tenus à l’oreille de Mbeumo il y a six ans trouvent d’ailleurs un sens aujourd’hui : «lors de sa première année à Brentford, j’étais allé le voir jouer. Le lendemain, on avait été regardé Arsenal - Everton car j’avais eu des places par la famille Guendouzi que je connaissais. Bryan était tout timide alors qu’il jouait en Espoirs avec Matteo, qui allait bientôt rejoindre les A. Ce jour-là, je lui avais dit : "je souhaite que ce soit un jour à ton tour de jouer dans un grand club de Premier League." L’histoire est belle. Arsenal et Manchester United, ce sont deux clubs planétaires.»

Pour Ravelosson, ce transfert n’est pas une fin en soi. L’ancien Auxerrois l’assure, le meilleur reste encore à venir pour son ex-coéquipier : «je pense qu’on verra encore mieux de lui cette saison. Je vais lui mettre un peu de pression, je sais qu’il aime ça.» Yehvann Diouf complète : «je suis super fier de son évolution. Il est toujours resté connecté, simple, attachant, drôle… Le voir à Manchester United, c’est une fierté. Je ne me fait pas de soucis parce qu’il a toutes les qualités pour performer là-bas et faire encore mieux que ce qu’il faisait à Brentford. Il aime les challenges et en termes de challenges, il sera servi. » L’histoire, c’est désormais à Mbeumo de l’écrire.

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