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De l’usine à meilleur milieu de D1 portugaise, la folle histoire de Gaïus Makouta

Révélation du championnat portugais ces dernières saisons, et désormais en Turquie, Gaïus Makouta a dû faire face à de nombreux vents contraires pour se faire une place dans le milieu. Passé par la case usine, proche de dire stop au football à un moment, il s’est finalement fait violence pour toucher son rêve.

Par Jordan Pardon
7 min.
Makouta @Maxppp

Quand certains se questionnaient sur la pertinence de ses choix de carrière - parfois osés - Gaïus Makouta est resté cramponné à ses idées. Était-ce une forme de courage ou d’insouciance d’aller s’aventurer à 20 ans en Irlande, ou en Bulgarie, là où certains avaient sombré avant lui ? A priori, toutes ces expériences ont permis au milieu de 27 ans d’être le joueur qu’il est aujourd’hui, à savoir un international congolais, devenu une pointure du championnat portugais. «Il avait une détermination rare, insiste son grand pote Jonathan Bamba, aujourd’hui au Chicago Fire. Beaucoup auraient lâché après les déceptions qu’il a connues, lui non. Déjà, quand on était petit, il rentrait en classe en pleurant quand il perdait un match à la récréation. Mais ça, ça doit être de famille, j’avais le même problème avec son cousin Dylan Saint-Louis», rigole l’international ivoirien.

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Crédit : Aurélien Cathala

Cet été, le joueur passé par les centres de formation d’Auxerre, Amiens ou encore Le Havre, a quitté Boavista pour rejoindre Alanyaspor, 8e de la saison dernière en Turquie. Un club stable et bien structuré capable de réaliser de belles saisons en Superlig turque (8e la saison dernière) même s’il lutte aujourd’hui pour son maintien : «j’ai le sentiment d’avoir toujours été un peu "sous-coté", exprime celui qu’on a souvent surnommé Balotelli pour sa ressemblance avec l’Italien plus jeune. Cet été, à 26 ans, je me disais que j’allais arriver à un virage important de ma carrière. Mais je pense que certains clubs privilégient des profils plus jeunes, perfectibles, pour les revendre plus chers. Donc j’ai choisi de rejoindre Alanyaspor qui me voulait depuis un moment. La Superlig reste un beau championnat. Sportivement, mais aussi financièrement, c’était le meilleur choix possible. » Pour un joueur révélé après ses 24 ans, passé par la case usine et parfois même la précarité, ça s’entend.

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L’usine, l’abandon de poste, et les doutes

De son propre aveu, c’est au fil de ce parcours un peu cabossé, de certains accidents, de certaines déceptions, qu’il s’est construit. 10 ans plus tôt, lorsqu’il n’est pas prolongé par Le Havre, le natif de Beaumont-sur-Oise est proche de couper avec le football : «j’ai travaillé avec ma mère parce que j’avais besoin d’acheter la Playstation à cette époque, sourit-il. Puis je suis allé à la boîte d’intérim à côté de chez moi, j’étais manutentionnaire pendant 7 mois, avec mes grosses chaussures de sécurité, et je devais ouvrir des cartons au cutter. J’avais besoin de prendre mes distances avec le foot. » Pour peu de temps, puisque la passion reprend le dessus. Il rejoint l’Union sportive Créteil-Lusitanos, mais pas de quoi mettre du beurre dans ses épinards. Il enchaîne alors les tranches 6h/13h à l’usine, s’offre une sieste réparatrice dans l’après-midi, puis grimpe dans son RER D direction Créteil pour l’entraînement, avant de rentrer au bercail vers 23h pour une nuit relativement courte.

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Crédit : Aurélien Cathala

«Des fois, je faisais même des siestes sur la cuvette des toilettes au taff, rigole-t-il aujourd’hui. Mais c’était l’une des meilleures périodes de ma vie : j’étais chez moi, avec mes amis d’enfances, mes proches, et ça, c’est une chance. J’étais présent pour les anniversaires, les mariages, les sorties… » Pas pour longtemps, carrière oblige. Il entame son tour d’Europe en juillet 2016, avec une première expérience à Longford, en Irlande, où il est recruté sur la base… de vidéos de jongles : «je suis allé au stade de Créteil et je devais me filmer en train de jongler et dribbler des plots. Le coach a validé. » Il n’y jouera finalement pas, et ses souvenirs là-bas ne sont pas les plus enthousiasmants de sa vie : «j’étais avec un colocataire irlandais qui prenait des produits stupéfiants et faisait toujours la fête. C’était le bordel, se remémore-t-il.

Cette expérience, c’était surtout une façon de mettre les pieds dedans, de bosser mon anglais» Il claque la porte après une saison. S’en suit un retour furtif à l’usine, cette fois à Servon (Seine-et-Marne), qui sera d’ailleurs LE déclic pour lui. «J’étais avec des darons qui charbonnaient, c’est très formateur dans la vie mais le taff était trop dur. C’était du travail à la chaîne, je suis resté une heure et j’ai fait un abandon de poste un jour. Ca été la bascule pour moi.»

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La rencontre avec Amorim, puis l’explosion

Après un essai à Nottingham Forest, il signe à l’Aris Salonique, en Grèce. Là-bas, il côtoie l’international algérien Rafik Djebbour, mais se heurte surtout à des retards de paiements infernaux. Une situation si précaire qu’il doit sauter des repas ou se rationner en vivres : «j’ai dû être payé une fois en 6 mois. Le club venait régler la chambre d’hôtel, mais ne me payait pas mon salaire. Mon argent était épuisé, j’avais un repas par jour à l’hôtel, je devais faire des stratégies. Je mangeais le plat principal le midi, et je gardais l’entrée et le dessert pour le soir avec du pain.» Un cauchemar, puis l’accalmie. Il retrouve enfin le sourire à Covilha, en D2 portugaise, avant de signer avec la réserve de Braga en 2019. «Je me suis dit : "à partir de maintenant, ma vie va changer”.» Mais il faut transformer l’essai.

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Crédit : Aurélien Cathala

Là-bas, son entraîneur n’est autre que Ruben Amorim, au demeurant très exigeant avec lui. Il loue son talent, mais sait aussi pousser des gueulantes comme lors d’un entraînement où Makouta s’entraîne avec ses bijoux. « Il me dit à son arrivée que j’étais l’un des joueurs qui l’emballait le plus en vidéo, mais j’avais la tête ailleurs. Je voulais absolument partir en prêt après notre descente en D3. » Nouvelle pérégrination : en Bulgarie, où tout s’accélère. Il explose à Beroe, en pleine période COVID. Puis c’est la révélation à Boavista, où il croise… Paul-Georges Ntep, qu’il regardait avec les yeux de Chimène quelques années plus tôt à Auxerre : «PG, c’est PG. Moi, je suis un 1997, lui, c’est un 92, et on voulait tous être comme lui au centre de formation», sourit-il encore aujourd’hui. Son modèle Ntep est pourtant en perte de vitesse. Lui est sur la pente ascendante.

«Partout où je vais, je me dis que j’ai le niveau. À Boavista, je suis "en pétard". Après ma saison 22/23, j’apparais même à côté d’Ugarte, des deux Vitinha, de Fabio Vieira, et de Darwin Nunez sur des sondages "révélations de la saison" de gros médias. » Il achève son deuxième exercice avec 2 buts et 6 passes décisives, fait partie des meilleurs dribbleurs et récupérateurs du championnat, marque contre Benfica ou même le Sporting. «T’es un p.tain de joueur. Je ne savais pas que tu savais faire ça», le charriera même Ruben Amorim lors de leurs retrouvailles.

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Il ambitionne de jouer une Coupe d’Europe

À ce moment-là, Porto le suit, mais rien de concret. Il reste une saison de plus et est élu meilleur milieu de terrain du championnat au mois d’août devant Joao Neves, avant de terminer 2e le mois suivant… derrière Neves. L’histoire est belle, mais pour Jonathan Bamba, elle n’en est encore qu’à ses premiers mots. «C’est mon frère de cœur. On s’est connu à Alfortville à 9 ans, c’est une fierté de voir ce qu’il devient. Son parcours, c’est la récompense de son travail, et ce n’est pas fini pour lui, j’en suis certain. Ce serait une magnifique histoire qu’on s’affronte un jour, après s’être affrontés dans les cours de récré.» Ambitieux, Makouta ne compte effectivement pas s’arrêter en si bon chemin. Travailleur acharné et animé par une soif constante de progression, il reste porté par un objectif clair : disputer la Coupe d’Europe et les plus grandes compétitions. Et il mettra tout en œuvre pour y parvenir.

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