Enzo Donis : « ici, Nagelsmann n'aurait jamais eu sa chance ! À 26 ans, quand on est jeune entraîneur français, il ne faut pas avoir peur »

Par Josué Cassé
32 min.
Enzo Donis, actuel entraîneur adjoint de Bastia-Borgo. @Maxppp

À seulement 26 ans et après avoir fait ses classes comme analyste vidéo et entraîneur de jeunes, Enzo Donis arbore désormais le costume d'adjoint de Stéphane Rossi du côté de Bastia-Borgo. Fort d'un CV d'ores et déjà bien rempli dans le monde du football, le jeune entraîneur franco-belge, passé par le Montpellier HSC, le Royal Excelsior Virton ou encore le Club Atlético Bembibre en quatrième division espagnole, apporte ainsi toute sa détermination pour tenter d'éviter la relégation du club corse, actuellement seizième de National. Retour sur le parcours d'un passionné de coaching prêt à tout pour réaliser son rêve. Entretien.

Foot Mercato : bonjour Enzo Donis, avant de revenir sur votre actualité, vous avez 26 ans, pouvez-vous nous résumer en quelques mots votre parcours qui vous amène donc aujourd’hui au poste d’entraîneur adjoint à Bastia Borgo ?

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Enzo Donis : il y a beaucoup d’étapes (rires). J’ai commencé dans le journalisme sportif au départ, à distance, car je voulais continuer à travailler à côté, mais au final ça a été compliqué parce que ce n’est pas ce que j’aimais. Ce que j’ai très rapidement voulu, c’est être à l’intérieur d’un vestiaire, pour vivre les choses, partager des moments, vivre avec un groupe, je ne voulais pas d’un métier solitaire. L’idée était de transmettre et j’ai commencé à le faire avec les jeunes et je me suis dit pourquoi pas commencer à entraîner. J’ai envoyé mes CV dans les clubs aux alentours et un bon club formateur à côté de Montpellier qui est l’AS Lattes, réputé dans la région et même au niveau national, m’a proposé de rentrer en tant qu’entraîneur des jeunes, mais c’était les toutes petites catégories. Au départ les U8, donc j’ai commencé comme ça, ça s’est très bien passé pendant 6 mois et il s’avérait que Montpellier cherchait quelqu’un pour aider au niveau de la catégorie U13 féminine donc je me suis proposé. À cette époque, ma petite sœur jouait à Montpellier, dans ces catégories, donc je suis rentré comme ça car j’ai connu les personnes du club. J’ai débuté sur les petites postes, sur les postes d’adjoint des 15 ans féminines et puis c’est une question d’opportunités, mais un jour Bruno Martini et Henri Stambouli me convoquent et me disent « voilà on cherche un éducateur et on pense que tu peux être la bonne personne. On forme déjà des joueurs donc on peut aussi former un éducateur » et ils m’ont donc proposé un poste au niveau du pôle excellence garçon chez les U12/U13 où j’ai fait quelques saisons.

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«Grâce à ma conseillère, j’ai pris conscience qu'entraîneur pouvait être un métier !»

FM : quel est l’élément déclencheur qui vous a permis aujourd’hui d’en arriver là et d’emprunter cette voie ?

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ED : j’ai arrêté l’école en troisième du coup, j’ai fait une année de cours par correspondance dans la foulée car je me cherchais un peu, je suis allé vers la photographie sportive, mais au final ça c’est très mal passé, je n’ai pas réussi à étudier, à rester enfermé, ce n’était vraiment pas moi et à la fin de cette période, je rencontre une conseillère d’orientation et elle me donne tous les métiers possibles et au milieu de tout ça, elle me parle d’entraîneur de football et à ce moment-là j’ai pris conscience que ça pouvait devenir un métier. Au début pour moi, entraîner, c’était comme ça, le mercredi après-midi pour le loisir et donc j’en ai parlé à mes parents et ils m’ont soutenu en me disant de bien faire les choses. Tu veux faire ça, fais-le, on va te suivre, on va t’accompagner dans ton projet à 100%, mais par contre il faut que tu saches où tu veux aller car ça reste le plus important si tu veux réussir dans la vie. Et les gens encore aujourd’hui sur mon parcours trouvent ça assez incroyable le fait que j’ai pu m’en sortir, mais moi dans ma tête ça a toujours été clair, j’ai toujours su où je voulais aller, le moyen d’y aller m’a parfois amené à dévier quelque peu, mais mon ambition finale, elle, n’a jamais changé. J’avais ce cap, sans dire je veux entraîner en Ligue 1, mais je veux vivre du football et faire ce que j’aime. Aujourd’hui, je me rends aussi compte que d’avoir eu le soutien de mes parents depuis le début, ça compte énormément même si ça amène aussi une forme de pression où tu sais que tu ne dois pas te rater, mais cette pression j’en ai toujours eu besoin pour vivre. Mais oui je retiens ce discours de ma conseillère car ça m’a fait un déclic. Ce métier d’entraineur était tout ce que j’aimais, le football, encadrer un groupe, créer l’alchimie dans tout ça et je me suis dit allez c’est parti, sans considérer tout ça comme un projet fou. Car à cet âge-là, mes amis me disaient que j’étais complètement malade de partir dans cette voie, mais moi je savais que j’allais faire les sacrifices nécessaires pour arriver à mes fins.

FM : le regard extérieur et les avis un peu négatifs sur la trajectoire que vous comptez prendre à cette époque ne vous fait pas douter ?

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ED : non parce que je sais que c’est dur, je ne pouvais pas prétendre demander un salaire à mes débuts, à cette époque-là en plus il n’y avait pas tout ce qui est contrat d’apprentissage etc, évidemment, aujourd’hui c’est différent et j’en aurais sûrement profité, mais je serais peut être resté dans un certain confort. Après, ce que je retiens aussi à Montpellier, c’est qu’on dit qu’il y a un club formateur pour les joueurs, bah moi, ça a été mon club formateur d’entraîneur (rires). Je vivais chez mes parents, le club était à côté de chez moi, c’était mon club, le club que je supporte, que j’aime, c’était magnifique. Après Montpellier, je savais aussi qu’il allait y avoir une barrière assez rapidement, je savais que je ne pourrais pas entraîner des plus âgés, parce que c’est réservé aux ex-professionnels du club, c’est très fermé, mais je le savais dès le début. J’ai anticipé dans ce sens, mais les 5 ans passés là-bas, c’était extraordinaire, une leçon de vie, mais je savais qu’il fallait que je parte à un moment et la Belgique a été ce moment.

En tout cas déjà aujourd’hui avec un peu de recul, je sais que chaque club c’est une leçon de vie et ça participe pleinement à mon parcours. Chaque saison m’a fait grandir humainement, professionnellement, à chaque fois j’ai eu une étape, je me suis enrichie de différents pays, de différentes cultures et c’est ce qui fait qui je suis aujourd’hui et ça me donne cette capacité à m’intégrer rapidement n’importe où maintenant. Et j’ai envie de continuer à découvrir que ce soit sur le plan humain ou du football, un club où je vis une réelle relation humaine et puis dans tout ça il faut de l’amour entre les différentes parties. Aujourd’hui, c’est ce que je vise avant tout parce qu’avec cet amour, les résultats vont mieux aussi, mais je me dis pas je veux finir là ou là. Aujourd’hui je suis à Bastia et ma mission première est qu’on arrive à se maintenir. C’est tout. C’est ma seule ligne de conduite, quand je me lève le matin, je ne pense qu’à ça. Ça me hante.

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FM : avant de revenir sur Bastia, lorsque vous êtes à Montpellier, vous travaillez aussi en tant qu’analyste vidéo… Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs les spécificités de ce métier ? Parce que finalement on s’aperçoit, ici, que le métier d’entraîneur peut recouvrir des fonctions bien différentes ?

ED : oui, en parallèle, Henri Stambouli continuait de me suivre dans mon projet et il m’a proposé de rejoindre la cellule d’analyse vidéo, en stage, avec l’équipe professionnelle. Pour la petite anecdote, ce qui était marrant c’est que Jonathan Llorente, le responsable de la cellule vidéo de Montpellier, était déjà mon responsable à Lattes quand j’ai commencé quelques années avant. J’ai fait ce stage et ensuite je suis donc parti avec la réserve du MHSC sur ce poste d’analyste vidéo aux côtés de William Prunier qui est désormais l’adjoint du Mans. C’est très ciblé, c’est très pointilleux, concrètement, c’est analyser toutes les séquences du jeu, que ce soit de notre adversaire ou de notre équipe, mais par rapport au stage que j’ai fait à Montpellier, au début de ma carrière, ça a encore bien évolué. Aujourd’hui, on est sur de la captation des entraînements, de l’analyse même des entraînements. Le métier a évolué, a pris de l’ampleur. La plupart des clubs ont un analyste maintenant.

«L’analyse vidéo a été une porte d’entrée dans ce monde !»

FM : pour rebondir sur la question précédente, quel chemin voulez-vous emprunter ? La vidéo reste un poste spécifique ? Voulez-vous vous appuyer sur cette expérience ou en faire une activité centrale ?

ED : la vidéo n’est pas forcément quelque chose que j’aime particulièrement, mais ça m’a permis de mettre le pied à l’étrier. Quand tu as 16, 17 ans, que tu veux rentrer dans le monde professionnel, que tu n’as pas été joueur professionnel, c’est compliqué de rentrer dans un staff. Moi, ce qui me plaît aujourd’hui c’est d’entraîner, ce qui me plaît c’est le terrain, de mettre en place des choses, d’être au contact des joueurs donc vraiment de vivre les choses de l’intérieur et de les ressentir sur le terrain. L’analyse vidéo a été une porte d’entrée, via cette compétence, je suis rentré dans ce monde-là. Honnêtement, sans l’analyse vidéo, je ne sais pas si j’aurais pu mettre un pied dans un staff professionnel car aujourd’hui, c’est bien beau de dire « je veux être entraîneur adjoint », je veux entraîner untel ou untel, mais ça ne se passe pas comme ça. J’ai cette possibilité de l’être, mais aussi avec cette spécificité, de pouvoir faire de l’analyse vidéo à côté. La vidéo maintenant je veux m’en servir comme un plus dans mon rôle d’adjoint. Je sais analyser une vidéo, je suis capable de traiter un match, je maîtrise tous les outils permettant de faire ça et ça me permet d’avoir pas cette double casquette parce que pour moi l’adjoint 2.0 ou nouvelle génération, il doit aussi savoir gérer la vidéo.

FM : revenons-en à ce parcours très atypique quand même, après Montpellier, j’ai lu que vous étiez tout proche de rejoindre le PSG… Pouvez-vous nous raconter ce transfert avorté ?

ED : oui donc je termine mes 5 saisons à Montpellier, ma dernière saison, je co-entraîne l’équipe féminine de l’ASPTT Montpellier, on a monté un projet avec des amis, ça m’a permis de partir dans du foot à 11, j’avais besoin d’avancer dans mon projet et donc avec quatre amis, on a pris les deux équipes, une en DH et une en DHR, on a joué les barrages d’accession en D2, ça s’est très bien passé et donc, à ce moment-là, je me suis dit pourquoi pas rester dans le football féminin. La dernière saison du coup, j’entraînais les jeunes et les filles avec l’ASPTT, mais je décide de partir de Montpellier parce que là-bas, ce n’est pas évident quand tu as pas été ancien joueur professionnel d’avoir une suite ou un avenir au niveau de l’entraînement. Je me sentais un peu bloqué donc j’ai eu plusieurs entretiens avec des clubs pour la section féminine, notamment Monaco et donc j’ai reçu aussi un appel de Patrice Lair au Paris Saint-Germain qui voulait me rencontrer sur Paris. Ça s’est fait, on s’est rencontré, je pensais que ça allait se faire, j’avais déjà annoncé à ma famille que je partais et au final, retournement de situation, pour différentes raisons, ça ne se fait pas et je me retrouve sans club…

FM : un faux-départ qui vous amène donc dans la foulée à signer avec le Royal Excelsior Virton en D2 Belge, votre terre natale…

ED : oui c’est ça, j’étais en contact avec un directeur de centre là-bas, il m’avait dit, si il y a une place qui se libère, je te tiendrais au courant et donc il m’appelle et me parle d’un poste sur les jeunes, les 14 ans. Je n’ai pas réfléchi. Déterminé, j’ai mis toutes les affaires dans la voiture et c’est parti.

FM : pourquoi ce choix de quitter la France ?

ED : il fallait que j’avance, sincèrement je voulais juste entraîner du football à 11, être en poste et avoir des perspectives d’avenir. Donc je me dis pourquoi pas, le courant était bien passé dans les échanges avec le club donc je mets les affaires dans la voiture, je ne savais pas où j’allais, je mets le GPS. J’arrive là-bas, perdu, c’était très loin d’où je suis né en Belgique.

FM : au Royal Excelsior Virton, vous vivez une ascension assez phénoménale puisque vous passez d’entraîneur des jeunes à entraîneur adjoint tout en continuant ce travail d’analyste vidéo ? Un passage au cours duquel vous signez d’ailleurs votre premier contrat pro. Pouvez-vous nous raconter comment tout ça s’est déroulé ?

ED : oui j’arrive déboussolé, mais finalement ça s’est très très bien passé, les gens ont été vraiment attentionnés avec moi. C’était une situation particulière là-bas, au bout de quelques mois le club est tombé en faillite donc dans la survie c’était très dur. Il n’y avait plus de restaurants quand on était en déplacement, plus de bus pour les jeunes en centre de formation, pareil pour l’équipe première, plus de payes. C’était très dur, mais les gens étaient vraiment solidaires et humainement ça reste une expérience exceptionnelle, par rapport à ça, c’est énorme ce qui s’est passé. Et donc dans ce contexte, le coach s’en va, il part entraîner Mouscron, le directeur du centre de formation, Samuel Petit, passe entraîneur car il n’y avait plus d’argents pour un recrutement externe et donc moi je rejoins son staff en tant qu’analyste vidéo-adjoint. On sauve le club dans les ultimes journées du championnat, c’était vraiment magnifique. Samuel Petit, il m’a vraiment fait confiance à 2000%. Donc voilà une première année où je suis encore sous convention et puis le club se fait racheter par Flavio Becca qui est un multimilliardaire, la plus grosse fortune du Luxembourg. Il avait Lotus Formule 1, Leopard Trek, le club de Kaiserslautern, le club d’Hesperange… un blindé quoi (rires). Il arrive et me reçoit donc avec Samuel Petit. Pour la petite histoire, à ce moment-là je devais rejoindre Marc Grosjean et signer avec l’Union Saint-Gilloise qui réalise d’ailleurs un parcours exceptionnel en Jupiler Pro League actuellement. Au final ça ne se fait pas et c’est Marc Grosjean qui signe finalement à Virton (rires). Du coup je reste et je prolonge avec eux en signant mon premier contrat professionnel qui me permet de vivre entièrement de ça. Ça se passe très bien, mais malgré nos bons résultats, il y a trois changements d’entraîneur et quand Marc Grosjean part, il est remplacé par David Gevaert. Je peux pas dire que ça s’est mal passé avec lui, mais je sentais que le club ne voulait plus forcément continuer avec moi et donc en décembre 2018, on trouve un accord pour rompre mon contrat.

FM : après la Belgique, retour forcé en France donc...

ED : oui, au départ je discute pour faire la CAN avec une sélection, mais ça ne se fait pas pour diverses raisons sur lesquelles je ne veux pas revenir, finalement je reste donc 6 mois au chômage, j’avais besoin de me poser un peu, de retrouver ma famille, mes amis, de digérer la fin de l’expérience en Belgique qui avait été dure. Donc je rentre à Montpellier et puis je fais plusieurs entretiens dans la région et donc je rejoins Béziers qui venait de descendre de Ligue 2. Là-bas, j’entraîne les U16, ça me plaisait, j’avais besoin de retrouver un projet avec les jeunes, de vivre une expérience humaine. Ça se passe vraiment super bien, à tel point que je prolonge dès la fin de ma première saison là-bas, mais nouvelle péripétie arrive… À ce moment-là, je cherche à passer le diplôme UEFA A (ndlr : le Brevet d’Éducateur de Football), mais ça coince… Je ne suis pas pris et c’était le quatrième refus… donc je me dis il y a un problème contre moi et je décide de prendre un chemin différent. J’appelle Béziers et j’étais pas bien parce que je me disais que j’étais en train de leur mettre à l’envers alors que tout se passait bien que ce soit sportivement et humainement. Mais voilà j’annonce à ce moment-là ma décision de quitter le club. Le 17 juillet 2021 je quitte le club, je n’ai rien comme rebond et le 18… je me retrouve à signer en Espagne, en Tercera division.

«Quand j’arrive en Espagne, je ne sais pas dire un mot, même pas Holà que tal !»

FM : cette déception explique donc en partie ce nouveau départ de la France et le choix de rejoindre l’Espagne ?

ED : oui oui, je ne pars pas de Béziers parce que je ne suis pas content de Béziers, au contraire, j’étais affecté et déçu de partir du club et c’est vraiment la possibilité du diplôme qui m’a fait partir en Espagne. Après j’en rêvais aussi depuis quelque temps, de pouvoir partir à l’étranger, de découvrir une nouvelle culture, avec une autre langue etc… Donc voilà je signe en Espagne à l’Atletico Bembibre, j’étais en contact depuis plusieurs années avec un entraîneur qui s’appelle Pablo Huerga et c’est vraiment lui qui m’a ouvert la porte. On parlait depuis 5/6 ans sur Facebook avec des traducteurs parce que je ne parlais pas… Quand j’arrive en Espagne, je ne sais pas dire un mot, mais quand je dis pas un mot c’est ce que je ne savais même pas dire « Holà que tal » hein (rires).

FM : adaptation compliquée du coup ?

ED : l’Espagne, c’était génial. Pour moi, c’est la plus belle année que j’ai faite depuis mes débuts dans le football, ça fait dix ans maintenant que je suis dans ce milieu, mais l’Espagne, ça a été exceptionnel. Bon déjà je ne parle pas un mot, je signe parce que la copine de l’entraîneur est française donc elle me faisait la traduction via l’entraineur. Premier Skype qu’on se fait, on se regarde et on avait l’air bien con (rires). Je vais être ton adjoint et je n’aligne pas un mot !

FM : avec le club de l’Atletico Bembibre, en Tercera (D3 espagnole), vous retrouvez donc ce costume d’entraîneur adjoint-analyste vidéo, pouvez-vous nous parler de cette année en Espagne et puis cette relation avec Pablo Huerga ?

ED : je lui dois beaucoup honnêtement, il m’a ouvert des portes alors qu’il n’avait aucune assurance que ce soit sur ma qualité d’entraîneur ou ma capacité à m’adapter. Je partageais une relation particulière avec lui, j’étais H24 avec lui. À ses côtés, après un mois déjà ça se passait très bien, très bien accueilli par les joueurs, par la direction. Humainement, j’ai pris en maturité, les gens là-bas, c’est magnifique ! Vraiment, je ne sais même pas comment l’expliquer, je pense qu’il faut le vivre pour le comprendre. Ils étaient là pour m’aider, pas pour me tester. Ici en France, on a tendance à dire « bon il parle pas la langue, on va voir comment il s’adapte », là-bas c’était tout l’inverse. Chacun faisait le maximum pour que je m’adapte au plus vite, pour me tirer vers le haut et c’est ce qui s’est passé. Que ce soit via les gens de la ville ou du club, les joueurs, le staff, c’était magnifique.

FM : et sur le plan sportif comment se déroule cette année ?

ED : la saison se passe très bien. Pour mettre le contexte, c’est un club qui, ces dernières années, se battait dans les dernières journées pour se sauver en championnat et au final nous on a réussi à jouer les play-offs d’accession pour la Segunda B et même si on a perdu tous les matches dans cette phase, c’était déjà quelque chose d’historique d’y être. On a vraiment fait une belle saison avec très peu de moyens, les joueurs gagnent très peu d’argent là-bas même des joueurs de district en France gagnent plus…

FM : au niveau des diplômes vous avez pu avancer lors de ce passage en D3 Espagnole ?

ED : oui aussi et pareil les gens t’aident à ce niveau-là. Je suis rentré en janvier 2021 en formation UEFA A, les professeurs te soutiennent et ça amenait aussi une expérience humaine géniale en plus du sportif et donc là aujourd’hui j’ai définitivement validé ce diplôme. Maintenant, mon ambition dans les deux ans à venir c’est de retourner là-bas pour passer le dernier échelon , l’UEFA Pro (équivalent du BEPF).

FM : avec des yeux d’adjoint, quelles sont les différences marquantes entre ce que vous avez connu en France puis en Belgique au niveau du jeu ?

ED : déjà le football belge et français se ressemblent beaucoup, mais en Espagne, tu as vraiment un choc culturel. C’est à dire que tout ce qui est fait dans ton entraînement est fait de façon structurelle. Tout le projet tactique est lié dans ton jeu proposé. Tu as le point physique qui est lié aussi. En France, en préparation de saison, tu as du travail physique pur, du ceci, du cela… en Espagne, on était que sur de l’intégré avec ballon et à chaque fois avec tes principes de jeu. Tu travailles toujours tes principes de jeu en même temps que de travailler sur le plan physique ou autres. Ta philosophie de jeu est toujours à la base. Tu ne fais pas une passe, tu fais une passe dans la philosophie de jeu que le club a prévu. Pour les entraîneurs espagnols, faire un travail physique pur, ce n’est pas dans leur culture. Je ne dis pas que c’est mieux qu’en France, loin de là même moi je pense qu’il faut un équilibre entre les deux, mais là-bas, culturellement c’est inimaginable de faire juste un travail physique pur, esseulé du reste. Ensuite les joueurs ont une culture du jeu. Déjà sur le plan technique, c’est plus élevé qu’en France pour moi, tu as beaucoup moins de duels, beaucoup moins d’impact, mais le niveau technique est au-dessus et c’est normal finalement parce que là-bas, les joueurs dès le début, ils sont dans une forme jouée du football, dès le centre de formation, on les place de façon à ce qu’il puisse s’exprimer à 100% sans forcément aller chercher du duel ou de la forme physique ou autre. Le constat du coup c’est que si tu mets un joueur de là-bas en France, je pense qu’il aura des difficultés. À l’inverse, un joueur actuellement en France qui est correct techniquement on va le voir en Espagne parce qu’il va faire la différence sur le plan physique et dans l’impact.

«C’est la phrase qui résume mon rôle : épauler l’ensemble d’un club pour atteindre l’objectif !»

FM : pour conclure sur votre parcours, l’été dernier du coup, nouveau départ et vous atterrissez à Bastia Borgo, en national dans la peau d’entraîneur adjoint d’Albert Cartier ? Comment se fait cette transaction ?

ED : ça faisait plusieurs années qu’on se connaissait avec Albert Cartier, on n’avait jamais travaillé ensemble, j’avais des possibilités en Espagne notamment avec le Sporting Gijon, mais du coup je reçois un message où il me dit ne signe pas j’ai besoin d’un adjoint. Donc j’ai réfléchi, à 25 ans, le niveau national, c’est une belle opportunité et puis j’étais très attiré par la Corse, je voulais plus retourner sur le continent avec la mentalité que j’avais déjà connue. Du coup pour moi, être en Corse c’était le moyen d’être en France sans réellement être en France. Je voulais découvrir cette mentalité et je me suis lancé pour vivre cette expérience.

FM : pouvez-vous nous parler de votre relation avec Albert Cartier, comment s’est faite votre rencontre ?

ED : on a le même syndicat qui est l’UNECATEF en fait, donc on s’est connu là-bas, c’est le syndicat professionnel des entraineurs en France, présidé par Raymond Domenech.

FM : avant de revenir sur le début de saison de Bastia Borgo et des différentes péripéties, pouvez-vous nous détailler votre quotidien aujourd’hui. Votre rôle en tant qu’adjoint, qui reste malgré tout un métier de l’ombre...

ED : sur le plan sportif, on a souvent pas eu ce qu’on méritait sur le début de saison, je sais qu’on peut avoir les ressources nécessaires pour arriver à nos fins, mais je sais qu’en début de saison, on a pas forcément eu ce qu’on méritait sur certains matches. Moi, dans mon rôle que ce soit avec Albert Cartier et maintenant Stéphane Rossi, ça se passe très bien. J’ai un rôle d’adjoint ou je gère toujours aussi ce côté vidéo, mais de façon moins flagrante qu’avant et moins poussée qu’avant. Je suis sur un choix sélectif d’images et après on choisit avec l’entraîneur ce qu’on met. Je suis sur un rôle de mise en place de séances avec le coach, de réflexion avec l’entraîneur et le staff, de prise en main sur certains moments de la séance. On est main dans la main avec l’entraîneur. J’ai mon rôle sur le terrain vis-à-vis du groupe où je dois savoir faire la liaison entre le groupe et le staff, ce qui est un rôle important de l’entraîneur adjoint. Mais surtout j’ai un rôle à part entière avec l’entraîneur. Mon objectif cette saison est d’aider un maximum et d’épauler un maximum l’entraîneur. C’est la phrase qui résume mon rôle : épauler l’ensemble d’un club pour atteindre l’objectif.

FM : vous débutez aux côtés d’Albert Cartier, mais après un départ catastrophique, il est finalement limogé et vous vous retrouvez à la tête de l’équipe première. Racontez-nous ?

ED : avec le staff, on avait un match de Coupe de France à jouer au moment où l’entraîneur est parti et donc le club a confié à moi-même et au staff la responsabilité de l’équipe première donc on l’a bien fait. On s’est qualifié en Coupe de France. C’était pas compliqué, mais on se demande forcément combien de temps ça va durer, c’est le plus dur à gérer, tu as une planification à faire donc tu te demandes combien de temps ça va durer, quel est l’objectif, il y a un match qui arrive derrière donc si le nouvel entraîneur arrive vite, le but c’est de préparer au mieux l’équipe pour qu’elle soit la plus saine possible pour le nouveau coach et c’est sur ça qu’on a travaillé.

Enzo Donis, plus jeune entraîneur principal d'Europe par intérim !

FM : ça fait quoi de devenir, à 25 ans, l’entraîneur le plus jeune en Europe le temps d’un instant ?

ED : pour moi, c’était un rôle temporaire donc je n’ai pas essayé de changer ma façon d’être, je savais que j’allais retrouver ensuite un poste d’adjoint donc je me devais de trouver un bon équilibre avec le groupe. Ça a été le cas, on a été main dans la main avec le staff. On a essayé d’être le plus juste possible pour gagner ce match et préparer au mieux l’arrivée du nouvel entraîneur.

FM : quelle posture pour un jeune entraîneur dans une situation compliquée sur le plan sportif. L’écart d’âge aussi n’est pas un frein ? Je pense à Arnaud Balijon, 38 ans, Florian Raspentino, 32 ans, Idrissa Ba, 31 ans ou Cherif Doumbia, 30 ans.. Comment on gère ça ?

ED : je pars du principe que si tu respectes les mecs, que tu es à l’écoute, que les mecs voient que tu es la pour le groupe, que je ne fais pas de préférence, que je vais dans la même direction par rapport à l’entraineur, ça c’est très important. Quand tu respectes tout ça, ça ne peut que bien se passer. Tu es dans un échange. Je suis dans un rôle à 26 ans et si j’arrive en étant hautain, en n’écoutant personne, en pensant que tu connais tout, tu es mort et je ne suis pas comme ça et c’est aussi là où ça devient enrichissant.

FM : aujourd’hui, avec toute cette expérience malgré votre jeune âge, quels sont vos objectifs ?

ED : j’espère être dans la continuité, aujourd’hui, je ne vois qu’une chose. C’est aider le club, l’entraîneur, les joueurs à atteindre l’objectif. Je veux aussi valider mon diplôme, c’est du court terme, mais je suis focus sur ça actuellement et je suis à 200% dans la réalisation des objectifs du club. Après en se projetant un peu, l’idée pour moi est d’avancer un peu dans ce métier et on verra où ça se me mène. J’ai la même détermination, mais je ne me fixe pas d’objectifs précis. Je ne pourrais pas te dire « je veux être entraîneur en Ligue 1 », tu le dis comme un gosse qui te dis je veux jouer la Ligue des Champions, mais il y a des étapes avant de penser à tout ça.

FM : avez-vous des regrets concernant votre parcours ?

ED : jamais ! Aucun regret. Oui, des choses que j’aurais sûrement pu faire différemment, mais est-ce que j’aurais su ça si je n’avais pas fait les choses comme je les ai faites ? Donc non, jamais de regrets, c’est le maître mot.

FM : vous parliez tout à l’heure du système français qui ne facilite pas forcément la tâche aux jeunes entraîneurs en devenir, quels sont les freins dans l’Hexagone selon vous ? Peut-on améliorer des choses aujourd’hui ?

ED : je ne suis personne pour dire si on doit améliorer ou non. Je pense que c’est culturel. En France, l’entraîneur doit être quelqu’un de bien plus âgé, il y a ces clichés autour de la jeunesse. «Prend ton temps», «tu es jeune», on entend souvent ça, mais je me dis que parfois trop prendre son temps, c’est aussi le perdre. Oui, en France, il y a ce blocage par rapport aux jeunes entraîneurs et je pense que si je ne m’étais pas ouvert vers l’étranger, j’aurais eu beaucoup plus de difficultés à intégrer ce milieu. C’est culturel. Tu le vois en Allemagne où ils font confiance aux très jeunes entraîneurs, l’Espagne aussi s’ouvre à ça. Tu le vois récemment avec l’entraîneur de Levante, il a 33 ans. Nagelsmann pareil, c’est un surdoué mais ici Nagelsmann n'aurait jamais eu sa chance ! À 26 ans, quand on est jeune entraîneur français, il ne faut pas avoir peur de faire des sacrifices ! Il ne faut pas avoir peur de prendre des risques et de découvrir d’autres cultures. En faisant ça, on sort vite de l’idée qu’ici, on ne donne pas la chance aux jeunes etc, il y a plein de pays qui sont ouverts, qui voient les choses différemment. On le voit avec l’Allemagne, on le voit aussi en Belgique, en Espagne ça arrive progressivement… C’est ce qui fait que je m’en sors dans les clubs aujourd’hui et c’est une phrase que j’aime bien, c’est de faire gagner du temps à l’entraîneur, ça c’est mon objectif premier, je suis là pour aider au maximum un entraîneur dans ses tâches, je veux être ce soutien pour l’entraineur, je veux l’accompagner dans ses démarches. C’est un métier où les convictions sont essentielles. Si tu as une idée de projet, si tu as un objectif il faut y croire jusqu’au bout même si aujourd’hui mon objectif est loin d’être atteint, je n’en parle pas, mais quand on arrive à gravir les échelons et voir que ça avance même si parfois tu descends une marche, bah ça m’a toujours permis de ressauter plus haut l’année suivante. Il faut avoir cette conviction, dès le début, que tu vas y arriver parce que les gens ils vont t’en mettre des bâtons dans les roues et ça a été le cas. Dans les formations ici (ndlr, FFF), combien de fois on m’a dit : « non, mais Enzo tu ne vivras jamais du football professionnel » et aujourd’hui ces gens-là sont au chômage et j’arrive à en vivre.

FM : suivez-vous un modèle, avez-vous une ligne directrice, une inspiration tactique dans votre façon de transmettre au quotidien ?

ED : je suis ouvert par rapport aux différents styles de jeu. Je discutais au départ avec un de mes responsables à Montpellier qui est dans le style de la possession, de l’Espagne, de Guardiola et puis, après, j’ai commencé à découvrir l’approche de la transition où on attend plus le ballon. J’ai des préférences, mais j’ai vu plusieurs choses et je garde une ouverture d’esprit très large sur l’approche du football.

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